Affichage des articles dont le libellé est Capital. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Capital. Afficher tous les articles

vendredi 22 mars 2019

[Gilets jaunes] Ce que l’extrême droite ne nous prendra pas, un texte de Frédéric Lordon

Un texte puissant de Frédéric Lordon, rédigé en  2013. Un texte qui va à la racine du mal et qui reste plus que jamais d'actualité. Il peut s'adresser, de façon urgente, au peuple de France (le peuple étant les gens sur lesquels s'exerce le pouvoir). 



source : https://blog.mondediplo.net/2013-07-08-Ce-que-l-extreme-droite-ne-nous-prendra-pas


par Frédéric Lordon, 8 juillet 2013


La colorimétrie des demi-habiles ne connaissant que deux teintes, toute mise en cause de l’Europe, fût-elle rendue au dernier degré du néolibéralisme, est le commencement d’une abomination guerrière, toute entrave au libre-échange est la démonstration manifeste d’une xénophobie profonde, toute velléité de démondialisation l’annonce d’un renfermement autarcique, tout rappel au principe de la souveraineté populaire la résurgence d’un nationalisme du pire, tout rappel au principe de la souveraineté populaire en vue d’une transformation sociale, la certitude (logique) du… national-socialisme, bien sûr ! Voilà sur quel fumier intellectuel prospère le commentariat européiste quand, à bout d’argument, il ne lui reste plus que des spectres à brandir.

Le pire cependant tient au fait que ces imputations, où le grotesque le dispute à l’ignoble, font sentir leurs effets d’intimidation jusque dans la gauche critique, terrorisée à l’idée du moindre soupçon de collusion objective avec le FN, et qui se donne un critère si bas de cet état de collusion que le moindre regard jeté sur une de ses idées par les opportunistes d’extrême droite conduit cette gauche à abandonner l’idée – son idée – dans l’instant : irrémédiablement souillée. A ce compte-là bien sûr, la gauche critique finira rapidement dépossédée de tout, et avec pour unique solution de quitter le débat public à poil dans un tonneau à bretelles. Comme on sait, sous couleur de ne pas donner prise aux accusations de « repli national », elle a laissé tomber de fait toute idée de mettre quelque entrave que ce soit au libre-échange puisque toute restriction à la libre circulation des conteneurs est une offense égoïste faite aux peuples des pays exportateurs – et la démondialisation y a été vue comme une inacceptable entorse à un internationalisme de principe. En bonne logique ne faudrait-il pas, à cette partie de la gauche, renoncer également à la critique de la déréglementation financière internationale au motif que l’extrême droite, elle aussi, en fait l’un de ses thèmes de prédilection, en conséquence de quoi la chose ne pourrait plus être dite ?

Souverainisme de droite, souverainisme de gauche

« Repli national », en tout cas, est devenu le syntagme-épouvantail, générique parfait susceptible d’être opposé à tout projet de sortie de l’ordre néolibéral. Car si cet ordre en effet se définit comme entreprise de dissolution systématique de la souveraineté des peuples, bien faite pour laisser se déployer sans entrave la puissance dominante du capital, toute idée d’y mettre un terme ne peut avoir d’autre sens que celui d’une restauration de cette souveraineté, sans qu’à aucun moment on ne puisse exclure que cette restauration se donne pour territoire pertinent – n’en déplaise à l’internationalisme abstrait, la souveraineté suppose la circonscription d’un territoire – celui des nations présentes… et sans exclure symétriquement qu’elle se propose d’en gagner de plus étendus !

Prononcer le mot « nation », comme l’un des cas possibles de cette restauration de la souveraineté populaire, peut-être même comme l’un de ses cas les plus favorables ou du moins les plus facilement accessibles à court terme – précision temporelle importante, car bien sûr le jacquattalisme du gouvernement mondial, lui, a le temps d’attendre… –, prononcer le mot « nation », donc, c’est s’exposer aux foudres de l’internationalisme, en tout cas de sa forme la plus inconséquente : celle qui, soit rêve un internationalisme politiquement vide puisqu’on en n’indique jamais les conditions concrètes de la délibération collective, soit qui, les indiquant, n’aperçoit pas qu’elle est simplement en train de réinventer le principe (moderne) de la nation mais à une échelle étendue !

En ce lieu de la souveraineté, qui donne naissance à toutes les confusions politiquement intéressées, il pourrait être utile de commencer par montrer en quoi un souverainisme de gauche se distingue aisément d’un souverainisme de droite, ce dernier se concevant généralement comme souveraineté « de la nation », quand le premier revendique de faire droit à la souveraineté « du peuple ». Les tenants de la « souveraineté nationale » en effet ne se posent guère la question de savoir qui est l’incarnation de cette souveraineté, ou plutôt, une fois les évocations filandreuses du corps mystique de la nation mises de côté, ils y répondent « tout naturellement » en tournant leurs regards vers le grand homme, l’homme providentiel – l’imaginaire de la souveraineté nationale dans la droite française, par exemple, n’étant toujours pas décollé de la figure de de Gaulle. L’homme providentiel donc, ou tous ses possibles succédanés, comités de sages, de savants, de compétents ou de quelque autre qualité, avant-gardes qualifiées, etc., c’est-à-dire le petit nombre des aristoi (« les meilleurs ») à qui revient « légitimement » de conduire le grand nombre.

La souveraineté vue de gauche, elle, n’a pas d’autre sens que la souveraineté du peuple, c’est-à-dire l’association aussi large que possible de tous les intéressés à la prise des décisions qui les intéressent. Le souverainisme de droite n’est donc rien d’autre que le désir d’une restauration (légitime) des moyens de gouverner mais exclusivement rendus à des gouvernants qualifiés en lesquels « la nation » est invitée à se reconnaître – et à s’abandonner. Le souverainisme de gauche est l’autre nom de la démocratie – mais enfin comprise en un sens tant soit peu exigeant.

Faute de ces élémentaires distinctions, une partie de la gauche en est venue à ostraciser l’idée de souveraineté quand elle prétend par ailleurs lutter pour une extension de la démocratie… qui n’en est que le synonyme ! Démocratie, souveraineté populaire : une seule et même idée, qui est celle de la maîtrise par une communauté de son propre destin. On mesure donc les effets de captation et de terrorisme intellectuels de l’extrême droite, et les effets de tétanie de la gauche critique, à cette aberration d’auto-censure et d’intoxication qui a conduit cette dernière à abandonner l’idée de souveraineté, faute d’être simplement capable de se souvenir que, sous l’espèce de la souveraineté populaire, elle est l’une de ses propres boussoles idéologiques depuis la Révolution française !

Contre l’« armée de réserve » des sans-papiers : la régularisation !

Il est bien vrai cependant que le FN se montre d’une redoutable habileté dans le pillage éhonté des idées de la gauche critique. Il aurait tort de se gêner puisqu’il ne vient personne pour lui rappeler les orientations foncièrement reaganiennes de sa « pensée économique » jusqu’au début des années 2000, ni lui faire observer les légères traces de pneu qui résultent d’un tête-à-queue idéologique aussi parfait – mais les journalistes politiques qui disent déplorer le dépérissement du « débat d’idées » ne sont visiblement pas très intéressés par ce genre d’idées… Le terrain de l’imposture intellectuelle ainsi grand ouvert, le FN s’avance gaiement, sans le moindre complexe ni la moindre vergogne, se goinfrant de thèmes de gauche pour mieux semer une réjouissante confusion, mais affinant également son art de couler ses obsessions xénophobes de toujours dans une critique du néolibéralisme de fraîche date.

Ainsi, dans cette veine, sa nouvelle empathie pour les travailleurs revient-elle périodiquement souligner que l’immigration irrégulière constitue une « armée de réserve » prête à s’employer aux pires conditions, et vouée par là à faire une concurrence déloyale aux salariés réguliers (on est invité à comprendre nationaux), notamment à tirer vers le bas les salaires. Il n’y aurait pas pire objection que celle qui se réfugierait dans le pur et simple déni de tout effet de cette sorte. Car il est hautement vraisemblable que l’entretien d’une armée de réserve, et même d’une « sous-armée de réserve », constituée de travailleurs rendus au dernier degré de la précarité pour être exclus de toute protection légale, offre au patronat une formidable masse de main d’œuvre corvéable à merci avec, oui, pour effet de tirer vers le bas tous les standards sociaux, en tout cas de faire une concurrence directe aux salariés « réguliers » du niveau juste au dessus.

Le MEDEF, lui, ne s’y trompe pas qui défend l’immigration avec des accents que ne renierait pas Harlem Désir : « Restons un pays ouvert, qui accueille de nouvelles cultures et profite du métissage » déclare la main sur le cœur Laurence Parisot (1), inquiète des tours de vis de l’équipe Guéant-Sarkozy en 2011 qui pourrait bien tarir la source miraculeuse aux exploitables. « Je ne crois pas qu’il faille faire de l’immigration un problème », ajoute-t-elle avec un humanisme criant de sincérité. Bien sûr – il ne s’agit tout de même pas de se mettre le gouvernement d’alors à dos –, Parisot ne manque pas de préciser que l’immigration à laquelle elle pense est l’immigration de travail légale – mais c’est celle dont Guéant se propose de réduire les volumes... Il suffirait cependant de pas grand-chose pour imaginer que Parisot étendrait volontiers le métissage et l’accueil de toutes les cultures à une immigration moins légale, celle, précisément qui fait les meilleures (sous-)armées de réserve.

On remarquera au passage que, dans une asymétrie caractéristique, l’endos enthousiaste de l’immigration par le MEDEF est un de ces rapprochements bizarres qui pose curieusement moins de problème que la récupération de la démondialisation par le FN… Mais l’essentiel est ailleurs. Il est dans l’instrumentation éhontée de l’immigration par le patronat telle qu’elle donne symétriquement sa matière à la xénophobie d’extrême droite, qui trouve ici le moyen idéal de se rendre présentable en se ripolinant de critique sociale. Vu de loin, on admirera l’habileté tactique, car c’est indéniablement une manœuvre très réussie que de faire cheminer ainsi un fond inaltérable de racisme sous les dehors les plus honorables de la préoccupation pour la condition ouvrière, la seconde, protestée de bonne foi, permettant alors de faire vibrer implicitement toutes les cordes du premier sans avoir l’air d’y toucher – parfois aussi sans prendre la peine de ne pas avoir l’air...

Rien n’oblige cependant à tomber dans des stratagèmes aussi grossiers, et ceci d’autant plus que les capacités de récupération idéologique de l’extrême droite atteignent assez vite leur limite, en tout cas ici on va les leur faire atteindre, et rapidement. Car, au-delà de l’immigration légale à laquelle Laurence Parisot affecte de s’en tenir, on fera observer à Marine Le Pen qu’on règle très facilement le problème de la sous-armée de réserve des clandestins : par la régularisation intégrale ! Plus de clandestinité, plus de vulnérabilité ; plus de vulnérabilité, plus de chantage patronal, donc plus de salaires de misère ni de traitement de quasi-esclaves. Les régularisés auront les mêmes salaires et les mêmes droits que les nationaux et les résidents légaux – auxquels ils appartiendront –, cessant par là même de créer cette poche de sous-salariat dépressionnaire qui produit objectivement tous ses effets de dumping social intérieur, et ceci d’autant plus violemment qu’on a poussé plus loin la déréglementation du marché du travail.

Faucher la nation au FN

Mieux encore : s’il est évident que l’abandon de toute régulation des flux de population est une aberration indéfendable, il n’est pas moins évident que les résidents et les régularisés qui le souhaitent ont pleinement vocation à être intégrés dans la nationalité française. Ce sont des femmes et des hommes qui travaillent, qui contribuent à la vie matérielle et sociale de la collectivité, qui payent leurs cotisations et leurs impôts – eux.

Au lieu de se laisser défaire en rase campagne et de tout abandonner sans même combattre, la gauche critique ferait mieux non seulement de se tenir un peu fermement mais aussi de songer à quelques contre-mesures, manière de retourner contre le FN ses propres procédés. Cette question de l’immigration et de la régularisation offre peut-être l’occasion idéale de lui faucher la nation, dont elle s’est fait le monopole et qu’elle a constitué en pôle toxique du débat public, mais au prix bien sûr d’en avoir défiguré l’idée. Par un effet de tétanie aussi navrant que caractéristique, la gauche critique n’a pas même fait l’effort de s’y attaquer et, là encore, comme à propos de la souveraineté dont elle est évidemment profondément solidaire, la nation s’est trouvée de fait rendue à l’idée que s’en fait l’extrême droite – et à ses seuls usages.

Là contre, il faut dire que la nation n’est en aucun cas le fantasme ethnique que propage le FN, et qu’on ne voit pas au nom de quoi la gauche devrait abandonner l’idée de la nation ouverte, jouant le sol contre le sang, assise sur la citoyenneté et sur elle seule, qui lui a été, elle aussi, léguée par la Révolution. S’il est vrai que, sous couleur de « République », on a longtemps bourré les crânes avec « nos ancêtres les Gaulois », ce temps-là est révolu. A quelque chose malheur étant bon, l’époque de crise profonde est on ne peut plus propice à expliquer, et dès l’école !, qu’appartenir à la nation s’apprécie en tout premier lieu par le respect de ses devoirs fiscaux, que cette appartenance n’est pas une affaire de naissance, encore moins de lignée (pour ne pas dire de souche…), mais d’une démonstration simple et permanente de citoyenneté comprise comme participation à une forme de vie commune dont la reproduction emporte naturellement des sujétions contributives. A ce compte-là, pour parler comme Le Pen, et aussi pour parler très différemment d’elle, on voit très vite qui est « vraiment français » et qui ne l’est pas – et c’est un nouveau crible qui va sans doute lui faire tout drôle, on attend de voir si elle va le récupérer celui-là.

Car voilà le nouveau paysage de la nationalité : Bernard Arnault ? Pas français. Cahuzac ? Pas français. Johnny et Depardieu qui se baladent dans le monde comme dans un self-service à passeports ? Pas français. Les Mamadou et les Mohammed qui triment dans des ateliers à sueur, font les boulots que personne d’autre ne veut faire, et payent leurs impôts sont mille fois plus français que cette race des seigneurs. Le sang bleu évadé fiscal, dehors ! Passeport et bienvenue à tous les basanés installés sur le territoire, qui, eux contribuent deux fois, par leur travail et par leurs impôts, à la vie collective, double contribution qui donne son unique critère à l’appartenance de ce qui, oui !, continue de s’appeler une nation – mais pas la même que celle du Front « National ».

Immigration et chômage ?

Il y a peu de crainte que le FN vienne nous chercher sur ce terrain-là. Davantage que, dans sa comédie de néo-macroéconomiste, il vienne nous objecter que si la régularisation fait disparaître le « dumping interne » et la concurrence intra-salariale déloyale, elle ne règle rien à la concurrence intra-salariale « ordinaire », et même l’intensifie en faisant grossir une population active déjà confrontée à une pénurie objective d’emplois. Mais d’où vient cette pénurie elle-même ? Il faut toute l’emprise du biais xénophobe pour refuser de poser cette simple question et, par défaut – en fait par propos délibéré – faire des immigrés la cause générale, voire unique, du problème du chômage.

Or on ne répond à ce genre de question qu’en commençant par remarquer combien les liens entre démographie et emploi sont autrement plus complexes que ne le supposent ceux dont l’outillage intellectuel s’arrête aux quatre opérations de l’arithmétique élémentaire, pour conclure que si la démographie augmente alors le chômage aussi « puisqu’il y a plus de gens pour le même nombre d’emplois »… Il faudrait d’ailleurs que le FN finisse par arrêter une position car ce même argument qui cherche à singulariser les immigrés s’appliquera tout autant aux bonnes familles françaises, invitées par lui à croître et à se multiplier... Petits français de souche, ou immigrés, ça ne va pas changer grand-chose à ses équations simplistes du chômage…

En vérité il n’y a aucune détermination univoque aussi rudimentaire entre démographie et chômage. On le sait bien depuis le fordisme qui a connu simultanément une démographie salariale galopante, notamment du fait du mouvement de salarisation des femmes, et un plein-emploi éclatant… au point d’ailleurs que le patronat français n’a pas manqué d’aller faire de massives campagnes de recrutement en Afrique du Nord. Dans cette affaire, loin de se combattre, croissance démographique et emploi se soutiennent : l’afflux de nouveaux salariés employés injecte plus de revenu dans l’économie, donc plus de consommation, plus de demande… et plus d’offres d’emploi. La croissance démographique vient donc intensifier les propriétés vertueuses, établies par ailleurs, du régime d’accumulation fordien.

Le régime qui succède au fordisme est tout autre. A l’exact opposé de ce que soutient la doctrine néolibérale, la déréglementation généralisée ne produit aucune croissance : il suffit de comparer en longue période le taux de croissance moyen en Europe sur les périodes 1945-75 et 1985-2013 pour que l’affaire soit vite entendue. Les mondialisateurs libéraux répondent en général à ce genre d’objection en préférant détourner le regard vers les BRICS et autres pays émergents… à ceci près, comme l’a montré Rodrik (2), que le succès de ces pays doit tout ou presque… au fait qu’ils ont pris bien soin de n’appliquer aucune des recettes que leur préconisait le FMI, la Banque mondiale et l’ensemble des prescripteurs autorisés du néolibéralisme !

Dans le dispositif néolibéral tel qu’il s’est appliqué aux pays les plus industrialisés, un élément s’est révélé particulièrement nuisible, il s’agit du pouvoir actionnarial qui est l’un des « charmes » de la déréglementation financière. Les exigences de rentabilité des fonds propres en constant relèvement ont en effet conduit à passer à la trappe tous les projets d’investissement qui ne passent plus la barre des 15 %, et forcent les entreprises à se saigner en dividendes ou en buy-back pour rétrocéder leur cash « oisif » aux actionnaires – forcément il est « oisif » puisqu’on lui interdit de travailler à moins de 15 %... Le néolibéralisme est donc un régime d’accumulation dépressionnaire par inhibition actionnariale de l’investissement.

Il suffit d’y ajouter toutes les pertes d’emploi liées à la large ouverture aux délocalisations et à la concurrence très distordue du libre-échange, plus les politiques économiques aberrantes d’austérité en période de crise, pour avoir toute les données structurelles de la pénurie d’emploi – dont on voit alors qu’elle est le propre des orientations profondes de l’accumulation du capital en régime néolibéral, et qu’elle n’a pas grand-chose à voir avec la présence des immigrés sur notre sol. Toutes choses égales par ailleurs, l’occupation des emplois par des immigrés nourrit la boucle macroéconomique « revenu-consommation-demande » et contribue à la création d’emplois pour tout le monde – raison pour quoi, en passant, le renvoi instantané de tous les immigrés que fantasme le FN n’améliorerait en rien la situation de l’emploi, au contraire !

Mais toutes choses ne sont pas égales par ailleurs. Diffèrentes, donc, les caractéristiques structurelles du régime d’accumulation en vigueur. C’est de ce côté-là, et de ce côté-là seulement, qu’il faut aller chercher les causes du chômage, et non du côté de la couleur de peau de ceux qui occupent les postes. C’est la forme dépressionnaire prise par l’accumulation du capital en régime néolibéral qui donne toute l’explication de la pénurie d’emploi. Et ce sont ces structures-là le problème de première instance – pas l’immigration.

Le FN ou la « réconciliation nationale »... sous l’égide du capital 

Mais ce problème-là, le FN a-t-il quelque envie sérieuse de s’y attaquer ? Tout à son nouveau rôle, il clame vouloir faire la peau à la mondialisation et à la finance. Voire. Comme l’attestent ses revirements de longue période, le FN est un invertébré idéologique quand il s’agit d’économie, où il n’a d’autre boussole que l’opportunisme. Il se trouve qu’il peut compter avec une paire d’effrayés et d’éditorialistes décérébrés pour que tout lui profite. Mais on n’est pas forcés de s’y laisser prendre. Ni d’oublier de rappeler ce que sont les grands invariants de l’extrême droite en France (et sans doute ailleurs) : loin d’être, comme une lobotomie médiatique en entretient l’idée, l’apanage du peuple affreux, sale et méchant, l’extrême droite est un projet qui plaît beaucoup à une certaine fraction de la bourgeoisie, et dont d’autres, la bourgeoisie d’affaire notamment, s’accommoderaient très bien s’ils ne font pas œuvre de soutien manifeste.

L’histoire a suffisamment montré que la bourgeoisie avait le libéralisme politique qui s’arrêtait là où commence sa liberté de valoriser le capital. Rien ne permet d’exclure formellement une remise au goût du jour du « Hitler plutôt que le Front populaire » si la situation « l’exigeait ». Mais surtout rien ne permet de douter que la sociologie de ses élites dirigeantes, et de celles qu’elles recruteraient dans l’hypothèse d’une arrivée au pouvoir, conduirait le FN à mener une politique conforme aux intérêts du capital, ou disons à passer avec le capital un compromis politique, sans doute différent de celui de la mondialisation néolibérale, mais tout à fait satisfaisant pour la préservation de ses intérêts.

Lire le dossier « Les extrêmes droites à l’offensive », Le Monde diplomatique, janvier 2011 L’extrême droite prête à défier le capital pour les travailleurs est une fable qui ne résiste pas un instant à l’analyse. Ni encore moins aux enseignements de l’histoire. Car très loin de tout anticapitalisme, l’extrême droite est plutôt un rêve de « réconciliation nationale »… autour d’un ordre social dominé de fait par le capital. Aucun des fascismes n’a jamais cherché la confrontation avec le capital, tout au contraire : ils n’ont cessé de poursuivre la chimère d’un corps national fondu dans l’unité affective d’une appartenance mystique, cette fusion étant d’ailleurs explicitement conçue comme le moyen d’un dépassement de toutes les (inutiles) divisions « secondaires » – au premier rang desquelles le conflit de classes bien sûr…

C’est peut-être le Metropolis de Fritz Lang qui en donne la représentation la plus frappante, puisque, commençant à la manière d’un Marx cinéaste, campant la lutte des classes entre le sous-sol des prolétaires asservis et la surface de la bourgeoisie jouisseuse, il finit dans l’exaltation pré-nazie (3) de la réconciliation du capital et du travail, dont les personnages représentatifs finissent par triompher de leurs animosités respectives et se donner la main… sous le porche de la cathédrale !, soit exactement la trajectoire prévisible d’une Marine Le Pen qui tiendrait presque le discours de la lutte des classes, et emprunte tout ce qu’elle peut au discours de la gauche critique, mais finira à coup sûr dans le plus complet déni du conflit capital-travail – dont on sait qu’il est bien fait pour garantir et la domination et la tranquillité du capital –, et ceci au nom du « rassemblement » dans la « communauté nationale unanime ».

Récupérations lepénistes et braiements médiatiques

Faute de ces rectifications élémentaires, les erreurs intellectuelles et politiques s’enchaînent les unes aux autres. La gauche critique abandonne la souveraineté populaire et la nation-citoyenne à l’extrême droite qui les défigure en souveraineté du chef et nation ethnique ; et l’incapacité à qualifier, c’est-à-dire à affirmer le qualificatif pertinent – populaire pour la souveraineté, citoyenne pour la nation – suffit à rabattre ces deux idées sur les usages qu’en fait l’extrême droite, qui ne les fait plus exister implicitement que sous ses propres qualificatifs à elle – où l’on retrouve incidemment que les entreprises de récupération trouvent aussi leur possibilité dans la passivité de ceux qui se laissent dépouiller.

Or la souveraineté du peuple inscrite dans une citoyenneté élective, constituée dans et par le consentement fiscal, est cela-même qui ne cesse d’être attaqué par le néolibéralisme, comme l’attestent et les confiscations technocratiques (augmentées du pur et simple pouvoir des marchés…), et la généralisation de l’évasion fiscale des possédants. Il est certain que la lutte contre le néolibéralisme s’en trouve singulièrement compliquée lorsqu’on abandonne à l’ennemi les deux thèmes à la fois les plus centraux politiquement et les plus susceptibles de faire, à raison, levier dans l’opinion publique…

On comprend mieux alors, dans ce vide créé par une désertion intellectuelle, que des militants, voire des publicistes, sincèrement de gauche, finissent par s’égarer sérieusement en louchant du mauvais côté – mais le seul restant qui fasse vivre, quoique pour le pire, des thèmes qui leur sont chers, mauvais côté auquel ils cèdent sous l’habileté captieuse d’une extrême droite qui, comme toujours en période de grande crise, sait s’habiller des oripeaux de la révolution sociale.

Il leur suffirait pourtant d’aller creuser sous ces convergences trompeuses, et d’interroger ceux qu’ils envisagent de se donner pour nouveaux compagnons de route sur la régularisation des sans-papiers, sur leur intégration entièrement justifiée dans la nationalité, sur la profonde bêtise de la « théorie » qui lie chômage et immigration, pour recueillir des réactions qui leur montreraient le primat de la compulsion xénophobe, la manière dont elle ordonne et même dont elle subordonne toute la « doctrine », et pour voir combien ce qu’on pourrait appeler le délire de l’homogène nourrit un fantasme de « communauté nationale », littéralement parlant le fantasme d’une communauté et non d’une société, c’est-à-dire d’une fusion qui impose son principe (mystique) à tous les clivages, à tous les dissensus… à commencer bien sûr par celui qui oppose le capital et le travail.

Le voile est bien mince qui sépare cet arrière-plan de toujours de l’extrême droite de la comédie « sociale » qu’il nous joue à l’avant-scène. La stratégie de la récup’ est à coup sûr d’une grande habileté ; elle n’a cependant rien d’irrésistible, il est même assez simple de remettre quelques pendules à l’heure, pour peu qu’à gauche, on n’ait pas le désir de se laisser contraindre à un strip-tease intégral. La chose n’est pas seulement simple : elle est de la plus urgente nécessité. Elle l’est pour conserver des éléments de fond pertinents de la critique du néolibéralisme, elle l’est au moins autant pour ôter leur fourrage aux braiements médiatiques intéressés, trop content de se précipiter – « ah ! vous voyez bien ! » – sur la dernière récupération lepéniste, et dont l’empressement opportuniste à l’amalgame est le symétrique de celui du FN, l’un et l’autre également obstacles objectifs à la perspective de la transformation sociale.

Frédéric Lordon

Un autre texte de Charvin à propos de Marine comme roue de secours du capitalisme...

Regards sur les élections présidentielles et législatives françaises : « on ravale la façade »



  •      
  •      
  •    

L’Histoire continue….. au sein des institutions d’une V° République usée, bien sûr, mais surtout demain et après-demain dans les entreprises, les lieux de cultures, et la rue.

 

Premier constat : la marée médiatique


L’intense bavardage médiatique sur la personnalité des candidats, sur l’interprétation qu’il « fallait » donner à leurs paroles et à leurs gestes, voire à leur style, tenue vestimentaire et autres, leur qualité de « grands » ou de « petits », sur la mise en exergue de tel point de leur programme et le silence sur d’autres, sur la place majeure qu’il convenait d’accorder aux sondages à effet multiplicateur, le tout sur un ton, selon les cas, agressif ou indulgent, a imprégné l’esprit des électeurs et entretenu une confusion inédite.
Sans que les journalistes, tous transformés en « expert » ou en « éditorialiste », n’aient une quelconque légitimité à se prononcer sur tout au nom d’une pseudo omniscience-autoproclamée (économique, écologique, sociale, financière, etc.), ils ont, tout autant que le discours des candidats, fabriqué le « climat » d’une élection que ne devaient gagner ni la gauche radicale de J.L. Mélenchon ni la droite-ultra et néofasciste de M. Le Pen : le Médef et l’establishment parisien avaient choisi et dans leur sillage les grands groupes de presse, les grands hebdos et la plupart des quotidiens du « Monde » à « Libé », via BFM TV et autres chaînes publiques et privées ! Macron était le meilleur !
Le F.N a été soigneusement instrumentalisé (tandis que Le Pen, Philippot et autres ont cru pouvoir en profiter) : il a servi de repoussoir et de justificatif à tous les ralliements et aux votes « utiles ».
La montée dans l’opinion de J. L. Mélenchon, source d’un bref affolement, succédant à une indifférence feinte, a été stoppée par l’évocation subite de quelques leaders d’Amérique latine, de « l’Alliance bolivarienne » et de l’inévitable référence e à la « méchante » Russie, qui auraient eu la sympathie de la France Insoumise, rompant ainsi avec le silence traditionnel en période électorale sur la politique internationale.
Contrairement à leurs prêchi-prêcha habituels, ces « honnêtes » médias n’ont pas insisté sur les droits de l’homme : les milliers de victimes des mouvements migratoires et le refus d’un accueil digne, l’état d’urgence prolongé qui préfigure l’éventuelle répression à venir d’un mouvement social trop radical, et l’indifférence totale vis-à-vis de la misère du Tiers Monde pas même effleurée, ne prêtaient pas à l’insistance sur « l’Humanisme occidental » !
Les grands médias ont, avec aisance, changé de logiciel !
Ils ont été capables de réagir aux dérapages plus ou moins imprévus qui ont troublé la « bien-pensance » hégémonique : les « affaires » suscitées par la presse elle-même ont permis de choisir Macron au détriment de Fillon (second choix des milieux d’affaires) ; la difficulté à imposer la priorité à la question sécuritaire en raison de la réalité trop prégnante du chômage et du pouvoir d’achat a conduit à dénoncer comme « populiste » aussi bien les promesses sociales du F.N que l’analyse critique du capitalisme financier de la France Insoumise ! Les citoyens ont été submergés par cette marée médiatique tous azimuts interdisant de penser par soi-même : le climat pré-macronique, initié par « Paris Match » précédait le « tout-Macron » courtisan qui a suivi l’élection et s’est poursuivi durant la campagne des législatives prolongeant le « délai de grâce », c’est-à-dire le temps des illusions, traditionnel après une consultation. Le plus « convenable » et consensuel des candidats s’est vu ainsi récupéré au-delà de ses propres voix, les 50% de suffrages anti-F. N de ceux qui croyaient (ou feignaient de croire) le néofascisme aux portes de l’Élysée !
Une fois de plus, le vote « utile » a joué, évitant surtout que le nouveau Président soit un mal-élu !
Ainsi, avec habileté et bombardement intensif, tout a été entrepris pour médiatiser à outrance un semi-inconnu, affichant sa volonté de faire du neuf avec du vieux, dans un style bonapartiste, en écartant Fillon, droitier démodé et cléricalisé, en jouant avec Le Pen pour qu’elle fasse peur (juste ce qu’il fallait pour qu’elle soit présente au second tour, adversaire « idéale ») et évidemment en dénonçant Mélenchon, à l’anticapitalisme financier insupportable pour l’oligarchie établie !
Il fallait produire par tous les moyens le plus de « franc-macrons » possible et persuader tout le monde qu’une France nouvelle était née ! Les résultats de cette mobilisation médiatique ont été cependant très médiocres pour les élections législatives : le succès ne provient que du mode de scrutin (majoritaire uninominal). Le mouvement de Macron ne représente au premier tour que 16% des inscrits ! Plus de 51% des citoyens se sont abstenus !! Le « triomphe » est totalement artificiel.
Cet envahissement médiatique n’est pas l’affirmation éclatante de la liberté d’expression, comme certains journalistes le proclament eux-mêmes. C’est, au contraire, une méthode d’asphyxie des citoyens, de destruction de leur esprit critique : submergés par le flot continu des commentaires tous azimuts, ils restent enfermés dans un faux pluralisme étroitement interne au système socio-économique existant et aux institutions césariennes de la V° République, faisant du Chef de l’État une sorte de Zorro, Superman, présenté comme capable de résoudre tous les problèmes ou presque !
L’orchestration de cette bataille de « têtes » et non de programmes, tous les cinq ans, n’est que source d’abêtissement des électeurs, transformés en sous-citoyens en attente d’un sauveur suprême, rapidement déçus évidemment, mais à qui il convient de redonner périodiquement confiance pour perpétuer l’ordre établi. Napoléon (le petit) sommeille chez tous les candidats, souvent jusqu’au ridicule !
A tout cela s’ajoutent les attentats « déjoués » et ceux intervenant à la veille du scrutin : le tour de force a réussi. Le candidat de l’establishment a été élu et il a sa majorité absolue qui ne dérange pas le Médef.

 

Second constat : la question de l’autonomie relative des forces politiques


Chaque force politique est en relation privilégiée avec certaines catégories sociales, groupes d’intérêts, milieux professionnels, etc. et avec certains régimes politiques étrangers (particulièrement les États-Unis, l’éternel grand frère, quel que soit leur Président), mais on ne peut mécaniquement considérer que les partis politiques ou les mouvements style « En Marche » soient l’expression stricte de telle classe sociale ou de tels groupes d’intérêts. La relation est plus complexe mais elle est cependant incontestable : les milieux d’affaires, par exemple, ont clairement choisi de soutenir en premier choix E. Macron. On peut analyser les élections de 2017 en France comme la condamnation par ces mêmes milieux d’affaires de l’autonomie relative jugée trop grande du parti de droite traditionnel, Les Républicains, excessivement animé par des querelles de clan, des manifestations abusives d’égos, d’obsessions électoralistes trop importantes.
Le patronat a besoin avant tout de « paix » sociale, d’habiletés séductrices à l’égard des citoyens passant par des mesures sociétales peu coûteuses, que n’ont pas procuré ces dernières décennies ni le sarkozisme ni le hollandisme. F. Fillon, soigneusement « démoli », durant la campagne, était, par exemple, jugé en cas d’élection comme source de perturbations sociales inutiles pour l’Entreprise, comme l’avait déjà été « l’agitation » sarkoziste. Le mouvement catholique intégriste auquel Fillon avait fait allégeance n’était certainement pas très apprécié !
Il fallait en finir avec une force de droite « classique » dont la médiocrité globale et le conservatisme outrancier devenaient un handicap pour le monde de l’argent, même s’il satisfaisait ses revendications.
Était exclue aussi la solution « allemande » » d’une union nationale droite- « gauche », le Parti Socialiste français étant aussi le siège de multiples contradictions et d’une misère idéologique et pratique atteignant des sommets avec ses « Hollandais », gérant la France comme avait pu l’être la Corrèze, département de F. Hollande !
La solution « ni droite ni gauche » à la Macron est ainsi devenue l’idéal (provisoire) de ceux pour qui « tout doit changer afin que rien d’essentiel ne change », comme l’écrivait Tomasi di Lampedusa, dans « Le Guépard ».
Évidemment, cette solution de type bonapartiste, ralliant tous les opportunistes et tous les ambitieux refoulés, devant leur carrière à leur « chef », mais aussi une fraction des électeurs incertains séduits par le flou délibéré du programme de « La République en Marche » et par sa critique de la « politique », ne pourra à l’avenir que susciter dans la société diverses contradictions très vives et des déceptions profondes, mais… « après lui, le déluge » ! Le système sortira, le moment venu, d’autres gadgets séducteurs sources de pérennisation ….
Pour l’heure, le syncrétisme néolibéralisme-social-démocrate l’emporte sous l’égide d’un homme en osmose avec les milieux d’affaires français, européens et américains. Un césarisme « moderne » et cosmopolite, style « manager yankee, soignant sa ligne au crossfit, appuyé par un « mouvement » à facettes multiples « attrape-tout », se substitue ainsi à un système de partis qui ne fait plus ses « preuves » et handicape la « bonne marche » de la course au profit. Le « terrain est dégagé » par ce ravalement de façade du capitalisme financier.
Cette pseudo « rénovation » va servir quelques-uns et séduire les autres, avant tout ceux de la classe moyenne qui en votant Macron se sont tirés un balle dans le pied sans le savoir, sous couvert d’une prise en compte de leurs intérêts ! L’unique horizon « macronique » est en effet l’Entreprise (la grande) sacralisée, le rêve américain (à peine gallicanisé), mais inaccessible au plus grand nombre, et une décadence aimable sous couvert d’un universalisme hors sol (en Afrique notamment) compensant une régression sociale généralisée !

 

Troisième constat : que devient la gauche ?


L’ « exécution » politique du P.S est la meilleure nouvelle apportée par les élections de 2017. Avaient raison ceux qui souhaitent depuis longtemps la réduction de ce parti à un groupuscule sans importance pour tout le mal politique dont il est responsable depuis des décennies !
Malheureusement, son effondrement n’est sans doute pas définitif tant les « socialistes » ont une capacité de reproduction et tant ils sont utiles au système qui déjà les re-médiatise : ils correspondent en effet sociologiquement à une partie des « couches moyennes » et populaires inaptes à choisir clairement la société qu’ils souhaitent et dotés d’un goût irrépressible pour les compromissions. Leur rôle – essentiel – d’occultation des réalités sociales, de refus des clivages de classe, et leur adhésion à un capitalisme « amélioré », est indispensable au système. Depuis la victoire de Macron, tout est fait pour redonner vie à un P.S dont la défaite a été totale : les médias multiplient les interventions de ceux qui ont été ridiculisés quelques semaines plus tôt !
Avec générosité, le système offre à ce parti de nouvelles possibilités afin qu’il se rende encore utile – comme la CFDT dans le monde syndical – : le système a besoin d’une « opposition de sa majesté », sans risque, pour rendre la pseudo-démocratie « crédible » ! De plus, les cadres du P.S, souvent des professionnels de la politique, n’ont pas d’autres débouchés (à défaut de ralliement à Macron) que leur participation à une reconstruction d’un parti sous une forme ou une autre : ils ont débuté avec le lancement de divers « mouvements » incertains autour de quelques élus (dont B. Hamon, battu au premier tour des législatives) qui espèrent se pérenniser.
Ils sont toujours hostiles par nature à la fois aux communistes (malgré l’extrême (et excessive) indulgence des dirigeants du PCF à leur égard) et plus encore à la France Insoumise de Mélenchon, qui a le grand tort de bien les connaître) : ils ne se chargent pas, en effet, de faire l’Histoire. Ils se satisfont, conformément à leurs « valeurs » ambiguës et à leur indifférence de fait à tout principe, à jouer aux politiciens à coups de mini-tactiques, pour survivre en essayant de profiter de leur instrumentalisation. Cette réalité n’est pas seulement française : elle est italienne, grecque, espagnole, belge, allemande, etc. Nul en Europe n’est l’héritier de S. Allende !
Aujourd’hui, une partie de la social-démocratie s’est réfugiée dans la formule Macron, fusionnée avec une droite renouvelée, pour le plus grand avantage des fondamentaux du conservatisme libéral. Mais le léger « mâtinage » pseudo-socialiste du Macronisme suffit aux ralliés style Valls et autres.
C’est la « France Insoumise », avec un capital humain de 7 millions de citoyens ayant voté pour J.L. Mélenchon, qui constitue le cœur d’un radicalisme en rupture avec le capitalisme financier français et européen, toujours tourné vers les États-Unis. Elle absorbe les « Verts » (avec un programme écologique très avancé) dont l’organisation est en perdition, n’ayant jamais eu la volonté de reconnaître la contradiction majeure entre logique du profit, règne de l’argent et exigences de la protection de l’environnement.
La France Insoumise met à mal la direction du PCF, elle aussi professionnalisée et très inquiète de son avenir immédiat. Cette direction semble prête à poursuivre une stratégie timide et prudente assurant, selon elle, sa survie. Elle se refuse à l’insertion du parti dans la dynamique de la France Insoumise, jugée trop « aventureuse » ! Il apparaît que l’avenir socialiste et la Révolution (dont elle ne parle plus jamais) se soient éloignés à jamais !
On peut penser avec de nombreux militants, particulièrement en province, que cette direction se trompe lourdement, comme elle s’est égarée lors de la dissolution des « Comités antilibéraux » de base qui s’étaient constitués et l’avaient emporté en 2005 contre le Projet de Constitution européenne, lors du refus entre 2012 et 2017 de rassembler à la base dans le « Front de Gauche » les simples citoyens ne souhaitant pas entrer dans l’un des partis le composant, puis en menant une campagne très « réservée » pour J.L. Mélenchon, puis très critique lors des législatives pour des raisons incertaines.
Au lieu d’essayer d’être les plus militants les plus actifs et inventifs et donc les « meilleurs » au sein des 7 millions de citoyens ayant voté Mélenchon, en stimulant des groupes de base, ils se sont coupés pour les législatives des électeurs récemment conquis et parfois arrachés au F.N, dès lors qu’ils n’étaient pas associés à La France Insoumise.
Ces dirigeants ont opté pour une position de repli à la fois sectaire et opportuniste, en comptant une fois de plus que sur quelques alliances ici ou là avec les restes du P.S et des Verts, et ailleurs avec la France Insoumise, la gestion de Paris en étant le modèle, effectivement relativement satisfaisant. Faute d’une volonté de conquête et évidemment d’un scrutin proportionnel les élections législatives n’ont pas confirmé le succès de J. L. Mélenchon aux présidentielles.
Pour le P.C.F le plus grave n’est pas la perte de la plupart de ses députés (dont la discipline de groupe avait d’ailleurs disparu), mais une orientation prudente et craintive, comme si La France Insoumise était perçue comme une « aventure politique » dangereuse par sa radicalité. Qu’est devenu le parti révolutionnaire d’antan, qui semble accablé par trop de défaites accumulées ?

 

Quatrième constat : le F.N, roue de secours éventuelle


Quant au F.N, l’échec relatif des présidentielles, qui a entraîné un plus grand échec aux législatives, a fait surgir les clivages traditionnels des mouvements fascisants qui ont, par exemple, éclaté au sein du fascisme italien et du nazisme dans les années 1930-1940 : le courant « national-social » de Philippot est évidemment contesté, comme ont été éliminés ces mêmes courants en Italie et en Allemagne, avec l’appui du conservatisme « classique ».
Pour les « Frontistes », néanmoins, rien n’est perdu, s’ils se rallient, comme leurs prédécesseurs historiques, aux compromissions « utiles ». Le F.N demeure en effet une ultime « roue de secours » si la solution Macron s’avérait dans quelques années un nouvel échec pour le monde des affaires qui n’a aucune préoccupation démocratique réelle. Nul ne souhaite cette solution « brutale », susceptible de provoquer des réactions contraires dangereuses pour « l’ordre » économique. Mais s’il fallait en passer par là, comme on l’a vu dans le passé, un nouveau syncrétisme affairiste de la droite et du néofascisme pourrait « servir ». Les scrupules n’ont jamais perturbé le monde de l’argent.
En bref, l’Histoire continue….. au sein des institutions d’une V° République usée, bien sûr, mais surtout demain et après-demain dans les entreprises, les lieux de cultures, et la rue.

Robert CHARVIN
- See more at: http://www.investigaction.net/fr/regards-sur-les-elections-presidentielles-et-legislatives-francaises-on-ravale-la-facade/#sthash.zAg47puc.dpuf

mardi 6 décembre 2016

François Chesnais: Le cours actuel du capitalisme…/ François Chesnais: the current course of the capitalism …



Paris, le 12 décembre 2015. Marche et lignes rouges pour la fin de la COP21 entre l'avenue de la Grande Armée et le Champ de Mars en passant par le Trocadéro. Sous haute protection policière. Photothèque Rouge/JMB

… et les perspectives de la société humaine civilisée

François Chesnais*– Inprecor sept-nov 2016
Nous atteignons un point crucial dans l’histoire du monde, celui où le capitalisme atteint ses limites absolues.
Une étape spécifique de l’histoire économique et sociale de l’Amérique du Sud a pris fin. Cette phase a vu l’exportation de grandes quantités de matières premières ou de produits semi-finis à des prix élevés. Cela a assuré un taux de croissance considérable de leurs économies et a permis aux gouvernements de financer une série de programmes sociaux sans modifier la répartition des richesses. Ce soi-disant « modèle » dépendait du taux de croissance et de la demande dans les autres parties de l’économie mondiale, en particulier en Chine. La fin de ce qui aura été finalement une parenthèse de quinze années va conduire à une aggravation de la confrontation politique et sociale dans l’ensemble du continent, annoncée aujourd’hui par les événements au Brésil. Je suis heureux de pouvoir contribuer au débat avec ce texte expliquant ce que je considère être un point crucial dans l’histoire du monde, celui où le capitalisme atteint ses limites absolues.

Infinie crise économique et financière mondiale

L’actuelle crise économique et sociale a mis fin à une longue phase avec des hauts et des bas (1949 aux États-Unis, 1974-1976 et 1981-1982 dans le monde entier), marquée néanmoins par une accumulation ininterrompue, commencée autour de l’année 1942 aux États-Unis et vers 1950 en Europe et au Japon. Le très fort dynamisme initial de cette accumulation était dû à l’ampleur des investissements nécessaires à la reconstruction de la base matérielle des économies capitalistes après la longue crise des années 1930 et les destructions massives de la Seconde Guerre mondiale, ainsi qu’à la possibilité d’exploiter les technologies mises au point dans la années 1920. Et bien sûr, elle était le résultat de la guerre.
La crise en cours a commencé en tant que crise financière, révélant ensuite une profonde crise de suraccumulation et de surproduction aggravée par une baisse du taux de profit. Cette crise était en gestation depuis la seconde moitié des années 1990, mais elle a été retardée par la création massive de crédit et la pleine intégration de la Chine dans l’économie mondiale. Étant donné que les États-Unis sont le principal centre financier mondial et que c’est là que le système du crédit a été poussé à ses « extrêmes limites » (1), la crise dans sa dimension financière y a éclaté en juillet 2007 et y a atteint son paroxysme en septembre 2008. Commencé à la fin de l’année 2008, le krach était de nature mondiale et n’était pas seulement une « Grande Récession » nord-américaine. Il a d’abord frappé les économies industrialisées. Les pays émergents, qui pensaient rester largement à l’abri de ses effets, ont été les derniers à perdre cette illusion.
En 2008, le capitalisme mondial dirigé par les États-Unis a estimé que la configuration combinée des relations internes et politiques empêcherait que la crise détruise le capital fictif et productif comme cela avait eu lieu dans les années 1930. La vitesse et l’ampleur de l’intervention gouvernementale des États-Unis et des principaux pays européens, réalisée en 2008 en soutien au système financier et aussi, dans une moindre mesure et de manière plus temporaire, à l’industrie automobile, doit être considérée comme l’expression de la pression directe des banques défendant la richesse financière et de la pression des constructeurs automobiles étatsuniens et européens voulant protéger leur position face à leurs concurrents asiatiques. Mais c’est également l’expression d’une considérable prudence politique à la fois domestique et internationale. L’appareil stalinien-capitaliste et l’élite sociale chinoise ont partagé cette préoccupation et ont financé d’importants investissements d’inspiration keynésienne. La Chine est très dépendante des exportations et ses élites craignent vraiment le prolétariat.
Les mesures politiques adoptées en 2008-2009 pour contenir la crise permettent d’expliquer la persistance et la croissance ultérieure d’une masse de capital fictif sous la forme de créances sur la valeur et la plus-value engagées dans d’innombrables opérations spéculatives alors que la situation mondiale de suraccumulation et de surproduction n’a pas été résolue dans de très nombreuses industries. Le recours continuel des gouvernements du G7 et des banques centrales à l’injection dans leurs économies d’énormes quantités d’argent nouveau (« assouplissement quantitatif ») signifie que d’énormes quantités nominales de capital fictif errent sur les marchés financiers mondiaux les rendant extrêmement instables.

Convergence des crises et situation de la classe ouvrière

La durée de la crise mondiale ainsi que l’absence au sein de la bourgeoisie d’un horizon économique qui ne se limite pas à de courtes reprises cycliques, annoncent la convergence et, finalement, la fusion des effets économiques et sociaux d’une crise économique prolongée avec les effets, de dimensions prodigieuses, du changement climatique.
Le premier avertissement sur les dangers du changement climatique remonte à la fin des années 1980. Il a conduit à la mise en place par les Nations unies du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Le réchauffement climatique a été mesuré de plus en plus précisément et ses conséquences ont été documentées dans les rapports successifs du GIEC (1990, 1995, 2001, 2007 et 2014). Ils n’ont pas été pris en compte. Le « scepticisme » sur le changement climatique, financé par les lobbies du pétrole, a cédé la place à sa reconnaissance formelle et rhétorique par les gouvernements. Il y a cinq ans, The Economist a publié une synthèse bien informée annonçant que « le combat pour limiter le réchauffement climatique à un niveau tolérable est terminé » (2). Les quatre grandes conférences internationales qui ont eu lieu depuis ont été essentiellement des opérations de communication coûteuses et cyniques visant à tromper les ignorants. La convergence et finalement la fusion des crises économique et environnementale soulèvent simultanément deux questions liées : l’avenir du capitalisme et les perspectives de dizaines de millions de personnes dans certaines régions du monde, ainsi que partout l’avenir de l’existence de la société civilisée.
À la suite de l’intégration de la Chine, le commentaire méthodologique essentiel de Trotski est devenu évident même en ce qui concerne les États-Unis : « une puissante réalité indépendante créée par la division internationale du travail et par le marché mondial (…) domine tous les marchés nationaux » (3). La libéralisation et la mondialisation ont également encouragé « les forces aveugles de la concurrence » d’une brutalité inconnue auparavant, et certainement durant les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Pour les bourgeoisies nationales, la perte de la marge de contrôle de la politique économique qu’elles possédaient tant que les économies nationales avaient un certain degré d’autonomie est une des composantes de leur crise politique, à laquelle toutes sont confrontées. Cela pousse les principales puissances à compenser leur situation nouvelle ou aggravée, mais en tout cas non souhaitée, de dépendance économique, par une activité politique et militaire dans leur sphère d’influence. Le malaise face à la mondialisation, exprimé politiquement par le néoconservatisme étatsunien, aide à comprendre que l’invasion de l’Irak n’était pas seulement une lutte pour le contrôle du pétrole. La politique de la Russie en Syrie est de la même nature. Derrière la crise de l’Union européenne se trouve également l’idée que les gouvernements peuvent reprendre le contrôle de certains paramètres politiques et économiques.
croissanceCopyright : Photothèque Rouge/JMB
Pour la classe ouvrière, les conséquences de la libéralisation et de la mondialisation du capital sont encore plus graves. L’expérience historique accumulée par les travailleurs a été quasi exclusivement celle de la lutte contre le capital dans le cadre des frontières nationales. Les organisations de la classe ouvrière, les syndicats et les partis politiques ont réussi à « centraliser les nombreuses luttes locales, qui partout revêtent le même caractère, en une lutte nationale, en une lutte de classes ». (4) Mais comme Marx et Engels poursuivaient, cette lutte « est sans cesse détruite de nouveau par la concurrence que se font les ouvriers entre eux », cette concurrence créée par les capitalistes sur le marché du travail. Aujourd’hui les capitalistes peuvent monter les uns contre les autres les travailleurs des différents pays et continents. La plus grande réussite du Capital au cours des 40 dernières années a été la création d’une « force de travail mondiale » à travers la libéralisation de la finance, du commerce et de l’investissement direct ainsi que de l’incorporation de la Chine et de l’Inde dans le marché mondial. Cela est souvent nommé « le doublement de la main-d’œuvre mondiale » (5), c’est-à-dire, pour reprendre les termes de Marx, de la potentielle armée de réserve industrielle mondiale. Son existence crée les conditions pour l’augmentation du taux d’exploitation et pour la configuration de l’armée de réserve industrielle dans chaque économie nationale. Les technologies d’information et de communication ont conduit à une fragmentation croissante des processus de travail, avec maintenant l’entrée dans l’ère de la robotique.

La défaillance de l’accumulation du capital

Un mode de production est simultanément une forme spécifique d’organisation des rapports sociaux de production, avec des rapports de distribution correspondants, et un mode de domination sociale organisé institutionnellement et politiquement. Lorsqu’un mode de production commence à vaciller et à gripper à travers ses rapports de production, et que la reproduction élargie ralentit fortement, l’expérience historique indique que les composantes dominantes de la classe dominante auront comme horizon et comme but unique la préservation de leurs privilèges et de leur pouvoir sur la base d’institutions existantes. Elles rejetteront tout appel à la réforme, même s’il vient de leurs propres rangs. Ce fut le cas de la cour de la monarchie absolue en France avec un ministre comme Turgot, ou à la cour de la Russie tsariste. Ce fut encore le cas lorsque les rapports de production hybrides sui generis se sont grippés en Union soviétique. La bourgeoisie est aujourd’hui dans cette même situation, et elle n’a pas de Roosevelt dans ses rangs. Les expressions de sa crise incluent l’extension et la profondeur de la corruption, un très bas niveau de débat politique, le cynisme des grandes entreprises et la paralysie des gouvernements devant le changement climatique. La Conférence de Davos de 2016 a fait le choix de se concentrer sur la crise des banques européennes et sur des thèmes similaires au lieu de débattre du rapport qui lançait l’alerte en termes diplomatiques :
« L’inquiétude grandit au sujet des effets de la désintermédiation numérique, de la robotique avancée et de l’économie collaborative sur la croissance de la productivité, la création d’emplois et le pouvoir d’achat. Il est clair que la génération du millénaire va expérimenter au cours de la prochaine décennie le plus grand changement technologique des 50 dernières années, ne laissant aucun aspect de la société mondiale sans perturbations. Les grandes avancées scientifiques et technologiques – de l’intelligence artificielle à la médecine de précision – sont vouées à transformer notre identité humaine. » (6)
Un élément majeur de la situation c’est l’absence des conditions exogènes pour la reprise de l’accumulation à long terme, précédemment disponibles. Une reprise des « ondes longues » – dans la signification que Trotski leur donnait, reconnue d’une manière compliquée par Mandel – est déterminée par des facteurs exogènes : guerres mondiales, expansion massive des marchés du fait de l’expansion territoriale (« la frontière » dans l’histoire des États-Unis) ou la création de nouvelles industries à la suite des progrès technologiques majeurs. Les conditions politiques pour une guerre mondiale (une préparation idéologique du type de celle réalisée par le nazisme après 1933) n’existent pas actuellement. Ainsi pour la bourgeoisie la question est de découvrir un facteur capable de tirer à nouveau l’accumulation durant plusieurs décennies. Depuis que la Chine a été incorporée dans le marché mondial, il n’y a plus de « frontière ». La seule possibilité, ce sont donc les nouvelles technologies. Impliquant des investissements importants et la création d’emplois, elles seules sont en mesure d’entraîner une nouvelle onde longue d’accumulation, associée avec l’expansion sur des nouveaux marchés.
Le rôle des technologies de l’information et de la communication dans la reconfiguration radicale de l’organisation du travail et de la vie quotidienne est incontestable. La grande question est de savoir si leurs effets sur l’investissement et l’emploi peuvent provoquer une nouvelle onde longue d’accumulation. Leur énorme impact sur la réduction de la main-d’œuvre, couplé avec leur effet sur l’accroissement du capital constant investi, suggèrent le contraire, notamment si une « quatrième révolution industrielle », autrement dit un saut qualitatif immense par rapport aux technologies apparues au cours de la « troisième révolution industrielle » comme l’appellent les théoriciens néo-schumpeteriens, est en perspective. L’opinion dominante parmi les économistes et sociologues étatsuniens est que les facteurs qui impulsaient la croissance économique durant la majeure partie de l’histoire nord-américaine ont été pour une large part dépensés. Ils parlent d’un « plateau technologique » et « d’objectifs faciles à atteindre » qui avaient permis une croissance rapide, comme la mise en culture des terres précédemment en friche ou les avancées technologiques fondamentales dans le transport, l’électricité, la communication de masse, la réfrigération, l’assainissement et finalement l’enseignement massif. Ce que les technologies de l’information et de la communication offrent au capital sous la forme de données de masse, c’est une capacité sans précédent de contrôle politique et social. Elles n’offrent aucune solution pour le chômage de masse (7) et l’augmentation de la composition organique du capital.

Une réflexion précoce sur l’avenir du capitalisme

Dans son introduction à l’édition anglaise Penguin du livre III du Capital, Mandel a développé en 1981 une série d’élaborations théoriques sur le « destin du capitalisme » (8). Contrairement à Sweezy, Mandel discutait la théorie de Grossman sur l’effondrement du capitalisme d’une manière respectueuse et sérieuse. Cela l’a conduit à analyser les conséquences de ce qu’il appelait alors le « robotisme ». Les nouvelles technologies étaient dans leur petite enfance lorsque cela a été écrit, mais pour Mandel elles avaient déjà potentiellement des conséquences prodigieuses. Compte tenu des prévisions mentionnées précédemment, il est important de le lire et de le discuter :
« L’extension de l’automatisation au-delà d’une certaine limite mène, inévitablement, d’abord à une réduction du volume total de la valeur produite, puis à une réduction du volume de la survaleur réalisée. Cela suscite une “crise d’effondrement” combinée de manière quadruple : une énorme crise de déclin du taux de profit ; une grave crise de réalisation (l’augmentation de la productivité du travail qu’implique le robotisme étend la masse des valeurs d’usage produites à un rythme encore plus élevé que celui de la réduction des salaires réels et une proportion croissante de ces valeurs d’usage devient invendable) ; une profonde crise sociale ; et une dramatique crise de “reconversion” [en d’autres termes, de la capacité du capitalisme de s’adapter] par la dévalorisation – les formes spécifiques de la destruction du capital menaçant non seulement la survie de la civilisation humaine, mais même la survie de l’humanité ou de la vie sur notre planète. » (9)

Et un peu plus loin, voulant être bien compris, Mandel écrivait :

« Il est évident qu’une telle tendance à la modernisation du travail dans les secteurs productifs avec un très haut développement technologique doit, nécessairement, être accompagnée par sa propre négation : une augmentation du chômage de masse et des secteurs marginalisés de la population, du nombre de ceux qui “abandonnent” et de tous ceux que le développement “final“ de la technologie capitaliste expulse du processus de production. Cela signifie que les défis croissants des rapports de production capitalistes à l’intérieur de l’usine sont accompagnés par des défis croissants de toutes les relations bourgeoises fondamentales et des valeurs de la société dans son ensemble, ce qui constitue également un élément important, et périodiquement explosif, de la tendance du capitalisme à l’effondrement final. »

Puis, il ajoute :

« Un tel effondrement n’est pas nécessairement favorable à une forme supérieure d’organisation sociale ou de civilisation. Précisément en fonction de la dégénérescence propre du capitalisme, les phénomènes de décadence culturelle, de régression dans les domaines de l’idéologie et du respect des droits de l’homme se multiplient en accompagnant la succession ininterrompue des crises multiformes avec lesquelles cette dégénérescence nous fera face (nous fait déjà face). La barbarie, en tant qu’un résultat possible de l’effondrement du système, est une perspective beaucoup plus concrète et précise aujourd’hui qu’elle ne l’a été dans les années 1920 ou 1930. Même les horreurs d’Auschwitz et de Hiroshima apparaîtront minimes par rapport aux horreurs que l’humanité devra affronter dans la décrépitude continue du système. Dans ces circonstances, la lutte pour une issue socialiste prend la signification d’une lutte pour la survie de la civilisation humaine et du genre humain. » (10)

Mandel modérait sa perspective véritablement catastrophique avec ce message d’espoir adapté de la problématique du Programme de transition :

« Le prolétariat, comme Marx l’a montré, unit tous les prérequis pour conduire cette lutte avec succès ; aujourd’hui cela reste plus vrai que jamais. Et il a au moins le potentiel pour acquérir également les prérequis subjectifs pour une victoire du socialisme mondial. La réalisation de ce potentiel dépendra, en dernière analyse, des efforts conscients des marxistes révolutionnaires, s’intégrant aux luttes spontanées périodiques du prolétariat pour réorganiser la société selon les principes socialistes et le conduisant vers des objectifs précis : la conquête du pouvoir d’État et la révolution sociale radicale. Je ne vois pas plus de raisons pour être plus pessimiste aujourd’hui sur le résultat de cette entreprise que Marx ne l’était lorsqu’il écrivait le Capital… » (11)
Que la révolution sociale radicale soit la solution est aujourd’hui plus vrai que jamais, mais la menace de la crise écologique, telle que Marx ne pouvait pas la prévoir, tout comme l’héritage politique du XXe siècle, ne conduisent pas à être aussi optimiste que Mandel voulait l’être en 1981. Dans la tradition révolutionnaire à laquelle j’ai adhéré, le socialisme était une « nécessité » dans deux sens du terme : nécessité, parce que seule réponse décisive et durable non seulement à la situation de la classe ouvrière et des opprimés mais aussi à la réalisation des besoins humains ; et nécessité, en tant que résultat du développement capitaliste. La bourgeoisie n’allait pas quitter la scène sans combattre et sans processus contre-révolutionnaires, comme l’apparition du stalinisme et celle du maoïsme l’avaient montré, mais « l’histoire était avec nous ». Les marxistes révolutionnaires étaient « l’expression consciente » des processus économiques et sociaux fondamentaux. Cette vision du monde était enracinée dans une lecture de nombreux passages dans Marx et dans celle des marxistes révolutionnaires ultérieurs majeurs, qui semblaient la soutenir, en particulier Lénine et, dans le cas de Trotski, dans une lecture unilatérale des deux premières sections du Programme de transition, avec très peu de discussions sur ses textes exprimant ses préoccupations enracinées dans les événements des années 1930 mais contenant des réflexions plus générales, comme dans ses écrits sur le fascisme et le nazisme. Rosa Luxemburg était considérée comme suspecte non seulement à cause de ses avertissements concernant le possible cours de la révolution d’Octobre, mais aussi à cause de l’angoisse de son cri « socialisme ou barbarie ». Le fait que, au cours de ses dernières années, cette angoisse était aussi partagée par Trotski n’a jamais été discuté.
Les processus politiques de la fin des années 1980 et du début de la décennie 1990 et leurs implications mondiales (en particulier l’absence d’une révolution politique en URSS) ainsi que les scissions organisationnelles exemptes de perspectives m’ont rendu de plus en plus réceptif à la pensée des philosophes d’Europe centrale. Le premier était Mészáros avec la proposition suivante dans son livre de 1995 :
« Chaque système de reproduction sociale métabolique a ses limites intrinsèques ou absolues qui ne peuvent être dépassées sans changer le mode de contrôle en un mode qualitativement différent. Quand de telles limites sont atteintes au cours du développement historique, il devient obligatoire de transformer les paramètres structurels du système qui circonscrivent normalement l’ensemble des marges des pratiques reproductives possibles dans de telles circonstances. » (12)

Il affirme ensuite, concernant le capitalisme :

« la marge pour déplacer les contradictions du système devient toujours plus étroite et ses prétentions au statut immuable de la causa sui [cause de soi] clairement absurdes, nonobstant le pouvoir destructeur inimaginable des ses personnifications. Car en exerçant ce pouvoir, le capital peut détruire l’humanité en général – comme en effet il semble être résolu à le faire (et avec, certainement, son propre système de contrôle) – mais il ne peut pas détruire de manière sélective son antagoniste historique » [la classe ouvrière]. (13)
Un autre auteur m’a encouragé à explorer la notion des limites absolues de la production capitaliste, le philosophe allemand Robert Kurz. Comme Mandel, dans une lecture de Marx qui a soulevé beaucoup de controverses (14), il souligne les effets de l’économie de main-d’œuvre et de l’amélioration de la productivité avec les technologies de l’information et de la communication, leurs conséquences dans l’exacerbation des contradictions de la production capitaliste. Il explique que le capitalisme a développé ses contradictions internes au point que :
« Nous sommes désormais confrontés à la tâche de reformuler la critique des formes capitalistes et à celle de leur abolition étant donné le niveau de contradiction qu’elles ont atteint. C’est simplement la situation historique dans laquelle nous nous trouvons, et il serait vain de pleurer sur les batailles perdues du passé. Si le capitalisme se heurte objectivement à des limites historiques absolues, il n’en reste pas moins vrai que, faute d’une conscience critique suffisante, l’émancipation peut échouer aujourd’hui aussi. Le résultat serait alors non pas un nouveau printemps de l’accumulation, mais, comme l’a dit Marx, la chute de tous dans la barbarie. » (15)

La nouvelle et plus redoutable « barrière immanente » du capitalisme, et ses implications

En l’absence de facteurs capables de lancer une nouvelle phase d’accumulation durable, la perspective est celle d’une situation où les conséquences politiques et sociales d’une faible croissance et de l’instabilité financière endémique, avec le chaos politique qu’elles multiplient aujourd’hui dans certaines régions et, potentiellement, dans d’autres, convergent avec l’impact social et politique du changement climatique. La notion de barbarie, associée aux deux Guerres mondiales et à l’Holocauste – et plus récemment aux génocides contemporains – s’appliquera alors à ces conséquences. Le lien entre la question écologique et l’effondrement de notre société dans une barbarie sans précédent doit encore être attribué à Mészáros :
« Dans une certaine mesure, Marx était déjà conscient du “problème écologique”, c’est-à-dire des problèmes de l’écologie sous la domination du capital et des dangers implicites que cela provoque pour la survie humaine. En fait, il était le premier à le conceptualiser. Il a parlé de la pollution et a insisté que la logique du capital – qui doit poursuivre le profit, conformément à l’auto-expansion et à l’accumulation – ne peut prendre en considération les valeurs humaines ni même la survie de l’humanité (…). Ce que vous ne pouvez pas trouver chez Marx, évidemment, c’est une explication de la gravité extrême de la situation à laquelle nous faisons face. Pour nous, la survie de l’humanité est une question urgente. » (16)
La menace pour la survie de l’humanité signifie, bien sûr, une menace pour la civilisation que nous connaissons jusqu’à présent. Les humains survivront, mais si le capitalisme n’est pas renversé, ils vivront au niveau mondial dans une société du type de celle décrite par Jack London dans son grand roman dystopique (contre-utopique), le Talon de fer. Tant que le changement révolutionnaire n’a pas eu lieu, nous sommes pris au piège des relations et des contradictions spécifiques du mode de production capitaliste. Un mode de production caractérisé par « le mouvement incessant du gain toujours renouvelé, cette tendance absolue à l’enrichissement » (17) ne peut tenir compte d’un message qui exige la fin de la croissance (comme elle est comprise traditionnellement) et une utilisation négociée et planifiée des ressources restantes.
L’accumulation du capital a pris la forme du développement d’industries spécifiques. La crise mondiale combinée – économique et écologique – du capitalisme est simultanément une crise des rapports sociaux de production et d’un mode de production matérielle, de la consommation, de l’emploi de l’énergie et des matières –autrement dit, encore une fois, celle de toute la base matérielle ayant permis l’accumulation, notamment au cours des 60 dernières années – ainsi que des industries associées : l’énergie, l’automobile, les infrastructures routières et la construction en particulier. La prolongation de ce mode sous le capitalisme implique des formes toujours plus destructives d’extraction, du forage pétrolier (par exemple, des puits très profonds perforant d’épaisses couches de sel dans l’Arctique), de la production agricole (utilisation très intensive de produits chimiques et expansion des terrains cultivés par déboisement) et des ressources océaniques. Cela représente « l’effort du capital pour inverser le ralentissement de la productivité grâce à une série de batailles désespérées pour les dernières miettes des derniers vestiges de la nature pas chère » (18). L’agent de cette destruction c’est la figure contemporaine du « capitaliste, ou, si l’on veut, [du] capital personnifié, doué de conscience et de volonté » (19), à savoir les grandes entreprises industrielles et minières et ceux qui les possèdent et les contrôlent (20).
Il est clair maintenant que le réchauffement climatique et l’épuisement écologique sont devenus une « barrière immanente » du capital et non, comme on le lit encore dans les premières analyses des chercheurs américains, une barrière extérieure. Dans son livre, que j’ai reçu alors que je terminais ce texte, Moore écrit que « les limites de la croissance auxquelles le capital fait face sont bien réelles : ce sont des “limites” coproduites par le capitalisme. La limite écologique mondiale du capital, c’est le capital lui-même. » (21) Cette coproduction date de la période du capital marchand et au cours de la période la plus récente elle a été structurée par la mondialisation et la financiarisation. Il s’agit d’une barrière qui ne peut pas être temporairement résolue, comme c’est exposé dans le livre III du Capital, par « la dépréciation périodique du capital existant » ou surmontée « par des moyens qui font réapparaître les limites et les renforcent » (22). La barrière est là pour rester. Foster a pris la notion de la limite ou de la barrière absolue du capital et l’a développée en relation avec l’environnement, ajoutant des commentaires détaillés aux textes pertinents de Marx. Il voit « le précipice écologique qui approche » (23) de plus en plus près. L’épuisement des ressources est irréversible ou seulement réversible en un temps qui pourrait durer des siècles. La vitesse du réchauffement climatique est hors de contrôle, du moins pour l’instant, du fait de la profondeur de l’imbrication du régime d’énergie carbonique intensive avec les modes de production et de vie forgés par le capitalisme. Dans le « meilleur scénario » (celui sans processus de rétroaction qualitative) la question est celle de « l’adaptation » déterminée par les divisions entre les classes et entre pays riches et pays pauvres, qui définiront qui seront les principales victimes.
Comme Mandel l’a souligné, le fait que le capitalisme ait atteint ses limites absolues ne signifie pas qu’il ouvre la voie à un nouveau mode de production (25). Les élites et les gouvernements qu’elles contrôlent sont plus que jamais attentifs à la préservation et à la reproduction de l’ordre capitaliste. Son affaissement progressif allant de pair avec les effets prévisibles et imprévisibles du changement climatique sera accompagné par des guerres et par la régression idéologique et culturelle – provoquée par la marchandisation et la financiarisation de la vie quotidienne – qui prend la forme du fondamentalisme religieux et du fanatisme des trois monothéismes. La mortalité provoquée par les guerres locales, les maladies, ainsi que les conditions sanitaires et nutritionnelles dues à la grande pauvreté, se compte en dizaines sinon en centaines de millions de personnes (26). Les impacts du changement climatique augmentent dans diverses parties du monde (le delta du Gange, une grande partie de l’Afrique, les îles du Pacifique sud) et mettent déjà en danger les conditions mêmes de la reproduction sociale des opprimés (27). Ils résisteront nécessairement ou chercheront à survivre du mieux qu’ils pourront. En résulteront des conflits violents autour des ressources d’eau, des guerres civiles prolongées par l’intervention étrangère dans les pays les plus pauvres, des énormes mouvements de réfugiés provoqués par la guerre et le changement climatique (28). Ceux qui dominent et oppriment l’ordre mondial y voient une menace pour leur « sécurité nationale ». Dans un rapport récent, le Département de la Défense des États-Unis écrit que le changement climatique mondial aura des implications de grande envergure sur les intérêts de la sécurité nationale du pays (29). Moore écrit que « le tournant vers la financiarisation et l’approfondissement de la capitalisation dans la sphère de la reproduction a été un puissant moyen pour retarder l’inévitable recul. Cela a permis au capitalisme de survivre. Mais pour combien de temps ? » (30) Et il y a d’autres questions, qui ne sont pas très différentes : est-ce que « nous » pouvons nous débarrasser du capitalisme, le renverser, afin d’établir « des relations de la société humaine dans la nature » totalement différentes ? Et si nous ne pouvons pas, la société civilisée va-t-elle survivre ?
Les jeunes générations d’aujourd’hui et celles qui les suivront sont et seront de plus en plus confrontées à des problèmes extrêmement difficiles. Les grandes luttes dans quelques pays, mais aussi dans tous les autres, les innombrables luttes auto-organisées au niveau local, démontrent leur capacité d’y faire face. Du point de vue du combat pour l’émancipation sociale, leurs seules perspectives peuvent être résumées par le mot formulé par Marx au cours de sa dernière conversation que nous connaissons, un entretien avec un jeune journaliste américain : « la lutte ».
climatCopyright : Photothèque Rouge/JMB
« Et ce fut comme si son esprit s’était retourné un instant pendant qu’il considérait la mer mugissante devant nous et la multitude qui s’agitait sur la plage. “Qu’y a-t-il ?” avais-je demandé, à quoi il répondit sur un ton profond et solennel : “la lutte !” Tout d’abord, il m’a semblé que j’entendais l’écho du désespoir ; mais, peut-être, était-ce la loi de la vie. » (31)
Les soulèvements dans diverses régions du monde de même que les innombrables luttes locales, aussi importantes et dont bon nombre sont à la fois économiques et écologiques, prouvent que ceci est compris. L’immense défi est de centraliser cette énergie révolutionnaire latente à travers le monde sous des formes politiques qui ne répètent pas celles du siècle dernier et leurs résultats, et donc de créer une force qui pourrait concevoir et établir les conditions de l’émancipation humaine, et serait également en mesure d’arrêter le désastre écologique actuel.  ■
François Chesnais a été professeur associé à l’université Paris 13. Économiste et militant du Nouveau parti anticapitaliste (NPA, France), il fait partie du Conseil scientifique d’ATTAC. Il a publié notamment la Mondialisation du capital (Syros 1994 et 1997), la Mondialisation financière : genèse, coûts et enjeux (Collectif, sous sa direction, Syros, 1996), la Finance mondialisée : racines sociales et politiques, configuration, conséquences (Collectif, sous sa direction, La Découverte, 2004), Les dettes illégitimes – Quand les banques font main basse sur les politiques publiques.(Raisons d’Agir, 2011), Finance Capital Today (Brill, Leiden 2016). Cet article, qui reprend les conclusions de son dernier livre, a été écrit en anglais et a été publié en espagnol par la revue argentine Herramienta n° 58 : http://www.herramienta.com.ar/revista-herramienta-n-58/el-curso-actual-del-capitalismo-y-las-perspectivas-para-la-sociedad-humana- (Traduit de l’anglais par JM).
Traduction : JM

Notes

1. Marx 1991, p. 572
2. « Bien qu’ils soient peu disposés à le dire publiquement, l’improbabilité absolue de cette réussite a fait que beaucoup de scientifiques, de militants et de décisionnaires du climat arrivent à la conclusion que, pour reprendre les termes de Bob Watson, qui a été à la tête du GIEC et qui dirige actuellement les scientifiques au sein du Département britannique pour l’environnement, la nourriture et les affaires rurales, « deux degrés c’est prendre ses rêves pour la réalité ». (« Adapting to climate change », The Economist, 25 novembre 2010). «
3. Léon Trotski, la Révolution permanente, Préface à l’édition française, Gallimard, Paris 1963, p. 6 (disponible également sur internet : http://classiques.uqac.ca/classiques/trotsky_leon/revolution_permanente/revolution_perm_preface.html)
4. Marx & Engels, le Manifeste communiste, 1. Bourgeois et prolétaires, https://www.marxists.org/francais/marx/works/1847/00/kmfe18470000a.htm#sect1
5. Freeman estime que la main-d’œuvre mondiale est passée d’environ 1,46 milliard à 2,93 milliards d’ouvriers, en employant une expression bien plus claire : « doublement effectif de la main-d’œuvre maintenant accessible ». (Richard Freeman, « What Really Ails Europe (and America) : The Doubling of the Global Workforce », www.theglobalist.com
6. http://reports.weforum.org/global-risks-2016/
7. Des recherches sérieuses estiment que 47 % des emplois aux États-Unis « risquent » d’être automatisés au cours des vingt prochaines années (Carl Fey et Michael Osborne, « The Future of Employment : How Susceptible are Jobs to Computerisation ? » : www.oxfordmartin.ox.ac.uk/downloads/academic/the_future_of_employment.pdf/)
8. Ernest Mandel, Introduction, dans Karl Marx, Capital, Livre III (Penguin, 1981), p. 78.
9. Ibid. Mandel, p. 87.
10. Ibid. Mandel, p. 89.
11. Ibid. Mandel, pp. 89–90.
12. Istvan Mészáros, Beyond Capital, 1995, p. 142. (Disponible en espagnol sur internet : http://www.formacion.psuv.org.ve/wp-content/uploads/2013/09/M%C3%A1s-all%C3%A1-del-capital-Hacia-una-teor%C3%ADa-de-la-transici%C3%B3n-Tomo-I.pdf). Les positions politiques de Mészáros à la fin des années 2000 en soutien au « socialisme du XXIe siècle » de Chavez ne disqualifient pas son travail théorique.
13. Ibid. Mészáros, p. 145.
14. En particulier sur son interprétation dans un travail précédent sur la théorie de la valeur et la notion du travail abstrait. C’est tout à fait marginal dans son livre sur la crise publié en 2011. Voir sa présentation de ce livre en français (http://www.palim-psao.fr/article-theorie-de-marx-crise-et-depassement-du-capitalisme-a-propos-de-la-situation-de-la-critique-social-108491159.html) et le résumé de ses principaux arguments dans un journal français (https://lectures.revues.org/7102).
15. http://www.palim-psao.fr/article-theorie-de-marx-crise-et-depassement-du-capitalisme-a-propos-de-la-situation-de-la-critique-social-108491159.html
16. Istvan Mészáros, The Alternative to Capital’s Social Order – From the “American Century” to the Crossroads Socialism or Barbarism, Monthly Review Press, New York 2001, p. 99.
17. Marx, Le Capital, Livre I, II° section, chapitre 4, 1- La formule générale du capital : https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-4.htm
18. Jason W. Moore, « The Crisis of Feudalism : An Enviromental History », dans Organization and Environment 15/3, p. 37.
19. Marx, Le Capital, Livre I, II° section, chapitre 4, 1- La formule générale du capital : https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-4.htm
20. Alors que je finissais mon livre Finance Capital Today, les nouvelles faisaient état d’une très grande crise écologique provoquée sous le capitalisme par la société minière brésilienne Vale sur le fleuve Rio Doce.
21. Jason Moore, Capitalism in the Web of Life, Ecology and the Accumulation of Capital New York 2015, Verso, p. 295. L’historien et sociologue étatsunien Jason W. Moore oppose le terme « capitalocène » à celui d’anthropocène qui désigne le fait que l’être humain est devenu une force géophysique, et a commencé à transformer la biosphère à un tel point qu’il menace la capacité de la planète à accueillir la vie. Il constate que, pour les géologues, parler d’anthropocène soulève la question du début de cette nouvelle ère géologique : il y a plusieurs centaines d’années ? À la fin de la Seconde Guerre mondiale ? Ou après 1850, avec l’augmentation du taux de CO2 dans l’atmosphère induite par la révolution industrielle ? Mais, argumente-t-il, c’est de la mauvaise histoire, puisque la transformation de la biosphère par l’activité humaine n’a pas été produite par tous les hommes à parts égales. C’est avant tout la responsabilité des populations détenant de la richesse et du pouvoir. Ainsi selon lui le véritable tournant dans les relations de l’homme à la nature est bien plus précoce, et on peut le dater symboliquement de 1492. Au XVIe siècle, l’invention du capitalisme a aussi été l’invention d’une manière de penser et de traiter la nature, en la séparant totalement de l’humanité. Les esclaves africains, les populations indigènes d’Amérique, mais aussi la grande majorité des femmes, étaient versés dans cette catégorie de « nature ». La séparation des humains et de la nature était donc en réalité toute symbolique. Chez Moore le « capitalocène » affirme donc que nous vivons l’âge du capital, et non « l’âge de l’homme », et que « l’âge du capital » ne désigne pas seulement une acceptation économique étroite, mais une manière d’organiser la nature, à la fois en faisant de la nature quelque chose d’externe à l’homme, et aussi quelque chose de « cheap », dans le double sens que peut avoir ce terme en anglais : ce qui est bon marché, mais aussi le verbe « cheapen » qui signifie rabaisser, déprécier, dégrader…
22. Marx, Le Capital, Livre III, & 3 : Loi tendancielle de la baisse du taux de profit, chapitre 15, 2- Le conflit entre l’extension de la production et la mise en valeur : https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-III/kmcap3_14.htm
23. John Bellamy Foster, « The Epochal Crisis – The Combined Capitalist Economic and Planetary Ecological Crises », Monthly Review n° 65/5 (octobre 2013), p. 1.
24. L’essai de Stengers sur l’ouragan Katrina (Au temps des catastrophes–Résister à la barbarie qui vient, La Découverte, Paris, 2008) m’a conduit à discuter cette dimension (« “Socialisme ou barbarie” : les nouvelles dimensions d’une alternative », http://www.contretemps.eu/socialisme-barbarie-nouvelles-dimensions-dune-alternative/).
25. Samir Amin a un point de vue optimiste avec sa théorie d’un ou même des siècles d’une longue transition au socialisme (Samir Amin, Russia and the Long Transition from Capitalism to Socialism, Monthly Review Press, New York 2016).
26. Jason Moore a synthétisé des données historiques montrant que la transition du féodalisme au capitalisme marchand au cours de la période allant du bas Moyen-Âge au XVIIe siècle était non seulement économique et sociale mais également écologique dans ses manifestations, s’étirant de la famine récurrente, la peste noire et l’épuisement des sols jusqu’aux révoltes paysannes et à l’escalade des guerres. (Jason Moore, « The Crisis of Feudalism : An Enviromental History », dans Organization and Environment 15/3).
27. Ce point était déjà central dans la contribution que j’ai fait avec Claude Serfati en 2003 : « Les conditions physiques de la reproduction sociale », dans J.-M. Harribey & M. Löwy (eds.), Capital contre nature. Presses Universitaires de France–Actuel Marx Confrontation, Paris 2003.
28. Gwynne Dyer, Climate Wars – The Fight for Survival as the World Overheats, Scribe Publishers, Melbourne 2010.
29. http://www.defense.gov/pubs/150724-Congressional-Report-on-National-Implications-of-Climate-Change.pdf
30. Jason Moore, Capitalism in the Web of Life, Ecology and the Accumulation of Capital New York 2015, Verso, p. 305.
31. John Swinton, « A conversation with Marx », The Sun, New York, 6 September 1880. Je suis redevable à Pierre Dardot et Christian Laval qui terminent leur livre sur Marx de la même manière. Cf. Pierre Dardot & Christian Laval, Marx, Prénom : Karl, Gallimard,