samedi 30 mars 2024

GAZA : QUAND LIÈGE EN FAIT UNE MONTAGNE par Pierre Heldenbergh

 


Dans la nuit de dimanche, en solidarité avec la population de Gaza, un groupe d’une trentaine de personnes a repeint les 374 marches de la Montagne de Bueren, à Liège, aux couleurs du drapeau palestinien. Audacieux et spectaculaire.

Le Bourgmestre de la ville (Willy Demeyer, PS) et l’échevin de la propreté et de la transition écologique (Gilles Foret, MR), ont estimé urgent et indispensable d’envoyer dès le lendemain une équipe de huit personnes « effacer » illico au karcher cette belle action de solidarité. L’armée israélienne les en remercie.
Ce qui a aussi fait réagir au quart de tour le citoyen Pierre Heldenbergh, personnalité culturelle liégeoise, et ex-directeur des ASBL « Grignoux » et « Barricade ». Si le chantier du tram de Liège avait été conduit avec autant d’empressement, il eût été terminé depuis dix ans (C.S.).

Photo Yannick Bovy

LA SOLIDARITÉ, CE N’EST PAS UNE CRASSE QU’ON NETTOIE ! par Pierre Heldenbergh

Ville de Liège : quand le soi-disant « politiquement correct » méprise tout à la fois
• une formidable expression de solidarité avec un peuple opprimé,
• une œuvre de Street Art parmi les plus grandes d’Europe,
• et une fantastique occasion de voir débarquer des dizaines de milliers de touristes qui seraient venus à Liège pour la voir.

J’ai la chance et le plaisir de connaître personnellement de nombreux échevin.es, élu.es et même bourgmestre de la ville de Liège. Ce message leur est donc un peu adressé.
J’ai aussi la chance et le plaisir d’avoir un fils aîné engagé sur les questions de démocratie, de genre, de solidarité et impliqué dans de nombreuses causes, dont celles des populations écrasées par des nations puissantes et ultra-armées.
Ce midi il vient me dire « Pierre, vient avec moi voir la montagne de Bueren. Les pacifistes ont fait un truc génial ! ». Pendant la nuit de dimanche à lundi, un groupe d’artistes (?) et de pacifistes (?), en tout cas, des personnes qui voulaient soutenir un peuple victime d’un (quasi) génocide dans une guerre totalement injuste et disproportionnée, ont totalement repeint l’entièreté des 374 marches des escaliers de Bueren aux couleurs du drapeau palestinien – un peuple à qui on refuse le droit d’être un état depuis plus de 75 ans.

A midi, mon fils et moi descendons donc vers Hors Château pour découvrir cette œuvre « en vrai », et pas seulement par les photos qui circulent sur les réseaux sociaux et dans les médias. Mais interdiction de monter les escaliers.
Une toute grosse équipe d’entretien de la ville de Liège était déjà en train de tout nettoyer.

Cette attitude a provoqué chez moi trois réactions à chaud :

1. L’art urbain et la liberté d’expression

Liège est connue pour ses fresques murales, comme celles de mon ami Vincent Solheid, ou les grandes expos temporaires sur des bâches d’œuvres d’art contemporain, les installations provisoires d’Alain De Clerck, ou encore par les splendides graffitis (à ne pas confondre avec les tags dont je n’ai jamais compris le sens) réalisés par des artistes reconnu.es au niveau national et même européen.
Bref, la ville se veut ouverte au Street Art, et les autorités communales soutiennent même un projet qui s’appelle Paliss’Art, en lien avec l’asbl Spray Can Arts, pour multiplier les œuvres éphémères ou permanentes sur des centaines de murs sans intérêt.
Cela permet d’embellir une ville et de l’ancrer de manière originale et publique dans des expressions d’art contemporain.
Alors pourquoi une œuvre à la fois gigantesque et solidaire avec un peuple opprimé, qui a certainement dû nécessiter une nuit de travail à un fameux collectif (vous avez vu le nombre de marches à peindre ?), n’a-t-elle pu résister que quelques heures avant d’être nettoyée en vitesse, comme si c’était un simple conglomérat de merdes de chiens et de cacas de pigeons ?

photo Yannick Bovy

2. Une opportunité « touristique » gâchée (même si ce n’est pas vraiment le sujet)

Liège mise énormément sur son ouverture aux touristes du monde entier, même parfois un peu trop, il faut bien l’avouer. Mais c’est un axe important de développement économique et c’est l’un des seuls qui fait vraiment vivre une grande partie des petits commerces et du secteur horeca, avec des répercussions sur nos infrastructures muséales et la fréquentation de nos événements culturels.
Alors là, effacer l’un des plus longs drapeaux jamais peints au cœur d’une ville, à peine quelques heures après qu’il ait été terminé, quel gâchis touristique !
Bien sûr des centaines de milliers de personnes verront les photos de la Montagne de Bueren repeinte, et les diffuseront sur leurs réseaux, etc.
Nous pouvons même espérer que dans les territoires actuellement bombardés, ces photos circuleront aussi et donneront un petit peu de baume au cœur à ces populations maltraitées.
Mais plus personne ne viendra à Liège pour voir cette œuvre temporaire, que les autorités communales se sont empressées d’effacer, comme s’il fallait absolument « invisibiliser » cette action. Pour quelle raison ?
Si les Liégeois.es avaient su cela plus tôt, il y a une dizaine d’années que nous aurions peint le drapeau palestinien sur l’ensemble du trajet du futur tram de la cité ardente… Cela aurait peut-être accéléré les travaux !

3. Deux peintures, deux mesures

La dernière réaction qui m’est venue, c’est une question que je me pose régulièrement en marchant dans les rues de Liège. C’est le « deux poids deux mesures » dans la politique de « détagage » des services communaux liégeois.
Je l’avais écrit par plaisanterie il y a quelques semaines : si tu habites Liège et que tu veux faire nettoyer la façade de ta maison, ou la porte de ton garage, n’appelle pas une société privée pour le faire. Il suffit d’y peindre toi-même un drapeau palestinien… et la Ville viendra aussitôt nettoyer ton mur gratos au Karcher.
Quelques jours plus tard, les pauvres employé.es du service « détagage » seront ainsi sommé.es de venir respirer d’urgence les vapeurs de dissolvant sur la façade de ton domicile. Peindre un simple morceau de pastèque (ndlr : allusion au drapeau palestinien) dans l’espace public, cela peut même être sévèrement réprimé !!!
Mais si tu n’as « que » de « simples » tags sur ton mur, ou des slogans débiles et racistes, attends-toi plutôt à devoir attendre plusieurs mois !

Ce « deux peintures, deux mesures » me laisse profondément perplexe sur les priorités des autorités liégeoises. Car enfin, de quoi ont-elles peur ?
Exprimer sa solidarité avec des peuples opprimés, dont les médias et nos gouvernements font si peu de cas, ce serait tellement insupportable ?
Réclamer par un dessin, une affichette, ou un slogan, qu’une guerre ignoble s’arrête, c’est insupportable ?
Dénoncer la politique ignoble d’un gouvernement israélien qui réunit pourtant la droite et une extrême droite ouvertement coloniale et raciste, c’est insupportable ?
Et dire qu’il serait temps que les résolutions de l’ONU numéros 46, 48, 49, 106, 111, 127, 171, 228, 236, 237, 240, 242, 248, 250, 251, 252, 256, 258, 259, 262, 265, 267, 270, 271, 279, 280, 285, 298, 313, 316, 317, 331, 332, 337, 338, 339, 340, 347, 350, 362, 368, 369, 378, 390, 425, 426, 427, 444, 446, 449, 450, 452, 465, 467, 468, 476, 478, 484, 487, 497, 498, 501, 508, 509, 515, 516, 517, 518, 519, 520, 573, 587, 592, 605, 607, 608, 611, 636, 641, 672, 673, 681, 694, 799, 904, 1073, 1397, 1435, 1402, 1405, 1435, 1515, 1544, 1583, 1701, 1850, 1860, 2334, 2712 et 2720, soient enfin respectées par les belligérants d’un conflit qui a fait tant de morts innocentes… c’est insupportable ?

photo Yannick Bovy

Pour conclure ce message, j’en appelle aux autorités de la ville de Liège, au bourgmestre, aux échevin.es, et à tous ceux et toutes celles qui pourraient utilement l’entendre :

Laissez les liégeois.es qui le souhaitent exprimer leur solidarité avec le peuple palestinien, même si c’est parfois sur des murs abandonnés ou sur les marches d’un escalier ;

Si vraiment le « politiquement correct » (?) vous « obligeait » (?) à effacer d’urgence ces messages de paix, profitez-en pour nettoyer aussi tous les tags et toutes les saloperies qui sont écrites autour sur les murs – au lieu d’obliger vos services à se centrer uniquement sur ceux-là. On pourrait sinon croire qu’invisibiliser la résistance à la politique criminelle du gouvernement israélien est pour vous finalement plus important que la seule « propreté » des murs de votre ville.

Et enfin, même si l’action d’une petite ville de Wallonie ne changera certainement pas le déroulement d’un conflit qui dure depuis 75 ans, comment se fait-il qu’en autant d’années, nous n’ayons pas encore jumelé notre cité ardente à une ville ou à un village de Palestine ?
Des villes allemandes, américaines, anglaises, australiennes, autrichiennes, brésiliennes, espagnoles, grecques, hollandaise, iraniennes, irlandaises, italiennes, jordaniennes, marocaines, mexicaines, norvégiennes, péruviennes, polonaises, portugaises, russes, tchèques et turques l’ont fait.
En France, les villes et villages de Chartres, de Dunkerque, de Grenoble, de Lille, de Paray-le-Monial, de Saint-Pierre-des-Corps et de Strasbourg l’ont fait. Mais aucune ville en Belgique !

Liège est jumelée avec Cologne (Allemagne), Cracovie (Pologne), Esch-sur-Alzette (Luxembourg), Gand (Belgique), Lille (France), Lubumbashi (Congo), Nancy (France), Plzen (Tchèquie), Port-Vila (Vanuatu), Porto (Portugal), Rotterdam (Pays-Bas), Saint-Louis (Sénégal), Szeged (Hongrie), Turin (Italie) et même Volgograd – anciennement Stalingrad (Russie).
Nous avons fait un premier pas courageux en 2014 en officialisant un partenariat avec Ramallah. Ne serait-il pas temps, ne fut-ce que pour le symbole, d’enfin transformer ce partenariat en jumelage ? Et pour marquer le moment historique de ce jumelage – de repeindre ce jour-là les escaliers de Bueren aux couleurs de Ramallah ? ; – ))

Merci de m’avoir lu…
Pierre Heldenbergh (Liège).

photo fred romero

Le communiqué de presse :
LES ESCALIERS DE BUEREN À LIÈGE REPEINTS AUX COULEURS DE LA PALESTINE

Durant la nuit du 17 au 18 mars 2024, un groupe de personnes a repeint les célèbres escaliers de Bueren (374 marches), à Liège, aux couleurs du drapeau de la Palestine.

Wallonie | Publié le 18/03/2024
Solidarité avec le peuple et la résistance palestiniennes
Contre le génocide et la colonisation israéliennes.

Ce geste symbolique, qui s’inscrit à la suite d’actions similaires dans plusieurs villes de France et de Belgique (Marseille, Paris, Lyon, Nantes, Bruxelles, …), vise à montrer la solidarité de Liège avec le peuple Palestinien qui subit la colonisation, l’apartheid et les violences au quotidien de l’État israélien et de ses alliés depuis plus de 75 ans, ainsi qu’un génocide depuis le 7 octobre 2023.
Il vise aussi à soutenir les revendications du peuple Palestinien : un arrêt immédiat des meurtres et des violences à Gaza et en Cisjordanie ainsi qu’un retrait total et inconditionnel de l’armée israélienne de ces territoires occupés. Doivent s’en suivre un processus de décolonisation, de réhabilitation des territoires de la Palestine et de réparation pour toutes les pertes humaines, matérielles et écologiques provoquées par la colonisation.
Plus de 31.000 Palestinien·nes assassiné·es, 70 000 autres blessés, plus de 17 000 orphelins qui ont pour certains vu leurs parents se faire tuer sous leurs yeux !

La famine de masse comme arme de guerre, l’usage d’armes au phosphore blanc (qui continuent à tuer longtemps après leur explosion dévastatrice), la destruction délibérée de terres agricoles et d’équipements d’assainissement des eaux, la pollution durable volontaire des sols et des nappes phréatiques, plus de 60% des bâtiments réduits en poussière, la contamination des eaux qui « menace de redéfinir l’épidémiologie de la résistance aux antimicrobiens à Gaza et au-delà » (source : OMS), des centaines de milliers d’enfants gravement malades, une santé mentale des habitant·es décimée, des parties entières de la bande de Gaza rendues inhabitables.
Selon l’OMS les agissements de l’armée israélienne indiquent que « nous verrons plus de gens mourir de maladies que nous n’en voyons tués par les bombardements ». Et sans oublier toutes les destructions délibérées du patrimoine culturel et humain palestinien (écoles, universités, mosquées, lieux historiques, etc.) et de toutes les infrastructures de santé.

C’est un peuple entier et tout son avenir que le gouvernement israélien d’extrême droite cherche à détruire ! Et face à cela, nous sommes révolté·es par l’immobilité du gouvernement et des partis belges, qui malgré les belles déclarations d’intentions de certains, n’ont toujours RIEN fait de concret pour tenter d’y mettre fin.
L’Europe doit prendre ses responsabilités et assumer que ce n’est pas en sacrifiant les Palestinien·nes qu’elle règlera ses propres crimes antisémites d’hier et d’aujourd’hui.
Par ailleurs, nous refusons le discours binaire selon lequel soutenir la résistance et les droits fondamentaux des palestinien·nes équivaudrait à renier les droits des autres personnes vivant sur ces territoires aujourd’hui disputés.

Par sa nature colonisatrice et sa politique guerrière et meurtrière, c’est bien l’État israélien lui-même (et ses soutiens) qui rend impossible toute possibilité de paix entre les peuples.
Si certain·es seront peut-être choqué·es de voir le patrimoine historique liégeois ainsi paré, nous les invitons à rediriger leur indignation là où elle est nécessaire, ici et maintenant, pour faire bouger les lignes et stopper ce génocide.
La pluie ou la commune (si elle tient à se mettre en porte-à-faux du large soutien liégeois au peuple palestinien) effaceront cette peinture bien assez vite. Les blessures et la colère générées par les massacres d’Israël et le laisser-faire de nos gouvernants seront quant à elles ineffaçables.

Edit
Notons que, contrairement à Nantes où le maire de la ville a décidé de ne pas retirer la fresque, les autorités locales liégeoises (Willy Demeyer, bourgmestre PS, et Gilles Foret, échevin MR) se sont empressés d’effacer toute trace de ce soutien à la Palestine.


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