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vendredi 22 novembre 2024

Les éditions papier et numérique viennent de sortir:Pourquoi les Gaulois ont ils peur que l’islam leur tombe sur la tête?

 vous trouverez sur Amazon un livre papier (10 euros ) intitulé »Pourquoi les Gaulois ont ils peur que l’islam leur tombe sur la tête ».

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Je tente une approche historique et géopolitique de la situation actuelle.
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résumé

La France s’ethnicise. Plus le monde politico – médiatique donne des leçons de morale plus la société se fracture et se racialise. Les catégories populaires et moyennes se sentent abandonnées par  les politiques  et quelles que soient leurs origines elles se regroupent autour d’un mode de vie et  d’un ressenti commun. Les Néo Gaulois se sentent menacés, ils ne  votent plus ou votent mal. Plus les partis de gouvernement  stigmatisent leurs comportements, plus les Néo Gaulois se sentent trahis.

Les apprentis sorciers construisent de toutes pièces une autre ethnie, celle  des « musulmans ». Le terme  correspond de moins en moins aux pratiquants d’une religion, de moins en moins à des immigrés. Les Néo Musulmans  sont nés  en France, ne connaissent pas tous l’islam, ils construisent leur identité sur des   signes  culturels visibles, un mode de vie différent et surtout   le refus  de l’acculturation.

Dans  un contexte de crise économique et sociale qui a fragilisé  l’ancien  modèle français d’intégration, une géopolitique brouillonne et des invectives bien pensantes ne font qu’aggraver la fracture.

Les attentats sont à la fois la conséquence de la décomposition de la France et de guerres extérieures incohérentes. L’islamisme radical n’a rien d’une dérive sectaire, c’est une maladie de l’islam comme le nationalisme est une maladie de la nation. On ne peut étudier l’islamisme sans parler de l’islam.

Plus du quart des radicalisés sont nés dans des familles chrétiennes ou sans le moindre lien avec l’immigration, le mal français n’est pas une dérive sectaire, c’est une maladie de la France. Nous devrons donc parler de la France.

Le but de ce dossier sans complaisance est d’interpeller  les  responsables avant qu’il ne soit trop tard car « partout se fait sentir la nécessité d’une réflexion sereine et globale sur la meilleure manière d’apprivoiser la bête identitaire » (Amin Maalouf).

BookCoverPreview


lundi 12 février 2024

Deux drames absolus, parmi tant d'autres, et un traitement médiatique on ne peut plus inégal... Qu'est devenu le métier de journaliste ??

Aylan, mort sur une plage turque le 2 septembre 2015 révèle le drame des migrants. 

Qui était Aylan Kurdi, le petit Syrien retrouvé mort sur une plage de  Turquie ?


La photo de cette mère palestinienne et de son enfant mourant, venant d'être abattus par un sniper israélien ce 11 février 2024, révèle le drame de la guerre.

mercredi 26 septembre 2018

La «crise des migrants» et le poids des structures / The " crisis of the migrants " and the weight of the structures


La «crise des migrants» et le poids des structures  © Jon Nazca Source: Reuters
Illustration : Un migrant à Malaga

Alors que la crise migratoire est toujours l'objet de vives dissensions au sein de l'Union européenne, Bruno Guigue en décortique les mécanismes et dénonce l'hypocrisie des partisans de l'accueil des migrants comme celle de ses opposants.
Ce qu’il est convenu d’appeler «la crise des migrants» est un phénomène à multiples facettes, mais il est rarement étudié en profondeur. Le commentaire dominant décrit les flux de population et les dilemmes qu’ils entraînent, mais on se garde bien d’indiquer la puissance des mécanismes qui les produisent. On préfère commenter la conjoncture plutôt qu’analyser les structures. Comme s’il fallait enfouir sa tête dans le sable, le rapport de causalité entre pauvreté et migration est le parent pauvre d’une couverture médiatique de la crise qui privilégie les querelles franco-françaises entre «mondialistes» et «populistes». Si l’on prend la peine de s’y attarder, pourtant, on voit que cette crise résulte d’un état du monde dont les pays riches sont bénéficiaires, qu’elle est l’effet visible de l’échange inégal et qu’on n’y comprend rien si l’on ignore le poids des structures.

Pour commencer l’analyse, on peut partir d’un paradoxe : curieusement, ceux qui s’indignent de «l’invasion migratoire» sur le sol français ne voient aucun inconvénient à ce que la France soit présente militairement dans onze pays africains et que ses entreprises y fassent la pluie et le beau temps. Cette attitude a quelque chose de fascinant, parce qu’elle traduit une vision du monde où certains jouissent de privilèges dont on se demande s’ils sont déterminés par la race, le climat ou la latitude. Les relations entre la France et ses anciennes colonies africaines, en effet, n’ont rien d’une collaboration idyllique entre des nations souveraines, et l’histoire coloniale a tissé un réseau de dépendances dont les Africains se seraient volontiers passés si on leur avait demandé leur avis avant de les coloniser.
Parce qu’elles relèvent des structures, ces dépendances multiples, contrairement à une certaine doxa néocoloniale, s’exercent toujours au présent. Leur principal effet est de vider de sa substance l’indépendance nationale chèrement acquise lors des combats de la décolonisation. Un pays dont le PIB est inférieur au chiffre d’affaires d’une entreprise française, par exemple, jouit d’une souveraineté nominale, et non d’une souveraineté réelle. Et lorsqu'il faut négocier un contrat d’exploitation minière, l’ancienne métropole exerce une influence exorbitante sur les décisions politiques locales. La France défend ses intérêts, dira-t-on, et c’est bien naturel. Mais la question se pose de savoir si l’influence française est respectueuse des intérêts de ses partenaires. Edouard Philippe en sait quelque chose. Le contrat entre le consortium nucléaire Areva et le gouvernement du Niger a été signé alors qu’il était responsable des relations publiques du groupe. Jugé scandaleusement léonin – au profit d’Areva –, cet accord fut dénoncé par de nombreuses organisations nigériennes et il contribua à l’effervescence qui conduisit à une nouvelle révolte touareg en 2012 dans toute la région sahélienne.
En théorie, la présence militaire française était censée juguler la terreur. Dans les faits, elle a progressé au même rythme, l’une justifiant l’autre
Cette révolte provoqua la décomposition du pouvoir malien jusqu’à un coup d’Etat militaire qui fut le prélude à l’intervention militaire de la France dans le cadre de l’opération Serval, en janvier 2013. Depuis cette date, la présence militaire française au Sahel a généré deux effets pervers : le discrédit de gouvernements locaux incapables d’assurer la sécurité des populations et la croissance exponentielle des attentats terroristes dans toute la région. En théorie, la présence militaire française était censée juguler la terreur. Dans les faits, elle a progressé au même rythme, l’une justifiant l’autre. C’est pourquoi de nombreux Africains se demandent, à juste titre, si l’intervention de la France n’est pas le problème au lieu d’être la solution, et si la terreur n’est pas un alibi justifiant une présence armée qui coïncide étrangement avec de solides intérêts miniers.
Bref, les discours officiels ont beau répéter qu’on n’est plus au temps des colonies, il y a davantage de militaires français en Afrique en 2018 qu’au lendemain des indépendances en 1960. Ce retour à une situation quasi-coloniale passe comme une lettre à la poste dans l’Hexagone. Sa coïncidence avec la crise des migrants a pourtant de quoi laisser perplexe, d’autant qu’elle s’accompagne d’une singulière corrélation que personne n’a relevée : les pays d’Afrique aujourd’hui les plus pauvres sont ceux où l’armée française est la plus présente. Actuellement, la France mène des opérations militaires dans quatre pays africains : le Mali, le Niger, le Tchad et la République centrafricaine. Or trois de ces pays ont l’indice de développement humain (IDH) le plus faible du continent. Il s’élève à 0,352 pour la Centrafrique, 0,353 pour le Niger et 0,396 pour le Tchad. Quant au Mali, avec 0,442, son IDH est supérieur à celui des pays précités, mais il est largement inférieur à celui de la plupart des pays africains.
Les pays africains de l’aire francophone qui ne parviennent pas à décoller, manifestement, sont le terrain de jeu d’une puissance néo-coloniale qui les maintient dans la dépendance et corrompt leurs dirigeants pour en exploiter les ressources minières
On rappellera que l’indice du développement humain est un indice synthétique combinant le PIB par habitant, le taux de scolarisation et l’espérance de vie. Inventé pour l’ONU par l’économiste indien Amartya Sen, il permet de mesurer le niveau de développement global d’un pays. A titre d’exemple, l’IDH le plus élevé du continent africain est celui de l’Algérie (0,745), pays qui a conquis sa souveraineté de haute lutte en affrontant l’armée française durant la guerre de libération (1954-1962). A l’opposé, le pays ayant l’IDH le plus faible (0,352) est la République centrafricaine, où l’armée française est omniprésente. Même si la corrélation est frappante, la présence des troupes françaises n’explique pas la pauvreté. Mais les pays africains de l’aire francophone qui ne parviennent pas à décoller, manifestement, sont le terrain de jeu d’une puissance néo-coloniale qui les maintient dans la dépendance et corrompt leurs dirigeants pour en exploiter les ressources minières. La présence militaire française est à la fois le symbole de cette dépendance et l’instrument de sa perpétuation.
Prétendre que les troupes françaises stationnent dans les pays du Sahel pour des motifs chevaleresques – «sauver la démocratie» ou «endiguer l’obscurantisme» – est parfaitement risible
Les adversaires de l’accueil des migrants en France – et en Europe – soulignent que ces demandeurs d’asile n’ont rien de réfugiés politiques et qu’ils fuient la misère. Ce n’est pas faux, mais il faut ajouter que la politique des pays européens – dont la France – n’est pas étrangère à cette misère. On sait depuis les travaux du regretté Samir Amin combien les mécanismes de l’échange inégal forgés sous la colonisation ont été cyniquement perpétués au lendemain des indépendances. Qu’il s’agisse de l’extraversion de l’économie des pays du sud – vouée à la mono-exportation de matières premières ou de denrées agricoles – ou de la soumission des Etats au joug impitoyable de la dette publique – dénoncée avec justesse par Thomas Sankara – , ces mécanismes mortifères n’ont pas disparu. Au contraire, ils se sont amplifiés et raffinés avec le temps. Pour le monde développé – et pour la France qui a préservé en Afrique son «pré carré» –, la Côte d’Ivoire est un réservoir de cacao et le Niger un réservoir d’uranium. Le prix de ces marchandises est fixé par les rapports de force internationaux – les fameuses «lois du marché» –, et non par la philanthropie des puissances occidentales, encore moins par les autorités des deux Etats concernés.
Prétendre que les troupes françaises stationnent dans les pays du Sahel pour des motifs chevaleresques – «sauver la démocratie» ou «endiguer l’obscurantisme» – est parfaitement risible. Les dirigeants français se soucient fort peu du sort des milliers d’enfants africains contraints de travailler dans les plantations de cacao pour des planteurs pris à la gorge par des négociants qui imposent, à leur tour, les tarifs exigés par les trois multinationales qui se partagent le marché mondial du chocolat. Ils ne s’inquiètent pas davantage des équilibres fragiles de la société sahélienne où l’exploitation éhontée des gisements d’uranium sur des territoires utilisés par les Touaregs a jeté les ferments de la guerre civile, sans parler des effets catastrophiques de la destruction délibérée de l’État libyen. Les structures de l’échange inégal pèsent sur les populations africaines comme une damnation et les poussent à l’exil pour échapper à la misère. Et c’est en refusant de voir cette réalité aveuglante, en ignorant ce poids des structures héritées de l’ère coloniale, qu’on s’interdit de comprendre les ressorts économiques de la crise des migrants.
En France, ceux qui s’affligent de cet exode massif portent eux-mêmes la responsabilité de l’ingérence qui en est la cause
Le drame, c’est que ces ressorts économiques, hélas, ne sont pas les seuls. Non seulement les pays du sud subissent les termes de l’échange inégal, mais ils font les frais de l’ingérence étrangère. Le cas le plus flagrant est la Syrie, où une guerre par procuration est orchestrée par les puissances occidentales alliées aux pétromonarchies du Golfe. Avant la guerre, la Syrie était un pays autosuffisant sur le plan alimentaire et en voie d’industrialisation, avec une population éduquée et bénéficiant d’un système de santé moderne. La «stratégie du chaos» y a importé des hordes de mercenaires dont le gouvernement syrien, au bout de huit ans de guerre (2011-2018), parvient à peine à se débarrasser. Destinée à abattre un Etat qui refusait d’obéir, l’intervention impérialiste a condamné à l’exil cinq millions de personnes. En France, ceux qui s’affligent de cet exode massif portent eux-mêmes la responsabilité de l’ingérence qui en est la cause. Avec des variantes, bien entendu : à droite, on s’indigne de l’invasion migratoire ; à gauche, on fait vibrer la corde humanitaire.
Mais la Syrie n’est pas un cas isolé. Les pays où menace la famine sont ceux d’où proviennent la plupart des réfugiés. Or la faim n’est pas une fatalité qui pèserait sur des contrées abandonnées des dieux. Dressée par l’ONU, la liste des pays où la situation alimentaire est la plus critique parle d’elle-même : le Yémen, le Nigéria, le Sud-Soudan. Dans ces pays, c’est l’intervention étrangère qui a provoqué le chaos. La guerre civile et le terrorisme y ont ruiné les structures étatiques, banalisant une violence endémique et provoquant l’exode des populations. Au Yémen, l’agression saoudienne sponsorisée par l’Occident a fait 10 000 morts depuis mars 2015. Elle a déclenché une monstrueuse épidémie de choléra et elle menace de famine 8 millions de personnes. Ce désastre humanitaire sans précédent n’a rien d’une catastrophe naturelle : comme le drame syrien, c’est une co-production des puissances occidentales et des pétromonarchies du Golfe.
L’embargo, c’est l’arme des riches contre les pauvres, l’instrument cynique des pays développés qui interdisent aux autres de se développer à leur tour en les coupant des circuits commerciaux et financiers internationaux
Au Nigéria, la situation chaotique dans laquelle est plongé le nord-est du pays gangrène toute la région. Des millions de personnes, fuyant les violences du groupe Boko Haram, s’entassent dans des camps de réfugiés. Alimenté par la propagande saoudienne, le terrorisme défie cet Etat, le plus peuplé du continent, qui comptera 440 millions d’habitants en 2050. Depuis la calamiteuse destruction de la Libye par l’OTAN, l’Afrique sub-saharienne - incluant le Mali, le Niger, le Tchad et la République centrafricaine - est le terrain de chasse préféré des djihadistes. Au Sud-Soudan, la proclamation de l’indépendance, en 2011, a débouché sur une guerre civile où deux camps rivaux se disputent le contrôle des richesses énergétiques. Cet Etat sécessionniste enclavé, coupé du Nord auquel l’opposa une interminable guerre civile, est le fruit de la stratégie américaine dans la région. Cette création artificielle visait à contrecarrer l’influence du Soudan, inscrit  par Washington sur la liste des «Etats voyous». Aujourd’hui, le Sud-Soudan est un champ de ruines : des dizaines de milliers de morts, trois millions de réfugiés, cinq millions de personnes qui souffrent de malnutrition.
Il suffit de regarder une carte pour voir que l’exode des miséreux de la planète est le fruit amer des politiques occidentales
Pour compléter ce sinistre tableau, il faudrait ajouter, bien entendu, le résultat catastrophique des invasions de la Somalie (1992), de l’Afghanistan (2001) et de l’Irak (2003) par les troupes de l’oncle Sam, avec leur moisson de massacres et de destructions à grande échelle au nom de la «démocratie» et des «droits l’homme». Il faudrait aussi dresser le bilan des embargos meurtriers décrétés par un Occident vassalisé par Washington contre des pays qui refusent de lui obéir, de Cuba à l’Irak, de la Syrie à l’Iran et au Vénézuéla. L’embargo, c’est l’arme des riches contre les pauvres, l’instrument cynique des pays développés qui interdisent aux autres de se développer à leur tour en les coupant des circuits commerciaux et financiers internationaux. Avec la destruction par voie militaire et la déstabilisation par la terreur importée, l’étranglement économique par l’embargo est la troisième arme figurant dans la panoplie de l’ingérence occidentale. Les milliers de Vénézuéliens qui fuient aujourd’hui leur pays agressé par les puissances occidentales avec la complicité de la bourgeoisie locale sont les dernières en date des victimes de cette guerre économique menée par les dirigeants des pays riches contre les populations des pays pauvres.
Il suffit de regarder une carte pour voir que l’exode des miséreux de la planète est le fruit amer des politiques occidentales. La «crise des migrants» dont se repaissent les médias est une co-production à laquelle participent trois séries d’acteurs : les prédateurs néo-coloniaux des pays d’accueil, les élites corrompues des pays d’origine et les mafias esclavagistes des pays de transit. Aucune explication mono-causale ne pourra exonérer les uns ou les autres de leur responsabilité. Mais tant que sévira l’échange inégal, le poids des structures contribuera à creuser l’écart entre les riches et les pauvres. On préfère généralement ignorer la partie immergée de l’iceberg, mais il serait temps de s’y intéresser. Les migrants sont les laissés-pour-compte d’un monde inégal, et la seule solution au problème est de faire en sorte qu’il le soit de moins en moins. La crise migratoire est un signal d’alarme. Elle rappelle l’urgence du développement pour des pays qui sont à la traîne parce qu’ils sont mal gouvernés, parce que les pays riches en pillent les ressources et parce qu’ils n’exercent qu’une souveraineté factice. La Chine, l’Inde, de nombreux pays d’Asie s’en sortent, au contraire, parce qu’ils ont rompu les chaînes de la dépendance.
En Europe, ni le rejet des migrants dont une certaine droite a fait son fonds de commerce, ni leur accueil à bras ouverts revendiqué par la gauche humanitaire ne constituent une solution au problème. L’idéologie identitaire et l’idéologie humanitaire sont les deux faces du dieu Janus, et elles expriment un aveuglement gémellaire. Elles se confortent mutuellement, nourrissant une surenchère stérile qui conduit tout le monde dans l’impasse. L’affrontement médiatique entre «mondialistes» et «populistes» est un théâtre d’ombres destiné à masquer les véritables enjeux de la crise et à occulter le poids des structures. Les identitaires ignorent les causes de l’inégalité du monde, tandis que les humanitaires ne voient pas qu’ils se contentent d’en gérer les effets. Or une addition de vues partielles permet rarement d’y voir clair, et il est vraiment urgent de dépasser cette fausse alternative.
 Le patronat allemand se réjouit de l’arrivée d’une main d’œuvre malléable qui constitue, selon la formule de Marx, «l’armée de réserve du capital»
Contre ce double aveuglement, il faut rappeler la formule de Spinoza : «Ni rire, ni pleurer, mais comprendre.» Pas plus que l’égoïsme, la compassion ne fait comprendre ce qui se déroule sous nos yeux. Stimulée par l’aiguillon de la misère, l’immigration de masse n’est dans l’intérêt de personne. Ce n’est ni une chance ni une calamité, mais un problème dont le Nord et le sud sont co-responsables, et qu’il faut affronter en cessant d’en ignorer les causes. La question du sauvetage des naufragés ne devrait même pas se poser, tant la réponse est évidente. Mais l’éthique de la responsabilité doit relayer l’éthique de la conviction. La meilleure chose qu’on puisse souhaiter à ceux qui traversent la Méditerranée en cédant au mirage occidental est de contribuer au développement de leur pays. On sait très bien quels intérêts sert le discours sans-frontiériste : ceux qui exigent l’accueil massif des migrants entendent bénéficier grassement de l’échange inégal avec les pays du sud. Le patronat allemand, pour ne citer que lui, se réjouit de l’arrivée d’une main d’œuvre malléable qui constitue, selon la formule de Marx, «l’armée de réserve du capital».
Non que la société idéale soit une société close et que la fermeture des frontières soit une solution au problème. Mais la souveraineté ne se monnaye pas. L’aspiration d’un Etat à conserver le contrôle de ses frontières est parfaitement légitime, et c’est d’ailleurs ce que font tous les Etats, sauf ceux de l’Union européenne qui ont accepté dans le cadre de «l’espace Schengen» de repousser ce contrôle aux frontières extérieures de l’Union –  contradiction aujourd’hui devenue explosive, et dont il n’est pas sûr que l’UE sorte indemne. On ne peut s’en tirer à bon compte en stigmatisant ceux qui, en Italie ou en Hongrie, ont décidé de restreindre l’accès au territoire national. Comme disait Aristote, «on ne va pas tout de même pas délibérer pour administrer les affaires des Scythes», ce peuple lointain à qui les Grecs auraient trouvé ridicule de vouloir imposer quoi que ce soit. Lorsqu’on est pour la souveraineté, il faut l’être jusqu’au bout, et admettre qu’un Etat décide de ses affaires à sa façon, même si ce n’est pas la nôtre. Que chacun assume ses responsabilités, et les vaches seront bien gardées. Ce n’est pas l’Italie qui a décidé de détruire la Libye, ni de soutenir les terroristes en Syrie. La crise des migrants est le miroir des turpitudes occidentales, mais il faut reconnaître que Paris, Londres et Washington se taillent la part du lion. «Nos guerres, leurs morts», dit-on, et ce n’est pas faux. «Nos guerres, leurs réfugiés», faudrait-il ajouter. Ou mieux encore : «Nos guerres, nos réfugiés», car c’est chez nous qu’ils viennent dans le vain espoir d’un avenir meilleur.

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

source : https://francais.rt.com/opinions/54120-crise-migrants-poids-structures-bruno-guigue

vendredi 21 septembre 2018

Plaidoyer de Jacques Nikonoff pour la démondialisation et le retour à la démocratie / Jacques Nikonoff's plea for the deglobalization and the return in the democracy

Intellectuel militant longtemps à gauche, passé par Wall Street, il s’engage maintenant pour la démondialisation et le Frexit. à la tête du Pardem, Jacques Nikonoff a d’ailleurs tenté de se présenter comme candidat à l’élection présidentielle en 2017. Voici son histoire. Un portrait de Jacques Nikonoff par Jean-Baptiste Mendes.





Jacques Nikonoff interview Jacques Sapir en 2016... un contenu toujours d'actualité. 


lundi 3 septembre 2018

La «Mélenchon allemande» va lancer un mouvement de gauche opposé à l'immigration / " German Mélenchon " is going to launch a left movement opposed to the immigration


La «Mélenchon allemande» va lancer un mouvement de gauche opposé à l'immigration© Reinhard Krause Source: Reuters
Sahra Wagenknecht du parti de gauche allemand Die Linke lors d'un entretien avec Reuters à Berlin, en Allemagne, le 7 septembre 2017.

Pour lutter contre l'extrême droite, le leader du groupe de gauche radicale au Parlement allemand a trouvé un moyen original : investir son terrain idéologique. Elle lance ainsi un mouvement visant entre autres à durcir la politique migratoire.
Sahra Wagenknecht, la co-présidente du groupe parlementaire de la gauche radicale allemande vient de faire une annonce qui a de quoi surprendre. Pour réduire l’influence du parti de droite radicale Alternative für Deutschland (AfD), première force d’opposition au Bundestag, la femme politique, résolument de gauche, compte aller chasser sur les terres de l'AfD. Elle va à cet effet lancer le 4 septembre un mouvement pour tenter de rassembler sa famille politique, tout en durcissant les positions traditionnelles de cette dernière sur la question de l’asile. Son futur mouvement dénommé Aufstehen qui signifie «Debout» ou «Réveil» va donc tenter de mobiliser très à gauche, mais en changeant de cap sur le thème de la politique migratoire qui bouleverse le paysage politique allemand depuis 2015 avec l'arrivée de plus d'un million de migrants, facilitée par la chancelière Angela Merkel.

Outre les grands thèmes sociaux chers à sa famille politique, Sahra Wagenknecht veut en effet «mettre la pression» sur les partis de gauche pour qu’ils engagent une «autre politique migratoire», selon ses termes. Elle veut en finir avec la «bonne conscience de gauche sur la culture de l’accueil» et ces «responsables [politiques] vivant loin des familles modestes qui se battent pour défendre leur part du gâteau». «Une frontière ouverte à tous, c’est naïf. Ce n’est surtout pas une politique de gauche», insiste-t-elle. Les milliards dépensés par le gouvernement pour accueillir les demandeurs d’asile en 2015 «auraient pu aider beaucoup plus de nécessiteux en Allemagne», selon la dirigeante politique. «Plus de migrants économiques signifie plus de concurrence pour décrocher des jobs dans le secteur des bas salaires. Le nombre de logements sociaux n’est pas non plus illimité», estime-t-elle encore.

Sur l'euro et l'Union européenne, Sahra Wagenknecht n'a pas des positions moins tranchées : «La zone euro actuelle ne fonctionne pas, à cause de la politique menée par l’Allemagne. Quand un pays de cette taille pratique le dumping salarial et dope de manière artificielle ses exportations, les autres peuvent difficilement se défendre.»
Economiste âgée de 49 ans, née d’un père iranien et d’une mère allemande, Sahra Wagenknecht est une figure très médiatisée en Allemagne. Son mouvement, elle le veut rassembleur et de gauche, sur le modèle de La France insoumise ou du Podemos espagnol. Pour l'heure, si son poids électoral est bien moindre que celui de l'ancien candidat à la présidentielle Jean-Luc Mélenchon, les deux leaders ont pour point commun, outre des convergences idéologiques et stratégiques, d'être qualifiés de «populistes» par leurs adversaires ou encore d'avoir apporté leur soutien aux gouvernements de gauche d'Amérique latine. Néanmoins, ni La France insoumise, ni Podemos n'ont adopté des positions aussi dures sur la question de l'immigration.

Auteur: RT France

«Gauche populiste» ?


Le lancement de ce nouveau mouvement de gauche, prévu le 4 septembre, a été mal perçu, surtout chez les sociaux-démocrates dont le déclin se poursuit inexorablement depuis la reconduite de la «grande coalition» avec Angela Merkel à la tête de l'exécutif allemand. Thomas Oppermann, le président du groupe parlementaire SPD qui fait partie de la coalition au pouvoir accuse Sahra Wagenknecht de monter les pauvres et les réfugiés les uns contre les autres. Selon lui, l'ancienne vice-présidente de Die Linke «se met à rêver d’une gauche populiste en Allemagne». Son parti, le Parti social-démocrate (SPD) absent dans le débat sur la politique des réfugiés, se fait régulièrement dépasser par la droite radicale dans les sondages. Au sein même de Die Linke, la pilule Aufstehen passe mal. Ce mouvement constitue en effet une menace existentielle. «Un mouvement qui nous affaiblit n’est pas acceptable», a déploré Bernd Riexinger, chef du parti.

Source : https://francais.rt.com/international/53418-melenchon-allemande-va-lancer-mouvement-gauche-anti-immigration-sahra-wagenknecht

Lire aussi : Une ancienne esclave yézidie aurait fui l'Allemagne après y avoir revu son bourreau devenu réfugié


dimanche 18 mars 2018

L’impasse migratoire africaine, ou le miroir de l’hypocrisie occidentale / The African migratory dead end, or the mirror of the western hypocrisy


Le sujet de l’immigration cristallise depuis des décennies des oppositions stériles, tant les discours véhiculés sont biaisés et occultent la complexité des enjeux. Friands d’exagérations sémantiques, les pseudo-universitaires et politiques qui écument les plateaux de télévision se livrent une bataille de mots, les uns à travers un prisme sécuritaire étriqué et les autres sous couvert d’humanisme, bien que les preuves soient peu visibles dans ce domaine concernant l’intégration des migrants africains sur le long terme. Un point commun les rassemble : le primat du dogme libéral, qui contribue à déstabiliser la majorité des pays d’Afrique, impuissants face aux armes économiques des pays dits “développés”, tout en divisant de l’intérieur les sociétés occidentales, à commencer par l’Hexagone.
L’Union européenne est actuellement confrontée à une crise migratoire majeure, avec comme enjeu la diversification des flux migratoires, entre les migrants dits “économiques” et les demandeurs d’asile politique, dont le nombre a augmenté depuis 2017, – l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ayant enregistré 100 412 demandes en 2017. Ce fait, largement amplifié depuis la crise syrienne en 2014 ainsi que la déstabilisation de la Libye, qui est depuis devenue la terre promise des trafiquants d’humains et de passeurs peu scrupuleux vis-à-vis de milliers de personnes qui cherchent un avenir meilleur au péril de leur vie. Si les migrations intra-africaines demeurent beaucoup plus importantes que celles hors du continent, les tentatives de rejoindre l’Europe par la Méditerranée ont sensiblement augmenté, notamment depuis l’Afrique de l’Est, région fortement instable politiquement et économiquement, comme en témoignent les exemples soudanais et érythréen. Par ailleurs, la politique anti-immigration du gouvernement israélien, suivie de celle de l’Arabie saoudite, a entraîné une fermeture de la route migratoire vers l’Est passant par le désert du Sinaï, empruntée autrefois par des milliers d’individus originaires de la corne de l’Afrique, et où se trouvent désormais de véritables centres de détention destinés à ceux qui osent s’y aventurer. Face à ce défi, le gouvernement Macron, partagé entre des considérations humanistes sur le papier et le recours à des méthodes de dissuasion plus musclées, a adopté une forme de tri, comme le prouvent les mesures récemment adoptées au sein du ministère de l’Intérieur permettant aux forces de police de se rendre dans les centres d’accueil pour migrants et de vérifier si ces derniers appartiennent à la catégorie des migrants économiques illégaux ou bien des demandeurs d’asile.

Tableau extrait de l’exposition « Odyssée » de Fred Kleinberg
En réaction à ce durcissement de la politique migratoire, une conférence ayant pour thème l’Atlas des migrations s’est tenue vendredi 26 janvier 2018 à l’École normale supérieure, et à laquelle étaient invités les représentants de l’association Migreurop ainsi qu’Edwy Plenel, président du site web d’information Mediapart. Les différents intervenants ont fustigé les propos de Manuel Valls et de Laurent Wauquiez, qui ont récemment déclaré dans les médias vouloir mettre fin à l’immigration économique. La vision défendue était pour tous d’essence libérale et cosmopolite, citant tour à tour Étienne Tassin (« le monde est une transgression des frontières ») ou encore Jean-Pierre Vernant, contre une société ethnocentrée (« demeurer enclos dans son identité, c’est se perdre »). Edwy Plenel, mêlant avec brio hédonisme et humanitaire, a rappelé à notre connaissance le sacro-saint droit de se déplacer, synonyme de liberté pour l’individu d’échapper à l’injustice du hasard et de poursuivre son propre bonheur en émigrant là où l’herbe semble plus verte. À défaut d’avoir une vision cohérente sur les mobilités, les interventions ont eu le mérite de dénoncer la vision européo-centrée des dirigeants européens sur la question migratoire ainsi que les politiques mises en place à l’échelle communautaire. Cependant, la démarche militante des intervenants a eu tendance à enfermer la discussion dans un discours qui sert, au fond, l’orientation néolibérale de l’Union européenne depuis les années 1960, au nom de laquelle les pays européens de l’Ouest ont fait appel à l’immigration nord-africaine et subsaharienne sous la pression des grands groupes en quête d’une main-d’œuvre docile et bon marché.

Des politiques migratoires à l’échelle européenne

Pour aller dans le sens de Plenel et consorts, il va sans dire que l’Union européenne cultive à bien des égards une hypocrisie néolibérale depuis la ratification des accords de Schengen en 1995. Tout en favorisant les mobilités internes au sein des pays membres de la zone Schengen, les dirigeants européens ont compensé par une militarisation croissante des frontières extérieures, assortie d’un arsenal législatif visant à dissuader les migrations en provenance des pays tiers. De la Convention de Dublin en 2005 obligeant les demandeurs d’asile à établir leur demande dans le premier pays européen d’arrivée aux accords multilatéraux de soi-disant “dialogue” et de “coopération” avec les pays africains, à l’instar du processus de Rabat en 2006 et celui de Khartoum en 2014, la politique migratoire européenne s’est équipée d’innovations technocratiques au fil des ans.
L’Union européenne a d’ailleurs franchi un cap depuis le processus de Khartoum avec l’externalisation de la demande d’asile, qui consiste pour le candidat à se rendre dans un consulat dans son pays d’origine ou dans un pays de transit afin de demander un permis de séjour. Or le consulat en question n’est en réalité qu’un prête-nom puisque l’Union européenne commence désormais à sous-traiter les demandes d’asile et de séjour à des firmes privées, libres d’accepter ou de refuser les dossiers de candidature. Il s’agit purement et simplement d’une délocalisation des compétences d’institutions publiques, brouillant la frontière entre les secteurs public et privé.
Enfin, les accords intercontinentaux incluent pour l’Union européenne l’allocation de subventions à des régimes autoritaires comme celui en Érythrée afin d’endiguer le nombre d’arrivants sur les rives européennes de la Méditerranée. Or, ce phénomène est tout simplement impossible à enrayer alors que les canaux d’immigration légale sont quasi inexistants dans ces accords, favorisant ainsi les voies illégales entretenues par les passeurs.

Blocages politiques et dérives néolibérales

À bien des égards, la fragilité des institutions politiques dans de nombreux pays africains est en lien avec la situation actuelle. Le système clientéliste entretenu par myriade de dirigeants africains, à coups de fraude électorale et de mandats soi-disant démocratiques, maintient au pouvoir des groupes communautaires et des dynasties familiales vivant dans l’opulence et la corruption tout en méprisant leurs populations et en gardant leur pays sous perfusion économique étrangère. Les pays recouvrent des populations loin d’être homogènes, aux appartenances ethniques diverses et dont les coutumes, toujours vivaces malgré les pressions extérieures, prennent pour les groupes les plus puissants un caractère féodal lorsqu’ils se trouvent à la tête de territoires devenus États-nations, sans le sentiment d’appartenance commune. Cette réalité, qui a engendré instabilité politique et situations de guerre civile comme récemment au Soudan du Sud incite une minorité d’Africains, outre les déplacés internes, à fuir les tensions politiques, voire à s’émanciper des tutelles communautaires, cherchant à satisfaire un dessein plus personnel.

Tableau extrait de l’exposition « Odyssée » de Fred Kleinberg
Outre l’instabilité politique, les facteurs économiques issus de la conjoncture mondiale actuelle constituent une cause déterminante d’émigration. À la source du mal se trouve l’hypocrisie occidentale, affublée d’un discours bienfaiteur sous l’égide du paradigme néolibéral. Le marché est profondément juste et doit pour cela s’autoréguler, martèlent ses apôtres, comme s’ils prophétisaient l’avènement d’un paradis terrestre. Ainsi de nombreux pays africains ont été forcés, avec la complicité d’institutions internationales comme le Fonds monétaire international et la Banque mondiale qui prétendaient aider les pays en développement, à ouvrir leurs marchés aux produits des pays industriels avancés, alors que, dans le même temps, ces derniers continuaient à protéger les leurs. Dans le même esprit, les Accords de partenariat économique, sur l’initiative de l’Union européenne, forcent les pays d’Afrique de l’Ouest à ouvrir leurs marchés aux produits européens largement subventionnés, visant à atomiser la concurrence avec les producteurs locaux. Cette situation inégalitaire, en plus d’accentuer à l’échelle mondiale l’écart de richesses entre pays “développés” et ceux “en développement”, engendre à l’échelle locale une absence de perspectives pour la jeunesse africaine, d’autant plus que les modes de vie traditionnels, à base d’agriculture, d’élevage et de pêche sont toujours plus menacés. Confrontées à un exode rural exponentiel, les grandes villes africaines se développent à l’image d’une souris accouchant d’un mammouth : la demande d’emploi excèdant l’offre, des milliers d’habitants se retrouvent désœuvrés malgré leurs espoirs d’antan et finissent par s’entasser dans des bidonvilles, où règnent pauvreté et délinquance.
En outre, en réaction à l’hypocrisie des pays occidentaux, jouant un jeu aux dés pipés derrière le vernis de discours de défense des droits de l’Homme et de plans d’actions humanitaires, une multitude de dirigeants africains se sont tournés vers les Chinois pour se développer économiquement. Loin des motifs que revêtent les étoffes de l’idéologie dominante en Europe et aux États-Unis, aux formes et couleurs chatoyantes de l’Empire du Bien, les représentants de l’Empire du Milieu ont joué au contraire le jeu de la transparence, assorti d’un discours anti-impérialiste laissant croire que ces derniers et leurs homologues africains traitaient d’égal à égal. Or, malgré l’absence d’ingérence politique en apparence, la stabilité des sociétés africaines pourrait être compromise dans les décennies à venir si elles demeurent sous la mainmise des multinationales chinoises. En plus d’être polluantes, peu pourvoyeuses d’emplois et d’offrir des conditions de travail délétères, leur influence croissante accentue le régime de concurrence déloyale instauré plus tôt par les Européens, avec notamment l’ouverture des marchés africains aux produits chinois. Ainsi, des millions d’Africains risquent de grossir les rangs d’un prolétariat sans frontières, qu’ils restent dans leur pays d’origine ou qu’ils émigrent à l’étranger. En Europe, ils seront considérés par ceux de droite ou bien comme une main d’œuvre bon marché ou alors comme une menace sur le plan identitaire, et par la gauche comme un vivier électoral pour mieux creuser l’écart entre dominants et exclus.

Quand la liberté de se déplacer creuse les écarts sociaux et culturels

La liberté de se déplacer relève d’un droit intouchable pour les libéraux, quelles qu’en soient ses répercussions. Or, la mobilité est un concept qui recouvre des réalités multiformes : pour les uns, elle requiert le sacrifice de leur vie antérieure, avec un lot d’évènements tragiques dans certaines circonstances et une finalité incertaine ; tandis qu’elle va parfaitement de soi pour les autres. Dans son roman Le ventre de l’Atlantique publié en 2003, Fatou Diome nous donne une sublime illustration de l’écart qui sépare les fantasmes des jeunes Sénégalais rêvant d’émigrer en Europe de la réalité, à travers le personnage du marchand de Barbès. Ce dernier, parti émigrer à Paris, est obligé d’inventer sa propre gloire une fois revenu au village alors qu’en France, il a dû dormir dans la rue et occuper des emplois rémunérés au noir, tout en étant maltraité par des employeurs sans scrupule et par les communautés d’immigrés sur place. Les nouveaux venus, en-dehors des structures d’accueil sont par la suite livrés à eux-mêmes, et n’ont souvent d’autre alternative que de vivre reclus dans des réseaux communautaires.
À l’inverse, pour l’Européen qui vit en ville, bénéficiant d’un cadre de vie aisé, la mobilité est une réalité qui va de soi, synonyme du droit à se rendre un peu partout n’importe quand. À l’heure de la mondialisation, de l’uniformisation culturelle véhiculée par la société marchande, où le droit de se déplacer à l’étranger est devenu banal depuis la révolution du low cost, il n’est guère surprenant que règne une conception du bonheur individualiste et hédoniste. Durant les siècles précédant la révolution des transports, voyager était synonyme d’exploration d’horizons inconnus. Aujourd’hui, il y a un conformisme à se dire citoyen du monde et à énumérer ses destinations de voyage comme ses paires de baskets, souvent en ayant fréquenté les mêmes chaînes d’hôtels ou lieux, qu’ils soient situés en Tunisie ou en Thaïlande. La plupart d’entre nous ne fait que se déplacer d’un bout de la planète à l’autre en ne changeant rien à ses habitudes et en évitant le contact avec les populations locales. Ce prolongement du mode de consommation à l’occidentale est de toute évidence une incitation à l’entre-soi et à l’indifférence entre cultures. C’est d’ailleurs la même tendance qui se produit en Europe, et surtout dans les grandes capitales comme Londres ou Paris, où l’on encourage les individus à consommer même si ces derniers vivent séparés dans des communautés aux codes culturels parfois antagonistes. À Paris, les jeunes diplômés issus de classes aisées et dénonçant les injustices raciales ont une curiosité qui s’arrête bien souvent à la fréquentation occasionnelle du kebab ou du restaurant chinois du coin.
À travers son apologie de la liberté de déplacement, la gauche libérale recycle depuis des décennies un double discours consistant à la fois à dénoncer le sort des migrants et à les réduire, une fois leur situation régularisée, à un groupe à part de consommateurs, devant défendre leurs intérêts propres avant de tisser des liens durables et solidaires au sein de leur pays d’accueil. Au pouvoir, la gauche depuis François Mitterrand n’a eu de cesse de diviser les classes populaires et les minorités, faisant le panégyrique de la diversité pour s’arroger les voix de ces dernières, tout en érigeant la société de consommation comme seul horizon. En outre, à l’exception d’Harlem Désir et de Malek Boutih à la présidence de SOS Racisme et de quelques élus politiques, les élites du Parti socialiste ainsi que les personnalités médiatiques ont jusque-là pratiqué l’entre-soi dans les cercles parisiens de la rive gauche, bien loin des réalités quotidiennes de certains quartiers par-delà le périphérique. Aussi, pour lutter contre le racisme et l’exclusion des nouveaux venus, encore faut-il disposer d’un solide tissu social favorisant l’entraide et l’intégration. À cet égard, les politiques impulsées jusque-là ont favorisé une forme de ghettoïsation, en nous faisant croire que les fractures sociales se réglaient à coups de plans de rénovations urbanistiques et de subventions locales.
La mobilité, à travers les réalités vécues et les évènements provoqués tout le long de l’Histoire ne se réduit pas à un concept dans des manuels universitaires vendant le libéralisme sans frontières des capitaux et des personnes. L’idée n’est bien sûr pas de vouloir rester cloisonné derrière des murs dans un ethnocentrisme ridicule, ou de privilégier le cheval pour chaque déplacement. De tout temps, les hommes ont eu le désir et la nécessité d’échanger des idées nouvelles, des savoir-faire et des chef d’œuvres littéraires et artistiques issus de leur propre lieu d’appartenance, et parfois forcés ou non, à émigrer vers de nouveaux horizons. Mais il s’agit de voir à qui cette mobilité profite le plus à l’heure actuelle, et si elle ne creuse pas l’écart des inégalités et discriminations à long terme plutôt qu’elle ne permet cette fameuse poursuite du bonheur. À l’heure où tout est mouvement, liquide, et sous le prisme de l’individualisme roi, peut-être faudrait-il penser à recréer un lien durable entre communautés à travers un idéal social commun.

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mercredi 1 novembre 2017

Rémi Bourgeot : « Partout en Europe, nous assistons à la réaffirmation des États »./ Rémi Bourgeot: " everywhere in Europe, we attend the reaffirmation of States ".

dimanche 29 octobre 2017


source : http://l-arene-nue.blogspot.be/2017/10/remi-bourgeot-partout-en-europe-nous.html






Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il a poursuivi une double carrière de stratégiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur la zone euro et les marchés émergents pour divers think tanks. Concernant la zone euro ses études traitent des divergences économiques, de la BCE, du jeu politique européen, de l’Allemagne et des questions industrielles. Catalogne, pays de l'Est, Brexit, Allemagne : il revient sur tout cela aujourd'hui sur L'arène nue


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La situation est incertaine en Espagne et devient dangereuse. Le Parlement catalan a voté vendredi dernier l'indépendance. Madrid a a répondu en annonçant la mise sous tutelle de la région, conformément à l’article 155 de la Constitution espagnole. Quelles pourraient être, pour l'Europe, les conséquences de la dislocation d'un de ses États membres ? L'UE peut-être aider à régler la crise catalane ?

La crise catalane renvoie à un risque existentiel pour l’Union européenne. Alors que l’UE a été vue historiquement comme un soutien des divers régionalismes, cette crise représente la limite absolue à cette approche. Quoi que l’on pense de la gestion littéralement désastreuse de Mariano Rajoy, ou des revendications catalanes, une UE qui encouragerait, près du point de rupture, l’éclatement d’un de ces grands États membres, s’aliénerait la quasi-totalité des États et ferait face à une situation de blocage fondamentale. L’UE est une construction internationale qui repose sur la participation volontaire de ses membres. Cette réalité est de plus en plus apparente depuis la crise. Ce constat est évidemment paradoxal si l’on a, par exemple, à l’esprit les programmes d’austérité. En réalité,, toutefois marquée par les lourds déséquilibres qui affectent les relations entre États, en particulier autour de la puissance allemande. 

L’UE a été le cadre de développement de ces déséquilibres qui s’avèrent d’autant plus extrêmes une fois que l’illusion d’un dépassement institutionnel des États se défait. Il n’est donc guère surprenant que l’UE soit la grande absente de la crise catalane. Ce non-soutien a douché les espoirs des indépendantistes catalans qui imaginaient transformer la Catalogne en une sorte de région à nu dans l’UE, en dépassant ce qu’ils considèrent comme un simple échelon madrilène. Sans soutien d’une UE dont le pouvoir politique apparaît de plus en plus comme inexistant en dehors du jeu interétatique (certes déséquilibré), la sécession catalane est impossible… sauf à accepter de plonger dans une forme ou une autre de chaos légal et économique. La Catalogne n’appartiendrait plus à l’UE et aurait les pires difficultés à rejoindre le club. Pro-européenne, elle chercherait à conserver l’euro mais se verrait formellement exclue de l’union monétaire en même temps que de l’UE et se retrouverait donc à utiliser la monnaie unique sur une base légale très faible, au même titre que le Kosovo ou le Monténégro.

Le cas catalan renvoie à un itinéraire historique particulier mais illustre un certain type d’instabilité politique. Il s’agit de la tendance plus générale à la désagrégation des États, les régions les plus riches s’émancipant progressivement de leur appartenance nationale en se représentant plus libre dans un cadre plus large et plus abstrait. Christopher Lasch avait justement relevé ce phénomène à la fin de sa vie, au début des années 1990, en évoquant notamment le cas de la Californie qui rêvait d’une forme d’émancipation dans le cadre de la mondialisation, par son appartenance économique au « Pacific Rim ». La crise politique que traversent nos sociétés dépasse le cadre du populisme et s’ancre davantage dans une remise en question des cadres étatiques qui ont, depuis plus de quatre décennies, organisé leur propre délitement.

Tout autre pays, tout autre type de manifestation identitaire : un parti populiste de droite hostile à l'immigration (ANO) a remporté la victoire aux élections législatives tchèques du 21 octobre. Une semaine auparavant, le très conservateur Sebastian Kurz gagnait les élections autrichiennes, et entreprend actuellement de former une coalition avec le parti de droite radicale FPÖ. Pourquoi cette épidémie de revendications identitaires à l'Est de l'Europe ? 

La thèse défendue, au lendemain de l’élection d’Emmanuel Macron, selon laquelle la vague populiste incarnée par Donald Trump et les partisans du Brexit se serait échouée sur les côtes de l’Europe continentale, n’aura pas tenu longtemps. La remise en cause du statu quo politique est en train de devenir une réalité où que l’on regarde en Europe, mais cette tendance prend des formes bien différentes d’un pays à l’autre. Les développements politiques qui touchent l’Europe centrale paraissent d’abord surprenants si l’on cherche à expliquer le populisme par une lecture quelque peu simpliste des chiffres de croissance économique ou par la seule question de la relégation des classes populaires. Si cette ligne d’analyse permet assez bien d’expliquer l’essor des mouvements populistes en France, au Royaume-Uni ou aux États-Unis, le cas de l’Europe centrale est de nature assez différente, tout comme celui de l’Allemagne. 

Les pays d’Europe centrale issus du bloc communiste ont tendance à rester bloqués à des niveaux de développement plus bas que ceux d’Europe occidentale mais l’ampleur du chemin économique parcouru ces deux dernières décennies ne fait aucun doute et ils ont, de plus, tendance à jouir de taux de chômage plutôt limités. La République tchèque que vous évoquez, connaît même une situation proche du plein emploi, et, sur le plan financier, fait office sur les marchés mondiaux de havre de stabilité, de « safe haven » alternatif, comme une sorte de Suisse d’Europe centrale. D’ailleurs, n’oublions pas que la riche Suisse a été précurseur en matière de populisme de droite visant le pouvoir, avec le SVP/UDC de Christoph Blocher qui, tout comme l’américain Donald Trump ou le tchèque Andrej Babiš, est chef d’entreprise et milliardaire.

Si les bénéfices économiques de leur intégration à l’Union européenne sont apparus comme assez évidents à la Tchéquie et à ses voisins d’Europe centrale, notamment dans le cadre de leur rattrapage économique et des fonds structurels versés aux nouveaux États-membres, les nombreuses implications de la participation à l’UE y paraissent plus problématiques. Il est évident que, pour ces pays, la question de l’abandon de pans de leur souveraineté est, pour des raisons historiques notamment, particulièrement sensible, et alimente une réaction identitaire souvent épidermique voire  brutale. 

Sur la question même de la « success story » économique, il convient tout de même de souligner les limites de leur rattrapage qui a essentiellement consisté en une intégration à l’appareil industriel allemand. La sous-traitance est un puissant outil de rattrapage économique mais ce phénomène connaît, dans la quasi-totalité des pays émergents, une limite intrinsèque qui conduit en général à un pallier dans le développement. Le modèle de sous-traitance nourrit par ailleurs une frustration liée à une structuration économique et sociale qui ne s’ancre pas dans la conception et qui ne mobilise pas la créativité du pays. 

En somme, il existerait un type de frustration identitaire lié à un modèle de croissance économique peu valorisant et devant tout à l'extérieur (ici, à l'Allemagne) ?

Oui. Les gouvernants qui se contentent de jouer la petite musique de l’adaptation bureaucratique au marché unique ou à la mondialisation suscitent rarement une forte adhésion populaire au bout du compte, que cette approche économique produise un certain succès comme en Europe centrale ou une logique de délitement de l’appareil productif comme en France et en Italie. Le rattrapage économique est très souvent le résultat de l’imitation d’un modèle, comme cela fut d’ailleurs le cas des pays d’Europe occidentale suivant la révolution industrielle anglaise. Mais, même en suivant un modèle éventuel, le dépassement du simple cadre du rattrapage nécessite l’intégration de la conception et de la production. Un pays comme la République tchèque a une longue histoire industrielle derrière lui, et était bien plus industrialisé et productif que le bloc communiste dans son ensemble. Ce qui y nourrissait une grande fierté.

Le type de rattrapage des deux dernières décennies, écrit d’avance et connaissant par ailleurs de nombreuses limites, si ce n’est un plafond de verre, a un caractère débilitant lorsqu’il ne s’accompagne pas d’un véritable projet national, et l’on peut à cet égard comprendre le vertige économique de ces pays dans le cadre de l’Union européenne. Toutes les modalités de croissance économique ne se valent pas. Alors qu’il est évident que l’Union européenne souffre de l’absence de projets de coopération viables, les États aussi ont eu tendance à se vider de leur substance dans le cadre de cette simple logique d’allocation du capital productif à l’échelle européenne et mondiale. 
La dimension identitaire de ces développements politiques est préoccupante mais peu surprenante. Nous sommes témoins de l’effondrement de l’illusion quant au dépassement des États-nations. Non seulement pour les pays qui connaissent un délitement économique mais aussi pour ceux qui ont connu un extraordinaire rattrapage, comme les anciens pays du bloc communiste, ou ceux qui affichent une solide prospérité comme l’Autriche, qui n’a rejoint l’UE qu’en 1995 une fois que la disparition de l’URSS l’y a autorisée, ou comme la Suisse qui, bien qu’à l’écart de l’appartenance formelle à l’UE, y est largement intégrée. 

Et la question migratoire alors ? La république tchèque n'a pratiquement pas reçu de « migrants ».... 
Il n’est pas très surprenant de voir, dans ce contexte, une partie de l’électorat de ces pays se focaliser sur la figure de l’immigré, que l’immigration y soit importante ou très faible. Si le mouvement historique de dépassement des États a neutralisé la capacité de mobilisation positive des peuples européens, il semble que des tendances plus sombres lui aient au contraire survécu. Bien que l’on puisse aborder les questions d’immigration de façon apaisée, il convient de ne pas prendre à légère ces obsessions identitaires et leurs conséquences, qui nous dépassent forcément. Nous ne revivons probablement pas les années trente, mais le type de vide politique qui apparait à tous les étages de la structure européenne engendre rarement vertu et raison. Cette réalité s’applique aussi bien aux Etats, qui pensaient s’en remettre à l’Europe pour à peu près tout et à une mondialisation prétendument heureuse, qu’à la bureaucratie européenne elle-même.

En tout état de cause, l’idée de vouloir sauver les meubles en divisant l’Europe centrale entre pro-européens (République tchèque, Slovaquie…) et eurosceptiques (Pologne, Hongrie) est inefficace car erronée dans ses prémisses, comme le montre justement le résultat de l’élection tchèque. Il est, dans tous les cas, trop tard désormais pour ce type de stratégie. Si les pays de ce que l’on appelle le groupe de Visegrád   suivent effectivement des tendances politiques assez différentes, la remise en cause du cadre européen y est commune et profonde. A vouloir stigmatiser à tout prix la critique de l’UE chez les membres les plus récents, on ne fait que donner du sens à une sorte de front commun de ces pays et surtout on y légitime les tendances politiques les plus néfastes. 

Les responsables européens devraient renoncer à l’instrumentalisation de cette « nouvelle Europe » et s’attaquer à la question essentielle du rééquilibrage du continent, du point de vue politique et économique. Les dérives politiques qui mettent en danger l’État de droit doivent être dénoncées. Mais les stratégies de stigmatisation de l’euroscepticisme en tant que tel sont vouées à l’échec. 

Le Brexit semble bien mal engagé. Pourquoi le processus de séparation de la Grande-Bretagne et de l'Union avance-t-il aussi peu ? Qui bloque ? Les Britanniques ? Les États membres de l'UE ? Pensez-vous, comme l'a récemment affirmé l'ancien ministre grec Yanis Varoufakis que le couple franco-allemand ne souhaite pas une véritable réussite des négociations mais veuille au contraire faire un exemple en rendant les choses difficiles aux britanniques ?

L’analyse de Yanis Varoufakis est intéressante et parfois même savoureuse, du fait de sa connaissance intime du cadre des négociations européennes, mais elle est limitée par une forme d’incohérence. Il ne cesse de démontrer sa compréhension du cadre inégalitaire qui organise les relations entre États au sein de l’Union européenne, mais il semble n’y reconnaître que deux échelons, celui d’hegemon et celui de dominion. Il ne fait aucun doute que la Grèce a exploré tous les aspects imaginables de cette dichotomie dans le cadre des plans d’aide. Mais les choses ne sont, en temps de crise, pas si simples ou binaires pour les grands pays. Autant la dépression grecque était un sujet d’importance parfaitement mineure pour l’Allemagne, autant la question du Brexit est tout de même d’un autre ordre.

L’instauration de barrières douanières entre le Royaume-Uni et l’UE, dans le cadre de l’OMC, n’aurait pas de conséquences économiques catastrophiques pour l’Allemagne, malgré son excédent bilatéral d’environ 50 milliards d’euros (86 milliards d’exportations contre 36 milliards d’importations…) avec Londres. Cela serait tout de même problématique pour l’industrie automobile, parmi d’autres secteurs. Dans le cadre politique allemand et de ses règles tacites, la chancelière n’a pas de mandat pour pénaliser délibérément un secteur phare de l’économie nationale à des fins politiques. Même dans le cas des sanctions contre la Russie, on a fini par voir les responsables économiques se manifester et rendre la position allemande ambivalente. 

L’UE souffrirait moins que le Royaume-Uni de l’instauration de barrières douanières mais il est évident que cela serait problématique pour un certain nombre de secteurs qui exportent massivement vers le Royaume-Uni. Plus encore, le commerce entre le Royaume-Uni et l’UE se fait très largement entre entreprises d’un même secteur dans le cadre de chaînes de valeur intégrées. L’instauration de barrières douanières dans ce cadre, tout comme l’addition d’une couche supplémentaire de bureaucratie, affecteraient ces secteurs de façon sensible. Par ailleurs, certains pays comme la Belgique et les Pays-Bas sont encore plus orientés vers le Royaume-Uni et souffriraient bien plus que l’UE prise dans son ensemble.

Alors oui, on entend beaucoup à Paris l’idée qu’un Brexit chaotique, sans accord, servirait d’exemple. Mais dans la plupart des pays européens, l’intérêt économique jouit encore d’une certaine priorité, et c’est notamment le cas en Allemagne, même si cette question n’y a pas d’implication macroéconomique majeure. 

Côté britannique, le principal problème réside aujourd’hui dans la faiblesse politique de Theresa May à la suite des élections générales désastreuse du moi de juin. La Première ministre ne jouit pas d’un véritable mandat pour négocier une nouvelle relation avec l’UE. Elle fait par ailleurs face à la fronde au Parlement des députés les plus pro-européens des deux bords, qui veulent s’assurer d’avoir leur mot à dire non seulement sur l’accord final mais aussi sur la possibilité de l’absence d’accord. Dans la réalité, l’idée d’un accord est de plus en plus ancrée de tous les côtés et les dirigeants des divers États membres sont pressés d’entamer les négociations sur la question commerciale. Évidemment, ceux-ci souhaitent aussi récupérer une partie de l’activité de la City et souhaiteraient donc un accord qui présente d’importantes contraintes pour le Royaume-Uni, en échange d’une limitation de l’immigration européenne.
Reste que l’idée d’encourager d
élibérément un véritable échec final des négociations est éloignée de la réalité. Le cadre fixé dans le cadre de la Commission est inefficace, et naturellement cette inefficacité en partie volontaire peut servir à orienter l’accord final. Des négociations chaotiques peuvent permettre de finir par mettre un accord sur la table, côté européen, et de négocier de simples amendements avec les Britanniques, qui seraient prétendument soulagés d’échapper à une forme de rupture et surtout à l’incertitude. Il semble ainsi que des brouillons d’accord commercial circulent entre ministères à Berlin. 

Le déraillement des négociations, dans le cadre caricatural qui a été fixé à Michel Barnier, a révélé les inquiétudes de divers États européens autant que la forme de chaos qui règne à Westminster et empêche les Britanniques de développer une véritable stratégie.

Et le couple franco-allemand, alors ? Existe-t-il toujours ? Emmanuel Macron poursuit Angela Merkel de ses assiduités mais cette dernière semble plutôt occupée à monter sa coalition « jamaïque ». Les projets de Macron de relance quasi-fédérale de l'Europe vous semblent-ils réalistes une fois cette coalition formée, où sont ils iréniques ?

Les projets d’Emmanuel Macron pour une réforme de la zone euro vont dans le sens du « gouvernement économique européen » dont rêve l’élite française depuis la conception de l’euro, malgré le rejet catégorique de l’Allemagne qui se focalise pour sa part sur le respect de simples règles budgétaires, par la contrainte. Cependant, même sur ce seul plan économique, les projets du Président français font l’impasse sur la question de la coordination macroéconomique qui est en réalité encore plus importante que celle du dispositif institutionnel. Si l’on a à l’esprit l’absence complète de coordination macroéconomique, l’Allemagne étant engagée dans une longue phase de désinvestissement visant à la maximisation de l’excédent budgétaire, on comprend que l’idée, encore bien plus ambitieuse, d’une sorte de fédéralisation de la zone est parfaitement exclue en Allemagne. Et c’était déjà le cas dans le cadre de la coalition sortante entre la CDU/CSU et le SPD. Le SPD et la myriade d’experts proche du parti assuraient le service après-vente fédéraliste de la politique de Mme Merkel, mais n’orientaient pas concrètement celle-ci dans ce sens.

Les élections allemandes de cet automne, avec l’entrée dans la coalition du FDP et l’arrivée massive de l’AfD au Bundestag aggravent cette réalité et la révèlent aux yeux du monde. L’élection d’Emmanuel Macron a, pendant quelques semaines, nourri l’idée d’une convergence de vues entre les dirigeants français et allemands, mais il n’y avait quasiment aucune réalité derrière ces affirmations, bien qu'elles semblaient faire consensus non seulement en Europe mais un peu partout dans le monde, de façon assez étonnante. 

Ce que l’on a appelé « couple franco-allemand » dans l’après-guerre n’existe plus depuis le début des années 1990. D’un côté la réunification allemande et l’intégration économique de l’Europe centrale ont changé en profondeur la place et le poids de l’Allemagne en Europe. De l’autre, les dirigeants français se sont empressés de se débarrasser de leurs prérogatives économiques, vues comme écrasantes, en imposant l’idée de l’euro aux Allemands, en échange d’un soutien à la réunification. Il n’y a jamais eu de couple franco-allemand parfait, symbiotique. Mais les mandats de Gerhard Schröder, bien qu’officiellement pro-européen et social-démocrate, ont changé en profondeur le rapport de l’Allemagne à la France et à l’Europe, quand simultanément la France parachevait son grand rêve bureaucratique d’abandon de ses responsabilités économiques. 

Le discours de la Sorbonne d’Emmanuel Macron a souvent été vu comme une grande feuille de route pour l’Europe, mais il semblait davantage prendre acte de la divergence de vue avec l’Allemagne sur les sujets les plus cruciaux comme l’euro, bien qu’il existe une certaine convergence sur d’autres sujets extérieurs.

Dans un entretien donné au Figaro, le philosophe Pierre Manent expliquait récemment : « L'Allemagne se trouve aujourd'hui dans la situation nationale la plus favorable où elle se soit jamais trouvée. Elle exerce sur l'ensemble européen une hégémonie qui est acceptée et souvent appréciée ». On sent pourtant un malaise dans ce pays, ainsi que l'ont montré le bon score de l'Afd aux élections du 24 septembre et le virage souverainiste des libéraux du FDP comme vous venez de le dire. Pourquoi ce malaise ?

Le vote AfD reste lié aux couches populaires, en particulier de l’Est. Mais le phénomène est plus complexe puisque le parti reprend en fait, en amplifiant la dimension eurosceptique, la grammaire économique ordolibérale. Il ne s’agit donc pas, en tant que tel, d’un relais économique de classes populaires sous pression, puisque le parti peut difficilement être vu comme défendant leurs intérêts. Même sa critique de l’euro, qui était la marque de fabrique du parti à sa création, suivait plutôt une ligne technocratique, à coup de dénonciations du système « Target 2 » (qui régit les flux entre banques centrales nationales dans le cadre de l’Eurosystème) qui fait l’objet d’une obsession maladive chez les eurosceptiques allemands. A l’origine, la ligne du parti semblait plutôt relever d’une sorte d’extrapolation des positions économiques allemandes traditionnelles. La crise des migrants a changé le cœur thématique du parti à partir de 2015. Si le manque de concertation dans les décisions du gouvernement d’Angela Merkel a été critiqué bien au-delà des cercles de l’extrême droite, l’AfD a alors affirmé un ancrage idéologique plus radical.

L’AfD participe de la montée d’un discours nationaliste qui, bien que minoritaire, dépasse le cadre sociologique de ce parti. On a vu au cours des derniers mois, un ouvrage révisionniste et antisémite, Finis Germania de Rolf Peter Sieferle, un historien et ancien conseiller du gouvernement pour l’environnement qui a mis fin à ses jours l’an passé, devenir un best-seller et susciter des prises de position contrastées, parfois complaisantes, au sein de l’establishment littéraire. Bien que l’élite médiatique ait fini par condamner cet ouvrage, dont l’auteur prétendait vouloir donner un sens non-négationniste à une expression telle que « mythe de la Shoah », le débat autour du livre a illustré la crise identitaire qui accompagne notamment la renaissance d’une extrême droite de masse, organisée politiquement.

L’AfD n’est pas un parti néonazi et, bien que nationaliste, ne s’inscrit pas dans l’environnement idéologique du fascisme, ne serait-ce que par sa conception limitée des prérogatives étatiques. Mais il encourage délibérément, notamment en son sein, une libération de la parole et une dédiabolisation de discours pour le moins ambigus sur le Troisième Reich, et l’utilisation de termes à connotation national-socialiste au sujet des immigrés (comme « Überfremdung » pour décrire la prétendue submersion des allemands de souche).

Par ailleurs, la notion de souveraineté a, en allemand, une forte connotation ethnique qui diffère de la conception française (bien que « Souveränität » ait évidemment une étymologie française). Cette différence se reflète également dans le sens donné à la nation, qui s’applique historiquement en France à un ensemble très hétérogène autour d’un projet étatique et d’un modèle de citoyenneté. Si certains philosophes comme Habermas, ont cherché à développer une orientation ouverte, plus politique, de la vision allemande dans le cadre notamment d’un dépassement européen, il convient de constater qu’ils ne sont finalement guère parvenus, malgré leur prestige académique, à orienter les conceptions nationales dans le sens résolument européen qu’ils avaient à l’esprit.

On constate, jour après jour, en Allemagne et ailleurs, le décalage entre les focalisations nationales et l’affichage rhétorique de la croyance en leur dépassement. Cette confusion produit des conséquences plus ou moins nocives selon les pays, mais elle va, dans tous les cas, à l’encontre d’une véritable coopération européenne. 

L’Europe a tellement investi, à tous points de vue, dans la mise en avant de la vision fédérale qu’elle est aujourd’hui paralysée par une crise intellectuelle et même sociologique qui empêche de dessiner la voie d’un nouveau mode de coopération. Au lieu d’un nouveau modèle, nous voyons l’ancien dégénérer en une superposition de crises identitaires nationales, dont il serait imprudent de se réjouir.


vendredi 13 octobre 2017