• Terrible perspective, n’est-il pas ? • L’Allemagne tirant quelques missiles sur la Russie et recevant par retour de courrier une riposte salée, si possible avec le très-précis et horriblement destructeur ‘Orechnik’ qui réduirait en poussière,
de nuit pour éviter les travailleurs, une usine fabriquant ces mêmes
missiles. • Que se passerait-il ensuite ? Une guerre en Europe ? Non, dit Alastair Crooke. • Nous dirions plutôt : le désordre et la totale désunion, – – de l'Europe bien entendu. • L’Europe aurait au moins senti « le souffle brûlant et terrible de la guerre ».
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Depuis son entrée officielle en fonction, le chancelier Friedrich Merz
fait feu des quatre fers. Il ne cache pas ses intentions d’attaquer la
Russie pour qu’enfin la Vérité apparaisse dans toute sa nudité, et que
Zelenski puisse se promener sur la Place Rouge. Son zèle enthousiaste
inquiète même un tantinet ses propres voisins et alliés et, dans
l’esprit de la chose, certains Français retrouvent des souvenirs qu’ils
croyaient enfuis à jamais grâce aux vertus pacificatrices de l’UE telle
qu’on en parlait dans les années 1950-1990.
La fièvre du chancelier tourne notamment autour du missile ‘Taurus’,
censé terroriser et pulvériser la Russie selon les plans de Merz. Le
chancelier parle de ces plans comme ils feraient d’un acte d’une audace
complètement inattendue et imprévue, même si l’on parle de ce missile
pour l’Ukraine depuis bien plus d’un an. Quant à ses capacités qui sont
ce qu’on sait, – assez bonnes, sans plus, et de toutes les façons
insuffisantes et une bonne proie pour les S-400, – Merz en parle comme
Hitler parlait de ses “armes secrètes” en 1944-1945, pour redresser
brutalement à son avantage le cours de la guerre.
Mais laissons l’emphase de côté. Venu de Blackrock, Merz est un Führer à
la petite semaine et au gros salaire. L’élément singulier est qu’il a
l’air de s’y croire. Les Russes, quant à eux, ne veulent rien laisser au
hasard, et ils examinent froidement la situation. L’“unanimité russe”,
devrait-on dire, qui pour suivre le parcours de Merz et envisager le
cours de cette guerre, estime il faut la conduire jusqu’à son terme
victorieux disent-ils, – y compris les libéraux occidentalistes,
désormais patriotes exacerbés. (On laisse pour l’instant de côté les
zig-zags de Trump, autre numéro de cirque.)
Voyez ce que dit Crooke, suite à son très récent séjour à Saint-Petersbourg, – des paroles venues d’un entretien avec “Judge Napolitano”, telles que reprises en partie par Mark Wauck sur ‘Meaning in History’ du 27 mai :
« Crooke commence par décrire l'atmosphère qu'il a ressentie lors
de son récent séjour à Saint-Pétersbourg, la fenêtre libérale de la
Russie sur l'Occident. Selon Crooke, l'atmosphère a radicalement changé
depuis seulement un an. Les Russes libéraux sont désormais aussi en
colère contre l'Occident que les Russes plus nationalistes. Ils sont
profondément offensés par la diabolisation occidentale de la Russie, des
Russes et de leur culture, qualifiée de barbare. La multiplication des
sanctions et les mensonges constants sur la prétendue barbarie des
Russes ont eu un effet cumulatif sur la psychologie russe... »
C’est un facteur important et, contrairement aux vitupérations de
Merz et aux zig-zags de Trump, un facteur très sérieux. Peu après avoir
repris ces considérations de Crooke, Wauck remarque : « Et Poutine est bien conscient de tout cela ».
Cela signifie que les Russes, leur président en premier, envisagent bel
et bien une attaque, – ou disons “une frappe”, – d’origine allemande
sur le territoire de la Sainte Russie, – qui serait nécessairement
suivie d’une “brutale” riposte russe sur le territoire allemand. La
chose est clairement dite
par un expert russe que nous connaissons depuis longtemps, lui aussi à
l’origine bien connu comme libéral et occidentaliste, – Dimitri
Trenine :
« La Russie a clairement indiqué qu'une frappe sur notre
territoire avec des armes à longue portée, que le chancelier allemand
Friedrich Merz a autorisées à utiliser sans restriction par les forces
armées, impliquerait Berlin dans le conflit et légitimerait les cibles
allemandes pour des attaques de représailles de l'armée russe. Dimitri
Trenine, directeur de l'Institut d'économie et de stratégie militaires
mondiales de l'École supérieure d'économie et membre du FNI, s'est dit
confiant lors de l'émission de Tsargrad. L'essentiel est que le Kremlin
ne bluffe pas : la réaction en cas d'agression sera brutale. »
Coucou, le revoilà, l’Article 5 !
Aussitôt qu’une telle hypothèse, latente depuis trois ans, acquiert
un certain crédit, sinon une réelle crédibilité, surgit la question :
une guerre avec l’Allemagne ou une guerre avec l’Europe et l’OTAN ? Et
pour ceux qui sont bien informés et qui peuvent jouer aux spécialistes
bien informés, l’argument de l’Article 5 s’impose puisqu’il implique,
dit-on encore de-ci de-là, l’engagement automatique des pays de l’OTAN
au secours d’un des membres de l’Organisation. Trenine le balaie en
quelques phrases.
« Une telle riposte contre l'Europe ne mènera pas à une guerre
avec l'OTAN dans son ensemble. Selon l'expert, les États-Unis
l'accepteront. Ainsi, la vérité sur l'article 5 de la charte de
l'Alliance atlantique, qui présuppose une assistance mutuelle en cas
d'attaque contre l'un des pays du bloc, a été révélée, et [Trenine] a souligné que cet article est fortement mythifié.
» Cette disposition de la charte n'implique pas l'entrée en
guerre automatique des autres membres de l'alliance, du moins des
États-Unis. Elle prévoit des consultations et l'application de certaines
mesures sur lesquelles les membres de l'OTAN se mettront d'accord
ultérieurement. »
Lumières sur un mythe éclatant
Que n’a-t-on cité l’Article 5 ! C’est, pour un ensemble de pays qui
forment la matrice de la civilisation, la seule poutre légaliste à
laquelle ils s’accrochent pour se lancer dans les aventures les plus
absurdes en croyant assuré le soutien de leurs coreligionnaires. En
quelque sorte, on dirait que l’Article 5 est ce qui donne à leur
comportement de pirates et d’agresseurs un vernis de respectabilité sous
le couvert d’une garantie légale.
Mais tout cela n’est qu’un bla-bla sans consistance, bien que la
communicationSystème y revienne à chaque occasion comme s’il y avait du
vrai là-dedans : que l’un d’entre eux se lance dans une aventure et tous
les autres, membres de l’OTAN ou d’un état d’esprit de cette sorte, se
conformeront à l’obligation légale d’être à ses côtés sans plus
s’interroger. Tout cela, grâce à l’Article 5 !
C’est une singulière aventure que celle de l’Article 5 à défaut que
cet Article 5 puisse garantir les aventures diverses des membres divers.
La question a commencé à se poser très sérieusement, pour notre période
de temps, il y a près de 16 ans, lors de la guerre entre la Russie et
la Géorgie. On parla à cette époque, pour bloquer les tentatives de
certains pour bidouiller une intervention antirusse lors de cette
guerre, – de “réinterprétation” de l’Article 5. Cette “réinterprétation”
consistait à démentir ceux qui affirmaient que l’Article 5 obligeait à
un engagement militaire complet auprès d’un pays de l’Alliance qui se
trouvait engagé dans des hostilités (l’affaire géorgienne ayant amené
certains pays européens de l’OTAN à envisager eux-mêmes, en pure théorie
d’ailleurs et sur la pointe des pieds, une intervention qui devait,
dans leur “interprétation” de l’Article 5, entraîner les autres).
dedefensa.org intervint, à cette époque également, à
plusieurs reprises à propos de cet Article 5, voulant notamment montrer
la désorganisation complète que créait les diverses “interprétations”,
notamment le 20 août 2008 et le 19 septembre 2008.
Dans ce dernier texte, nous montrions notamment que l’“ambiguïté” dont
tout le monde parlait (et continue à parler) à propos de l’Article 5,
– au contraire extrêmement clair comme on le constate dans l’extrait
ci-dessous, – se trouvait chez ceux qui en parlaient pour se couvrir ou
se donner de bons arguments de solidarité, bien plus que dans l’article
lui-même. Cette clarté de non-engagement automatique avait été voulue
par le Sénat US en 1949, lors de la rédaction et la ratification du
traité, pour éviter un automatisme visant à lier nécessairement les USA à
une guerre européenne ; c’était une des dernières cartouches des
isolationnistes.
C’est nous-mêmes qui soulignions de gras l’expression essentielle de l’article, suivi de la remarque que « l'emploi de la force armée »
y est mentionnée comme une mesure extrême éventuelle (“y compris”) et
nullement comme la mensure centrale envisagée. Enfin, l’Article 5
précisait que n’est concernée par sa recommandation que « la région de l'Atlantique Nord ».
« En fait de “réinterprétation”, il s’agit simplement d’une
interprétation évidente de l’Article 5, dont on sait qu’il ne fait
aucune obligation de la forme d’aide à apporter dans ce cas puisqu’il
laisse à chaque membre le soin d’apprécier quelle aide il voudra
apporter. Jusqu’alors, “jusqu’à il y a un an ou deux”, on se contentait
d’accepter l’ambiguïté qui se faisait croire à soi-même que l’Article 5
était contraignant. Il est caractéristique de cette ambiguïté que
Shanker [journaliste du NYT], en expliquant rapidement ce
qu'est l'Article 5, laisse entendre que l'intitulé de cet article rend
compte effectivement d'une ambiguïté. Mais non, l'ambiguïté n'est pas
dans l'énoncé du texte, il est dans l'attitude officielle qu'on a
entretenue vis-à-vis de lui; l'attitude est (était?) ambiguë, pas le
texte...
Pour rappel, toujours, ce fameux article, avec notre propre souligné en gras: “Les
parties conviennent qu'une attaque armée contre l'une ou plusieurs
d'entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée
comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence
elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d'elles,
dans l'exercice du droit de légitime défense, individuelle ou
collective, reconnu par l'article 51 de la Charte des Nations Unies,
assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt,
individuellement et d'accord avec les autres parties, telle action qu'elle jugera nécessaire, y compris l'emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l'Atlantique Nord”. »
Perspectives du désordre européen
Ces précisions sur l’Article 5 sont données pour montrer l’imbroglio
juridique et psychologique dans lequel seraient plongés l’OTAN et les
pays européens en cas de riposte russe sur le territoire allemand. Il
est intéressant de noter une autre remarque d’Alastair Crooke sur cette question d’un conflit touchant directement l’Europe otanienne
« Je ne pense pas que cela mènera à une guerre plus vaste en
Europe, car les Européens n'en sont pas capables. … Mais leur objectif
est de pousser Trump à une escalade croissante contre la Russie. Ils
veulent ainsi affaiblir Trump et son programme, car ils le détestent, et
ensuite, ils craignent les conséquences de son programme économique. Ce
programme économique peut détruire l'Europe, et ils le comprennent,
donc ils ne veulent pas que cela arrive. »
L’affirmation sur la possibilité, assez négative selon Crooke, d’une
guerre en Europe est très fondée. Dès que les Occidentaux commenceront à
comprendre en réalité et de visu les capacités russes, l’on assistera
nécessairement à des divergences diverses, des échappatoires, des
faux-fuyants et autres dérobades-cabrioles des uns et des autres. En
effet, bien plus que l’extension d’une guerre dont on aura senti le
souffle brûlant et terrible, il est plutôt concevable qu’on assistera à
un éclatement des pseudo-solidarités, selon les intérêts des uns et des
autres, avec des remous intérieurs pouvant prendre des proportions
révolutionnaires. Nous laissons de côté le facteur américain et
américaniste tant lui-même sera soumis à des tensions extrêmes, moins
avec ses “alliés” européens qu’en son propre sein, entre ses partis et
ses factions qui se détestent... Comme le dit Crooke dans sa conférence
de Saint-Pétersbourg, et en prenant “culturel” dans son sens idéologique
le plus aigu :
« Le conservatisme américain semble donc se reconstruire sous une forme plus brutale, plus cruelle et beaucoup moins sentimentale. [...] La guerre culturelle quittera alors l'arène publique pour se dérouler sur le champ de bataille de la rue. »
Cela est triste sinon horrible à dire, – mais où est le fautif sinon
dans ce travers humain de se croire maître du monde alors qu’on est en
train de le détruire sans nécessité de ‘Taurus’ ? Cela est
triste à dire, donc, mais nous avons besoin de ce “souffle brûlant et
terrible” de la guerre pour revenir dans la dureté impitoyable mais
aussi sans faux-semblant de la réalité. Nous avons besoin de quelques vérités-de-situation catastrophiques pour songer à nouveau à la Vérité qui doit nous sortir de notre simulacre satanique.
Mis en ligne le 30 mai 2025 à 19H30.