• Intéressons-nous donc à la Turquie et à l’insaisissable Erdogan, – qui, semble-t-il, pourrait désormais bien être saisi dans ses orientations. • Un observateur excellent, Alexander Mercouris, va jusqu’à désigner “sa” Turquie comme « le cheval de Troie de Poutine dans l’OTAN » : voilà qui ouvre de vastes perspectives... • Voyons comment cette analyse, partagée par Eric Zuesse, nous permet de progresser dans l’examen de l’intéressant phénomène de l’effondrement des USA, du bloc-BAO, de notre civilisation, du Système et du reste...
Parmi la foule d’article de la “presse résistante” (ou “résistentialiste”, comme l’on dit antiSystème ?) qui décrivent les avatars extraordinaires de la politique américaniste et du bloc-BAO, on s’arrête à celui de Eric Zuesse de ce jour dans ‘SouthFront.org’, sous le titre de « L’empire américain est en train d’être défait... », parce qu’il nous donne d’intéressants détails et perspectives sur la Turquie, – par rapport à la Russie et en dépit de l’OTAN et des USA. (La deuxième partie du titre : « L’Asie conduira l’avenir », nous paraît moins cohérent, c’est-à-dire un peu hors de propos...)
Zuesse, commentateur de gauche (de la résistance de gauche), rigoureux et absolument intransigeant sur ses références, commence par introduire une/deux d’entre elles, dont il va faire usage. On retrouve des sources qui sont familières à notre milieu, à notre site également, pour une conclusion à propos d’Ukrisis qui paraît désormais s’installer dans les esprits.
« Alexander Mercouris est un commentateur des affaires internationales dont je suis les prédictions depuis longtemps et qui, jusqu'à présent, a été confirmé (exactitude) à 100%. Personne d'autre ne s'en approche, à l'exception de l'auteur anonyme du blog “Moon of Alabama”. Ces deux-là ont presque toujours prédit les mêmes choses aux mêmes moments, indépendamment l'un de l'autre ; et, puisque MoA a presque toujours prédit les mêmes résultats que Mercouris (bien que souvent sur la base de preuves qui ne sont pas aussi fiables), le bilan de MoA est presque aussi bon. Ils sont tous deux d’accord sur ceci :
» La Russie va gagner sa guerre contre l'Ukraine... »
Zuesse développe ensuite l’un ou l’autre aspect d’actualité de cette défaite des USA, – puisqu’effectivement, selon notre appréciation, l’événement de “la défaite des USA” est beaucoup plus important pour la suite des affaires que l’événement de “la victoire de la Russie”, – alors qu’on serait tout à fait fondé, selon la logique du discours courant, de considérer qu’il s’agit d’un seul et même “événement”.
Zuesse en arrive donc à sa conclusion, à laquelle nous passons aussitôt, qui est une question que l’on a à l’esprit depuis longtemps, alors que la réponse nous apparaît évidente depuis au moins aussi longtemps, et peut-être plus encore, – et c’est “Non !”, certes. La question concerne la capacité des USA d’accepter son déclin et d’aménager sa position en fonction de ce déclin pour nous éviter de trop forts déferlements de houles vengeresses...
Tout est tranché en effet lorsqu’on transforme la question considérée en celle-ci : comment peut-on imaginer une telle possibilité alors qu’on sait que l’un des traits caractéristiques de la psychologie américaniste telle que nous l’avons identifiée, est l’“indéfectibilité” (ou incapacité de se voir perdant, incapacité de concevoir la défaite dans quelque domaine que ce soit, etc., – marque de cette psychologie allant avec l’“inculpabilité”, ou incapacité de se juger “coupable” dans quelque domaine que ce soit) ?
Quoi qu’il en soit, Zuesse :
« Pour que le gouvernement américain accepte et s'adapte à son déclin en tant que puissance internationale, il devra répudier son idéologie suprémaciste existante (néoconservatisme) et expulser ses partisans de tous les bureaux diplomatiques et de sécurité nationale, mettre fin aux renvois d’ascenseur qui corrompent ces agences, et socialiser leurs entreprises d'armement comme l’ont fait certains autres pays. La seule alternative à cela serait la troisième guerre mondiale, dans le but de maintenir la suprématie mondiale du gouvernement américain. Une telle tentative échouerait inévitablement, car elle détruirait le monde. Une personne qui tenterait une telle chose ne devrait donc pas être tolérée, mais éliminée. Le monde devrait être d'accord avec cela, car ce n'est qu'à cette condition que l'on pourra avoir de bonnes raisons d'espérer en l'avenir. Les néoconservateurs mettent en danger la planète entière. Il n'y a aucune raison de le permettre. Aucune.
» Mais malheureusement, la priorité n°1 du gouvernement américain en ce moment est de vaincre la Russie en Ukraine. En fait, depuis le 25 juillet 1945, la conquête de la Russie est le principal objectif du gouvernement américain. Voilà à quel point les néoconservateurs sont implacablement dangereux. Et c'est pourquoi ils doivent être éliminés, – afin d’empêcher la troisième guerre mondiale. »
Entre ‘regime change’ et ‘rupture radicale’
Quoi qu’on en veuille, l’élément essentiel du texte de Zuesse et sa référence à Mercouris n’est pourtant pas la fin du pseudo-“empire américain”, dont finalement il semble que personne ne puisse sérieusement douter ; mais, de façon différente, l’une des dispositions courantes, en train de se dessiner, qui constitue une remarquable accélérateur de plus, un tournant de plus si l’on veut dans cette route en lacets qui précipite les USA vers leur perte, à la fois suicidaire et inéluctable. L’“élément essentiel”, c’est la Turquie...
« Il s'agit d'une rupture radicale par rapport au passé, lorsque le gouvernement américain était si puissant qu'il était capable d'amener tous les membres de l'OTAN à voter à l'unisson en faveur de toute proposition qui constituerait une menace supplémentaire pour la sécurité nationale de la Russie. »
Le texte de Zuesse, de même que la communication de Mercouris que Zuesse cautionne complètement, concerne effectivement certains aspects à propos de la Turquie et d’Erdogan lui-même, de la plus haute importance. L’affaire est présentée comme d’une telle importance que Mercouris et son compère Christoforou considèrent que la dernière carte à jouer pour les USA est une deuxième (ou nième) tentative de ‘regime change’ contre Erdogan.
La tâche serait expressément confiée à l’inégalable John Bolton, excellente boîte à outils de l’infamie illégale et sans pudeur hors les murs des USA, Bolton l’increvable neocon à la superbe moustache blanche, Bolton en activité subversive et surpuissante au sein du Système et à un haut niveau depuis au moins 9/11 de 2001. Se rappelle-t-on que c’est à Bolton qu’on doit la superbe idée de déployer des missiles antimissiles US en Europe, qu’on découvrirait plus tard capables de se transmuter en l’espace d’une demi-présidence Biden en missiles offensifs sol-sol, avec aller-simple pour Moscou ?
Donc, une Bolton’s story pour fabriquer une narrative sur la chute du tyran Erdogan, remplaçable par une sorte de Zelenski-à-la-turque, c’est-à-dire très démocratique, à partir d’éléments issus d’une vidéo de Mercouris, du 8 juin, intitulée « Effondrement militaire dans le nord du Donbass, Turquie & Russie se rapprochent alors l’UE se fragmente », – à partir de quoi nous enchaînons sur des précisions concernant le malaise entre la Turquie et les USA, explosant aujourd’hui d’une façon subreptice, stealthy, en une sublime « rupture radicale » :
« ...Par conséquent, une nouvelle tentative de coup d'État américain contre Erdogan est probable.
» Mercouris y a discuté, avec son intervieweur et ami Alex Christaforou, de l’effort actuel de John Bolton et de ses soutiens financiers pour précipiter une autre tentative de coup d'État en Turquie. Le 27 août 2018, l’agence américaine AP titrait un de ses texte “Selon un script familier, la Turquie se rapproche de la Russie alors que ses liens avec les USA se détériorent” et rapportait que “Les relations entre la Turquie et la Russie sont assez chaleureuses, ce qui suscite des inquiétudes en Occident quant à une faille potentiellement critique dans l'OTAN. Le président turc pourrait être engagé dans une initiative d’équilibre dont il a le secret, se tournant tactiquement vers la Russie alors que les liens avec les États-Unis continuent de se détériorer”. Puis, le 11 avril 2019, Vox titrait “Comment les relations de l’Amérique avec la Turquie se désintégrent” [...] ses observations explicites [mettant] en évidence le fait que “les actions récentes d’Ankara ont créé une énorme faiblesse au cœur de l’OTAN” (sans que Vox ne note que la même chose était également vraie pour les actions de Washington), et que “à mesure que ce divorce se poursuit, la capacité de l'Amérique à travailler avec la Turquie au Moyen-Orient et en Europe continuera à diminuer, – ce qui signifie la dégradation de l’influence américaine... ”
» Cependant, en réalité, c'est bien plus significatif que cela : ce n’est rien de moins qu'une partie importante du tournant historique mettant fin à la domination de l'Amérique dans les relations internationales. »
Rendez-vous à Madrid
A quels éléments Mercouris et Zuesse se réfèrent-ils pour estimer que la Turquie est en train effectivement d’effectuer ce tournant radical en choisissant finalement Moscou de préférence à Washington, et donc en abandonnant l’habituel script du “Je t’aime, moi non plus”, avec l’un comme avec l’autre ? Tout comme Mercouris lui-même, tout comme Zuesse dans la foulée, il y aurait le jugement décisif du président turc que la Russie l’a décisivement emporté sur le terrain de l’affrontement militaire, et que ce qui apparaît comme sa victoire dans le Donbass est en train de se transformer en “victoire” tout court en Ukraine ; il y a le jugement décisif que la cascade de sanctions lancée contre la Russie n’a rien réussi, sinon l’inverse, mettant les économies du bloc-BAO en piètre posture et grand danger de déséquilibre ; bref, il y a le constat que l’hégémonie des USA et du bloc-BAO est réellement à son terme. Par conséquent, estime Zuesse, il existe désormais une sorte d’accord tacite, sinon explicite mais informel, entre les deux présidents
« La Turquie devra soutenir la Russie sur toute question [comme l’adhésion de la Suède et de la Finlande ?] où l’OTAN (dont la Turquie est membre et qui possède donc comme tout membre un droit de veto géostratégiquement crucial) voudrait prendre une décision qui constituerait une menace réelle contre la souveraineté nationale de la Russie ; c'est-à-dire, où l'Amérique aurait le potentiel de devenir habilitée à dicter à la Russie sa politique intérieure et ses relations extérieures (en d'autres termes : faire de la Russie une nation vassale des États-Unis comme le sont les alliés actuels de l'Amérique).
» La Russie devra répondre aux besoins de la Turquie, car celle-ci contrôle les deux détroits, le Bosphore et les Dardanelles, qui contrôlent l'accès des navires [y compris ceux de l’OTAN] entre la mer Noire et l'océan Atlantique (via la mer Méditerranée), deux passages cruciaux pour la sécurité nationale de la Russie. »
Sur ce dernier point, Mercouris évoque la possibilité d’une sorte d’intégration économique poussée entre la Russie et la Turquie, avec le soutien du rouble actuellement dans une forme mijotée aux stéroïdes apporté à la lira turque actuellement en position délicate. Mercouris affirme également, selon l’analyse qu’il fait de la perception de la situation turque, notamment au travers de commentaires venus de la Chine qui a une forte implantation économique, de communication et d’influence à Ankara, que la position d’Erdogan contre l’adhésion à l’OTAN de la Suède et de la Finlande n’est pas un bluff mais une position politique très ferme. Si c’est le cas, il s’agirait d’un échec retentissant pour l’OTAN et de l’installation d’une position d’une incroyable vulnérabilité pour les deux pays nordiques, en même temps que d’un renforcement décisif de la position d’influence de la Russie.
Sur ce dernier point (comme sur d’autres), on aura une indication précise lors du sommet de l’OTAN de la fin juin. Si la question de l’adhésion de la Suède et de la Finlande est renvoyée aux calendes turques, le jugement exprimé ici par Mercouris-Zuesse en sortira évidemment renforcée, et confortée notre appréciation de l’accélération de la chute. Il s’agira d’une marche de plus dans la descente vertigineuse de l’escalier menant vers les profondeurs de l’effondrement de la politiqueSystème, de l’hégémonie et de la stature exceptionnaliste des États-Unis.
...Rendez-vous à la fin du mois, les 28, 29 et 30 juin à Madrid. On y appréciera le niveau de l’inévitable effondrement américaniste, et combien l’“aventure Ukrisis”, déclenchée par le bloc-BAO et nullement par la Russie, est devenue le moyen choisi par les dieux pour exprimer le juste châtiment de la déesse Némésis pour ceux des terrestres qui se sont abandonnés à la folie de l’hybris.
Mis en ligne le 10 juin 2022 à 17H35
Source : https://www.dedefensa.org/article/erdogan-a-t-il-choisi
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