"Il n'existe rien de constant si ce n'est le changement" BOUDDHA; Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots." MARTIN LUTHER-KING; "Veux-tu apprendre à bien vivre, apprends auparavant à bien mourir." CONFUCIUS ; « Nous savons qu’ils mentent, ils savent aussi qu’ils mentent, ils savent que nous savons qu’ils mentent, nous savons aussi qu’ils savent que nous savons, et pourtant ils continuent à mentir ». SOLJENITSYNE
L’amiral américain transgenre Rachel (ex-Richard) Levine et le secrétaire adjoint à l’énergie nucléaire des États-Unis, Sam Brinton, étaient invités à une soirée à l’ambassade de France à Washington le 14 juillet 2022. Très représentatifs de la sénilité du président démocrate.
Le cliché a été publié sur la page Instagram de l’activiste LGBTQ Sam Brinton avec en commentaire « Champagne et Célébration avec l’Ambassadeur de France dans sa résidence pour le 14 juillet. (Mais aussi l’incroyable opportunité de se connecter avec l’un des seuls autres responsables gouvernementaux transgenres, l’amiral Levine — je ne vais pas mentir, c’était génial de compatir avec une autre personne trans face à la haine. »
Capture écran – page Instagram de Sam Brinton (radioactivenerd1)
Sur Twitter, l’amiral transgenre Rachel Levine : « Aujourd’hui, c’est le 14 juillet, un jour pour célébrer l’engagement de la France en faveur de la paix et de la liberté. Meilleurs vœux de #BastilleDay au peuple de France ! » N’a-t-il/elle pas confondu 1789 avec 1944, car la prise de la Bastille n’est en rien un symbole de paix, mais de Révolution ?
• En apport à un commentaire destiné à évaluer et à saluer les performances du journalisme français, démocratique et occidental concernant Poutine et la Russie. • La haine nous va bien au teint. • Contribution : dde.org et François Bousquet.
L’auteur que nous citons ici est plutôt un polémiste qui s’intéresse aux aventures idéologiques françaises. On ne peut le qualifier de pro-russe ni d’antirusse, dans le courant de la bataille de communication en cours, – quoi qu’il doive certainement apprécier le goût de la tradition dont font montre les Russes. Il n’empêche qu’étant de la “droite nationale”, ou d’extrême-droite pour les sentinelles vigilantes, à son origine et du temps de la Guerre Froide, François Bousquet dut être également anticommuniste ; et si c’est le cas, il le fut à la façon de Vladimir Dimitrijevic, fondateur des fameuses éditions ‘L’Âge d’homme’ où il travailla comme coéditeur de 1995 à 2002.
Mais là n’est pas notre propos central, qui est au contraire de montrer que l’actuelle Ukrisis est quelque chose qui doit d’abord se traiter du point de vue de la culture, du comportement intellectuel, de l’amour de la littérature (cas de Bousquet) comme apprentissage de la liberté, du caractère, voire de la référence métahistorique bien plus que du point de vue très-vite cochonné en idéologie, et dépendant entièrement des émotions sans contrôle ni crainte de la vulgarité qu’exprime l’affectivisme. C’est pourquoi Bousquet choisit de s’en prendre à cette corporation de journalistes qui choisit, elle et d’un seul mouvement, de se rallier aux tendresses du pouvoir en place et aux consignes de la bienpensance ; cela en fait des antirusses, mais plutôt par la lunette des chiottes que dans les bois chenus de la résistance ukrainiennes tant vantée.
Car c’est une guerre, comme le dit PhG, –
« C’est une guerre où “l’on est contre“ bien plus qu’une guerre où “l’on est pour”. Bien plus qu’une cause à défendre, on y trouve de si nombreuses immondices de la soumission au Système à dénoncer et auxquelles s’opposer ! »
Bousquet, ami de Bernard Lugan et de ses ‘bastons’ mémorables au Quartier Latin, ami d’Alain de Benoist et de Patrick Buisson, bagarreur d’extrême-droite et habitué des déchirements français internes, homme d’‘Éléments’ et de ‘La Nouvelle Librairie’, juge du comportement du monde français de la presse selon les références de la liberté de l’essayiste pamphlétaire. Le tableau n’est pas triste. Il se colore de toutes les nuances de la haine, celle-ci bien calée dans le fauteuil des privilèges des bons serviteurs du pouvoir. Le spectacle est aujourd’hui un déchirement comme l’on vit rarement, au son des “valeurs“ qu’ils ne cessent de décliner, et dont la maitresse absolue, la primus inter pares transgenre, est bien la haine trônant sur son royaume aux échines courbées.
Écoutez donc la voix furieuse de Bousquet et vous aurez dans l’objet de sa vindicte l’écho d’une France dont certains se demandent sans doute comment elle put jamais être ce « cher pays de mon enfance », sinon par escroquerie, par tromperie et par simulacrerie. Bousquet, donc, le 16 mars 2022, dans son éditorial de Radio-Courtoisie.
dde.org
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Les “2 minutes de haine” contre les Russes
Connaissez-vous Pavlov, le génial Ivan Petrovitch Pavlov (1849-1936) ? Le type même du savant russe : à barbe épaisse pleine de miettes, avec un air de pope à la Dostoïevski et de révolutionnaire endimanché. Très beau, très digne, très 1900. Les Russes qui réussissent dans la vie ont tendance à laisser leur nom associé à l’invention qui les a rendus célèbres : Kalachnikov et son fusil d’assaut, Tupolev qui fait voler les mammouths avec ses gros porteurs, Stakhanov, infatigable marathonien des cadences infernales, Molotov et son cocktail vodka-allumettes-étincelles. Eh bien, c’est le cas d’Ivan Petrovitch Pavlov. De toute évidence, il devait préférer les chiens aux hommes. Ce n’est pas moi qui irait le lui reprocher. Le meilleur dans l’homme, c’est le chien, disait le merveilleux Alexandre Vialatte. Toujours est-il que c’est sur les chiens que Pavlov a exercé ses dons d’observation, qui étaient hors pair et qui lui ont valu le Nobel de physiologie en 1904. C’est lui qui a découvert les réflexes conditionnés chez le chien. Le chien salive d’abord à l’apparition des croquettes, ensuite il salive par anticipation à l’apparition des croquettes, enfin il salive toujours même quand il n’y a plus de croquettes. La russophobie est faite de la même matière. Sa fonction gastrique est similaire à celle du chien. Ses croquettes ? La haine du monde russe, le wokisme anti-slave, la poutinophobie délirante. À la vue d’un Russe, la glande salivaire du russophobe le pousse à aboyer ; et il ne fait plus que cela, aboyer, aboyer, même quand il n’y a plus lieu d’aboyer !
La liste noire de la culture russe
Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais c’est fascinant ce qui se passe dans les médias occidentaux depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février dernier. C’est un festival belliqueux antirusse qui tourne en boucle comme un vieux 33-tours rayé. On se croirait plongé dans le 1984 de George Orwell. Dans sa dystopie, Orwell imagine qu’il y a chaque jour les « deux minutes de la haine », rituel quotidien de libération de tout ce qu’il y a de plus cradingue en nous. C’est à la fois un exutoire pour donner libre cours au refoulé, aux frustrations, au ressentiment accumulé, mais plus encore une forme de communion négative, d’orgie fédératrice, de socialisation par la désocialisation, comme dans les rituels avec des poupées vaudous mais qu’on épinglerait cette fois-ci sur des poupées russes.
Eh bien ces « deux minutes de la haine », c’est désormais H24. C’est à qui ira le plus loin dans la russo-satanisation. Tout ce qui est communément interdit est ici encouragé, recommandé, prescrit. Et assurément les Russes n’ont pas droit aux égards que l’on réserve ordinairement aux djihadistes, aux fous d’Allah et aux égorgeurs enturbannés. Vous n’aurez pas ma haine ! Ah, tu parles ! Eh bien, si, vous l’aurez et vous l’aurez avec toutes les options et toutes les variétés. Pas d’amalgames ! Oh que si ! Pas d’essentialisation ! La bonne blague ! Pas d’incitation au racisme ! Que nenni ! Facebook, la plus grosse plateforme de censure mondiale, n’a-t-elle pas décidé de modifier temporairement ses sacro-saintes règles d’utilisation pour autoriser l’appel à la haine des Russes. Tout à l’avenant. Quand ce n’est pas Tolstoï qui est banni, c’est Tchaïkovski qui est déprogrammé, Dostoïevski exclu, Russia Today et Sputnik débranchés, le Bolchoï mis sous embargo, et je ne parle pas de la Fifa et des fédérations d’athlétisme qui appellent au boycott de tout ce qui est russe de près ou de loin, jusqu’aux chats russes qui n’ont rien demandé et que la Fédération internationale féline a banni de ses concours. Et même l’Eurovision, qui a éjecté la Russie. On ne verra donc pas les Pussy Riot gagner le concours ; et ça, c’est plutôt une bonne nouvelle pour l’art lyrique russe.
Tuez tous les Russes, Dieu reconnaîtra les siens !
Quant à Poutine, n’en parlons pas. C’est la synthèse d’Adolf Hitler, de Gengis Kahn, de Dracula et d’Ivan le Terrible. Même Saddam Hussein n’a pas eu droit à un pareil traitement médiatique. Il fait vraiment l’unanimité contre lui. Or, l’unanimité signale toujours un dysfonctionnement majeur dans le régime des libertés. De ce point de vue, la France ne vaut pas mieux que la Russie – et encore en Russie, il s’est trouvé une journaliste pour brandir pendant le JT du TF1 local un panneau anti-guerre. Elle risque gros, j’en conviens. Mais on n’a rien vu de tel en France. Je connais bien les journalistes, j’en suis un. Les journalistes adorent les méchants, ça leur permet de s’habiller en justicier, mais c’est pour sonner l’hallali et achever la bête. Le vocabulaire de la vènerie est riche d’enseignement. La meute, la curée, le chenil. C’est Pavlov qui serait content. Et tout ça aboie en chœur, sans couac. En général, il y a un couac. Cette fois-ci, aucun. Fascinant, je le redis. L’unanimité règne à Paris comme l’ordre régnait hier à Varsovie et aujourd’hui à Kiev.
La cancel culture triomphe même ici, dans un univers qu’elle avait jusque-là relativement épargné, la géopolitique, les relations internationales. La Russie est « cancellisée », effacée, niée, avec une fureur iconoclaste digne des guerres de religion. Et c’est bien une guerre de religion qui est aujourd’hui menée, du moins en présente-t-elle tous les traits, à commencer par le premier et le plus caractéristique d’entre eux : le châtiment collectif, l’éradication définitive de l’ennemi. Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens !
Dans l’ancien ordre du monde, classique, civilisé, qui a prévalu en Europe jusqu’au début du XXe siècle, il n’y avait pas de punition collective. Au Congrès de Vienne, en 1815, c’est Napoléon qui est châtié, pas la France ni les Français. Selon le grand juriste allemand Carl Schmitt, le principal mérite de cette conception du droit international est d’avoir permis d’écarter la doctrine médiévale de « la guerre juste » qui fait de l’ennemi un « criminel » et un « barbare » à éliminer, et non un adversaire avec lequel on pouvait conclure une paix. Alors oui, les Russes auront toute notre haine, mais pas d’amalgame surtout !
Docteur en sciences et essayiste belge, Jean Bricmont est professeur à l’Université catholique de Louvain. Il est auteur et co-auteur de plusieurs ouvrages dont La république des censeurs, Impostures intellectuelles (avec Alan Sokal).
8 sept. 2018
Le plus gros de l'ingérence étrangère dans nos pays est d'origine américaine (image d'illustration).
L'essayiste Jean Bricmont analyse les ressorts du rapport qui accuse, entre autres, la Russie de manipulation de l'information. Selon lui, les auteurs du rapport véhiculent une vision du monde symptomatique du déclin de l'Occident.
Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ? (Evangile selon saint Luc, 6, 42)
Etant physicien et non spécialiste des sciences humaines, je ne suis pas habitué au niveau auquel peuvent s'abaisser certaines recherches dans ces domaines. Par conséquent, je suis tombé de ma chaise en lisant «Les manipulations de l'information, un défi pour nos démocraties», rapport rédigé par quatre experts du Centre d'analyse, de prévision et de stratégie du ministère des Affaires étrangères (CAPS) et de l'Institut de recherche stratégique de l'Ecole militaire (IRSEM), et présenté ce 4 septembre lors d'un colloque à l'Ecole militaire, en présence de la ministre des Armées Florence Parly.
Le rapport se veut académique et encyclopédique : on y parle de Foucault et Derrida, du relativisme, des pseudo-sciences, de l'opinion de Marc Bloch en 1921 sur les fausses nouvelles durant la Première Guerre mondiale, des analyses de Gérald Bronner et de Jacques Ellul ; on y trouve des mots russes comme dezinformatzia (p. 52) qui est supposé être l'origine du mot français «désinformation». On y parle de l'Indonésie, du Vietnam, de l'Amérique latine.
Ce n'est donc pas un document limité à la supposée ingérence russe dans les affaires françaises, même si le plat de résistance du texte est constitué par la «désinformation russe».
Mais comment faire un travail aussi apparemment exhaustif sur la désinformation en ne mentionnant nulle part :
- Les faux charniers de Timisoara en 1989 lors du reversement de Ceaucescu.
- L'affaire des bébés jetés hors des couveuses au Koweït lors de la première guerre du Golfe.
- L'affaire des armes de destruction massives en Irak, sauf de façon très marginale (p. 187).
- Les usages des armes chimiques en Syrie, qui sont systématiquement mises sur le dos du gouvernement syrien, alors que des experts américains en armements ont, au moins en 2013, catégoriquement réfuté ces assertions.
Les auteurs du rapport évaluent aussi la «désinformation» à l'aune de ce qu'eux considèrent comme des faits établis : l'annexion forcée de la Crimée par la Russie (que savent-ils des volontés de la population criméenne ?), ou l'agression russe en Ukraine (pourquoi la population russophone de l'est de l'Ukraine ne pourrait-elle pas s'opposer au gouvernement central, issu d'un coup d'Etat, et qui lui est manifestement hostile, comme l'a fait la population albano-kosovare face au gouvernement serbe ?).
Arriver à parler, comme les auteurs du rapport le font, de la «désinformation russe en Amérique latine», sans dire un mot de l'ingérence américaine qui est loin de se limiter à la désinformation (jamais entendu parler d'Arbenz, de Goulart, d'Allende, de l'invasion de la République dominicaine en 1965, du soutien aux «Contras» au Nicaragua sandiniste, du coup contre Chavez en 2002 ?) est un véritable tour de force idéologique.
Le plus gros de l'ingérence étrangère dans nos pays est d'origine américaine
Un autre sujet soigneusement évité par les auteurs du rapport, et qui est l'éternel éléphant dans la pièce que personne ne veut voir, c'est l'ingérence israélienne à travers les lobbies pro-israéliens qui, au moins aux Etats-Unis, est très bien documentée même si elle est totalement ignorée par les médias (à cause justement de la force de frappe de ces lobbies).
On pourrait penser aussi à la campagne de désinformation récente au Royaume-Uni menée contre le Labour Party et Jeremy Corbyn sous prétexte d'antisémitisme et qui est entièrement liée à leurs positions sur le conflit israélo-palestinien.
Et en France ? Comment expliquer l'influence d'un BHL ou d'un Kouchner, qui non seulement sont passionnément attachés à Israël, mais ont poussé la France à entrer en guerre avec la Libye, et indirectement avec la Syrie, sur la base d'une multitude de fausses nouvelles (dont le bombardement imminent à Benghazi) ? Ces guerres étaient manifestement en contradiction avec les intérêts de la France et ont engendré la crise des réfugiés qui déstabilise aujourd'hui toute l'Europe.
Ce que les auteurs du rapport semblent ne pas comprendre, c'est que le plus gros de l'ingérence étrangère dans nos pays est bien d'origine américaine. Mais elle se fait à travers une multitude de think tanks, de colloques, d'institut de «recherche», d'invitations dans les grandes universités américaines ; tout cela forme la vision du monde de nos élites, vision dans laquelle nous sommes entourés d'ennemis contre lesquels l'action militaire et politique des Etats-Unis, même à des milliers de kilomètres de leurs rives, est purement défensive. Quand on remarque que trois des quatre auteurs du rapport ont travaillé dans ces universités américaines ou à l'OTAN, on n'est pas étonné de cette incompréhension.
«L'honnêteté est la meilleure politique»
Quand on en arrive aux recommandations concrètes, les auteurs du rapport ne savent pas très bien sur quel pied danser : ils se méfient à juste titre de la censure et se rendent compte que, lorsque des médias dominants font des listes de sites fiables et non fiables, la méfiance qui existe à l'égard de ces médias tend à légitimer les sites déclarés par eux non fiables.
Ma grand-mère, qui me répétait souvent «l'honnêteté est la meilleure politique» avait trouvé, il y a longtemps, la solution à la crise de confiance dans les médias dominants, solution à laquelle les auteurs du rapport n'ont pas pensé. Mais la perte de crédibilité de la presse ne date pas d'hier. Elle a commencé aux Etats-Unis avec la guerre du Vietnam et n'a fait qu'empirer avec les guerres récentes. Espérer l'adoption d'une politique d'honnêteté des médias pour tout ce qui concerne l'international suppose un tel changement dans la vision du monde des journalistes que cela relève du vœu pieux. De plus, la crédibilité, c'est un peu comme la virginité : il est plus facile de la perdre que de la regagner.
Quand il s'agit de savoir qui utilise des armes chimiques, ou de ce qu'il en est de l'affaire Skripal ou du Russiagate, comment peut-on se faire une opinion si ce n'est en confrontant des points de vue différents ? Cela n'a rien de relativiste et ne signifie nullement que «tout se vaut», mais est la base même de l'attitude scientifique et de la philosophie des Lumières, dont se réclament les auteurs, mais qu'ils défendent très mal.
La vision du monde véhiculée par les auteurs du rapport est le symptôme d'un nouveau déclin de l'Occident, qui s'exprime par l'incapacité à l'auto-critique : toute allégation d'une ingérence occidentale ou toute mise en doute du récit médiatique dominant est supposé exprimer une «mentalité complotiste», mais les allégations concernant l'ingérence russe sont prises comme parole d'Evangile ; cependant, concernant justement l'Evangile, ils oublient un peu vite la phrase de saint Luc rappelée en exergue de cet article.
Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.
Par Andrew Korybko – Le 6 mars 2018 – Source Oriental Review
Le président Vladimir Poutine
La « glorification politiquement correcte » par les médias alternatifs de tout ce qui est lié à la Russie est une réponse « bien intentionnée »mais instinctive à la russophobie rampante des médias traditionnels ; elle génère néanmoins une vision « trop parfaite » et donc inexacte du pays, vision qui contredit la réalité et qui a été démystifiée par nul autre que le président Poutine lui-même.
Mal comprendre la Russie
Le discours du président Poutine à la nation la semaine dernière a naturellement attiré l’attention des médias internationaux, les médias traditionnels intensifiant leur campagne incessante de peur en exagérant et en décontextualisant ses déclarations sur le programme d’armes hypersoniques russe pendant que les médias alternatifs se pâmaient devant l’annonce du président et la présentaient comme un autre « mouvement d’échecs de haute volée » mettant pour toujours un terme aux agressions de l’Amérique à l’étranger selon le « plan directeur » de leur héros. Les deux réactions sont hyperboliques à leur manière et se fondent sur l’attrait de leurs publics respectifs. Les MSM ont intérêt à pousser le récit de la « menace russe » parce qu’il renforce la paranoïa autour du « russiagate » et « justifie » le budget militaire gargantuesque de Trump qu’il a dévoilé plus tôt dans le cadre de sa politique étrangère América First centrée sur le Pentagone. En ce qui concerne la communauté des médias alternatifs, beaucoup de ses membres occasionnels, des personnalités officielles et ses outils de communications (qui ne dépendent pas des financements publics) ont déjà « déifié » le président Poutine, ces deux derniers faisant appel aux fantasmes de « vœux pieux » des masses désespérées pour rester pertinent en renforçant la « massification » de leur pensée de groupe .
Ni les MSM ni les médias alternatifs, cependant, n’ont accordé beaucoup d’attention à la majeure partie du discours du président axé sur les questions nationales, car ils semblent tous être arrivés indépendamment à la même conclusion que ces sujets ne sont pas assez « sexy » pour leur auditoire et n’intéressent que les Russes en Russie. En un sens, la Russie aurait pu esquiver une balle parce que le discours de son chef pourrait être exploité par les MSM de la même manière que la partie sur les armes hypersoniques. Dans le même temps, cependant, l’argument peut également être avancé que des médias alternatifs ont par inadvertance privé leur auditoire d’entendre parler de faits, de citations et de stratégies clés qu’ils ne connaîtraient pas autrement s’ils n’avaient pas lu la transcription de ce vaste discours, mais qui aurait pu leur donner une vision plus précise du pays que beaucoup d’entre eux ont jusqu’alors placé sur un pied d’égalité avec le « paradis». C’est dans l’intérêt de tous de rapporter et d’analyser des faits objectifs, quelles qu’en soient les conséquences sur notre propre perception de la Russie. C’est ce que la présente analyse va faire.
Pourquoi les médias alternatifs se trompent-t-ils sur la Russie?
La Russie, comme n’importe quel pays du monde, n’est pas « parfaite », mais tout comme l’objet du désir de chacun, ses adeptes ont tendance à la voir ainsi malgré tout, surtout s’ils n’en sont pas eux-mêmes citoyens mais plutôt attirés par elle pour des raisons géopolitiques ou simplement comme une déclaration d’opposition de principe aux politiques de leur pays d’origine. Quelle qu’en soit la raison, et il n’est pas pertinent dans ce contexte d’effectuer une psychanalyse de cette tendance, le résultat final est que beaucoup de gens à travers le monde apprécient vraiment les efforts de la Russie pour forger un ordre mondial multipolaire plus juste et plus honnête que la version unipolaire qu’elle cherche à remplacer. Cela se passe souvent en négligeant certaines des réalités désagréables du pays. C’est le plus souvent dû à une combinaison de dissonances cognitives dont le refus d’accepter que leur « modèle » déifié ne règne pas sur le « paradis ». C’est même une action délibérée pour éviter de tomber involontairement dans la russophobie dominant le débat général. Pour « noble » que cela puisse être ou ne pas être, cela a néanmoins alimenté une industrie artisanale en ligne en expansion qui décrit à tort la Russie comme n’ayant aucun problème.
Ce récit artificiel est devenu viral au point qu’un nombre croissant de personnes dans la communauté des médias alternatifs y adhère comme s’il s’agissait d’une « religion » avec ses propres « églises » (certains sites et forums) ; ses « prêtres » (écrivains et promoteurs) ; ses « congrégations » (leurs frères « croyants ») ; et des «païens » (ceux qui par « sacrilège »remettent en question le « caractère sacré » de « l’infaillibilité » de la Russie). Il n’y a rien de « mal » intrinsèquement à cela tant que les « membres de la secte » gardent leurs croyances pour eux et ne font pas de « prosélytisme ». Mais c’est un vrai problème quand ils essaient d’imposer leurs points de vue agressivement et/ou tentent de les disséminer comme des « vérités » indiscutables qui forment axiomatiquement la base des relations internationales. La perception déformée de la Russie qui commence à prendre forme dans la communauté des médias alternatifs en raison de la popularité grandissante de cette « religion laïque » (provoquée dans une large mesure par la russophobie des médias) doit être corrigée avant qu’elle échappe à tout contrôle et crée une réalité alternative complètement détachée de la vie réelle. Si ceux qui veulent vraiment comprendre et aider la Russie n’ont pas une idée précise de ce qu’elle est, alors leurs plans et leurs efforts ne serviront à rien.
Prenez-la telle qu’elle est
Les témoignages personnels de Russes et d’étrangers vivant dans le pays à propos de certaines lacunes de l’État ne sont pas non plus efficaces pour communiquer la vérité, car ils sont simplement qualifiés de « propagande Soros » de « fausses nouvelles » ou de « préjugés ». Les reportages factuels sur les médias russes financés par des fonds publics comme TASS ne sont pas non plus suffisants dans cette tâche. La seule façon de détruire la pensée dogmatique et finalement dangereuse de l’infaillibilité de la Russie qui s’est emparée de la communauté des médias alternatifs est d’utiliser les propres mots du président Poutine pour démonter ce faux récit une fois pour toutes, car il s’ensuit que les « croyants » sont forcés d’accepter tout ce que leur « divinité » leur dit, peu importe à quel point ils résisteraient autrement si le message venait de quelqu’un d’autre. En conséquence, étant donné la richesse des documents présentés dans le récent discours marquant du président Poutine à la nation et l’attention mondiale que cet événement a produit, il convient de citer l’homme lui-même en attirant l’attention sur certains des problèmes du pays qui sont complètement ignorés par la Communauté des médias alternatifs.
Il devrait être préfacé que le texte qui va suivre se concentrera intentionnellement sur les critiques constructives que le président Poutine a faites au sujet de son pays afin de sensibiliser sur la situation réelle en Russie, même si le chef du pays a énuméré de manière impressionnante une quantité stupéfiante de faits et de stratégies en prouvant que beaucoup de progrès ont déjà été faits depuis le début du siècle. Afin de ne pas «prêcher avec la chorale » et en comprenant que l’auditoire des MSM ne lira probablement jamais cette analyse, il a été décidé de pratiquer une « thérapie de choc » en citant les passages du discours du président Poutine qui vont paraître probablement «surprenants » et « incroyables » aux masses des lecteurs des médias alternatifs qui ont «déifié » l’homme et proclamé son pays « parfait ». Encore une fois, l’intention est de rétablir la vérité sur la Russie afin que ceux qui en suivent les affaires puissent se faire une idée précise de la réalité dans laquelle elle opère. Accepter ses lacunes est essentiel pour comprendre ses limites actuelles et prévoir ainsi ses actions les plus probables à l’avenir.
Après avoir écarté ces « mises en garde » voici les messages les plus « politiquement incorrects » et « sacrilèges » que le président Poutine a transmis dans son dernier discours et qui brisent puissamment les illusions des médias alternatifs sur « l’infaillibilité » de la Russie.
Plus de procrastination
Extrait :
«Nous n’avons pas le droit de permettre qu’une situation, lorsque la stabilité a été atteinte, conduise à l’autosatisfaction, d’autant plus qu’il reste tant de problèmes non résolus (…). Il est grand temps de prendre un certain nombre de décisions difficiles qui se font attendre depuis longtemps. Nous devons nous débarrasser de tout ce qui entrave notre développement et empêche les gens de libérer pleinement leur potentiel. »
Interprétation :
La Russie tarde depuis trop longtemps à faire le nécessaire et ne peut pas se permettre plus longtemps ce gaspillage inutile. Les jours de procrastination en raison de la complaisance perçue (l’apathie, parfois liée au trait culturel russe de « avos ») sont terminés, et le pays doit le reconnaître avant qu’il ne soit trop tard.
Source: Kremlin.ru
La Russie « prend du retard »
Extrait :
« Il ne s’agit pas de conquérir ou de dévaster notre terre. Non, le danger n’est pas là. La principale menace et notre principal ennemi est le fait que nous sommes à la traîne. Si nous sommes incapables d’inverser cette tendance, nous le serons encore plus. C’est comme une maladie chronique grave qui ruine constamment l’énergie du corps et le détruit progressivement de l’intérieur. Bien souvent, le corps ne s’aperçoit pas de ce processus destructeur. »
Interprétation :
Les ennemis extérieurs ne sont plus la menace principale de la Russie, car ils seront tenus à distance par l’armée nationale et ses armes hypersoniques récemment dévoilées qui ont rétabli l’équilibre stratégique mondial. Au lieu de cela, la principale menace pour le pays est son manque de développement. La Russie n’a pas su saisir l’occasion de capitaliser sur les nouvelles tendances et, par conséquent, elle prend du retard. Si on ne corrige pas cette trajectoire, elle sera détruite avant même de savoir ce qui lui est arrivé.
La structure de l’emploi est brisée
Extrait :
« Nous devons revoir la structure de l’emploi, devenu inefficace et archaïque, proposer de bons emplois qui motivent les gens, améliorer leur bien-être et les aider à découvrir leurs talents. Nous devons créer des emplois décents et bien rémunérés. »
Interprétation :
La Russie a de manière étonnante sorti des millions de personnes de la pauvreté et réduit le chômage, mais les emplois tenus par ses citoyens ne les inspirent pas suffisamment pour réaliser leur potentiel, à la fois personnellement et économiquement. Toute la structure est cassée et doit être réformée.
Les retraités sont aussi pauvres qu’ils sont supposés l’être
Extrait :
« Nous nous efforcerons également de réduire l’écart entre le montant des pensions et les salaires des pré-retraités. »
Interprétation :
Les retraités vivent dans la pauvreté et luttent pour maintenir un niveau de vie respectable.
L’espérance de vie en Russie est encore en dessous de celui des pays du G7
Extrait :
« L’espérance de vie a augmenté de plus de sept ans et se monte actuellement à 73 ans. Mais bien sûr, ce n’est pas suffisant non plus. Aujourd’hui, nous devons nous fixer un tout nouvel objectif. D’ici la fin de la prochaine décennie, la Russie doit rejoindre avec confiance le club des pays affichant une espérance de vie de 80 ans et plus, qui comprend le Japon, la France et l’Allemagne. »
Interprétation :
Les Russes ne devraient pas se satisfaire de vivre maintenant plus longtemps que durant les chaotiques années 1990, alors que l’espérance de vie n’était que de 65 ans et que celle des hommes tombait en dessous de 60 ans, mais ils devraient aspirer à atteindre ou dépasser celle de leurs homologues du G7 s’ils veulent vraiment donner un avenir meilleur à la nouvelle génération.
Le logement est trop cher et le système est corrompu
Extrait :
« La rénovation urbaine devrait être soutenue par l’introduction de techniques et de matériaux de construction de pointe, de solutions architecturales modernes, de technologie numérique pour les services sociaux, les transports et les services publics. Entre autres choses, cela rendrait le secteur du logement plus transparent et plus efficace, de manière à ce que les gens bénéficient de services de qualité à un coût raisonnable. »
Interprétation :
Il n’est pas suffisant de construire de nouvelles et meilleures maisons pour les Russes, mais ce processus doit être plus « transparent » (un euphémisme pour « sans corruption ») et les gens ne doivent pas payer les « yeux de la tête » pour acheter une maison et utiliser les services publics. De plus, tout doit être efficace, ce qui n’est pas le cas en ce moment, sans quoi le président n’insisterait pas sur ce point.
Les bureaucrates locaux ignorent la volonté du peuple et doivent être tenus pour responsables par leurs électeurs
Extrait :
« Bien entendu, beaucoup dépendra des autorités municipales et locales, si elles seront réceptives aux idées nouvelles. La capacité de répondre aux divers besoins des différentes générations, y compris les familles avec enfants, les retraités et les personnes handicapées, sera également déterminante. La population doit avoir son mot à dire sur l’avenir de ses villes et villages. Nous en avons discuté à maintes reprises avec les dirigeants des municipalités. Aujourd’hui, je ne dis pas cela uniquement pour cocher la case. Je vous demande de le porter à l’attention des décideurs à tous les niveaux. »
Interprétation :
Le président Poutine sait qu’il n’est qu’un homme seul et que ses paroles ne peuvent pas faire grand chose dans un pays qui a hérité de l’époque communiste de millions de bureaucrates sans scrupules, dont beaucoup travaillent encore dans les structures de l’État et ont même enraciné leurs mentalités obsolètes et contreproductives dans la «culture de leur lieu de travail ». La Russie ne se développera pas et ne rattrapera pas l’Occident (et de plus en plus l’Asie) au rythme dont elle a un besoin urgent, à moins que la population ne prenne ces faits en considération en faisant plus que simplement voter. Ils doivent recourir à une pression « ascendante » lorsque cela est nécessaire.
Il n’y a pas assez de Russes propriétaires de leur propre maison
Extrait :
« Je comprends combien il est important pour chacun, pour chaque famille, d’avoir sa propre maison, son propre foyer. Je sais que c’est le problème des problèmes en Russie. Il perdure de décennie en décennie. Combien de fois les gouvernement ont promis et essayé, sincèrement essayé, de le résoudre. Mais nous pouvons et nous devons le faire maintenant (…) Je vois trois facteurs clé pour rendre le logement plus accessible. Le premier est l’augmentation des revenus des gens. J’en ai déjà parlé dans le passé et nous devons nous en assurer. Ensuite, une baisse des taux d’intérêt et, bien sûr, une augmentation de l’offre sur le marché du logement. »
Interprétation :
Les Russes, comme n’importe qui d’autre dans le monde, rêvent d’avoir leur propre foyer et de quitter leurs parents une fois qu’ils atteignent un certain âge ou se marient. C’est malheureusement très difficile à faire, surtout à Moscou et dans d’autres grandes villes en raison des coûts excessifs, de la rémunération inadéquate de leurs emplois, du dysfonctionnement du système financier et de la corruption endémique qui aggrave la situation.
Le système financier doit être réparé
Extrait :
« En décembre, le taux d’intérêt moyen en roubles est descendu pour la première fois en dessous de 10%. Nous savons bien sûr que les conditions de prêt sont individuelles et peuvent différer d’un emprunteur à l’autre. Mais nous devons continuer à réduire le taux d’intérêt à 7%-8%. Nous avons eu de longues discussions sur le chiffre que je devrais énoncer ici. Je suis sûr que le chiffre que nous devons viser devrait être 7%. Ces six prochaines années, les prêts hypothécaires doivent devenir accessibles à la majorité des familles russes, aux travailleurs et aux jeunes professionnels. »
Interprétation :
Les taux d’intérêt sont prohibitifs pour la majorité des Russes, ce qui les empêche de contracter des emprunts, ce qui a un impact négatif sur leurs habitudes de dépenses pour stimuler l’économie par le biais des achats de consommation et dans l’immobilier, par exemple. Le système financier doit donc être réparé afin de rendre les prêts plus accessibles à la population et stimuler une croissance économique stable dans le pays, car cela pourrait aider à résoudre certains des problèmes que la Russie connaît actuellement dans le logement et dans d’autres domaines.
L’impôt foncier est injuste et hors de prix
Extrait :
« Je propose aussi de réviser l’impôt foncier des particuliers. Il doit être juste et abordable. Certaines personnes, y compris celles qui sont dans cette salle, ont essayé de me convaincre que cet impôt devrait être basé sur la valeur de la propriété sur le marché. Ils m’ont dit que recourir à l’évaluation désuète du Bureau de l’inventaire technique est un anachronisme. Mais il s’est avéré en réalité que la valeur cadastrale, qui devrait être comparable à la valeur marchande, la dépassait souvent de loin. Ce n’était pas prévu dans l’accord. Et les gens ne s’attendaient pas à cela de nous. Nous devons revoir le mode de calcul de l’impôt ainsi que celui de la valeur cadastrale de la propriété. D’une manière ou d’une autre, elle ne doit pas dépasser la valeur réelle du marché. Toutes les décisions sur ce plan doivent être prises sans délai au cours du premier semestre de cette année. »
Interprétation :
Qu’il s’agisse de corruption, d’inertie bureaucratique inepte, d’inefficacité, d’incompréhension d’une loi bureaucratique complexe ou autre, l’impôt foncier que les citoyens doivent payer est évidemment excessif et ne correspond pas à la valeur marchande du bien. Cela a provoqué beaucoup de frustration parmi la population et de ressentiment envers les autorités, sapant la confiance du public dans l’État. Si la Russie veut développer et élargir son marché du logement en le rendant plus accessible à la personne moyenne, elle doit également améliorer également cette question.
Les conditions de circulation sur les routes locales sont « complètement inacceptables »
Extrait :
« Nous avons restructuré les routes fédérales. Maintenant, nous devons moderniser les routes régionales et locales. Je ne parlerai pas des chiffres ici, mais je les connais. C’est un fait que les routes fédérales ont été en grande partie rénovées. La situation est un peu moins bonne pour les routes régionales et elle est totalement inacceptable pour les routes locales. »
Interprétation :
La connectivité est l’un des mots à la mode du XXIe siècle et si la refonte des routes fédérales par la Russie lui permettra de relier plus efficacement l’Europe occidentale à l’Asie de l’Est, la situation des routes régionales et locales est encore problématique. Ces dernières laissent en effet beaucoup à désirer, ce que le président Poutine considère comme « totalement inacceptable » et qui doit être traité le plus rapidement possible.
Les liaisons aériennes intérieures doivent être améliorées
Extrait :
« Nous rénoverons et étendrons le réseau d’aéroports régionaux dans toute la Russie. Dans six ans, la moitié des régions seront reliées les unes aux autres par des vols directs. La situation où il fallait prendre une correspondance à Moscou lorsqu’on voulait se rendre dans une région voisine appartiendra au passé. Nous y travaillons déjà. »
Interprétation :
Aussi surprenant que cela puisse paraître, le président Poutine a raison : parfois les Russes doivent d’abord s’envoler vers Moscou pour se rendre dans une région voisine, ce qui peut sembler absurde mais reflète la réalité de la situation actuelle. Le gouvernement fait des progrès dans l’amélioration de cette situation, mais cela reste une situation très consommatrice de temps.
Le risque de stagnation des salaires publics
Extrait :
« Nous ne devons pas perdre les positions que nous avons déjà atteintes. Je me réfère au niveau des salaires. Les salaires du secteur public doivent continuer à augmenter, ainsi que la qualité du travail et les compétences des personnes travaillant dans la santé, l’enseignement et d’autres domaines qui définissent le bien-être de la population. »
Interprétation :
Le président Poutine craint que les salaires publics ne stagnent, entravant ainsi la croissance du pays en privant ses employés publics de l’incitation dont la plupart des gens ont besoin pour améliorer la qualité de leur travail et de leurs compétences. Bien que non déclarée, la solution consiste pour l’État à engager plus d’argent dans cette sphère.
Certains changements administratifs dans les hôpitaux ont été désastreux
Extrait :
« Ces dernières années, nous avons optimisé le réseau hospitalier du pays. Cela a été fait pour proposer un système de soins efficace. Cependant, dans certains cas, je dois le dire aujourd’hui, trop de changements administratifs ont été introduits : des hôpitaux dans de petites villes et villages ont été fermés. Personne n’a proposé une alternative, et les gens ont été abandonnés pratiquement sans aide médicale. Le seul conseil qu’on leur donnait était : ‘Allez en ville pour recevoir un traitement’. Je dois dire que c’est inacceptable. Ils ont oublié l’essentiel : les gens, leurs intérêts et leurs besoins, des chances égales et la justice. »
Interprétation :
Presque aussi incroyable que de devoir parfois parcourir la moitié du pays en passant par Moscou pour atteindre une région russe voisine est le fait que certaines petites villes et villages n’ont pas d’hôpital. Les habitants sont au contraire forcés de se rendre ailleurs pour recevoir des soins de santé, et les autorités locales se moquent soigneusement de leur sort. Comme l’a dit le président Poutine, « c’est inacceptable » et cela va de pair avec son appel à ce que les gens demandent des comptes aux bureaucrates au-delà de la saison électorale.
Les défis environnementaux persistent toujours
Extrait :
« Nous avons renforcé les exigences environnementales pour les entreprises, ce qui devrait réduire la pollution industrielle. À partir de 2019, 300 entreprises industrielles ayant un impact négatif sur l’environnement devront se convertir aux meilleures technologies respectueuses de l’environnement disponibles et toutes les entreprises à haut risque environnemental devront le faire à partir de 2021. Nous nous sommes attaqués de nombreuses fois à ce problème, et chaque fois nos entreprises se plaignaient des difficultés que cela entraînait. Maintenant, il n’y a plus de retour en arrière. Je veux que tout le monde sache que nous ne retarderons plus ce programme plus longtemps. »
Interprétation :
La pollution est un problème en Russie, et le gouvernement semble avoir déjà cédé à la pression des entreprises en retardant l’application de diverses exigences. Cela ne se produira plus, et le président Poutine a clairement fait savoir qu’il était sérieux quant à l’application de nouvelles normes et sur la garantie qu’elles soient respectées à temps. Cela pourrait même être un message oblique à « l’oligarchie » qui exerce une énorme influence dans ce domaine.
Tout le monde n’a pas un accès fiable à l’eau potable
Extrait :
« Nous devons sérieusement améliorer la qualité de l’eau potable. Dans certaines petites villes, l’eau n’est accessible que quelques heures par jour. Nous devons utiliser les technologies de l’industrie de la défense pour régler ces problèmes. »
Interprétation :
Cela pourrait choquer certaines personnes, mais le fait est qu’une partie (vraisemblablement petite) des Russes n’a pas un accès fiable à l’eau potable, un problème associé de manière caricaturale aux pays de « l’hémisphère Sud ».
La naturalisation doit être plus facile à obtenir
Extrait :
« Je propose également de créer les conditions les plus confortables et les plus attrayantes pour que les jeunes gens talentueux issus d’autres pays puissent aussi s’inscrire dans nos universités. Ils viennent déjà étudier ici. Mais nous devons également créer les conditions pour que les meilleurs diplômés étrangers de nos universités travaillent en Russie. Cela s’applique pleinement aux scientifiques et aux spécialistes qualifiés étrangers. Je pense que nous devons sérieusement améliorer la procédure d’octroi de la nationalité russe. L’accent devrait être mis sur les ressortissants étrangers dont la Russie a besoin : des jeunes, en bonne santé et instruits. Pour eux, nous devons créer un système simplifié pour obtenir la nationalité russe. »
Interprétation :
La Russie a l’une des politiques migratoires les plus strictes au monde, ce qui l’a malheureusement empêchée de tirer profit des énormes talents étrangers qui arrivent chaque année dans le pays pour apprendre. Une fois que ces étudiants obtiennent leur diplôme, ils quittent la Russie pour la plupart et n’ont jamais l’occasion de revenir à moins d’avoir un visa touristique, ce qui est dommage pour ceux qui aiment sincèrement notre pays et veulent s’y installer. L’une des raisons pour lesquelles l’Occident a si bien réussi par le passé est qu’il a été capable d’intégrer avec souplesse les experts étrangers en leur offrant la citoyenneté, ce que la Russie a finalement compris qu’elle devait aussi faire.
La productivité du travail est toujours à la traîne
Extrait :
« Tout d’abord, il est important d’augmenter la productivité de la main-d’œuvre sur une nouvelle base technologique, gestionnaire et personnelle. Nous accusons toujours un retard important par rapport à cet indicateur. Il est nécessaire de faire en sorte que la productivité du travail dans les moyennes et grandes entreprises des industries de base, telles que la fabrication, la construction, les transports, l’agriculture et le commerce, augmente d’au moins 5% par an, ce qui nous mettra niveau des principales économies mondiales d’ici la fin de la prochaine décennie. »
Interprétation :
La transition de la Russie de sa dépendance ancienne aux exportations d’énergie vers une économie du secteur réel plus durable a déjà fait des progrès phénoménaux, mais son développement complet prendra encore un certain temps. Il est absolument impératif que le pays améliore sa productivité pour devenir compétitif avec les principales économies du monde et qu’il le reste, sinon il continuera à être à la traîne et à saper la vision globale du président Poutine d’une réforme socio-économique à la Trump en Russie.
L’économie de la Russie post-soviétique est encore trop contrôlée par l’État
Extrait :
« L’État doit progressivement réduire sa part dans l’économie. À cet égard, il convient de noter que celui-ci a repris un certain nombre d’actifs financiers dans le but de relancer le secteur bancaire. Ces initiatives vont dans la bonne direction et ont mon soutien. Cela dit, ces actifs doivent être mis sur le marché et vendus sans délai. »
Interprétation :
La Russie doit ouvrir son économie à l’investissement privé et permettre aux hommes d’affaires d’exercer plus d’influence sur la dynamique globale du pays. L’État a déjà fourni un soutien au secteur financier, mais il est temps que le gouvernement abandonne son contrôle sur ces actifs et les vende sur le marché libre dès que possible. Pour faire simple, l’économie russe doit être libéralisée plus tôt que plus tard.
Les fonctionnaires et les policiers corrompus intimident le monde des affaires
Extrait :
« Nous devons nous débarrasser de tout ce qui permet aux fonctionnaires corrompus et aux forces de l’ordre de faire pression sur les entreprises. Le Code pénal ne devrait pas servir d’outil de règlement des différends corporatifs. Ceux-ci devraient être soumis aux tribunaux administratifs et d’arbitrage. »
Interprétation :
En aucun cas, les fonctionnaires corrompus et les flics ne devraient abuser de la loi, surtout quand cela freine le développement économique. Cela crée un terrible précédent et est complètement contraire à tout ce que défend le président Poutine. La Russie ne peut améliorer sa position internationale à moins que cela ne change.
Les normes juridiques à double standard doivent disparaître
Extrait :
« En même temps, le droit pénal devrait être strictement appliqué dans le cas d’infractions portant atteinte aux intérêts des citoyens ou de la société, ou violant les libertés économiques. Je veux parler des infractions contre les biens et avoirs détenus par les citoyens, des prises de contrôle illégales, des violations du droit de la concurrence, de l’évasion fiscale et du détournement de fonds publics. »
Interprétation :
La corruption ronge l’efficacité de la Russie et lui coûte également des sommes d’argent incalculables qui pourraient autrement être investies dans l’économie pour le bénéfice de tous. Personne ne devrait jamais être au-dessus de la loi, mais malheureusement, certaines personnes l’ont été depuis un bon moment maintenant et c’est un problème si répandu que le président Poutine a utilisé cette tribune nationale pour y remédier.
Le gouvernement pourrait faire « beaucoup plus »pour aider les entreprises
Extrait :
« Maintenant, je voudrais m’adresser à tous les représentants des entreprises russes, ceux qui dirigent leur propre petite entreprise, une entreprise familiale ou une ferme, une entreprise innovante ou une grande entreprise industrielle. Je sais, je sais que nous avons encore beaucoup à faire. »
Interprétation :
L’un des thèmes principaux du président Poutine dans son discours a été de souligner que le gouvernement a finalement entendu les plaintes des citoyens et répondra à leurs problèmes. Les insuffisances structurelles qui ont retenu la Russie depuis l’indépendance ne pourront pas persister.
Certains fonctionnaires du gouvernement sont peu concernés et inefficaces
Extrait :
« Les fonctionnaires de tous les niveaux devraient être intéressés à améliorer leur efficacité et à se concentrer uniquement sur l’obtention de résultats concrets (…). Cette ligne de pensée devrait être utilisée pour reconstruire le système de service public, le cas échéant, et pour introduire des méthodes de travail par projet. »
Interprétation :
Le président Poutine a déclaré avec audace ce qu’aucun autre officiel n’oserait dire en public. Une partie du service public doit être « reconstruite » parce qu’elle est irrémédiablement déficiente. À cette fin, comme l’a suggéré le dirigeant russe, les fonctionnaires doivent absolument être plus concernés et plus efficaces.
Réflexions finales
Tous les messages ci-dessus, extraits et interprétations, donnent un aperçu brut de la situation réelle en Russie aujourd’hui, qui est celle d’une grande puissance qui monte, mais qui a néanmoins été freinée par de nombreuses difficultés intérieures dont certaines sont systémiques. Mais le président russe reconnaît finalement ce qui doit changer de toute urgence pour rattraper ses concurrents et réussir. Aucun des points soulevés ne devrait être un moyen de dénigrer la Russie, et personne ne devrait les exagérer pour adapter un récit décontextualisé sur son niveau de développement socio-économique, institutionnel et infrastructurel. Cependant, ces « faits gênants » ne devraient pas non plus être exclus de toute analyse objective sur le pays et ses capacités, car leur absence empêche les gens de trouver les solutions appropriées pour les corriger.
La Russie a parcouru un long chemin depuis 1991, mais elle a encore du chemin à faire, comme l’a souligné le président Poutine, et c’est justement à cause de son « incorrection politique » pour faire ressortir les problèmes de son pays qu’il est le mieux placé pour les affronter. Son exemple frappant, en abordant sans crainte les problèmes de la Russie, devrait servir d’exemple parfait à tous ses amis internationaux qu’il est tout à fait acceptable de critiquer de manière constructive le pays tant que ses intentions sont d’identifier ce qui ne va pas pour le réparer. Surmonter les différentes imperfections afin de faire avancer un récit hostile est inacceptable et manipulateur, mais si les médias alternatifs aspirent sincèrement à refléter exactement le véritable état des choses en Russie aujourd’hui, alors ils doivent inévitablement aborder ce sujet de façon mesurée et respectueuse.
Andrew Korybkoest le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographieGuerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride. Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.
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Une tragique actualité montre bien le travail à accomplir
Note du Saker Francophone
Décidément cet auteur est surprenant de sagesse et de recul. Même s'il a des accents libéraux dans son analyse sans soulever les dangers de prise de contrôle du pays par le fait économique, au détour d'une libéralisation économique mal maîtrisée, il est évident que la Russie a de la marge. Ce n'est pas non plus un facteur limitant car la mise aux normes d'un pays ayant un certain retard peut être une belle occasion de faire un saut qualitatif. C'est l'Allemagne que l'on sent baver devant le gâteau, mais pour l'instant le maitre atlantiste a dit « Au pied ».