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mercredi 24 août 2022

TAIWAN / UKRAINE : Les erreurs à ne pas faire

 



jeudi 4 août 2022

Notes sur Nancy “au Pays des Merveilles-bouffe”

• Pauvre Nancy Pelosi, face à l’ouragan des critiques saluant sa visite à Taïwan : ils me critiquent « Because I’m a woman ». • Mais qu’elle se rassure : finalement, son voyage n’a pas été inutile : il a permis aux Chinois de mettre en pratique (en manœuvres réelles) un plan d’encerclement naval qui pourrait servir au cas où viendrait un jour l’idée inattendue d’envahir l’île dont la Speaker de la Chambre est venue annoncer que les États-Unis la défendront tant qu’elle-même sera à son poste. • Tout le monde attendait une réaction brutale de la Chine, une sorte de nouveau “24 février” de l’autre côté de la planète ; on a eu une réaction ferme et souple, bien dans la tradition chinoise, et symbolique également. • Symbole pour symbole : la visite de Pelosi était symbolique d’un engagement passé, la réaction de la Chine est symbolique d’un engagement décisif dans la GrandeCrise, aux côtés des Russes, des BRICS, du Grand-Sud, etc., contre l’hégémonie américaniste occidentaliste. • Pelosi est venue confirmer la prophétie de William Pfaff en 1992 : « To Finish in a Burlesque of an Empire ».

4 août 2022 – On dirait avec une certaine assurance que tous les actes de politique étrangère américanise pour ralentir la tendance actuelle de rupture de l’ordre mondial unipolaire, de multipolarisation et d’effondrement de l’hégémonie des USA donnent le résultat exactement inverse. On pourrait même avouer une surprise certaine de la rapidité de l’avancement de cette détérioration, comme si l’idéologie américaniste de l’hégémonisme avait passé son le pic du “Principe de Peter” et, sur sa descente accélérée, transformait toute initiative de renforcement en son contraire catastrophique.

Par exemple ? Avant même d’observer les résultats sur la situation de Taïwan, de la Chine et des USA notons un effet somme toute inattendu : après la visite à Taïwan, Pelosi s’est rendue en Corée du Sud. Après l’épreuve, ce devait être du gâteau, – eh bien, ce n’en fut pas du tout, et ainsi a-t-on pu assister à un ballet étonnant réalisé, avec le plus grand succès d’ailleurs, par les principaux dirigeants de cet “allié” indéfectible des États-Unis, pour éviter de rencontrer Pelosi et d’ainsi déplaire à Pékin... La Corée du Sud, bastion du système de l’américanisme en Asie !...

Pour l’anecdote donc, l’évolution de la situation sud-coréenne fut exemplaire :

« Nancy Pelosi est arrivée en Corée du Sud, poursuivant sa tournée asiatique, – laissant dans son sillage une situation tendue à Taïwan où les forces de l'APL chinoise encerclent l'île avec des exercices à  tir réel – mais le président sud-coréen Yoon Suk-yeol ne la rencontrera pas.

» Bien qu’il s’agisse de “vacances” annoncées à l'avance, les spéculations dans la région vont bon train sur l’hypothèse d’une décision intentionnelle alors qu’on savait déjà que Pelosi voulait aller à Taïwan, afin que Séoul puisse éviter de s'attirer les foudres de la Chine. Il se trouve que même le ministre des affaires étrangères Park Jin n'est pas dans le pays, – il n'y aura donc pas non plus de rencontre entre Pelosi et le principal diplomate du pays. [...]

» Selon le Korea Times, les responsables de Séoul sont très méfiants et nerveux par rapport au timing de la visite de Pelosi.

» “Dans le contexte de l'aggravation de la rivalité entre les États-Unis et la Chine, la Chine a menacé d'entreprendre des actions militaires et pourrait provoquer une réaction similaire de la part des États-Unis, ce qui pourrait éventuellement affecter la Corée du Sud, en raison de l'alliance de cette dernière avec les Etats-Unis”, a déclaré Kim Heung-kyu, directeur du U.S.-China Policy Institute de l'université Ajou, cité dans la publication. »

Biden, ou la sublime incompétence

D’une façon générale, les commentaires, y compris aux USA, vont, dans un sens plus ou moins accentué dans l’analyse, de considérer la visite de Pelosi à Taïwan comme une remarquable initiative symbolique aux effets remarquablement contraires à ceux qu’on attendait du côté de la Speaker et, plus généralement, et malgré de nombreuses réticences, du côté du système de l’américanisme. Par conséquent, et sans effort trop risqué du côté chinois, on a tendance à en faire une évolution marquée de la Chine qui accepte désormais de tenir une position de confrontation directe avec les USA

Il y a un très intéressant et très documenté article d’Ekaterina Blinova dans ‘Sputnik.News, qui réunit nombre de réactions et d’analyses allant assez logiquement dans le sens signalé. Les Russes ont évidemment constamment soutenu haut et fort la Chine dans cette affaire.

« “La visite de Nancy Pelosi à Taïwan est un geste symbolique dans le contexte d’une guerre pour l'avantage géopolitique”, déclare Joseph Oliver Boyd-Barrett, professeur émérite à la Bowling Green State University. “Ses détracteurs, non sans raison, la décrivent et la décrient comme un geste qui pourrait avoir des conséquences très douloureuses pour le monde et pour l'espèce humaine”. »

Les premières critiques vont tout de même à la force qui est censée contrôler la politique étrangère, c’est-à-dire l’administration Biden elle-même. Scott Ritter développe une analyse sévère. Pour lui, l’administration Biden a placé effectivement la Chine en position de confrontation en exprimant involontairement son soutien à une politique qu’il prétend écarter (celle de l’indépendance de Taïwan), c’est-à-dire en n’empêchant pas la visite de Pelosi...

« Quoi qu’il en soit, la visite de Pelosi est elle-même un sous-produit d'une tendance politique, tant aux États-Unis qu'à Taïwan, fondée sur la notion d'indépendance de Taïwan. Si cette perception ne peut être modifiée, la Chine est tenue par sa Constitution de prendre des mesures visant à préserver la souveraineté chinoise sur Taïwan. Cela signifierait, bien sûr, la guerre.

» Il ne fait aucun doute que Nancy Pelosi, en débarquant à Taïwan, a déclenché une terrible alarme chez le tigre chinois. C'est maintenant à Joe Biden de la désactiver.

» La question est maintenant de savoir si le tigre va coopérer. »

Le texte d’Ekaterina Blinova cite notamment un journaliste et auteur US, Daniel Lazare, qui s’attache lui aussi à détailler l’absence de responsabilité, ou l’irresponsabilité de l’administration Biden dans la façon qu’elle a eu de se laver les mains de cette visite dont elle ne voulait pas. Le motif invoqué témoignait involontairement de sa complète impuissance, d’une impuissance assumée comme cause de sa paralysie noyée dans la confusion.

« La manière, dont la Maison Blanche a géré la visite controversée de Pelosi, en dit long sur l'incompétence du gouvernement américain de haut en bas”, estime le journaliste d'investigation et auteur américain Daniel Lazare.

» “Biden aurait pu mettre un terme à cette absurdité quand il le voulait”, déclare Lazare. “Il aurait pu lancer un appel public à ne pas y aller, qui, s'il avait été suffisamment fort, aurait essentiellement laissé Pelosi sans autre choix qu’abandonner. Il aurait pu ne pas lui attribuer un avion officiel. Il aurait pu ordonner à l'USS Ronald Reagan de faire demi-tour afin de montrer que la dernière chose qu'il souhaite est une sorte de confrontation. Mais il n'a rien fait de tout cela. Il s'est accroché à la fiction selon laquelle c'était la décision de Pelosi et que, de ce fait, les Chinois n’avaient aucune raison de s’inquiéter, ce qui ne pouvait être plus absurde”. »

Manoeuvre perdant-perdant

Un autre argument qui apparaît à la lumière de la visite de Pelosi, et qui prend en compte les diverses réactions observées ici et là, dans une occurrence où effectivement les efforts de relance de son hégémonie par les USA donnent constamment un effet contraire (“Principe de Peter”), est celui de l’effet qu’a eu cette visite sur l’image des USA. Là encore, il faut que l’événement se fasse pour qu’on puisse en mesurer les effets, et constater ainsi la détérioration de la capacité d’influence des USA. La constance de cette détérioration est un facteur remarquablement stable dans la situation extrêmement instable que nous traversons.

« Le fait que Pelosi et la Maison Blanche aient ignoré les avertissements de la Chine ne renforce aucunement l'image des Etats-Unis, bien au contraire, préviennent les observateurs. Selon Lazare, ce dernier incident va “saper d'autant plus la position [des États-Unis] en (indiquant) à quel point il est un leader mondial peu fiable”.

» “Biden avait cité ses propres militaires, indiquant qu’ils désapprouvaient la visite”, explique Joseph Oliver Boyd-Barrett, professeur emeritus à Bowling Green State University. “Le fait qu’il se présente au monde comme un dirigeant incapable d’imposer son autorité au numéro trois de sa hiérarchie, ou qu’il n’ait pas l’autorité nécessaire pour demander simplement aux commandants des escortes militaires de Pelosi de faire demi-tour, en mettant Pelosi dans une cage si nécessaire, scelle son image de faiblesse désespérée ou de complicité honteuse dans une manœuvre immonde. Il est extrêmement peu probable que l'un ou l'autre de ces cas soit à l’avantage de quiconque aux Etats-Unis,  à part les milieux de la cabale neocon qui domine la politique étrangère américaine.”

» “Ne vous y trompez pas, la Chine a perçu le voyage de la présidente de la Chambre à Taïwan comme une pure provocation”, poursuit le professeur, ajoutant que la position de Pékin est “tout à fait compréhensible à la suite de nombreux facteurs.” Ces facteurs comprennent la guerre tarifaire de Trump avec la Chine, l'encerclement militaire américain de la République populaire, les opérations de liberté de navigation de Washington en mer de Chine méridionale, ainsi que l’“hostilité des États-Unis à l’égard des initiatives économiques [la Nouvelle Route de la Soie] de la Chine”, selon le professeur.

» “Il faut maintenant ajouter à ces pommes de discorde les relations de plus en plus étroites de la Chine avec la Russie, son importance en tant qu’alliée de la Russie dans l’opposition à la guerre provoquée par l'OTAN avec la Russie au sujet de l'Ukraine, et son rôle en tant qu'importante consommatrice de pétrole et de gaz russes pour éviter les sanctions”, note-t-il. »

Même les Taïwanais ont perdu beaucoup dans cette affaire, sans renforcer en quoi que ce soit leur position, explique Boyd-Barrett. Ils ont perdu beaucoup parce qu’ils ont des échanges considérables avec la Chine continentale, et que Pékin a aussitôt lancé contre Taïwan une série de sanctions et de mesures de restriction.

« L’élite néolibérale taïwanaise peut trouver un certain réconfort dans ses relations étroites avec les États-Unis et l'aide militaire que cela représente. D'autres seront plus dubitatifs, notamment les nombreux Taïwanais dont la prospérité dépend des affaires et du commerce avec le continent. La Chine continentale est la première destination des exportations de Taïwan. »

Encerclement naval de Taïwan

Les Chinois eux-mêmes argumentent évidemment en faveur de leur cause, pour renforcer un jugement selon lequel ils sortent renforcés de cet étrange épisode. L’article consulté donne la parole à un chercheur universitaire de Shanghai, qui met notamment en évidence les avantages stratégiques “discrètement” mis en place par la Chine, et notamment l’ensemble d’exercices en conditions réelles de guerre, emboités les uns dans les autres autour de Taïwan.

Ainsi réalise-t-on  dans des conditions opérationnelles réelles le schéma d’un encerclement naval et aérien qui serait utilisé lors de l’invasion de l’île, – si invasion il y a, ou devient nécessaire, ce qui sera chose faite avec quelques Pelosi de plus... Voici donc les explications de Huang Zonghao, chercheur au centre de recherche sur Taïwan de l'université Jiao Tong de Shanghai.

« “La Chine a réagi très rapidement et a immédiatement annoncé les exercices militaires. [Ces exercices] diffèrent de tous les exercices précédents par leur ampleur, puisqu'ils ont couvert six zones autour de l'île. Par le passé, la plupart des avions militaires chinois présents dans la zone d'identification de la défense aérienne de Taïwan volaient au nord-est ou au sud-ouest de cette zone, ils évitaient de croiser des avions militaires et contournaient les navires de guerre. Maintenant, nous profitons de cette occasion pour mener des exercices militaires complets hors de toutes ces restrictions, et il est probable que nous utiliserons cette espèce de jurisprudence pour mener ce type d'exercices militaires de manière permanente.”

» Selon Huang, une fois que ce type d'exercices et de manœuvres sera devenu une norme, certains préparatifs militaires pourront être effectués pour la libération de Taïwan à l'avenir. Le chercheur souligne que, plus important encore, les récents exercices de l'Armée populaire de libération symbolisent le fait que la puissance militaire de la Chine s'est très clairement étendue au Pacifique occidental et a même défié la stratégie américaine établie dans la région. “C’est le résultat le plus important", déclare Huang.

» Le chercheur note que certains internautes ont réagi avec beaucoup d'émotion à l'atterrissage de Mme Pelosi à Taipei, se demandant pourquoi Pékin n’avait pas envoyé des avions de chasse pour intercepter et escorter l'avion de la présidente de la Chambre des représentants. “Personnellement, je ne pense pas que c'était nécessaire”, note Huang, ajoutant que cela aurait pu attiser un sentiment antichinois aux États-Unis tout en n'apportant aucun fruit tangible pour Pékin.

» “En fait, la projection de puissance de la Chine s'est étendue bien au-delà du détroit et directement dans le Pacifique occidental”, souligne-t-il. “Pour ce qui est de contenir les efforts d'indépendance de Taïwan, c'est un grand pas en avant. La pression exercée sur le Parti démocratique progressiste de Taïwan va également s'accroître”. »

« Because I’m a woman »

La lecture de tels articles, tous aussi critiques du geste de Pelosi, peut donner une impression d’unilatéralisme : pourquoi ne pas développer  les arguments adverses, sinon par désir de censure dont on sait qu’elle est si grande dans nos pays pour tout ce qui concerne la puissance, la finesse et l’habileté des États-Unis ? Mais non, la réponse est plus simplement qu’il n’y a pas d’arguments adverses.

Il n’y a rien qui puisse sérieusement justifier le voyage de Pelosi dans les conditions dramatisées de communication qu’on sait, et qui ont été par ailleurs créées par elle-même, par ses atermoiements, les fuites dans la presse qu’elle a favorisées, les sous-entendus et ainsi de suite. D’ailleurs, comme on l’a vu hier avec l’article de Thomas Friedman, l’establishment lui-même ne trouve aucune justification positive à ce voyage (« un acte “totalement imprudent, dangereux et irresponsable” »).

Et Pelosi, que nous dit-elle ? C’est-à-dire : quels sont ses arguments ? Aucun, puisqu’elle se contente d’expliquer qu’elle est une victime, que toutes ces critiques s’abattent sur elle « because I’m a woman ». Enfin quelque chose de sérieux...

ZeroHedge.com’ ironise durement sur l’intervention de Pelosi en Corée du Sud, – elle avait le temps de développer puisqu’elle n’avait personne d’important à qui parler.

« Maintenant que la Speaker est en sécurité à Séoul, en Corée du Sud, – où ni le président Yoon Suk-yeol ni le ministre des affaires étrangères du pays ne la rencontreront, le premier étant commodément en “vacances” et le second se trouvant au Cambodge voisin, – tout ce qu'elle a offert jusqu'à présent comme “explication” à la montée en flèche des tensions régionales, et alors que Taïwan se trouve désormais dans la ligne de mire directe d'une superpuissance dotée de l'arme nucléaire, c’est que les gens lui en veulent d’être allée à Taïwan parce qu'elle est une femme.

» Oui, elle a effectivement déclaré mercredi matin au côté de la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen : “Ils n'ont rien dit quand des hommes [divers sénateurs et députés-hommes du Congrès à Taïwan en avril] y sont allés”.

» Que dire d'autre ?... Elle joue les victimes woke et innocentes (mais au fait, qui peut nous dire aujourd’hui “qu'est-ce qu'une femme ?”), tandis que les Taïwanais s’entraînent aux exercices dans leurs bunkers de défense d'urgence face à la possibilité d'une grave agression militaire chinoise. »

Comme disait Pfaff...

Il est vrai que les seuls et ardents défenseurs du voyage de Pelosi ont été pour la plupart des républicains antichinois radicaux, tous avec en tête la dénonciation qu’ils feront, à la veille des élections de novembre, d’une administration Biden qui a désavoué à demi-mot son déplacement, faisant ainsi entre les lignes cause commune avec Pékin. Bref, deux jours après, la dimension bouffe (tragédie-bouffe, “politiqueSystème-bouffe”) prend irrésistiblement le dessus.

...Et aussitôt nous vient à l’esprit l’article visionnaire de notre vieux compagnon William Pfaff. Il l’écrivit le 12 mars 1992, en commentaire du fameux plan-Wolfowitz de “domination mondiale” des États-Unis par la force, sous le titre de « To Finish in a Burlesque of an Empire ? » :

« Il s'agit d'un plan de leadership mondial américain par l'intimidation. C'est un programme politiquement et moralement informe et stérile, dont l’issue logique serait de faire des États-Unis eux-mêmes cette “menace mondiale résurgente/émergente” que le Pentagone prétend combattre justement grâce à ce plan. Est-ce là ce que veulent les Américains ? Finir dans la caricature burlesque d’un Empire ? »

Wolfowitz et ses divers compères de la bande des neocons avaient mis en musique ce que nous nommons la “politiqueSystème”. Pfaff avait bien compris que tout cela se terminerait en “politiqueSystème-bouffe”. Privée de présidente et de ministre des affaires étrangères sud-coréennes opportunément envolées en “vacances” pour n’être point vus en sa présence, Dame Pelosi en est la digne et solitaire égérie.

Il était donc essentiel, pour parfaire le tableau et ‘canceller’ ses critiques, qu’elle se wokenisât (doux néologisme qui sied à la situation) en victime féminine et féministe du patriarcat stratégique qui est la marque des événements que nous imposent les dieux. Il ne reste plus à Pelosi, avant les élections de novembre, qu’à “canceller” les dieux et tous leurs Olympes masculino-réactionnaires .

Source : https://www.dedefensa.org/article/notes-sur-nancy-au-pays-des-merveilles-bouffe

mercredi 3 août 2022

De Pelosi à Zelenski, la “PolitiqueSystème-bouffe”

 • Comment parler sérieusement d’une situation extrêmement sérieuse qui, chaque jour, devient significative d’un autre monde que celui auquel elle appartenait hier. • Pelosi à Taïwan, c’était presque la guerre. • En fait, l’essentiel se trouvait dans un article de Tom Friedman, vitupérant Pelosi pour son voyage, mais nous confiant que le plus important est que Washington en a marre de Zelenski qui n’arrive pas prendre Moscou avec ses lance-roquettes HIMARS. • D’où notre suggestion : leur terrible “politiqueSystème” n’est-elle pas une “politiqueSystème-bouffe” ?

Bien… On a l’habituelle anecdote qui n’a sans doute pas encore atteint toutes les oreilles des citoyens de la postmodernité. Lorsque Kissinger, accompagnant Nixon à Pékin en 1971, posa cette question d’historien à Chou En-lai, il y eut cette réponse de méditation chinoise non exempte d’une ironie dont Chou était richement doté :

« – A votre avis, quelles ont été les conséquences de la révolution française de 1789 ?

» – Oh écoutez, c’est encore trop tôt pour le dire... »

Il y a ceux qui disent que la Chine a perdu la face dans cette affaire Pelosi et que c’est une défaite humiliante.

Il y a ceux qui vous disent que c’est “Pelosi 1, Chine 0”, et que le match n’est pas fini.

Il y a ceux qui vous disent que la Chine est un empire vieux de 3 000 ans et que “la vengeance est un plat qui se mange froid”.

Il y a ceux qui vous disent que l’épisode Pelosi est aussi grave que le lancement de l’Opération Militaire Spéciale de la Russie en Ukraine.

Il y a ceux qui vous disent que la GrandeCrise continue à essaimer et qu’une nouvelle ‘subcrise’ (une crise dans la GrandeCrise, et issue de la GrandeCrise, ou un “nouveau front” si vous voulez) s’est ouverte... Et ce sont les USA qui l’ont voulu ainsi, en ne faisant rien pour décourager Pelosi, notamment par le moyen de ne donner aucun caractère officiel à son déplacement, au contraire en faisant de la visite de Pelosi justement un événement officiel à caractère confrontationnel (avion de l’USAF, protection militaire, etc.)

On imaginera dans quel camp de l’interprétation nous nous trouvons.

Il n’empêche qu’en même temps que se développaient toutes ces interprétations, le porte-parole de la Maison-Blanche spécialement imposé par le Pentagone, l’amiral Kirby, réaffirmait que la politique officielle de la direction politique des USA, qui se trouve toujours à la Maison-Blanche, reste de considérer qu’il n’y a qu’une seule Chine, donc que Taiwan n’est pas aujourd’hui et n’est pas en voie d’être considéré demain comme un pays indépendant. Cette réaffirmation a l’heur d’avoir sans doute plu aux Chinois, tout en les surprenant par son caractère abrupt comparé à la publicité faite au voyage de Pelosi qui semblait bel et bien suggérer le contraire.

Par conséquent, tout se passe comme si Pelosi avait fait une visite impromptue “en Chine”, et cela ne nécessite pas certainement pas de lancer un conflit généralisé en commençant par couler le USS ‘Ronald Reagan’. Néanmoins, et puisqu’il est question de rester conforme à l’apparence des événements, l’ensemble de l’épisode conduit sinon oblige la Chine à s’estimer justifiée de se proclamer comme étant conduite à s’affirmer en état de crise ouverte avec les États-Unis. Il y a donc eu et il y a bel et bien :

« ...une subcrise dans la GrandeCrise, et une subcrise issue de la GrandeCrise, ou un “nouveau front” si vous voulez, et par conséquent une proximité opérationnelle totale entre Moscou et Pékin face à Washington... »

Là-dessus, il apparaît que la chose importante à Washington alors que Pelosi recevait une “médaille d’honneur” des dirigeants taïwanais se trouve dans un article de Thomas Friedman dans le New York ‘Times’. Friedman est une sorte de “petit télégraphiste” de l’establishment (ou le DeepState si l’on veut). Il a pour mission, à intervalles réguliers, de diffuser, sous forme de supputations ou de confidences de “sources officielles”, certaines “vérités” nouvelles dans la conception du monde qu’ont les dirigeants américanistes, c’est-à-dire la situation-de-narrative du monde. L’article de Friedman comprend deux axes :

• La visite de Pelosi à Taïwan est un acte « totalement imprudent, dangereux et irresponsable ».

• Les relations entre la direction politique à Washington et le président ukrainien Zelenski sont si exécrables que nous sommes conviés à penser à de prochaines décisions irréversibles (Zelenski poussé sous un bus)...

Ainsi RT.com rend-il compte des principaux traits de l’article de Friedman, qui a été publié (lundi matin) avant la visite de Pelosi et qui devient aujourd’hui le principal élément d’appréciation de cette visite. C’est là une façon de lui donner tout son sens, pour nous faire comprendre que Washington a laissé faire Pelosi, c’est-à-dire rendre les relations USA-Chine encore plus tendues et confrontationnelles, pour pouvoir mieux dire que Zelenski n’est plus en cour du tout et pourrait tout aussi bien être liquidé demain... Vous suivez ? Alors, suivez le gros-Friedman :

« Les États-Unis ont jusqu'à présent été le principal soutien de l'Ukraine dans son conflit avec la Russie, fournissant des milliards de dollars d'aide militaire ainsi que des renseignements, mais selon le chroniqueur des affaires étrangères du journal, Thomas L. Friedman, les relations entre Washington et Kiev ne sont pas ce qu'elles semblent être.

» “En privé, les responsables américains sont beaucoup plus préoccupés par le leadership de l'Ukraine qu'ils ne le laissent paraître”, écrit Friedman, trois fois lauréat du prix Pulitzer. “Il existe une profonde méfiance entre la Maison Blanche et le président ukrainien Vladimir Zelenski, – considérablement plus que ce qui a été rapporté."

» L’auteur du NYT a décrit la décision de Zelensky de licencier la procureure générale Irina Venediktova et le chef du service de sécurité de l'État (SBU), Ivan Bakanov, à la mi-juillet comme “une drôle d'affaire qui s’est passé à Kiev”.

» Friedman note qu'il n'a pas encore vu de reportage dans les médias américains qui “explique de manière convaincante” les raisons derrière le plus grand remaniement du gouvernement de Kiev depuis le lancement de l'opération militaire russe le 24 février. “C’est comme si nous ne voulions pas regarder de trop près ce qui se trouve sous le tapis à Kiev par crainte d’y découvrir la corruption et les frasques que nous pourrions découvrir, alors que nous y avons tant investi“, a-t-il écrit.

L'article a été publié avant la visite, non confirmée à l'époque, de la présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, Nancy Pelosi, sur l'île chinoise autonome de Taïwan, que Friedman a critiquée comme un geste “totalement imprudent, dangereux et irresponsable”.

» Ses conséquences négatives pourraient inclure “une réponse militaire chinoise qui pourrait plonger les États-Unis dans des conflits indirects avec une Russie et une Chine dotées de l'arme nucléaire en même temps”, a-t-il averti. »

On appréciera la logique chronologique, sinon événementielle de ces appréciations de Friedman (un jugement contre Pelosi, l’annonce d’une rupture avec Zelenski) , mais on devra l’apprécier en ayant à l’esprit que nous sommes à Washington. Pour éclaircir cela d’une lumière crépusculaire, on écoutera Larry Johnson parler (dans une interview à RT !) de « l’incroyable bordel » qui fait office de pouvoir à Washington, où personne n’est en charge du pouvoir... Selon Johnson, bien entendu, l’article de Friedman et les réactions qu’il a provoqué témoignent magnifiquement de cet « incroyable bordel », et si l’on n’y comprend rien, c’est que
1) il n’y a rien à comprendre ; et
2) on a donc tout compris.

Pour tenter de sortir quelque cohérence de cet extraordinaire désordre washingtonien, il faut donc s’intéresser, à l’heure du voyage de Pelosi, non à Pelosi et à Taïwan mais bien à Zelenski et à l’Ukraine. Pour cela, sans peur et sans reproche, on peut lire une analyse de “Bonchie, l’un des commentateurs du site ‘RedState.com’. Comme l’on sait, ce site, très conservateur, républicain et pro-Trump, s’il est clairement antichinois s’est montré, – se démarquant en l’occurrence de la ligne-Trump sur ce dernier cas, – tout aussi clairement antirusse et pro-Ukrainien dans la situation présente (on le voit bien dans l’analyse que “Bonchie” fait de la situation opérationnelle d’Ukrisis où, tout en s’affichant antiSystème, il reprend à son compte la narrative du Système).

...Mais il est surtout antidémocrate et anti-Biden et trouve dans l’article de Friedman de quoi revenir à cette position qui, en parlant de l’Ukraine, alimente la politique intérieure des USA en prétendant nous expliquer le déroulement de l’étrange politique extérieure des USA.

« Alors que le voyage de Nancy Pelosi à Taïwan fait actuellement les gros titres de la politique étrangère, une guerre est toujours en cours en Europe de l'Est. L'invasion de l'Ukraine par la Russie continue de s'éterniser, les deux parties se contentant de petits gains dans différents secteurs. Cela rend évidemment certains à Washington, qui se croyaient assurés de sortir grands gagnants politiques de tout cela, nerveux quant à l'évolution possible de la situation.

» Selon cette position assez nouvelle, la Maison Blanche aurait décidé de se débarrasser du président ukrainien Zelenski. Cette révélation nous vient du New York Times et de son sténographe en général très conciliant avec la Chine, Thomas Friedman. [...]

» Ma lecture de cette affaire est assez simple : Comme c'est souvent le cas à Washington, notamment en Irak et en Afghanistan, les attentes de l'élite ne correspondent pas aux réalités du terrain. Lorsque la Maison Blanche a décidé de sanctionner la Russie et d’armer l'Ukraine, elle l'a fait en pensant naïvement que Vladimir Poutine subirait trop de pertes, se lasserait et rentrerait chez lui. Dans les semaines qui ont suivi le début de l'invasion, on a proclamé que la Russie était sur le point de s'effondrer en Ukraine, et l’orgueil de l’establishment de la politique étrangère a atteint son paroxysme après la sécurisation de Kiev.

» Mais cela ne s’est pas produit. Au lieu de cela, peut-être parce que Poutine estime qu’il a trop à perdre en reculant, la Russie a consolidé sa position à l’est tout en s'installant dans une longue guerre d’usure. Entre-temps, les coûts économiques pour la Russie ne se sont pas encore vraiment matérialisés, le rouble ne s’étant pas effondré comme prévu.

» En ce qui concerne le leadership de Zelenski, le fait que la guerre soit devenue plus ou moins une impasse n’est pas un échec. L’Ukraine est une nation plus petite et plus faible que la Russie, et le combat mené pour sa défense a été courageux. Empêcher Poutine de prendre Kiev et d’autres régions plus à l’ouest est une victoire majeure. Mais alors que les nations occidentales continuent d’injecter des armes de moindre qualité, il faut des soldats pour utiliser ces armes, et l’Ukraine n'a pas les effectifs nécessaires pour bouter la Russie hors de ses frontières.

» Ce n’est pas suffisant pour la Maison Blanche qui comptait sur le fait que l’embarras de Poutine serait une question politique clé en 2024. La Russie ne jouant pas le jeu, quelqu'un doit passer sous le bus. C'est de là que viennent ces fuites prétendant que Biden perd la foi en Zelenski. Vous n’entendrez jamais le président lui-même le dire publiquement, mais la Maison Blanche prépare ses excuses pour le cas où les choses seraient toujours au point mort dans un an... »

Il est assez difficile d’expliquer et de justifier la situation de la “politiqueSystème” telle qu’appliquée aujourd’hui par les USA. La meilleure approche possible, celle qui vous laisse l’esprit libre et le regard lucide, c’est de considérer qu’elle (la “politiqueSystème”) ne devient rien de moins qu’une “politiqueSystème-bouffe’, – ce qui deviendrait, vues les dimensions atteintes, un véritable nouveau concept définissant bien notre époque. Mesure-t-on la différence de climat entre hier,
...où l’on pouvait envisager réellement un affrontement militaire entre Chine et USA, du fait de la rocambolesque charge de cavalerie de la Speaker de 82 ans ? Et aujourd’hui,
... où il s’avère que toute l’importance doit être donnée à un article vieux de deux jours du gros Thomas Friedman, télégraphiste-en-chef du DeepState, qui nous annonce que Pelosi est une dingue sénile (tiens, tiens, tu quoque, grandma ?) et Zelenski un minus corrompu jusqu’à l’os et qui joue au chef de guerre en carton-pâte (ah bon, tu quoque l’artiste ?).

Quoi qu’on en veuille et quoiqu’on s’en moque, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une implacable vérité-de-situation : les deux (hier et aujourd’hui) sont également parties prenantes de la réalité et forment effectivement la réalité, parfaitement représentée par la notion de tragédie-bouffe.

 

Mis en ligne le 3 août 2022 à 18H55

Source : https://www.dedefensa.org/article/de-pelosi-a-zelenski-la-politiquesysteme-bouffe

Nancy a bravé le dragon chinois mais a-t-elle gagné ?

 



Par The Saker – Le 2 août 2022 – Source The Saker’s Blog

Il semble donc que Pelosi ait atterri à Taïwan. C’est une ÉNORME victoire pour les invincibles États-Unis ; la Chine, avec toutes ses menaces creuses, a maintenant perdu la face. C’est ainsi que sont ces méchants communistes, ils ne comprennent que le langage de la force, et lorsqu’ils sont confrontés aux forces unies de la démocratie, ils cèdent.

N’est-ce pas ?

Pas vrai ?!

Et bien……

Oui, si votre expertise en matière de relations internationales, de questions militaires et de Chine (ou de Russie) provient de la lecture des livres de Tom Clancy, alors oui.

Mais il y a une autre façon de voir les choses :

Premièrement, en termes objectifs, cette visite est une pure provocation sans le moindre avantage pratique. Pelosi est autant une vieille sorcière lisant son téléprompteur que le président Brandon [Biden, NdT]. Quelles que soient les sujets importants dont les États-Unis et Taïwan devaient discuter, ils auraient pu le faire soit à distance, soit en organisant une réunion entre des personnes capables de réfléchir.

Deuxièmement, tout comme la Russie à de nombreuses reprises dans le passé, les Chinois ont tracé une ligne rouge et ont laissé les États-Unis la franchir. La civilisation narcissique qu’est l’Occident n’y a vu qu’un signe de « faiblesse« , d' »indécision » ou même de « naïveté« . Ce à quoi ces gens ne pensent même pas, c’est à ceci : comment pensez-vous que la plupart des Chinois vont réagir à la fois à la visite et à l’absence de réaction chinoise (jusqu’à présent !)? Ils vont se mettre en colère et exprimer leurs frustrations. Maintenant, voyez cela du point de vue du gouvernement chinois : au lieu de dépenser des milliards en propagande anti-américaine, ils laissent les États-Unis humilier la Chine et renforcent la détermination de la population chinoise pour le jour où la véritable confrontation aura lieu.

Note de l’auteur

Il existe un lien direct entre des années de protestations plutôt faibles et essentiellement verbales de la part du Kremlin et l’apparition « soudaine » de l’ultimatum russe à l’Occident suivi de l’Opération Spéciale : le Kremlin a littéralement « cuisiné » sa propre opinion publique au point qu’elle *exigeait* une action forte. Loin d’aliéner ou d’effrayer la plupart des Russes, l’OMS a été un énorme soulagement pour eux : « nous mettons ENFIN la main au fourneau et prenons des mesures concrètes ». Cela n’aurait pas été possible avant 2018. Ceux qui, en Occident, ont vu « l’indécision » de Poutine ne comprennent tout simplement pas la mentalité russe, pas plus qu’ils ne comprennent celle de la Chine. En termes simples : vous ne pouvez pas vous préparer à la guerre sans y préparer votre propre population ! C’est ce que Tom Clancy fait aux cerveaux de ceux qui le lisent).

Troisièmement, laissez-moi vous poser une question simple : qui a décidé du moment de la visite de Pelosi à Taïwan ? La réponse est évidente, ce sont les dirigeants des États-Unis. Et vous pouvez parier qu’ils avaient tout prévu pour que cette visite se déroule dans les meilleures circonstances possibles. Or, un principe de base de la guerre est de ne PAS laisser l’ennemi choisir le moment et le lieu de la bataille. Oui, oui, oui, dans la culture occidentale, tout « affront » (réel ou perçu) exige une réaction immédiate. Mais les Chinois font cela depuis des millénaires, pas seulement depuis 200 ans, et ils savent mieux et vous pouvez être sûrs que ce sont EUX, et non les États-Unis, qui choisiront le moment, le lieu et le mode de riposte.

En résumé, les narcissiques qui dirigent les États-Unis peuvent se réjouir de la façon dont ils ont montré aux « cocos chinois » qui sont les patrons. Tout comme ils l’ont fait avec la Russie entre 1991 et 2021. Et ensuite, quand les Russes ont décidé d’agir, l’oncle Shmuel a été pris totalement au dépourvu et n’a pas su comment traiter avec cette menace soudaine et directe.

Dernier point mais non le moindre. Ce genre d’arrogance impériale n’a pas seulement un impact sur la population chinoise, déjà passablement en colère, mais elle rend également furieuse toute la zone B, créant ainsi les conditions de nouvelles défaites pour les États-Unis en Asie, en Afrique, dans le sous-continent indien, en Asie centrale et en Amérique latine.

La plupart des Américains n’ont absolument aucune idée à quel point leur arrogance condescendante, leur agitation constante du drapeau, leurs discours sur leur mission messianique pour l’humanité et leur narcissisme général sont offensants pour le reste de la planète. Mais lorsque vous regardez objectivement la liste interminable des échecs des États-Unis à peu près partout sur la planète, vous pouvez dire qu’il y a quelque chose de profond qui se passe ici. Pour une bonne raison, le « Yankees go home » semble être très contagieux.

Je pense que Nancy Pelosi mérite notre profonde gratitude.  Elle devrait recevoir au moins deux médailles :

  • Une du Parti Communiste chinois, en remerciement de ses efforts incessants pour rallier le peuple chinois autour de son gouvernement et
  • Une de la Russie, pour ses efforts incessants en vue de solidifier l’alliance russo-chinoise.

En vérité, avec Bliken et Pelosi, les intérêts de sécurité nationale chinois et russes sont entre de bonnes mains 🙂

Andrei

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone

mercredi 25 mai 2022

Guerres : ça chauffe

Source : https://www.chroniquesdugrandjeu.com/2022/05/ca-chauffe.html

Est-ce une poussée de sève naturelle, presque mécanique, après deux années d'anesthésie covidienne ? Toujours est-il que le planisphère géopolitique commence à s'embraser sérieusement et, sans surprise, la guerre en Ukraine paraît avoir joué le rôle d'élément déclencheur dans cette cascade de dominos.

Pour commencer, un mot sur l'Ukraine justement. Après avoir raté le plan A puis le B, Moscou tente tant bien que mal de mener le C à son terme, à savoir la conquête du Donbass. Ça prend un village, ça traverse une rivière, ça investit un champ de maïs : glorieux succès rêvés par tous les stratèges russes au matin du 24 février à n'en pas douter...

Derrière l'ironie du propos apparaît en filigrane la dégringolade des objectifs d'une guerre que le Kremlin doit bien regretter à présent. Kiev est plus otanisée que jamais, l'empire a pris toutes les dispositions pour faire durer le conflit (40 Mds d'aide alors que le budget militaire russe n'est que de 65 Mds), la Suède et la Finlande risquent fort d'entrer dans l'OTAN (nous y reviendrons) avec en prime le casse-tête d'un nouveau front pour l'ours, Azov a pignon sur rue, le Nord Stream II est enterré, les routes de la Soie sont quasiment à l'arrêt et même Loukachenko semble mal à l'aise. N'en jetez plus !

Dans cet amoncellement de revers émerge toutefois la possibilité de repasser du plan C au plan B, une fois encerclée la bonne moitié de l'armée ukrainienne qui est présente sur les lignes de front du Donbass. Si les Russes finissent par percer et créer un grand kotel, les choses pourraient dégénérer très vite pour Kiev. D'où, peut-être, la récente et curieuse sortie de l'acteur-président parlant prudemment de négociation.

Les yeux du monde braqués sur l'est européen, le sultan (qui ne perd jamais le nord quant à lui) en a profité pour revenir sur le devant de la scène et faire monter les enchères. Un énième chantage, cette fois vis-à-vis de l'entrée de Stockholm et Helsinki dans l'OTAN : Cessez vos relations avec les Kurdes et levez l'embargo sur les armes.

Embrayant sans tarder, le voilà qui annonce une opération en Syrie du nord pour créer ce dont il rêve depuis toujours et qu'il avait raté il y a deux ans et demi : sa fameuse zone tampon de 30 km pour séparer PKK et YPG.

Après une brumeuse partie de billard à cinq bandes (USA, Russie, Turquie, Assad, les Kurdes), ces plans grandioses avaient, à l'époque, accouché d'une souris désertique entre Tell Abyad et Ras al-Ain :

Au Nord, l'aventure ottomane est terminée. L'accord de Sochi concocté par Vladimirovitch donne ses premiers fruits. Le cessez-le-feu est globalement respecté et les Kurdes, après deux jours d'hésitation, ont accepté le plan et commencé à battre en retraite de la frontière. Ils sont remplacés par l'armée syrienne qui se déploie à vitesse grand V pour contenir toute avance future des Turcs.

A l'Ouest...

au Sud...

et à l'Est...

Game over, sultan, tu n'iras pas plus loin. Erdogan pourra toujours s'amuser avec ses quelques arpents de sable entre Tell Abyad et Ras al-Ain mais l'aventure s'arrête là. Les Kurdes sont sauvés et les loyalistes remettent la main sur une frontière qu'ils avaient quittée il y a des années.

Trente mois plus tard, il remet ça. Sauf qu'il a maintenant en face de lui, non plus seulement les YPG mais aussi l'armée syrienne, les Russes et même, toujours présents, les Américains.

Moscou a immédiatement renforcé sa présence dans la zone de même que les Syriens. Très désireux d'accueillir les Scandinaves dans l'OTAN, tonton Sam ne veut évidemment pas se mettre Erdogan à dos en ce moment et tente de maintenir un fragile équilibre ; il n'en pense pas moins et semble d'ailleurs redéployer lui aussi ses troupes dans le Rojava.

Le sultan possède un moyen de pression à la fois sur les Américains (Finlande et Suède) et les Russes (livraisons d'armes à l'Ukraine) mais ce ne sera sans doute pas suffisant pour obtenir des concessions, d'autant que Kurdes et loyalistes sont là pour pousser leur parrain respectif. Ankara va-t-elle quand même franchir le Rubicon ? Réponse au prochain épisode...

A l'instar de son cousin climatique, le réchauffement géopolitique est global et touche également l'Extrême-Orient. Nous en étions restés à l'affaire des Salomon mais, depuis, trois élections ont eu lieu dans la région.

En Australie, le parti travailliste revient au pouvoir. Historiquement, il est moins soumis aux desiderata impériaux que son homologue conservateur même si rien n'est jamais simple Down Under, comme l'expliquait votre serviteur dans son opus :

Le pays des kangourous est, avec le Royaume-Uni, le Canada et la Nouvelle-Zélande, membre du Five Eyes mis en place par les États-Unis. On sait depuis Snowden et d’autres lanceurs d’alerte que cet inquiétant réseau de surveillance, à la connotation très anglo-saxonne, espionne la vie quotidienne de milliards de personnes. Que l’Australie en fasse partie n’est pas tout à fait une surprise tant son noyautage par le cousin américain est ancien. De la Corée à l’Irak en passant par le Viêtnam, Canberra n’a d’ailleurs jamais manqué de participer à toutes les guerres états-uniennes du XXe siècle. Aussi, quand George W. Bush qualifie en 2003 le pays de « shérif US dans la région », il provoque peut-être un tollé mais n’a en réalité pas tort.

Toutefois, la grande île australe suit également sa propre dynamique et sa vie politique, extrêmement polarisée, est loin d’être monocorde. En 1972, l’élection du travailliste Gough Whitlam envoie des ondes de choc à travers le Pacifique. Le nouveau Premier ministre remet en cause la soumission australienne, prétend rejoindre le bloc des pays non-alignés et envisage de fermer la station d’écoute américaine de Pine Gap faisant partie du réseau Échelon. La fébrilité gagne les esprits à Washington, traumatisés par ces dangereuses déviances. La CIA, qui avait infiltré l’establishment politique, médiatique, économique et sécuritaire australien, organise alors un véritable putsch institutionnel qui destitue Whitlam en 1975.

En 2008, un autre travailliste, Kevin Rudd, arrive au pouvoir et retire résolument l’Australie du QUAD, signant l’arrêt de mort de l’embryon d’alliance. Son successeur, Julia Gillard, pourtant du même parti, la réintègre en 2010 pour le plus grand bonheur du système politico-médiatique du pays.

Bien que certains commencent à disséquer les signaux du nouveau gouvernement ou échafauder des prévisions, il est encore trop tôt pour dire si Canberra va effectuer un virage dans sa politique étrangère.

On ne se pose plus cette question en Corée du sud où Moon a été battu par Yoon. Une petite lettre de différence mais un gouffre géopolitique. Le parti conservateur dont est issu le nouveau président est traditionnellement beaucoup plus proche de Washington, ce qui se traduira très vraisemblablement par une position plus ferme de Séoul vis-à-vis de Pékin (avec arrivé de quelques THAAD supplémentaires ?)

Situation inverse aux Philippines où, en l'absence de Duterte qui ne pouvait constitutionnellement se représenter, Marcos junior a été plébiscité. Or le bonhomme ne cache pas un penchant certain pour le dragon, ce qui n'est évidemment pas du goût de qui vous savez.

Car, dans l'encerclement de l'Eurasie, les Philippines sont la clé du sud-est :

Il fait même partie d'un réseau de containment mis en place par les États-Unis dans les années 50 : l'Island chain strategy ou, en bon français, stratégie des chaînes d'îles. Si ce fait est très peu connu en Europe et n'est jamais évoqué dans les médias, même les moins mauvais, il occupe pourtant les pensées des amiraux chinois et américains ainsi que les états-majors de tous les pays de la région ou les publications spécialisées (tag spécial dans The Diplomat, revue japonaise par ailleurs très favorable à l'empire).

Que le domino philippin tombe et c'est la première chaîne qui est sérieusement ébréchée. La deuxième ligne étant plus virtuelle (car uniquement maritime, sans armature terrestre véritable), c'est le Pacifique, donc les côtes américaines, qui s'ouvrent partiellement à la Chine.

Une clé du sud-est qui ouvre sur le grand océan, notamment sur les fameuses îles Salomon, très en vue en ce moment et où le Premier ministre chinois est attendu pour parapher les accords qui donnent tant de sueurs froides au QUAD...

Est-ce tout à fait un hasard si c'est le moment que choisit Biden pour faire une sortie aventureuse, affirmant que les États-Unis protégeraient Taïwan (voisine des Philippines) en cas d'attaque chinoise ?

Avec Joe l'Indien, il est toujours difficile de faire la part des choses entre avertissement réel et remarque sénile, mais cette saillie a poussé le vénérable Kissinger (98 ans et encore toute sa tête, lui) à recadrer les choses et, surtout, la porte-parole de la Maison blanche à désavouer une nouvelle fois son propre président. Toutefois le doute s'est maintenant subrepticement installé dans les esprits.

Dans ce contexte éruptif, des bombardiers russes et chinois viennent de faire un peu de provoc' lors d'exercices militaires communs, en volant lascivement autour du Japon en plein sommet... du QUAD !