20 mars 2024
Dans la nuit de dimanche, en solidarité avec la population de Gaza, un groupe d’une trentaine de personnes a repeint les 374 marches de la Montagne de Bueren, à Liège, aux couleurs du drapeau palestinien. Audacieux et spectaculaire.
Le Bourgmestre de la ville (Willy Demeyer, PS) et
l’échevin de la propreté et de la transition écologique (Gilles Foret,
MR), ont estimé urgent et indispensable d’envoyer dès le lendemain une
équipe de huit personnes « effacer » illico au karcher cette belle
action de solidarité. L’armée israélienne les en remercie.
Ce qui a aussi fait réagir au quart de tour le citoyen Pierre
Heldenbergh, personnalité culturelle liégeoise, et ex-directeur des ASBL
« Grignoux » et « Barricade ». Si le chantier du tram de Liège avait
été conduit avec autant d’empressement, il eût été terminé depuis dix
ans (C.S.).
LA SOLIDARITÉ, CE N’EST PAS UNE CRASSE QU’ON NETTOIE ! par Pierre Heldenbergh
Ville de Liège : quand le soi-disant « politiquement correct » méprise tout à la fois
• une formidable expression de solidarité avec un peuple opprimé,
• une œuvre de Street Art parmi les plus grandes d’Europe,
• et une fantastique occasion de voir débarquer des dizaines de milliers de touristes qui seraient venus à Liège pour la voir.
J’ai la chance et le plaisir de connaître
personnellement de nombreux échevin.es, élu.es et même bourgmestre de la
ville de Liège. Ce message leur est donc un peu adressé.
J’ai aussi la chance et le plaisir d’avoir un fils aîné engagé sur les
questions de démocratie, de genre, de solidarité et impliqué dans de
nombreuses causes, dont celles des populations écrasées par des nations
puissantes et ultra-armées.
Ce midi il vient me dire « Pierre, vient avec moi voir la montagne de
Bueren. Les pacifistes ont fait un truc génial ! ». Pendant la nuit de
dimanche à lundi, un groupe d’artistes (?) et de pacifistes (?), en tout
cas, des personnes qui voulaient soutenir un peuple victime d’un
(quasi) génocide dans une guerre totalement injuste et disproportionnée,
ont totalement repeint l’entièreté des 374 marches des escaliers de
Bueren aux couleurs du drapeau palestinien – un peuple à qui on refuse
le droit d’être un état depuis plus de 75 ans.
A midi, mon fils et moi descendons donc vers Hors
Château pour découvrir cette œuvre « en vrai », et pas seulement par les
photos qui circulent sur les réseaux sociaux et dans les médias. Mais
interdiction de monter les escaliers.
Une toute grosse équipe d’entretien de la ville de Liège était déjà en train de tout nettoyer.
Cette attitude a provoqué chez moi trois réactions à chaud :
1. L’art urbain et la liberté d’expression
Liège est connue pour ses fresques murales, comme
celles de mon ami Vincent Solheid, ou les grandes expos temporaires sur
des bâches d’œuvres d’art contemporain, les installations provisoires
d’Alain De Clerck, ou encore par les splendides graffitis (à ne pas
confondre avec les tags dont je n’ai jamais compris le sens) réalisés
par des artistes reconnu.es au niveau national et même européen.
Bref, la ville se veut ouverte au Street Art, et les autorités
communales soutiennent même un projet qui s’appelle Paliss’Art, en lien
avec l’asbl Spray Can Arts, pour multiplier les œuvres éphémères ou
permanentes sur des centaines de murs sans intérêt.
Cela permet d’embellir une ville et de l’ancrer de manière originale et publique dans des expressions d’art contemporain.
Alors pourquoi une œuvre à la fois gigantesque et solidaire avec un
peuple opprimé, qui a certainement dû nécessiter une nuit de travail à
un fameux collectif (vous avez vu le nombre de marches à peindre ?),
n’a-t-elle pu résister que quelques heures avant d’être nettoyée en
vitesse, comme si c’était un simple conglomérat de merdes de chiens et
de cacas de pigeons ?
2. Une opportunité « touristique » gâchée (même si ce n’est pas vraiment le sujet)
Liège mise énormément sur son ouverture aux touristes du monde entier,
même parfois un peu trop, il faut bien l’avouer. Mais c’est un axe
important de développement économique et c’est l’un des seuls qui fait
vraiment vivre une grande partie des petits commerces et du secteur
horeca, avec des répercussions sur nos infrastructures muséales et la
fréquentation de nos événements culturels.
Alors là, effacer l’un des plus longs drapeaux jamais peints au cœur
d’une ville, à peine quelques heures après qu’il ait été terminé, quel
gâchis touristique !
Bien sûr des centaines de milliers de personnes verront les photos de la
Montagne de Bueren repeinte, et les diffuseront sur leurs réseaux, etc.
Nous pouvons même espérer que dans les territoires actuellement
bombardés, ces photos circuleront aussi et donneront un petit peu de
baume au cœur à ces populations maltraitées.
Mais plus personne ne viendra à Liège pour voir cette œuvre temporaire,
que les autorités communales se sont empressées d’effacer, comme s’il
fallait absolument « invisibiliser » cette action. Pour quelle raison ?
Si les Liégeois.es avaient su cela plus tôt, il y a une dizaine d’années
que nous aurions peint le drapeau palestinien sur l’ensemble du trajet
du futur tram de la cité ardente… Cela aurait peut-être accéléré les
travaux !
3. Deux peintures, deux mesures
La dernière réaction qui m’est venue, c’est une
question que je me pose régulièrement en marchant dans les rues de
Liège. C’est le « deux poids deux mesures » dans la politique de «
détagage » des services communaux liégeois.
Je l’avais écrit par plaisanterie il y a quelques semaines : si tu
habites Liège et que tu veux faire nettoyer la façade de ta maison, ou
la porte de ton garage, n’appelle pas une société privée pour le faire.
Il suffit d’y peindre toi-même un drapeau palestinien… et la Ville
viendra aussitôt nettoyer ton mur gratos au Karcher.
Quelques jours plus tard, les pauvres employé.es du service « détagage »
seront ainsi sommé.es de venir respirer d’urgence les vapeurs de
dissolvant sur la façade de ton domicile. Peindre un simple morceau de
pastèque (ndlr : allusion au drapeau palestinien) dans l’espace public,
cela peut même être sévèrement réprimé !!!
Mais si tu n’as « que » de « simples » tags sur ton mur, ou des slogans
débiles et racistes, attends-toi plutôt à devoir attendre plusieurs mois
!
Ce « deux peintures, deux mesures » me laisse profondément perplexe sur les priorités des autorités liégeoises. Car enfin, de quoi ont-elles peur ?
Exprimer sa solidarité avec des peuples opprimés, dont les médias et nos
gouvernements font si peu de cas, ce serait tellement insupportable ?
Réclamer par un dessin, une affichette, ou un slogan, qu’une guerre ignoble s’arrête, c’est insupportable ?
Dénoncer la politique ignoble d’un gouvernement israélien qui réunit
pourtant la droite et une extrême droite ouvertement coloniale et
raciste, c’est insupportable ?
Et dire qu’il serait temps que les résolutions de l’ONU
numéros 46, 48, 49, 106, 111, 127, 171, 228, 236, 237, 240, 242, 248,
250, 251, 252, 256, 258, 259, 262, 265, 267, 270, 271, 279, 280, 285,
298, 313, 316, 317, 331, 332, 337, 338, 339, 340, 347, 350, 362, 368,
369, 378, 390, 425, 426, 427, 444, 446, 449, 450, 452, 465, 467, 468,
476, 478, 484, 487, 497, 498, 501, 508, 509, 515, 516, 517, 518, 519,
520, 573, 587, 592, 605, 607, 608, 611, 636, 641, 672, 673, 681, 694,
799, 904, 1073, 1397, 1435, 1402, 1405, 1435, 1515, 1544, 1583, 1701,
1850, 1860, 2334, 2712 et 2720, soient enfin respectées par les
belligérants d’un conflit qui a fait tant de morts innocentes… c’est
insupportable ?
Pour conclure ce message, j’en appelle aux autorités de la ville de Liège, au bourgmestre, aux échevin.es, et à tous ceux et toutes celles qui pourraient utilement l’entendre :
– Laissez les liégeois.es qui le souhaitent exprimer leur solidarité avec le peuple palestinien, même si c’est parfois sur des murs abandonnés ou sur les marches d’un escalier ;
– Si vraiment le « politiquement correct » (?) vous « obligeait » (?) à effacer d’urgence ces messages de paix, profitez-en pour nettoyer aussi tous les tags et toutes les saloperies qui sont écrites autour sur les murs – au lieu d’obliger vos services à se centrer uniquement sur ceux-là. On pourrait sinon croire qu’invisibiliser la résistance à la politique criminelle du gouvernement israélien est pour vous finalement plus important que la seule « propreté » des murs de votre ville.
– Et enfin, même si l’action d’une petite ville de Wallonie
ne changera certainement pas le déroulement d’un conflit qui dure
depuis 75 ans, comment se fait-il qu’en autant d’années, nous n’ayons
pas encore jumelé notre cité ardente à une ville ou à un village de
Palestine ?
Des villes allemandes, américaines, anglaises, australiennes,
autrichiennes, brésiliennes, espagnoles, grecques, hollandaise,
iraniennes, irlandaises, italiennes, jordaniennes, marocaines,
mexicaines, norvégiennes, péruviennes, polonaises, portugaises, russes,
tchèques et turques l’ont fait.
En France, les villes et villages de Chartres, de Dunkerque, de
Grenoble, de Lille, de Paray-le-Monial, de Saint-Pierre-des-Corps et de
Strasbourg l’ont fait. Mais aucune ville en Belgique !
Liège est jumelée avec Cologne (Allemagne), Cracovie
(Pologne), Esch-sur-Alzette (Luxembourg), Gand (Belgique), Lille
(France), Lubumbashi (Congo), Nancy (France), Plzen (Tchèquie),
Port-Vila (Vanuatu), Porto (Portugal), Rotterdam (Pays-Bas), Saint-Louis
(Sénégal), Szeged (Hongrie), Turin (Italie) et même Volgograd –
anciennement Stalingrad (Russie).
Nous avons fait un premier pas courageux en 2014 en officialisant un
partenariat avec Ramallah. Ne serait-il pas temps, ne fut-ce que pour le
symbole, d’enfin transformer ce partenariat en jumelage ? Et pour
marquer le moment historique de ce jumelage – de repeindre ce jour-là
les escaliers de Bueren aux couleurs de Ramallah ? ; – ))
Merci de m’avoir lu…
Pierre Heldenbergh (Liège).
Le communiqué de presse :
LES ESCALIERS DE BUEREN À LIÈGE REPEINTS AUX COULEURS DE LA PALESTINE
Durant la nuit du 17 au 18 mars 2024, un groupe de personnes a repeint
les célèbres escaliers de Bueren (374 marches), à Liège, aux couleurs du
drapeau de la Palestine.
Wallonie | Publié le 18/03/2024
Solidarité avec le peuple et la résistance palestiniennes
Contre le génocide et la colonisation israéliennes.
Ce geste symbolique, qui s’inscrit à la suite
d’actions similaires dans plusieurs villes de France et de Belgique
(Marseille, Paris, Lyon, Nantes, Bruxelles, …), vise à montrer la
solidarité de Liège avec le peuple Palestinien qui subit la
colonisation, l’apartheid et les violences au quotidien de l’État
israélien et de ses alliés depuis plus de 75 ans, ainsi qu’un génocide
depuis le 7 octobre 2023.
Il vise aussi à soutenir les revendications du peuple Palestinien : un
arrêt immédiat des meurtres et des violences à Gaza et en Cisjordanie
ainsi qu’un retrait total et inconditionnel de l’armée israélienne de
ces territoires occupés. Doivent s’en suivre un processus de
décolonisation, de réhabilitation des territoires de la Palestine et de
réparation pour toutes les pertes humaines, matérielles et écologiques
provoquées par la colonisation.
Plus de 31.000 Palestinien·nes assassiné·es, 70 000 autres blessés, plus
de 17 000 orphelins qui ont pour certains vu leurs parents se faire
tuer sous leurs yeux !
La famine de masse comme arme de guerre, l’usage
d’armes au phosphore blanc (qui continuent à tuer longtemps après leur
explosion dévastatrice), la destruction délibérée de terres agricoles et
d’équipements d’assainissement des eaux, la pollution durable
volontaire des sols et des nappes phréatiques, plus de 60% des bâtiments
réduits en poussière, la contamination des eaux qui « menace de
redéfinir l’épidémiologie de la résistance aux antimicrobiens à Gaza et
au-delà » (source : OMS), des centaines de milliers d’enfants gravement
malades, une santé mentale des habitant·es décimée, des parties entières
de la bande de Gaza rendues inhabitables.
Selon l’OMS les agissements de l’armée israélienne indiquent que « nous
verrons plus de gens mourir de maladies que nous n’en voyons tués par
les bombardements ». Et sans oublier toutes les destructions délibérées
du patrimoine culturel et humain palestinien (écoles, universités,
mosquées, lieux historiques, etc.) et de toutes les infrastructures de
santé.
C’est un peuple entier et tout son avenir que le gouvernement israélien d’extrême droite
cherche à détruire ! Et face à cela, nous sommes révolté·es par
l’immobilité du gouvernement et des partis belges, qui malgré les belles
déclarations d’intentions de certains, n’ont toujours RIEN fait de
concret pour tenter d’y mettre fin.
L’Europe doit prendre ses responsabilités et assumer que ce n’est pas en
sacrifiant les Palestinien·nes qu’elle règlera ses propres crimes
antisémites d’hier et d’aujourd’hui.
Par ailleurs, nous refusons le discours binaire selon lequel soutenir la
résistance et les droits fondamentaux des palestinien·nes équivaudrait à
renier les droits des autres personnes vivant sur ces territoires
aujourd’hui disputés.
Par sa nature colonisatrice et sa politique
guerrière et meurtrière, c’est bien l’État israélien lui-même (et ses
soutiens) qui rend impossible toute possibilité de paix entre les
peuples.
Si certain·es seront peut-être choqué·es de voir le patrimoine
historique liégeois ainsi paré, nous les invitons à rediriger leur
indignation là où elle est nécessaire, ici et maintenant, pour faire
bouger les lignes et stopper ce génocide.
La pluie ou la commune (si elle tient à se mettre en porte-à-faux du
large soutien liégeois au peuple palestinien) effaceront cette peinture
bien assez vite. Les blessures et la colère générées par les massacres
d’Israël et le laisser-faire de nos gouvernants seront quant à elles
ineffaçables.
Edit
Notons que, contrairement à Nantes où le maire de la ville a décidé de
ne pas retirer la fresque, les autorités locales liégeoises (Willy
Demeyer, bourgmestre PS, et Gilles Foret, échevin MR) se sont empressés
d’effacer toute trace de ce soutien à la Palestine.