"Il n'existe rien de constant si ce n'est le changement" BOUDDHA; Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots." MARTIN LUTHER-KING; "Veux-tu apprendre à bien vivre, apprends auparavant à bien mourir." CONFUCIUS ; « Nous savons qu’ils mentent, ils savent aussi qu’ils mentent, ils savent que nous savons qu’ils mentent, nous savons aussi qu’ils savent que nous savons, et pourtant ils continuent à mentir ». SOLJENITSYNE
Affichage des articles dont le libellé est Sapir Jacques. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Sapir Jacques. Afficher tous les articles
mercredi 19 mars 2025
Jacques Sapir détruit les mensonges de l'agité-poudré du bocal sur la Russie !
Le grand entretien de Jacques Sapir Economiste, spécialiste de la #Russie et des questions monétaires "La fin de l’Ordre Occidental", publié aux Éditions Perspectives Libres Pour nous soutenir : https://www.tocsin-media.fr/soutien www.tocsin-media.fr
jeudi 14 mars 2024
François Asselineau : LE PREMIER MINISTRE ATTAL A MENTI SUR TOUTE LA LIGNE
Je relaie ici l'excellente analyse de Jacques Sapir @russeurope qui a relevé point par point les mensonges éhontés de Attal devant les députés.
⚠️ RN LR EELV PS seront coresponsables du désastre.
https://threadreaderapp.com/thread/17...
mardi 5 avril 2022
Ukraine, face à la propagande – avec Jacques Sapir et Georges Kuzmanovic
Front Populaire
mardi 26 novembre 2019
Gilets jaunes, un an, ce n'est qu'un début
jeudi 14 février 2019
jeudi 17 janvier 2019
[RussEurope-en-Exil] Notre réponse : lettre au Président de la République à la suite de la lettre envoyée aux Français, par Jacques Sapir
Lettre au Président de la République à la suite de la lettre envoyée aux Français
Monsieur le Président de la République,
Vous avez envoyé à tous les Français une lettre sur le « débat national » que vous avez organisé. A cette lettre, nous voulons répondre. Certains répondrons en actes, bien sûr, qu’il s’agisse de manifestations, et d’autres par écrit.
Monsieur le Président, vous avez, certes, écouté la révolte qui gronde. Si tel n’avait pas été le cas d’ailleurs, jamais vous n’auriez écrit votre lettre. Mais, clairement, vous ne l’avez pas entendue. Nous en voulons preuve le choix des thèmes que vous proposez dans ce « débat », choix qui écarte soigneusement les « sujets qui fâchent ». Vous voulez que nous débattions des impôts, de nos dépenses et de l’action publique, de l’organisation de l’État et des collectivités publiques, de la transition écologique et enfin de la démocratie et de la citoyenneté. Mais, vous avez soigneusement omis les thèmes du pouvoir d’achat, de l’inégalité des richesses, tout comme vous avez omis la construction européenne, que vous mentionnez par ailleurs. Vous affirmez dans votre lettre « Je n’ai pas oublié que j’ai été élu sur un projet, sur de grandes orientations auxquelles je demeure fidèle ». Vous feignez d’ignorer, que ce soit à dessein ou non, que votre élection ne s’est nullement faite sur un « projet ». Il est patent que vous n’avez été élu que parce que l’autre candidate, Mme Marine le Pen, était rejetée. Cette ambiguïté était manifeste dans votre élection. Votre tort fut de ne pas la reconnaître. Jamais les Français ne vous ont donné un mandat pour mener les réformes auxquelles vous vous êtes livré. La révolte actuelle est le produit direct, et logique, de cette situation.
Monsieur le Président, votre action, depuis maintenant près de deux ans, a été une suite d’attaques contre les plus modestes, contre les travailleurs. Attaques donc contre les services publics qui sont d’autant plus indispensables que le revenu est faible mais aussi contre le droit du travail. Attaques encore dont ont résulté une suite de renforcements des inégalités, ce que l’INSEE reconnaît. Enfin, par vos déclarations, vous avez fait subir une suite d’humiliation aux humbles et aux plus pauvres, vous avez donné des démonstrations constantes de votre mépris. Les formes, parfois violentes, de la révolte actuelle en découlent. Quand une situation devient insupportable, on ne la supporte plus. Craignez la colère du peuple, Monsieur le Président. Ce qu’elle exprime dans le refus de votre personne, dans la demande de votre départ qui monte dans les « cahiers de doléances », ce n’est pas simplement le refus de votre politique, c’est le refus des humiliations.
Votre politique n’est d’ailleurs que la traduction, dans le contexte particulier de la France, des recommandations de l’Union européenne. Quand le mot souveraineté sort de votre bouche, ce n’est que pour parler de l’Union européenne et jamais de la France. En voulant substituer un pouvoir technocratique à la souveraineté du peuple, vous tournez le dos aux fondements mêmes de notre République que vous prétendez par ailleurs défendre. Comme vos prédécesseurs, vous pensez que le tour de passe-passe du Traité de Lisbonne, annulant le référendum de 2005, constitue un acquis. C’est une dangereuse présomption. Craignez de finir comme ont fini tous ceux qui ont ignoré ou méprisé la souveraineté du peuple de France.
Monsieur le Président, vous entendez poursuivre votre néfaste chemin. Après vous être attaqué au droit du travail, à la SNCF, ce sont à des attaques contre le régime des retraites et la sécurité sociale que vos experts se préparent. Ces attaques, si elles étaient conduites à leur terme, aggraveraient la situation des plus modestes, empireraient la pauvreté qui monte dans notre pays alors même que jamais ce dernier n’a été aussi riche. S’il vous restait une once de sens commun, un atome d’honnêteté, ces questions auraient dû faire partie du « débat national ». Devant l’ampleur du mouvement que la France connaît, vous auriez dû reconnaître qu’une telle remise en cause de vos convictions était inévitable. Las, il n’en sera évidemment rien.
Nous constatons tous que le problème ne s’arrête pas à votre politique ; c’est votre comportement et votre personne qui sont aujourd’hui la cause des troubles violents que nous connaissons. Et, cette violence, elle d’abord et avant tout, subie par le peuple, qui ne compte plus aujourd’hui ses blessés, ses estropiés, et demain peut-être ses morts. De cela, il vous faudra un jour répondre.
Monsieur le Président, oui, votre comportement pose problème. Nous l’avons vu avec vos déclarations. Ce mélange d’arrogance et de suffisance, de mépris teinté de condescendance, est pour beaucoup dans les événements dramatiques que nous avons connus depuis le mois de novembre. Nous le voyons encore avec le texte de votre lettre. Elle mélange la démagogie avec une volonté évidente de confusion. Vous multipliez les questions secondaires afin de mieux faire passer des questions primordiales dont certaines ne sont même pas formulées. Quel dédain coule de cette lettre où les mots de « pouvoir d’achat » ne figurent pas alors qu’ils sont pourtant la cause première de la révolte populaire. Les études que vous avez faites ne vous donneront jamais le droit d’insulter les gens. Plus profondément, vous affectez de croire que l’élection vous a donné en propriété un pouvoir dont, à dire le vrai, vous n’êtes que le délégataire. Vous êtes aujourd’hui devant un choix qui est clair : revenir à la raison ou entraîner le pays avec vous dans le chaos.
Monsieur le Président, nous vous écrivons une lettre, que vous lirez peut-être, si vous avez le temps. Ainsi commence une célèbre chanson de Boris Vian, entrée dans la culture populaire. Mais, ce n’est pas nous qui entendons déserter notre pays. Ce sont vos amis et vous qui avez fait sécession avec le peuple de France. Cette sécession est potentiellement grosse de malheurs pour tous. N’en doutez pas, l’histoire est tragique. Elle l’est tout particulièrement pour les dirigeants qui tournent le dos avec mépris et constance au peuple.
Assurément, vous avez, mais pour combien de temps encore, la force des armes. Souvenez vous pourtant de cette phrase de Victor Hugo : LA DERNIÈRE RAISON DES ROIS, LE BOULET. LA DERNIÈRE RAISON DES PEUPLES, LE PAVÉ.
Signataires :
Bruno Belllegarde
Leila Charfadi
Denis Collin
Jacques Cotta
Michèle Dessenne
Danièle Goussot
Eric Julliot
Marie Annick Le Bars
Marc Lebas,
Bertrand Renouvin,
Claude Rochet
Jacques Sapir
Signataires de l’appel pour la création du « collectif pour la souveraineté et la justice sociale », le CNSJS
source : https://www.les-crises.fr/russeurope-en-exil-notre-reponse-lettre-au-president-de-la-republique-a-la-suite-de-la-lettre-envoyee-aux-francais-par-jacques-sapir/
vendredi 21 septembre 2018
Plaidoyer de Jacques Nikonoff pour la démondialisation et le retour à la démocratie / Jacques Nikonoff's plea for the deglobalization and the return in the democracy
Intellectuel militant longtemps à gauche, passé par Wall Street, il s’engage maintenant pour la démondialisation et le Frexit. à la tête du Pardem, Jacques Nikonoff a d’ailleurs tenté de se présenter comme candidat à l’élection présidentielle en 2017. Voici son histoire.
Un portrait de Jacques Nikonoff par Jean-Baptiste Mendes.
Jacques Nikonoff interview Jacques Sapir en 2016... un contenu toujours d'actualité.
samedi 8 avril 2017
[Trump et la Syrie] Les crises du monde multipolaire, par Jacques Sapir / [ Trump and Syria] The crises of the multipolar world, by Jacques Sapir
8
Avr
2017
- Mots-clefs :
Syrie
51 commentaires
- Imprimer
Source : Jacques Sapir, Russeurope, 7/4/17
Il est aujourd’hui clair que l’érosion de l’hyperpuissance américaine a permis l’émergence d’un monde multipolaire, ce monde multipolaire que le Général de Gaulle appelait de ses vœux. Il est aussi clair que cette émergence n’implique nullement que les Etats-Unis aient perdu toute capacité d’intervention militaire dans le monde. La frappe sur la Syrie qui a eu lieu dans la nuit du 6 au 7 avril le démontre. Elle démontre aussi les impasses de l’unilatéralisme américain.
Cette émergence n’est pas le fruit du hasard mais de changements importants qui ont pris place dans l’ordre des nations depuis maintenant une trentaine d’années, de la rencontre de projets politiques convergents, et en particulier ceux de la Russie, de la Chine, de l’Inde, mais aussi de l’Iran et de puissances régionales, tout comme elle résulte d’erreurs qui ont été commises dans la politique américaine, que ce soit lors de la Présidence Clinton ou de celle de George W. Bush. J’avais montré, dans un ouvrage de 2009, la logique de ce processus[1]. Les événements de ces dernières heures nécessitent de revenir sur ces points.
La dégénérescence de l’hyperpuissance américaine
La forme prise par cette émergence du monde multipolaire doit donc aussi beaucoup à l’entêtement des Etats-Unis qui se sont refusés avec constance à ce que cette émergence se fasse de manière consensuelle et coordonnée. C’est l’origine de l’idéologie que l’on nomme le « néo-conservatisme », une idéologie qui trouve son origine dans le ralliement d’une partie de la « gauche » américaine à des positions traditionnelles de la « droite impérialiste », mais qui leur a données une autre présentation[2]. Le « néo-conservatisme » ou « néocon » est en réalité une manière de justifier les pires positions impérialistes au nom des « droits de l’homme ». En fait, toutes les conditions pour l’émergence d’un « siècle américain », sur le modèle de ce que l’on a appelé le « siècle britannique », de la fin des guerres Napoléoniennes au début du XXème siècle semblaient réunies dans la première moitié des années 1990. Les élites européennes en avaient pris acte dans leur grande majorité et se plaçaient délibérément au sein du cadre idéologique développé par l’hyperpuissance, un terme qui avait été créé par Hubert Védrine[3]. La rapide et facile victoire dans la guerre du Golfe de 1991, en réponse à l’invasion du Koweït par l’Irak, avait eu immédiatement des effets sur les représentations américaines. Le président de l’époque, George H. Bush, l’avait bien compris qui aurait déclaré : « Par Jupiter, nous avons balancé le Syndrome du Vietnam cette fois pour toujours[4]. »
Pourtant, en quelques années, ce « siècle américain » qui s’annonçait s’est défait. L’une des raisons a été bien entendu les problèmes internes aux Etats-Unis, et les différentes crises économiques que ce pays a connu, de celle des caisses d’épargne américaines (qui coûta sa réélection au père de George Bush) à celles qui ont marqué les deux présidence de son fils (éclatement de la « bulle » internet et crise des « subprimes »). Nous avons désormais sous les yeux une puissance épuisée, une puissance où le problème de la mortalité de la classe moyenne « blanche » de 50 ans se pose tragiquement[5]. Cette puissance a, et on vient de le voir avec la frappe par missiles de croisière en Syrie, toujours des capacités militaires importantes, mais elle a perdu une large part de sa capacité d’influence.
L’une des raisons de cette perte d’influence a été l’instrumentalisation de la question des « droits de l’homme », en particulier en Bosnie, une instrumentalisation qui a largement contribué à créer une nouvelle idéologie dite « droit-de-l’hommiste » qui est en réalité l’exact contraire de la notion des « Droits de l’Homme » telle qu’elle avait émergée de la seconde guerre mondiale et du Tribunal de Nuremberg.
La folie de l’action « humanitaire » armée
Si les conditions d’engagement de la force sont souvent douteuses, et l’on se souvient de comment les Etats-Unis se sont ridiculisés aux Nations Unies avec le discours de M. Colin Powell sur les « armes de destruction massive » en Irak, son efficacité à long terme est tout autant douteuse. L’exemple de la Bosnie mais surtout du Kosovo doit ici être mentionné comme l’un des exemples de ce qu’il convient de ne pas faire. Notons aussi qu’en 2013, le centre d’analyse des armes de destruction massive du MIT avait mis en cause, sans être réfuté, le discours officiel qui faisait du pouvoir Syrien le responsable de l’attaque au gaz de combat dans la banlieue de Damas[6].
La capacité de la « communauté internationale » à intervenir pour des motifs humanitaires, en particulier dans le cas du Kosovo, et à résorber le politique dans l’humanitaire tourna à cette occasion au désastre[7]. L’objectif affirmé initialement, qui était de prévenir des politiques actives de ségrégation ethnique (ce que l’on appelle le « nettoyage ethnique »), et auquel on ne peut naturellement que souscrire, ne fut pas atteint. En réalité, l’intervention de l’OTAN, loin de mettre un terme au nettoyage ethnique que l’on dénonçait, s’est contentée de remplacer celui que les forces serbes étaient censées mener par celui des milices albanophones. De cette vérité, si impropre à la « propagande » médiatique qu’elle fut en France soigneusement cachée, il existe néanmoins de nombreuses preuves irréfutables.
Les massacres intercommunautaires ne se sont pas arrêtés avec le départ des troupes serbes, mais ont continué après le 12 juin 1999, preuve que ces massacres n’étaient pas le seul produit de la présence militaire serbe. En l’espace d’un mois, plus d’un millier de Serbes et de Roms ont ainsi « disparu » dans le territoire pourtant sous contrôle des forces de l’ONU[8], et devant les yeux horrifiés des militaires des pays qui avaient constitué le contingent de l’ONU (la KFOR). Les enlèvements, assassinats et de manière générale les actes de violence en bandes organisées commis par les milices de l’UCK, la principale milice albanophone, se sont étendus à d’autres populations pendant l’été 1999. Ont ainsi été visés les musulmans parlant d’autres langues que l’albanais, les minorités croate et turque présentes au Kosovo. Ces exactions ont conduit plus de 150 000 personnes à fuir soit vers la Serbie soit vers la Macédoine dans les six semaines qui suivirent le déploiement des troupes de la KFOR au Kosovo[9]. Outre ces déplacements, on estime qu’environ 100 000 autres personnes se sont réfugiées dans les enclaves serbes du nord du Kosovo dans la même période. Ainsi, on a assisté à un véritable nettoyage ethnique mené par les milices de l’UCK, alors que la KFOR était supposée contrôler le territoire pour assurer la « paix ethnique ».
Ces exactions ne se sont, hélas, pas limitées aux quelques semaines qui ont suivi le départ des troupes serbes et le déploiement de la KFOR internationale. Alors que les combattants de l’UCK entraient massivement dans le Kosovo Protection Corps qui avait été établi sous l’égide de l’ONU, les attaques ethniques ont pris une autre tournure, celle de viols collectifs visant prioritairement les femmes de la communauté rom[10]. L’organisation Human Rights Watch, qui a accumulé de très nombreux témoignages sur ce point, note aussi que ces exactions ont pu prendre pour cible des albanophones dont les positions plus modérées étaient contraires à celles de l’UCK[11].
Loin de conduire à une situation de « paix ethnique », qui était l’objectif affiché, l’intervention de l’OTAN n’a donc fait qu’amplifier et déplacer vers d’autres cibles le mouvement d’épuration ethnique et de massacres de populations civiles. Le Kosovo est resté, sous administration de l’ONU, une zone de non-droit. On peut ici, à bien des égards, parler de « contre-modèle » en ce qui concerne l’appui militaire apporté à une cause dite humanitaire. Les conditions de gestion par l’ONU du Kosovo, en particulier sous le mandat exercé par Bernard Kouchner dont la responsabilité est ici directement engagée, se sont révélées problématiques. Si l’on en croit les témoignages et le reportage publié dans un grand quotidien britannique en mars 2000, l’engagement connu de Kouchner en faveur de l’UCK a probablement facilité les dérives, observées et dénoncées par un rapport des Nations unies, du comportement de la force de police, la KPC, établie par le mandat de l’ONU au Kosovo.
Les bases de la position russe
De 1997 au discours tenu par Vladimir Poutine lors de la conférence de Munich sur la sécurité internationale le 10 février 2007[12], discours qui marque de manière claire l’affirmation de ce monde multipolaire c’est à l’échec du monde tel qu’il semblait logiquement devoir sortir de 1991 que l’on a assisté.
Il faut rappeler que la politique de Vladimir Poutine par rapport aux États-Unis au début de son premier mandat présidentiel (2000-2004) n’était pas une politique de confrontation[13]. Cette politique a été une prise de risques calculés. Le choix du président russe, alors que la Russie était isolée après son opposition à l’intervention de l’OTAN au Kosovo, n’était pas simple. D’un autre côté, les États-Unis, à partir de 2001, démantelaient unilatéralement un certain nombre d’accords qui avaient garanti la stabilité durant la guerre froide et en particulier le traité ABM, dont l’importance pour la Russie ne doit pas être sous-estimée[14]. Dans le même temps, ils menaient une politique pour le moins complaisante vis-à-vis du régime des Talibans en Afghanistan, en dépit des informations qui permettaient de prouver que ce pays était devenu une des bases arrière du terrorisme islamiste et de la déstabilisation de l’Asie centrale. Cette complaisance était largement dictée par la volonté des États-Unis de pénétrer vers les régions pétrolières d’Asie centrale.
Vladimir Poutine avait, pour sa part, immédiatement compris que le choc, symbolique et émotionnel, du 11 septembre 2001 pouvait amener les États-Unis à réviser leur politique. Son soutien immédiat à la réaction américaine visait à les convaincre de s’engager dans une démarche multinationale de lutte contre le terrorisme et ses racines, tout en permettant à la Russie de sortir de son isolement. En favorisant l’implantation de forces militaires américaines en Asie centrale, point sur lequel il s’opposait à ses propres responsables militaires dont les réticences étaient publiques, Vladimir Poutine a cherché à créer les conditions d’une action conjuguée et coordonnée pour stabiliser cette partie du monde, en soulignant la communauté d’intérêts entre les différents acteurs, y compris la Chine et l’Europe, sur ce point. La réponse américaine à cette main tendue a été décevante. Loin de comprendre l’importance d’une action multilatérale coordonnée, insérée dans la légitimité de résolutions à l’ONU, le président américain s’est engagé dans une voie inquiétante du point de vue russe, celle d’un aventurisme militaire. Les actions américaines ouvertement hostiles à la Russie, que ce soit en Ukraine ou dans le Caucase, se sont multipliées. À la main tendue de Vladimir Poutine, les États-Unis ont répondu, à partir de 2003, par des pratiques de guerre froide. Ce faisant, ils ont confirmé les dirigeants russes dans leurs craintes initiales et ils se sont montrés incapables de s’adapter au nouveau monde[15].
Les fondements de l’opposition entre la Russie et les Etats-Unis
L’arrivée de Primakov au pouvoir en 1998 puis celle de Poutine en 2000 avaient relancé aux États-Unis le débat sur la « perte de la Russie[16] ». Le retour à une rhétorique et à des actions dignes de la guerre froide, comme on le voit aujourd’hui avec le projet d’installation de systèmes antimissiles américains dans des pays comme la Pologne et la République tchèque, signe la fin des tentatives d’intégration. La création de l’Organisation de coopération de Shanghai en 2001 et surtout son élargissement avec l’accession au statut d’observateur de la Mongolie en 2004, puis de l’Inde, de l’Iran et du Pakistan en 2005, furent ici des tournants importants[17]. Les manœuvres militaires sino-russes de 2005, qui ont vu des unités de chaque pays opérer depuis le territoire du partenaire pour tester ce que l’on appelle l’interopérabilité, manœuvres marquées par la présence des observateurs indiens et iraniens, ont été une manifestation très significative de la montée en puissance de cette institution. L’OSC s’est affirmée comme la colonne vertébrale des BRICS, et elle a vu son rôle s’élargir à la coopération politique et économique. Elle est aujourd’hui l’expression la plus tangible de l’affirmation d’un monde multipolaire.
Les principes de gestion d’un monde multipolaire
Dès lors, ce monde multipolaire pourrait être géré dans un esprit de coopération entre les diverses puissances, si les Etats-Unis consentaient à abandonner leurs prétentions d’imposer à la place du droit international le droit des Etats Unis. Il convient donc de relire avec attention le discours prononcé en 2007 par Vladimir Poutine. Il constitue une définition précise de la représentation russe des relations internationales. Deux points importants s’en dégagent, la constatation de l’échec d’un monde unipolaire et la condamnation de la tentative de soumettre le droit international au droit anglo-américain : « J’estime que le modèle unipolaire n’est pas seulement inadmissible pour le monde contemporain, mais qu’il est même tout à fait impossible. Non seulement parce que, dans les conditions d’un leader unique, le monde contemporain (je tiens à le souligner : contemporain) manquera de ressources militaro-politiques et économiques. Mais, et c’est encore plus important, ce modèle est inefficace, car il ne peut en aucun cas reposer sur une base morale et éthique de la civilisation contemporaine »[18].
Ce passage montre que la position russe articule deux éléments distincts mais liés. Le premier est un doute quant aux capacités d’un pays (ici, les États-Unis sont clairement visés) à rassembler les moyens pour exercer de manière efficace son hégémonie. C’est un argument de réalisme. Même le pays le plus puissant et le plus riche ne peut à lui seul assurer la stabilité du monde. Le projet américain dépasse les forces américaines. C’est un constat sur lequel il y a peu à redire. Mais, il y a un second argument qui n’est pas moins important et qui se situe au niveau des principes du droit.
Vladimir Poutine affirme qu’il n’existe pas de normes qui pourraient fonder l’unipolarité. Dans son ouvrage de 2002, Evgueni Primakov ne disait pas, en réalité, autre chose[19]. Le « discours de Munich » de 2007 s’inscrit ainsi dans la continuité de la pensée du monde par les dirigeants russes. Cela ne veut pas dire que les différents pays ne puissent définir des intérêts communs. Cela ne veut même pas dire qu’il n’y ait des valeurs communes. Le discours de Poutine n’est pas « relativiste ». Il constate simplement que ces valeurs (ce qu’il appelle la « base morale et éthique ») ne peuvent fonder l’unipolarité, car l’exercice du pouvoir, politique ou économique, ne peut être défini en valeur mais doit l’être aussi en intérêts. Ceci revient à refuser la thèse d’une dépolitisation des relations internationales, qui devraient se réduire, dans l’esprit de ceux qui soutiennent cette dépolitisation, aux droits de l’homme et aux « lois » de l’économie. Si les relations internationales ne sont pas de la « technique » (la simple mise en œuvre de normes communes) mais de la politique (la gestion d’intérêts différents et potentiellement conflictuels) y compris dans les relations économiques, alors toute aspiration à l’hégémonie devient immorale. Le second point se trouve donc exprimé dans le paragraphe suivant : « Nous sommes témoins d’un mépris de plus en plus grand des principes fondamentaux du droit international. Bien plus, certaines normes et, en fait, presque tout le système du droit d’un seul État, avant tout, bien entendu, des États-Unis, a débordé de ses frontières nationales dans tous les domaines, dans l’économie, la politique et dans la sphère humanitaire, et est imposé à d’autres États[20]. »
L’argument suit ici celui que l’on a évoqué ci-dessus. Faute d’une base morale et éthique permettant de faire disparaître le politique des relations internationales, ces dernières ne peuvent être gérées que par le principe fondamental du droit international, soit la règle d’unanimité et de respect des souverainetés nationales. Or, constate le président russe, les États-Unis tendent à transformer leur droit interne en droit international alternatif. C’est ce qui rend l’affrontement inévitable.
C’est donc la raison qui explique largement que, pour l’instant, la confrontation l’emporte sur la coopération. Notons que, dans cette confrontation, la Russie peut compter sur l’appui de la Chine, une puissance dont le PIB a dépassé il y a peu celui des Etats-Unis. Dans cet affrontement, le « camp occidental », expression typique de la guerre froide, apparaît à la fois fracturé, mais aussi en perdition face à la montée des nouvelles puissances. Mais, si les Etats-Unis revenait vers une philosophie plus « westphalienne » des relations internationales, alors rien n’empêcherait la coopération de prendre le pas sur la confrontation.
Notes
[1] Sapir J., Le Nouveau XXIè Siècle, le Seuil, Paris, 2008.
[2] Fukuyama F., After the Neocons. America at the Crossroads, New Haven, Conn., Yale University Press, 2006 ; trad. fr. de Denis-Armand Canal, D’où viennent les néoconservateurs ?, Paris, Grasset, 2006.
[3] Voir H. Védrine, Les Cartes de la France à l’heure de la mondialisation, Paris, Fayard, 2000.
[4] « By Jove, we’ve kicked the Vietnam syndrome once and for all » : propos rapportés in Michael R. Gordon et Bernard E. Trainor, The General’s War : the Inside Story of the Conflict in the Gulf, Boston, Little, Brown, 1995.
[5] Burke A., « Working class white Americans are now dying in middle age at faster rates than minority groups », Brookings Institution, 23 mars 2017 et Case A et Deaton A., Mortality and morbidity in the 21st century , Brookings Papers on economic activity, 23 mars 2017, https://www.brookings.edu/wp-content/uploads/2017/03/6_casedeaton.pdf
[6] Lloyd R. et Postol T., Possible Implications of Faulty US Technical Intelligence in the Damascus Nerve Agent Attack of August 21, 2013, MIT, Cambridge (Mass.), Janvier 2014.
[7] Pekmez, Juan, The Intervention by the International Community and the Rehabilitation of Kosovo, rapport commandité par le projet « The Rehabilitation of War-Torn Societies », étude coordonnée par le CASIN (Centre for Applied Studies in International Negotiations), Genève, janvier 2001.
[8] Human Rights Watch, Under Orders – War Crimes in Kosovo, Genève, 2001, (rapport consultable et téléchargeable sur http://www.hrw.org/reports/2001/Kosovo ) chap. 17. Human Rights Watch note que les pratiques criminelles de l’UCK envers la population civile sont patentes depuis 1998.
[9] Human Rights Watch, ibid. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) considère que 150 000 personnes ont fui ver la Serbie et 30 000 vers la Macédoine après le 12 juin 1999 (UNHCR Refugees Daily, 23 mai 2000).
[10] European Roma Rights Center, « Press statement : The current situation of Roma in Kosovo », 9 juillet 1999 ; UNHCR-OSCE Ad Hoc Task Force on Minorities, « Update on the situation of ethnic minorities in Kosovo », Genève, 31 mai 2000.
[11] Outre les rapports cités, on renvoie ici le lecteur au roman-témoignage écrit par un officier supérieur de l’armée française à partir de son expérience au Kosovo : Julie Armen, Dernière danse à Pristina, Paris, Ramsay, 2007. Cette officier fut mon étudiante et m’alimenta en sources sur ce qui se passait alors au Kosovo.
[12].On trouvera une traduction complète et fidèle de ce discours dans la revue La Lettre Sentinel, n° 43-44, janvier-février 2007, p. 24-29.
[13] Sapir J., « L’évolution des relations américano-russes », Les Cahiers du CHEAR, n° 42, printemps 1999, p. 27-44.
[14] Leur intention d’installer des systèmes antimissiles en Pologne et en République tchèque, soi-disant pour protéger ces pays contre une menace iranienne – argument dépourvu de fondements –, participe de la même démarche délibérément provocatrice.
[15] Primakov E., Le Monde après le 11 septembre et la Guerre en Irak, Paris, Presses de la Renaissance, 2003.
[16] En référence à l’important débat des années 1949-1950 sur la Chine (« Who lost China ? »), ce débat a été utilisé par les fractions néoconservatrices pour décrédibiliser la politique de l’administration Clinton et des démocrates.
[17] L’OCS comprend la Chine, la Russie, le Kazakhstan, la Kirghizie, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan. Elle dispose d’un secrétariat à Pékin et d’une structure antiterroriste régionale située à Tachkent.
[18] Voir la revue La Lettre Sentinel, n° 43-44, janvier-février 2007, p. 25.
[19] E. Primakov, Mir posle 11 Sentjabrja, op. cit., p. 138-151.
[20] La Lettre Sentinel, n° 43-44, janvier-février 2007, p. 25 sq.
Source : Jacques Sapir, Russeurope, 7/4/17
=============================
Image OB :
source : https://www.les-crises.fr/les-crises-du-monde-multipolaire-par-jacques-sapir/
lundi 20 juin 2016
Jacques Sapir à propos de la Loi El Khomri : Un pas vers l'autoritarisme ? / Jacques Sapir about the Law El Khomri: a step towards the authoritarianism?

Un pas vers l’autoritarisme ?
© AFP 2016 Philippe Lopez
source : https://fr.sputniknews.com/points_de_vue/201606201025982145-droit-manifester-france/
Les événements récents en France sont d’une extrême gravité. Une menace nette plane désormais sur le droit constitutionnel de manifester.
Le gouvernement s'est saisi du double prétexte des incidents qui ont émaillé la manifestation du mardi 14 contre la loi El Khomri et de la légitime émotion suscitée par l'odieux crime de Magnanville, où deux policiers ont été les victimes d'un djihadiste, pour tenter d'interdire les manifestations. Ce qui est en cause n'est rien de moins que le cadre des libertés publiques.
Déclarations en tout sens
Le Président de la République, François Hollande a annoncé en conseil des ministres le 15 juin qu'il n'y aurait plus d'autorisation de manifester si la préservation des « biens et des personnes » ne pouvait être « garantie ». Comme l'a déclaré à la suite de ce conseil des ministres le porte-parole du gouvernement M. Stéphane Le Foll, par ailleurs ministre de l'Agriculture et bien habitué aux manifestations violentes: « A un moment où la France accueille l'Euro, où elle fait face au terrorisme, il ne pourra plus y avoir d'autorisation de manifester si les conditions de la préservation des biens et des personnes et des biens publics ne sont pas garanties. » L'amalgame est ainsi ouvertement réalisé entre les terroristes, les hooligans, et le mouvement social. Rappelons, pour ceux qui auraient pu l'oublier, que ceci est le fait d'un gouvernement « de gauche » toujours prompt à accoler le qualificatif « d'extrême-droite » sur tous ses opposants. Ces propos sont honteux. Ils sont aussi profondément scandaleux. Ils sont enfin de la plus extrême gravité.
Le Premier ministre, Manuel Valls, avait dans la matinée du 15 réaffirmé qu'il ne « changera pas » le projet deloi travail, et il avait dénoncé ce qu'il appelait l'attitude « ambiguë » de la CGT: « Je demande à la CGT de ne plus organiser ce type de manifestations sur Paris et, au cas par cas, car vous savez qu'on ne peut pas prononcer une interdiction générale, nous prendrons, nous, nos responsabilités ». Ces propos répétés, provenant des plus hautes autorités de l'Etat sont donc d'une gravité extrême. Ils mettent en cause directement la paix civile. Ils relèvent de la provocation délibérée.
La question des « casseurs »
La présence de « casseurs », de gens cherchant délibérément à en découdre dans les manifestations, est un fait qui date de plus de quarante ans. Que cette présence pose un problème est une évidence; mais elle ne date pas des dernières manifestations. Ce qui est grave aujourd'hui c'est que l'on voit réapparaître du côté de la police et ce depuis plusieurs semaines des pratiques qui avaient disparu depuis la fin des années 1970, voire 1980, comme le tir tendu de grenade, les brutalités à l'encontre des journalistes, voire de collégiens, sans oublier l'usage du flash-ball — deux personnes ont été éborgnées. Il est incontestable que l'on a franchi un nouveau palier. Des nouvelles victimes innocentes ont été relevées lors de la manifestation du 14 juin.
Ce sont ces pratiques qui ont brisé l'unanimité nationale autour des forces de police, ce que l'on appelait « l'esprit du 11 janvier ». La responsabilité en incombe aujourd'hui complètement et totalement au gouvernement.
Qui décide?
On connaît l'adage du Droit: « Le Prince couvre le sujet ». Il faut alors poser des questions à ce gouvernement. La multiplication de ces incidents, combinée à la relative impunité dont ont pu bénéficier certains « casseurs » et qui a été soulignée dans de multiples reportages, soulève des interrogations légitimes. A-t-on donné des ordres spécifiques à la police ou, ce qui semble plus probable — et ce qui en un sens est pire — l'a-t-on laissée sans ordre? Si tel est le cas, qu'est ce que cela révèle dans le fonctionnement des administrations?
Au-delà de ces questions, le lien entre les consignes européennes et l'entêtement du gouvernement à propos de la loi travail, dite loi El Khomri, est aujourd'hui un facteur supplémentaire de perte de la légitimité du gouvernement et du Président. Le pouvoir apparaît en France comme le fondé de pouvoir d'une instance étrangère. Le mouvement contre la loi travail est en réalité, très profondément, un mouvement de réappropriation de la souveraineté nationale, base de la souveraineté populaire.
C'est une situation réellement inquiétante car le comportement d'une minorité de policiers, dont on refuse qu'elle puisse être étendue à l'ensemble de la police, mais aussi et surtout du ministère de l'Intérieur, dont les propos du mardi 14 au soir faisant l'amalgame entre le crime odieux dont deux policiers ont été victimes et le mouvement social, et indirectement du Premier-ministre, durcit les oppositions et fait peser sur les forces de l'ordre un discrédit qui est d'autant plus grave que nous sommes en état d'urgence. Cette situation devrait logiquement conduire le gouvernement à ne pas chercher à antagoniser les oppositions, à retirer — ne serait-ce que provisoirement — la loi El Khomri, et à contrôler le comportement des forces de l'ordre qui sont sous sa responsabilité. Or, il fait aujourd'hui tout le contraire et rajoute à une situation tendue de dangereuses provocations.
Les propos scandaleux, et pour tout dire provocateurs, des membres du gouvernement et du Président de la République dressent aujourd'hui les Français les uns contre les autres au moment même où l'on aurait tant besoin de se rassembler. Ils peuvent conduire à la guerre civile. Ils ôtent à ce gouvernement toute légitimité pour pouvoir prétendre continuer à assurer la paix civile et la protection des personnes face à la menace terroriste.
Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.
lundi 6 juin 2016
Un “printemps français” antiSystème / A "French spring" antisystem
source : http://www.dedefensa.org/article/un-printemps-francais-antisysteme
Le printemps-2016 n’a donc rien à voir avec Mai-68, ni avec décembre 1995 comme le soulignent en général les commentateurs de bon aloi. (On va le voir avec Jacques Sapir. Voir aussi Michel Onfray, pour son retour dans le champ médiatique après quelques mois d’absence, et qui choisit RT [Russia Today, le 2 juin] pour le faire, – ce qui sera interprété dans le sens qu’on devine, comme l’a été son interview dans Éléments n°157 de octobre-décembre 2015.) On parle ici de la France, celle de François Hollande ; précisions à ce propos, certes symboliques mais le symbole a sa place dans la réflexion politique : mai-68 et 1995, cela se passait sous des gouvernements dits “de droite ; printemps-2016, c’est à l’ombre d’un gouvernement dit “de gauche”. On comprend que ces classifications (“de gauche” et “de droite”) n’ont plus qu’un intérêt exotique au regard de la classification fondamentale qui doit être faite entre antiSystème et Système. Reste la question de savoir s’il faut regarder le mouvement en cours comme une spécificité français ou bien comme quelque chose de plus large, disons quelque chose de “globalisée” et qui entrerait dans la catégorie de la lutte de l’antiSystème contre le Système : cette question porte en elle-même sa réponse et notre choix est fait parce qu’il répond à l’évidence.
Là-dessus, on trouve une diversité de jugements qu’on peut aisément replacer dans le cadre ainsi défini. Pour Onfray, dans l’interview déjà signalé, « Nous sommes déjà en guerre civile ». Pour le Secrétaire Général de la CGT Philippe Martinez (interview à L’Humanité du 2 juin), « Un mouvement qui a autant la cote et la garde depuis trois mois, c'est exceptionnel ». (Martinez parle du soutien des Français au mouvement que confirment en permanence les sondages.) Ce qui nous frappe dans ces deux déclarations, c’est à la fois ce qu’elles impliquent de profondeur et de durée du mouvement, alors que l’écho médiatique de la presse-Système voudrait tant le cantonner dans le parcellaire, dans une sorte de cloisonnement, orientée voire utilitaire (désagréments pour les “usagers”, “Français pris en otages”), c’est-à-dire hors de toute appréciation large et substantielle et ainsi privant l’événement de sa véritable essence. D’autre part, si les deux déclarations sont justes, ou au moins se justifient du point de vue opérationnel, c’est alors qu’on se trouve dans un épisode de “guerre asymétrique”, ou de G4G (“Guerre de 4ème Génération”, selon un acronyme qui pourrait également se lire comme “Grève de 4ème Génération”). Là encore, le cadre est naturellement celui de la globalisation et de l’antiSystème versus le Système.
Il est vrai que le mouvement ne suit pas le schéma convenu des vieilles lunes des “luttes sociales” : démarrage, hésitation-mobilisation, montée paroxystique, effet général quel qu’il soit et brutale désagrégation du mouvement du fait d’un choc à la fois opérationnel, psychologique et symbolique. D’une façon différente, il s’agit d’un mouvement multiforme et serpentin, qui va-et-vient, à la fois insaisissable et qu’on croit enfin saisir et comprendre en un instant, qui perdure pourtant et devient comme une façon d’être, une sorte de paralysie furieuse ou de “tourbillon crisique” à l’échelle du pays, une guérilla sociale de communication qui ne sache nullement d'être ce qu'elle est... Le nombre compte peu (nombre de grévistes, nombre de manifestants), et comptent surtout l’écho de communication, l’impression d’instabilité permanente, les coups de boutoir en un point puis on passe à un autre point d’attaque.
Cette chose qu’on nommait “contestation sociale” n’est plus du tout ce qu’elle était, elle s’est adaptée aux temps de la communication et à la dimension de la globalisation. Les nécessités de ces temps absolument nouveaux ont conduit cette adaptation. Ce qui compte c’est l’effet de communication obtenu, et cet effet devient durable et fécond s’il rencontre par son circuit complexe une vérité-de-situation que l’on devinait peut-être mais qui ne parvenait pas à se faire reconnaître par les moyens désormais archaïques des révolutions, émeutes, etc., courantes dans les XIXème et XXème siècle. Ce qui compte également et décisivement, c’est que ces évènements d’une nouvelle forme et sous des manifestations diverses qu’on a vu naître depuis 5-6 ans s’insèrent parfaitement dans le cadre de l’affrontement de la fonction et de l’action antiSystème face au Système, ce qui rend inéluctable, en la créant, la rencontre d’une vérité-de-situation... Cela signifie, dit d'une façon abrupte, que ce mouvement est “vrai” et “dit le vrai”.
(Voir comme références de ces différents éléments de cette interprétation notre texte du 10 décembre 2010 renvoyant lui-même à nos Notes d’analyse du 24 septembre 2009 expliquant comment les évènements de rupture des XIXème et du XXème siècle ne parvenaient plus à rompre quoi que ce soit depuis la fin de la Guerre froide/le 11 septembre 2001 : « Les événements des quinze dernières années, avec la puissance nouvellement apparue du système de la communication, ont complètement enterré le concept classique d’insurrection ou de révolution, passant par la violence et l’organisation, spontanée ou pas, d’événements de rupture dans l’espace public...» Le texte référencé du 10 décembre 2010, « Des antisystèmes aux antiSystème » présentait l’idée que nous entrions dans l’ère d’une nouvelle sorte d’évènements, où la création quasiment spontanée et l’opérationnalisation de la fonction antiSystème dans le mode insurrectionnel se réalisait en s’adaptant à différentes circonstances nouvelles après une décennie d’une domination écrasante et ouverte du Système entré dans sa phase finale depuis au moins le 11 septembre 2001.)
Pour ces diverses raisons qui définissent le type d’événement en cours en France, les arguments stéréotypés selon lequel ces événements en cours représentent des situations classiquement identifiées selon la propagande habituelle, d’origine anglo-saxonne évidemment, soit d’un archaïsme à-la-française contre la discipline économique triomphante, soit d’une survivance de la dictature des syndicats, soit des derniers balbutiements d’agonie des partisans d’un “État-providence” dépassé, – tous ces arguments effectivement complètement archaïques eux-mêmes, complètement dépassés et d’une autre époque même dans leur aspect propagandiste, n’ont aucune prise sur le jugement général qu’on peut et doit porter. A l’archaïsme des évènements qu’ils décrivent et qui n’existent plus, répond leur propre archaïsme : cette critique est grotesque et complètement dépassée, répondant à une pensée, ou plutôt à une propagande littéralement “d’un autre siècle”.
Les évènements en cours en France doivent être jugés dans le cadre de la globalisation réalisée et désormais objet d’une insurrection multiforme ; ils doivent être jugés par rapport à leur fonction déstabilisatrice, dirigée à la fois contre la direction-Système et les élites-Système en place dans ce pays, et aussi contre le diktat permanent des institutions de l’UE, c’est-à-dire les deux échelons de courroies de transmission de la globalisation et du Système vers la France. C’est dire si effectivement ces évènements doivent être appréciés du point de vue de leur fonction antiSystème, d’une façon absolument prioritaire, sinon simplement exclusive de toute autre ; leur importance se mesure à l’importance de la France, au sein de l’UE et de la globalisation, au sein du bloc-BAO, au sein du Système par conséquent ; leur importance se mesure aussi par rapport à l’attaque qu’ils (ces évènements) portent contre l’imposture qui prive la France, depuis quelques décennies, mais surtout et d’une façon impudente et indécente depuis 2005-2007, de son rôle de porte-drapeau du principe de la souveraineté qui est une arme antiSystème fondamentale.
C’est autour de ce principe de souveraineté que Jacques Sapir construit son texte d’explication des évènements, qu’il a écrit pour le site US Politico, le 31 mai, et dont il donne l’original français sur son site RussEurope le 1er juin. C’est ce texte que nous reprenons ci-dessous. Un autre texte de Sapir sur le même sujet, du 28 mai, donne plus de détails techniques qui précisent la valeur anti-UE (antiSystème) du mouvement en cours. La conclusion de ce texte exprimait que « [ce mouvement] montre que la souveraineté est fondamentalement un principe politique “de gauche” même si une partie de la gauche française a toujours du mal à se faire à cette réalité. » Dans son texte pour Politico, Sapir élargit un peu son propos “souverain” : « Le mouvement social a donc pris la forme d’une revendication de la souveraineté, aujourd’hui dans le champ social et demain dans le champ monétaire, contre des mesures qui apparaissent de plus en plus dictées de l’étranger. »
On comprend que Sapir, économiste “souverainiste de gauche”, c’est-à-dire d’abord souverainiste, poursuit la tâche assez harassante de tenter de convaincre la “gauche” française qui se voudrait dissidente du Système, sinon antiSystème, qu’elle doit d’abord se penser comme “souverainiste” (plutôt que comme “idéologisée” de gauche). Il est évident que le souverainisme est d’abord une politique principielle, basée sur le principe fondamental et fondamentalement antiSystème de la souveraineté, et qu’il embrasse par conséquent tous les domaines de la politique, – le social, le monétaire, l’économie, la culture, la sécurité nationale, la mémoire historique, la spiritualité et ainsi de suite. Un principe n’a, par principe évidemment, aucune borne idéologique ou autre de cette forme conçue hors des principes puisqu’il est une structure fondamentale de l’organisation de la civilisation. Par conséquent également, il est antiSystème, anti-globalisation, etc., c’est-à-dire contre toutes ces forces déstructurantes issues du Système.
Tout cela définit ce qu’on peut nommer un “printemps français” par souci de rangement, mais qui est en réalité un des évènements de l’insurrection antiSystème générale en cours (voir Trump, le Brexit, la politique russe, les contestations anti-UE dans divers pays de l'Union sur la question des réfugioés, etc.). Dans ce cas, l’expression “printemps français” renvoie à l’expression “printemps arabe” qui, fin-2010-début 2011 lança, parallèlement à d’autres évènements qui avaient pris d’autres formes (voir encore le même texte du 10 décembre 2010, juste avant le démarrage du “printemps arabe” qu’il ne prenait par conséquent pas en compte), un vaste mouvement antiSystème qui atteint aujourd’hui un palier à potentiel rupturiel formidable dans l’insurrection antiSystème que nous ne cessons de suivre. (Selon cette logique, nous continuons à apprécier le “printemps arabe” comme la première grande manœuvre opérationnelle de l’insurrection antiSystème, malgré tous ses avatars, les interférences, les manœuvres internes du système, les tentatives de récupération, les chocs sanglants et manipulés de l’Égypte à la Syrie et au reste. Nous avons la conviction que c’est de cette façon que l’Histoire-métahistorique appréciera le phénomène malgré toutes les tentatives de l’histoire-tout-court d’en disposer autrement.)
dedefensa.org
________________________
France : un mouvement social de type nouveau
La France vit aujourd’hui une crise sociale grave qui risque de se prolonger. Elle est sans doute la plus grave depuis 1995 et le mouvement social contre les réformes d’Alain Juppé, le premier ministre de l’époque. L’enjeu en est la réforme du Code du Travail contenue dans ce qui est appelé la « Loi El Khomri » du nom de la Ministre du travail [1]. Ce mouvement a reçu bien entendu un net soutien dans la gauche radicale et même dans certaines fractions du PS, le parti au pouvoir. Ceci entraîne un durcissement inquiétant du climat politique. Le Premier-ministre, M. Manuel Valls, se déchaîne et avec lui la presse aux ordres, contre les syndicats qui soutiennent ce mouvement et en premier lieu la CGT. Or, la CGT n’est pas la seule impliquée dans ce mouvement, ce que l’on oublie un peut vite. La présence de FO, de SUD et de syndicats catégoriels y est aussi importante. Car, de nombreuses revendications catégorielles s’expriment à travers ce mouvement.
Pourtant, ce mouvement n’est pas la simple réédition de celui de 1995. Il a acquis une nouvelle dynamique. Il pose désormais la question de la souveraineté nationale. Le soutien à ce mouvement de Nicolas Dupont-Aignan [2] et de Marine le Pen [3] est un signe important du statut politique pris par ce dernier.
L’origine du mouvement
L’économie de ce texte est entièrement contenue dans son article 2 [4]. Cela se concrétise dans la volonté de ramener toute négociation dans le strict cadre des « accords d’entreprise » au détriment des accords de branches ou des accords nationaux, affaiblissant ainsi de manière dramatique le rapport de force des salariés face aux patrons. Tel est le nœud du problème. Les déclarations récentes du Premier-ministre et de Madame El Khomri excluent toute négociation sur ce point [5].
Or, une large majorité de la population est aujourd’hui clairement opposée à cette loi. Les derniers sondages donnent de 69% à 74% d‘opposants à cette loi [6]. Cela indique clairement le parti suivi par ce que l’on appelle la « majorité silencieuse ». La montée des protestations a même eu quelques échos au sein du parti socialiste ou 40 députés menaçaient de faire défaut lors du vote. Le gouvernement s’est vu privé de majorité, et a était obligé d’engager l’article 49-3, ce qui n’est – ni plus, ni moins – qu’un détournement éhonté de la procédure et un déni de démocratie [7]. De fait, en dehors du gouvernement, il faut aller dans la droite modérée pour trouver un soutien à ce texte.
La montée d’une violence sociale
Il est clair que ces formes de luttes créent un désordre aujourd’hui croissant dans le pays. Les manifestations qui se tiennent depuis maintenant le mois d’avril ont vu se multiplier les cas de violences policières mais aussi d’attaques délibérées contre les forces de l’ordre. Des jeunes manifestants ont été éborgnés par des tirs tendus de Flashball, et une voiture de Police a été incendiée, ses occupants ne sortant du brasier que par miracle.
Ce désordre, néanmoins, ne fait que répondre à un désordre premier, qui résulte de l’usage du 49-3. Prétendre alors s’offusquer de la conséquence et non de la cause relève alors de la plus pure hypocrisie. On ne peut condamner les blocages des dépôts de carburant, par exemple, que si, au préalable, on condamne l’usage du 49-3, et plus généralement la tactique du gouvernement qui n’apporte que des réponses policières à un mouvement social. Le recours à des formes de luttes plus radicales s’apparente alors à une légitime défense. Une légitime défense sociale, assurément, contre des mesures contenues dans une loi qui ont été imposées de l’étranger et au mépris des règles de la démocratie, mais cette légitime défense sociale n’en est pas moins légitime aux yeux de la population.
Cela faisait donc près de trente ans que l’on n’avait pas connu en France un tel niveau de violence dans le cadre d’un mouvement social. Le plus grave est que le gouvernement l’autorise, car on comprend bien que les policiers n’agissent pas sans ordres, alors que nous vivons – du moins en théorie – dans l’état d‘urgence. Ce comportement du gouvernement est parfaitement irresponsable. Il constitue aujourd’hui une menace réelle pour la paix civile dont la responsabilité incombe totalement au gouvernement.
Une dynamique anti-européenne
Car, et c’est là que le mouvement acquiert une nouvelle dynamique, ce qui se manifeste dans le soutien que lui ont apporté des formations politiques comme Debout la France ou le Front National, que l’on n’avait pas l’habitude de voir se manifester sur ce terrain. Il est clair que les principes contenues dans la loi El Khomri s’inspirent directement des suggestions, voire des demandes, formulées par l’Union européenne. En effet, cette loi est la stricte application de la « stratégie de Lisbonne » et des «Grandes Orientations de Politique Économique» (ou GOPE) qui sont élaborées par la direction générale des affaires économiques de la Commission européenne [8]. Coralie Delaume, dans des articles publiés dans Le Figaro, l’établit de manière indubitable [9]. De fait, les GOPE, dont l’existence est posée par les traités, ainsi que le «Programme national de réformes» prescrivent à de nombreux pays et depuis longtemps le malthusianisme budgétaire et la modération salariale. On mesure ici à quel point l’UE, mais aussi l’Eurogroupe, imposent leur propre mode de gouvernance et un cadre disciplinaire d‘acier [10]. De fait la France, comme les autres pays de la zone Euro, ne pouvant plus dévaluer, elle ne peut rétablir sa compétitivité que dans une course au « moins disant/moins coûtant » salarial. C’est bien d’ailleurs dans cette direction que ce sont engagés les gouvernements espagnols, portugais, italiens et grecs.
Le mouvement social a donc pris la forme d’une revendication de la souveraineté, aujourd’hui dans le champ social et demain dans le champ monétaire, contre des mesures qui apparaissent de plus en plus dictées de l’étranger.
Ce mouvement social acquiert donc, du fait de son contexte, la dimension d’une contestation généralisée tant des règles liées à l’Euro que de celles issues de l’UE. A cet égard, il peut être considéré comme l’équivalent de la mobilisation contre le Traité Constitutionnel Européen de 2005. Il est donc évident qu’il est en train de rebattre les cartes de la future élection présidentielle de 2017.
Jacques Sapir
Notes et liens
[1] Le projet de loi peut être consulté sur : http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/projets/pl3600.pdf
[2] http://www.lopinion.fr/video/lopinion/nicolas-dupont-aignan-il-faut-renverser-gouvernement-103353 ethttp://www.debout-la-france.fr/actualite/loi-el-khomri-une-regression-sociale-et-inutile-pour-nos-pme
[6] voir http://www.europe1.fr/societe/loi-travail-sept-francais-sur-dix-pour-le-retrait-du-texte-2754859 ethttp://leplus.nouvelobs.com/contribution/1512903-les-francais-hostiles-a-la-loi-el-khomri-le-peuple-a-ete-et-reste-tres-mal-informe.html
[7] Voir Sapir J., « Nous y voilà (49-3) » note publiée sur le carnet RussEurope le 11 mai 2016,https://russeurope.hypotheses.org/4941
[8] Voir le « Rapport pour la France » établi en février 2016 par les services de la commission européenne, pp. 82 et ssq.http://ec.europa.eu/europe2020/pdf/csr2016/cr2016_france_fr.pdf
[9]http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2016/05/26/31001-20160526ARTFIG00104-l-union-europeenne-assume-la-loi-el-khomri-c-est-elle.phpethttp://www.lefigaro.fr/vox/politique/2016/05/17/31001-20160517ARTFIG00137-ce-que-la-loi-el-khomri-doit-a-l-union-europeenne.php
[10] Voir Sapir J., « Euro et gouvernance », note publié sur RussEurope le 6 avril 2015,https://russeurope.hypotheses.org/4840
Inscription à :
Articles (Atom)