Traduction: Nicolas Casaux
Bernie Sanders, qui s'est attiré la sympathie de nombreux jeunes universitaires blancs, dans sa candidature à la présidence, prétend créer un mouvement et promet une révolution politique. Cette rhétorique n'est qu'une version mise à jour du « changement » promis en 2008 par la campagne de Barack Obama, et avant cela par la Coalition National Rainbow de Jesse Jackson. De telles campagnes électorales démocratiques, au mieux, élèvent la conscience politique. Mais elles n'engendrent ni mouvements ni révolutions. La campagne de Sanders ne sera pas différente.
Aucun mouvement ni aucune révolution politique ne se construiront au sein du parti démocrate. L'échec répété de la gauche états-unienne à comprendre la fourberie du jeu des élites politiques, fait d'elle une force politique stérile. L'histoire, après tout, devrait servir à quelque chose.
Les Démocrates, comme les Républicains, n'ont pas intérêt à mettre en place de véritables réformes. Ils sont liés au pouvoir corporatiste. Ils sont dans l'apparence, mais n'ont pas de substance. Ils parlent le langage de la démocratie, et même du réformisme libéral et du populisme, mais empêchent obstinément la réforme sur le financement des campagnes, et font la promotion d'un ensemble de politiques, dont les nouveaux accords commerciaux, qui dépossèdent affaiblissent les ouvriers. Ils truquent les élections, non seulement avec de l'argent, mais aussi avec des soit-disant superdélégués — plus de 700 délégués qui n'ont aucun compte à rendre, parmi plus de 4700 au congrès démocrate. Sanders a peut-être remporté 60% des voix au New Hampshire, mais il a fini avec moins de délégués d'état que Clinton. Un avant-goût de la campagne à venir.
Si la nomination de Sanders est rejetée — la machine Clinton et l'establishment du Parti Démocrate, ainsi que leurs maitres marionnettistes corporatistes, utiliseront les subterfuges les plus bas pour s'assurer qu'il perde — son soit-disant mouvement et sa révolution politique s'évanouiront. Sa base mobilisée, et c'était aussi le cas lors de la campagne d'Obama, sera fossilisée en listes de donateurs et de bénévoles. Le rideau tombera dans un tonnerre d'applaudissements, jusqu'au prochain carnaval électoral.
Le Parti Démocrate est entièrement solidaire de l'état corporatiste. Cependant, Sanders, bien que critique vis-à-vis des honoraires de conférences exorbitants d'Hillary Clinton auprès de firmes comme Goldman Sachs, refuse de dénoncer le parti et les Clintons — comme Robert Scheer l'a souligné dans une colonne en Octobre — pour leur rôle de majordomes de Wall Street. C'est un mensonge par omission, ce qui cependant reste un mensonge, de la part de Sanders. Et c'est un mensonge qui rend le sénateur du Vermont complice du jeu de dupe orchestré par l'establishment du Parti Démocrate, et dont l'électorat états-unien est victime.
Les partisans de Sanders pensent-ils pouvoir disputer le pouvoir à l'establishment du Parti Démocrate, et ainsi le transformer ? Pensent-ils que les forces sur lesquelles repose le véritable pouvoir — le complexe militaro-industriel, Wall Street, les corporations, l'état sécuritaire et de surveillance — peuvent être renversées par la campagne de Bernie Sanders ? Pensent-ils que le Parti Démocrate autorisera que sa direction soit dirigée par des procédures démocratiques ? N'acceptent-ils pas le fait qu'avec la destruction des organisations syndicales, du mouvement anti-guerre, du mouvement pour les droits civiques, et du mouvement progressiste — une destruction souvent orchestrée par les organes de sécurité comme le FBI — ce parti ait viré à droite au point de n'être aujourd'hui qu'un remake de l'ancien Parti Républicain ?
Les élites utilisent l'argent, ainsi que le contrôle qu'ils ont sur les médias, les tribunaux et le corps législatif, leurs armées de lobbyistes et de « think tanks », pour invalider le vote. Nous avons subi, comme John Ralston Saul l'a écrit, un coup d'état corporatiste. Il ne reste aucune institution, au sein de la société civile, qui puisse être qualifiée de démocratique. Nous ne vivons pas dans une démocratie capitaliste. Nous vivons dans ce que le philosophe politique Sheldon Wolin appelle un système de « totalitarisme inversé ».
En Europe, le Parti Démocrate états-unien serait un parti d'extrême droite. Le Parti Républicain serait un parti extémiste. Il n'y a pas de classe politique libérale — et encore moins de gauche ou progressiste — aux États-Unis. La croissance des groupes protofascistes ne prendra fin que lorsqu'un mouvement de gauche soutiendra une militance sans équivoque pour défendre les droits des ouvriers et entreprendre la destruction du pouvoir corporatiste. Tant que la gauche se soumet à un Parti Démocrate qui se targue de valeurs libérales tout en obéissant aux intérêts corporatistes, elle se détruira elle-même ainsi que les valeurs qu'elle prétend représenter. Elle attisera la rage justifiable du sous-prolétariat, et particulièrement du sous-prolétariat blanc, et renforcera les forces politiques les plus rétrogrades et racistes du pays. Le fascisme prospère non seulement grâce au désespoir, à la trahison et la colère, mais aussi au libéralisme en faillite.
Le système politique, comme nombre de supporters de Sanders vont le découvrir, est immunisé contre les réformes. La seule résistance efficace sera le fait d'actes massifs de désobéissance civile soutenue. Les Démocrates comme les Républicains ont l'intention de continuer l'assaut contre nos libertés civiles, l'expansion des guerres impérialistes, le pouponnage de Wall Street, la destruction de l'écosystème par l'industrie des combustibles fossiles et la paupérisation des ouvriers. Tant que les Démocrates et les Républicains restent au pouvoir, nous sommes condamnés.
La réponse de l'establishment démocrate contre toute insurrection interne, c'est de l'écraser, de la coopter et de réécrire les règles afin d'empêcher une nouvelle insurrection. Ce fut le cas en 1948 avec Henry Wallace, en 1972 avec George McGovern — deux politiciens qui, contrairement à Sanders, défièrent l'industrie militaire — et en 1984 et 1988 avec les insurrections menées par Jackson.
Corey Robin, du site web Salon, explique comment les Clintons ont pris le pouvoir à l'aide de cet agenda réactionnaire. Les Clintons, et l'establishment démocrate, écrit-il, ont rejeté l'agenda progressiste de la campagne de Jackson et ont usé de langage codé, particulièrement en ce qui concerne la loi et l'ordre, pour attirer les électeurs blancs racistes. Les Clintons et les mandarins du parti ont impitoyablement évincé ceux que Jackson avait mobilisés.
Les supporters de Sanders peuvent s'attendre à un accueil similaire. Qu'Hillary Clinton puisse mettre en place une campagne capable de faire oublier sa longue et sordide histoire politique est l'un des miracles de la propagande de masse moderne, et une preuve de l'efficacité de notre théâtre politique.
Sanders a dit que s'il n'était pas nominé, il soutiendrait le candidat du parti; il ne fera pas opposition. Si cela se produit, Sanders deviendra un obstacle contre le changement. Il récitera le mantra du « moins mauvais ». Il fera alors partie de la campagne de l'establishment démocrate visant à neutraliser la gauche.
Sanders est un démocrate en tout point, sauf en titre. Il fait partie du caucus démocrate. Il vote 98% du temps pour les Démocrates. Il soutient régulièrement les guerres impérialistes, l'arnaque corporatiste de l'Obamacare, la surveillance de masse et les budgets de défense colossaux. Il a fait campagne pour Bill Clinton lors de la course présidentielle de 1992, et lors de celle de 1996 — après que Clinton ait précipitament fait adopté l'ALENA (Accord de libre échange nord-américain), grandement étendu le système d'incarcération de masse et détruit les aides sociales — et pour John Kerry en 2004. Il a appelé à ce que Ralph Nader abandonne sa campagne présidentielle en 2004. Les Démocrates reconnaissent sa valeur. Ils récompensent Sanders pour son rôle de gardien du troupeau depuis déjà longtemps.
Kshama Sawant et moi-même avons demandé à Sanders, en privé, lors d'un évènement à New York où il faisait une apparition, la nuit précédant la marche pour le climat de 2014, pourquoi il ne se présentait pas en tant qu'indépendant à la présidence. « Je ne veux pas finir comme Ralph Nader », nous a-t-il répondu.
Sanders avait raison. La structure de pouvoir démocratique a passé un arrangement avec lui. Elle ne présente pas de candidat sérieux contre lui dans le Vermont pour son siège de sénateur. Sanders, en contrepartie de cet accord Faustien, constitue le principal obstacle à la création d'un troisième parti viable dans le Vermont. Si Sanders défiait le parti démocrate, il se verrait privé de sa séniorité au Sénat. Il perdrait sa présidence de commissions. Le parti machine le transformerait, à l'instar de Nader, en paria. Il l'expulserait hors de l'establishment politique. Sanders a probablement considéré sa réponse comme un arrangement pratique vis-à-vis d'une réalité politique. Mais il a aussi admis sa lâcheté. Nader a payé le prix fort pour son courage et son honnêteté, mais il n'était pas un raté.
Sanders, selon moi, sait parfaitement que la gauche est brisée et désorganisée. Les deux partis ont créé d'innombrables obstacles à la naissance de partis tiers, en commençant par les évincer des débats, puis en défiant leurs listes électorales, pour les empêcher de participer aux votes. Le parti Vert est mutilé de l'intérieur par des dissensions et des dysfonctions endémiques. Dans de nombreux états, il est représenté majoritairement par une population blanche vieillissante, prisonnière de cette nostalgie narcissique autoréférentielle des années 1960.
J'ai discuté, il y a trois ans, au maigre rassemblement d'état du parti Vert dans le New Jersey. Je me suis senti comme un personnage du roman de Mario Varga Llosa « La Vraie Vie d'Alejandro Mayta ». Dans ce roman, Mata, un idéaliste naïf, subit les humiliations des petites sectes belligérantes non pertinentes de la gauche péruvienne. Il en est réduit à organiser des réunions dans un garage avec sept révolutionnaires autoproclamés qui composent le RWP(T) — le parti des travailleurs révolutionnaires (trotstkiste) — un groupe dissident du parti marginal des Travailleurs Révolutionnaires. « Empilés contre les murs », écrit Llosa, « il y avait des piles de « Voix du Peuple » et de prospectus, de manifestes et de déclarations incitant à la grève ou la condamnant, qu'ils n'avaient jamais trouvé le temps de distribuer ».
Je suis pour une révolution, un mot que Sanders aime marteler, mais je suis pour une révolution véritablement socialiste, qui détruise l'establishment corporatiste, y compris le parti Démocrate. Je suis pour une révolution qui exige le retour de la régulation par les lois, et pas juste pour Wall Street, mais pour ceux qui mènent des guerres préventives, qui ordonnent l'assassinat de citoyens états-uniens, qui permettent à l'armée d'établir un contrôle domestique et de détenir indéfiniment des citoyens sans aucune forme de procès, et qui favorisent la surveillance totale des citoyens par le gouvernement. Je suis pour une révolution qui place l'armée, ainsi que l'appareil de sécurité et de surveillance, y compris la CIA, le FBI, le département de sécurité intérieure et la police, sous le contrôle strict de la société civile, et qui réduise drastiquement leurs budgets et pouvoirs. Je suis pour une révolution qui abandonne l'expansion impérialiste, en particulier au Moyen-Orient, et qui rende impossible le profit par la guerre. Je suis pour une révolution qui nationalise les banques, l'industrie de l'armement, les compagnies et services d'énergie, qui brise les monopoles, détruise l'industrie des combustibles fossiles, finance les arts et la radiodiffusion publique, fournisse le plein emploi et l'éducation gratuite, y compris universitaire, annule toutes les dettes étudiantes, bloque les saisies bancaires et les saisies de maisons, garantisse la gratuité et l'universalité des soins publics et un revenu minimum pour ceux qui ne peuvent travailler, en particulier les parents seuls, les handicapés et les personnes âgées. La moitié du pays, après tout, vit maintenant dans la pauvreté. Aucun de nous n'est libre.
La lutte sera longue et désespérée. Elle exigera une confrontation ouverte. La classe des milliardaires et les oligarques corporatistes ne peuvent être domptés. Ils doivent être renversés. Ils seront renversés dans les rues, pas dans une salle des congrès. Les salles de congrès, c'est là où la gauche va mourir.
Bernie Sanders, qui s'est attiré la sympathie de nombreux jeunes universitaires blancs, dans sa candidature à la présidence, prétend créer un mouvement et promet une révolution politique. Cette rhétorique n'est qu'une version mise à jour du « changement » promis en 2008 par la campagne de Barack Obama, et avant cela par la Coalition National Rainbow de Jesse Jackson. De telles campagnes électorales démocratiques, au mieux, élèvent la conscience politique. Mais elles n'engendrent ni mouvements ni révolutions. La campagne de Sanders ne sera pas différente.
Aucun mouvement ni aucune révolution politique ne se construiront au sein du parti démocrate. L'échec répété de la gauche états-unienne à comprendre la fourberie du jeu des élites politiques, fait d'elle une force politique stérile. L'histoire, après tout, devrait servir à quelque chose.
Les Démocrates, comme les Républicains, n'ont pas intérêt à mettre en place de véritables réformes. Ils sont liés au pouvoir corporatiste. Ils sont dans l'apparence, mais n'ont pas de substance. Ils parlent le langage de la démocratie, et même du réformisme libéral et du populisme, mais empêchent obstinément la réforme sur le financement des campagnes, et font la promotion d'un ensemble de politiques, dont les nouveaux accords commerciaux, qui dépossèdent affaiblissent les ouvriers. Ils truquent les élections, non seulement avec de l'argent, mais aussi avec des soit-disant superdélégués — plus de 700 délégués qui n'ont aucun compte à rendre, parmi plus de 4700 au congrès démocrate. Sanders a peut-être remporté 60% des voix au New Hampshire, mais il a fini avec moins de délégués d'état que Clinton. Un avant-goût de la campagne à venir.
Si la nomination de Sanders est rejetée — la machine Clinton et l'establishment du Parti Démocrate, ainsi que leurs maitres marionnettistes corporatistes, utiliseront les subterfuges les plus bas pour s'assurer qu'il perde — son soit-disant mouvement et sa révolution politique s'évanouiront. Sa base mobilisée, et c'était aussi le cas lors de la campagne d'Obama, sera fossilisée en listes de donateurs et de bénévoles. Le rideau tombera dans un tonnerre d'applaudissements, jusqu'au prochain carnaval électoral.
Le Parti Démocrate est entièrement solidaire de l'état corporatiste. Cependant, Sanders, bien que critique vis-à-vis des honoraires de conférences exorbitants d'Hillary Clinton auprès de firmes comme Goldman Sachs, refuse de dénoncer le parti et les Clintons — comme Robert Scheer l'a souligné dans une colonne en Octobre — pour leur rôle de majordomes de Wall Street. C'est un mensonge par omission, ce qui cependant reste un mensonge, de la part de Sanders. Et c'est un mensonge qui rend le sénateur du Vermont complice du jeu de dupe orchestré par l'establishment du Parti Démocrate, et dont l'électorat états-unien est victime.
Les partisans de Sanders pensent-ils pouvoir disputer le pouvoir à l'establishment du Parti Démocrate, et ainsi le transformer ? Pensent-ils que les forces sur lesquelles repose le véritable pouvoir — le complexe militaro-industriel, Wall Street, les corporations, l'état sécuritaire et de surveillance — peuvent être renversées par la campagne de Bernie Sanders ? Pensent-ils que le Parti Démocrate autorisera que sa direction soit dirigée par des procédures démocratiques ? N'acceptent-ils pas le fait qu'avec la destruction des organisations syndicales, du mouvement anti-guerre, du mouvement pour les droits civiques, et du mouvement progressiste — une destruction souvent orchestrée par les organes de sécurité comme le FBI — ce parti ait viré à droite au point de n'être aujourd'hui qu'un remake de l'ancien Parti Républicain ?
Les élites utilisent l'argent, ainsi que le contrôle qu'ils ont sur les médias, les tribunaux et le corps législatif, leurs armées de lobbyistes et de « think tanks », pour invalider le vote. Nous avons subi, comme John Ralston Saul l'a écrit, un coup d'état corporatiste. Il ne reste aucune institution, au sein de la société civile, qui puisse être qualifiée de démocratique. Nous ne vivons pas dans une démocratie capitaliste. Nous vivons dans ce que le philosophe politique Sheldon Wolin appelle un système de « totalitarisme inversé ».
En Europe, le Parti Démocrate états-unien serait un parti d'extrême droite. Le Parti Républicain serait un parti extémiste. Il n'y a pas de classe politique libérale — et encore moins de gauche ou progressiste — aux États-Unis. La croissance des groupes protofascistes ne prendra fin que lorsqu'un mouvement de gauche soutiendra une militance sans équivoque pour défendre les droits des ouvriers et entreprendre la destruction du pouvoir corporatiste. Tant que la gauche se soumet à un Parti Démocrate qui se targue de valeurs libérales tout en obéissant aux intérêts corporatistes, elle se détruira elle-même ainsi que les valeurs qu'elle prétend représenter. Elle attisera la rage justifiable du sous-prolétariat, et particulièrement du sous-prolétariat blanc, et renforcera les forces politiques les plus rétrogrades et racistes du pays. Le fascisme prospère non seulement grâce au désespoir, à la trahison et la colère, mais aussi au libéralisme en faillite.
Le système politique, comme nombre de supporters de Sanders vont le découvrir, est immunisé contre les réformes. La seule résistance efficace sera le fait d'actes massifs de désobéissance civile soutenue. Les Démocrates comme les Républicains ont l'intention de continuer l'assaut contre nos libertés civiles, l'expansion des guerres impérialistes, le pouponnage de Wall Street, la destruction de l'écosystème par l'industrie des combustibles fossiles et la paupérisation des ouvriers. Tant que les Démocrates et les Républicains restent au pouvoir, nous sommes condamnés.
La réponse de l'establishment démocrate contre toute insurrection interne, c'est de l'écraser, de la coopter et de réécrire les règles afin d'empêcher une nouvelle insurrection. Ce fut le cas en 1948 avec Henry Wallace, en 1972 avec George McGovern — deux politiciens qui, contrairement à Sanders, défièrent l'industrie militaire — et en 1984 et 1988 avec les insurrections menées par Jackson.
Corey Robin, du site web Salon, explique comment les Clintons ont pris le pouvoir à l'aide de cet agenda réactionnaire. Les Clintons, et l'establishment démocrate, écrit-il, ont rejeté l'agenda progressiste de la campagne de Jackson et ont usé de langage codé, particulièrement en ce qui concerne la loi et l'ordre, pour attirer les électeurs blancs racistes. Les Clintons et les mandarins du parti ont impitoyablement évincé ceux que Jackson avait mobilisés.
Les supporters de Sanders peuvent s'attendre à un accueil similaire. Qu'Hillary Clinton puisse mettre en place une campagne capable de faire oublier sa longue et sordide histoire politique est l'un des miracles de la propagande de masse moderne, et une preuve de l'efficacité de notre théâtre politique.
Sanders a dit que s'il n'était pas nominé, il soutiendrait le candidat du parti; il ne fera pas opposition. Si cela se produit, Sanders deviendra un obstacle contre le changement. Il récitera le mantra du « moins mauvais ». Il fera alors partie de la campagne de l'establishment démocrate visant à neutraliser la gauche.
Sanders est un démocrate en tout point, sauf en titre. Il fait partie du caucus démocrate. Il vote 98% du temps pour les Démocrates. Il soutient régulièrement les guerres impérialistes, l'arnaque corporatiste de l'Obamacare, la surveillance de masse et les budgets de défense colossaux. Il a fait campagne pour Bill Clinton lors de la course présidentielle de 1992, et lors de celle de 1996 — après que Clinton ait précipitament fait adopté l'ALENA (Accord de libre échange nord-américain), grandement étendu le système d'incarcération de masse et détruit les aides sociales — et pour John Kerry en 2004. Il a appelé à ce que Ralph Nader abandonne sa campagne présidentielle en 2004. Les Démocrates reconnaissent sa valeur. Ils récompensent Sanders pour son rôle de gardien du troupeau depuis déjà longtemps.
Kshama Sawant et moi-même avons demandé à Sanders, en privé, lors d'un évènement à New York où il faisait une apparition, la nuit précédant la marche pour le climat de 2014, pourquoi il ne se présentait pas en tant qu'indépendant à la présidence. « Je ne veux pas finir comme Ralph Nader », nous a-t-il répondu.
Sanders avait raison. La structure de pouvoir démocratique a passé un arrangement avec lui. Elle ne présente pas de candidat sérieux contre lui dans le Vermont pour son siège de sénateur. Sanders, en contrepartie de cet accord Faustien, constitue le principal obstacle à la création d'un troisième parti viable dans le Vermont. Si Sanders défiait le parti démocrate, il se verrait privé de sa séniorité au Sénat. Il perdrait sa présidence de commissions. Le parti machine le transformerait, à l'instar de Nader, en paria. Il l'expulserait hors de l'establishment politique. Sanders a probablement considéré sa réponse comme un arrangement pratique vis-à-vis d'une réalité politique. Mais il a aussi admis sa lâcheté. Nader a payé le prix fort pour son courage et son honnêteté, mais il n'était pas un raté.
Sanders, selon moi, sait parfaitement que la gauche est brisée et désorganisée. Les deux partis ont créé d'innombrables obstacles à la naissance de partis tiers, en commençant par les évincer des débats, puis en défiant leurs listes électorales, pour les empêcher de participer aux votes. Le parti Vert est mutilé de l'intérieur par des dissensions et des dysfonctions endémiques. Dans de nombreux états, il est représenté majoritairement par une population blanche vieillissante, prisonnière de cette nostalgie narcissique autoréférentielle des années 1960.
J'ai discuté, il y a trois ans, au maigre rassemblement d'état du parti Vert dans le New Jersey. Je me suis senti comme un personnage du roman de Mario Varga Llosa « La Vraie Vie d'Alejandro Mayta ». Dans ce roman, Mata, un idéaliste naïf, subit les humiliations des petites sectes belligérantes non pertinentes de la gauche péruvienne. Il en est réduit à organiser des réunions dans un garage avec sept révolutionnaires autoproclamés qui composent le RWP(T) — le parti des travailleurs révolutionnaires (trotstkiste) — un groupe dissident du parti marginal des Travailleurs Révolutionnaires. « Empilés contre les murs », écrit Llosa, « il y avait des piles de « Voix du Peuple » et de prospectus, de manifestes et de déclarations incitant à la grève ou la condamnant, qu'ils n'avaient jamais trouvé le temps de distribuer ».
Je suis pour une révolution, un mot que Sanders aime marteler, mais je suis pour une révolution véritablement socialiste, qui détruise l'establishment corporatiste, y compris le parti Démocrate. Je suis pour une révolution qui exige le retour de la régulation par les lois, et pas juste pour Wall Street, mais pour ceux qui mènent des guerres préventives, qui ordonnent l'assassinat de citoyens états-uniens, qui permettent à l'armée d'établir un contrôle domestique et de détenir indéfiniment des citoyens sans aucune forme de procès, et qui favorisent la surveillance totale des citoyens par le gouvernement. Je suis pour une révolution qui place l'armée, ainsi que l'appareil de sécurité et de surveillance, y compris la CIA, le FBI, le département de sécurité intérieure et la police, sous le contrôle strict de la société civile, et qui réduise drastiquement leurs budgets et pouvoirs. Je suis pour une révolution qui abandonne l'expansion impérialiste, en particulier au Moyen-Orient, et qui rende impossible le profit par la guerre. Je suis pour une révolution qui nationalise les banques, l'industrie de l'armement, les compagnies et services d'énergie, qui brise les monopoles, détruise l'industrie des combustibles fossiles, finance les arts et la radiodiffusion publique, fournisse le plein emploi et l'éducation gratuite, y compris universitaire, annule toutes les dettes étudiantes, bloque les saisies bancaires et les saisies de maisons, garantisse la gratuité et l'universalité des soins publics et un revenu minimum pour ceux qui ne peuvent travailler, en particulier les parents seuls, les handicapés et les personnes âgées. La moitié du pays, après tout, vit maintenant dans la pauvreté. Aucun de nous n'est libre.
La lutte sera longue et désespérée. Elle exigera une confrontation ouverte. La classe des milliardaires et les oligarques corporatistes ne peuvent être domptés. Ils doivent être renversés. Ils seront renversés dans les rues, pas dans une salle des congrès. Les salles de congrès, c'est là où la gauche va mourir.
Commentaire : L'analyse de Chris Hedges sur la fausse alternative que représente Sanders et sur la mascarade électorale s'applique à toutes les soi-disant « démocraties occidentales ».
William Blum résume parfaitement ce qui arriverait à un président qui appliquerait une véritable révolution politique :