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mardi 11 mai 2021

Rencontre avec Louis Fouché. Une note d'espoir.

Je note au passage : "il faut que j'étudie ce que sont les antifas (...) les antifas sont des agents du pouvoir"; 'ne pas jeter des briques contre le temple du pouvoir (...) les enlever une par une" L. Fouché  

Ma journée est réussie :-)

 Louis Fouché est médecin- réanimateur à Marseille et porte-parole de Reinfo Covid*. Dans cette interview, il nous livre son témoignage sur ce grand spectacle du covid et les stratégies à adopter.

*https://reinfocovid.fr/

dimanche 18 août 2019

Jean-Claude Michéa : « Il est grand temps de refermer la triste parenthèse politique de la gauche libérale »

Source : Le Comptoir, Jean-Claude Michéa, 20-06-2019
Après un article rédigé par Michael C. Behrent sur sa pensée, le magazine américain Dissent publie un grand entretien du philosophe Jean-Claude Michéa. Celui-ci a été accordé en janvier 2019, alors que les gilets jaunes fêtaient leurs deux mois. Le gouvernement commençait à discréditer le mouvement et à le couper de ses bases populaires en pointant notamment la présence des « Black blocs » et de groupuscules d’extrême droite lors des rassemblements parisiens. Alors que Michael Behrent a décidé, avec l’accord de Michéa, de laisser de côté quelques passages risquant d’être incompréhensibles pour des lecteurs américains, notre site propose la traduction intégrale de l’entretien. Dans la 1ère partie, le penseur est revenu sur la critique du libéralisme et sur sa défense des Gilets jaunes. Dans cette 2ème partie, il développe sa critique de la gauche libérale.

Dissent : La xénophobie et l’’intolérance sont en train de monter. Combattre le racisme, dans ce contexte, semble plus nécessaire que jamais. Je pense, par exemple, à cette critique du “privilège blanc” qui est très répandue chez les Américains progressistes. Pour vous, au contraire, l’antiracisme et les luttes sociétales symbolisent tout ce qui est faux dans le libéralisme culturel. Cette façon de voir ne risque-t-elle pas de délégitimer ces combats à un moment où ils semblent particulièrement nécessaires ?

Jean-Claude Michéa : C’est effectivement sur cette question du racisme et de la défense des “minorités” (sexuelles ou autres) que le nuage d’encre répandu depuis des décennies par l’intelligentsia de gauche est devenu aujourd’hui le plus difficile à dissiper. Car il ne s’agit évidemment pas de “délégitimer” le moindre de ces combats dits “citoyens” (ne serait-ce que par fidélité à Marxqui, dans le Capital, rappelait déjà que « le travail sous peau blanche ne peut s’émanciper là où le travail sous peau noire reste stigmatisé et flétri »). Ce qui fait problème, en revanche, c’est la façon incroyable dont la nouvelle intelligentsia de gauche – sur fond, tout au long des années 1980, de néolibéralisme triomphant, de “guerre des étoiles” et de déclin irréversible de l’empire soviétique – s’est aussitôt empressée d’instrumentaliser ces combats (on se souvient par exemple du rôle décisif joué sur ce plan par Bernard-Henri Levy, Michel Foucault et les “nouveaux philosophes”) dans le but alors clairement affiché de rendre définitivement impossible tout retour de la critique socialiste du nouvel ordre libéral, critique à présent assimilée au “goulag” et au “totalitarisme” (et le fait que l’actuelle génération d’intellectuels de gauche ait été élevée dans l’idée que Marx était un auteur “dépassé” − combien ont réellement lu le Capital ? − n’a certainement pas arrangé les choses !). Le cas de la France me paraît d’ailleurs ici, une fois de plus, emblématique.
Manifestation d’SOS racisme
Plus personne n’ignore, en effet, que c’est bien François Mitterrand lui-même (avec la complicité, entre autres, de l’économiste libéral Jacques Attali et de son homme à tout faire de l’époque Jean-Louis Bianco) qui, en 1984, a délibérément organisé depuis l’Elysée (quelques mois seulement, par conséquent, après le fameux “tournant libéral” de 1983) le lancement et le financement de SOS-Racisme, un mouvement “citoyen” officiellement “spontané” (et d’ailleurs aussitôt présenté et encensé comme tel dans le monde du showbiz et des grands médias) mais dont la mission première était en réalité de détourner les fractions de la jeunesse étudiante et lycéenne que ce ralliement au capitalisme auraient pu déstabiliser vers un combat de substitution suffisamment plausible et honorable à leurs yeux. Combat de substitution “antiraciste”, “antifasciste” et (l’adjectif se généralise à l’époque) “citoyen”, qui présentait de surcroît l’avantage non négligeable, pour Mitterrand et son entourage, d’acclimater en douceur cette jeunesse au nouvel imaginaire No Border et No limit du capitalisme néolibéral (et c’est, bien entendu, en référence à ce type de mouvement “citoyen” que Guy Debord ironisait, dans l’une de ses dernières lettres, sur ces « actuels moutons de l’intelligentsia qui ne connaissent plus que trois crimes inadmissibles, à l’exclusion de tout le reste: racisme, anti-modernisme, homophobie »).
Or cette instrumentation cynique des différents combats dits “sociétaux” s’est révélée, à l’usage, doublement catastrophique pour la gauche. Sur le plan intellectuel, d’abord, parce qu’il est évident qu’une lutte pour “l’égalité des droits et la fin de toutes les discriminations” finira toujours par se voir récupérée et détournée de sons sens par la classe dominante dès lors que tout est fait, en parallèle (et comme c’est justement le cas de la plupart des associations “citoyennes”), pour la dissocier radicalement de toute forme d’analyse critique de la dynamique du capital moderne (et notamment de celle de Marx – aujourd’hui plus éclairante que jamais – sur les effets psychologiques, politiques et culturels du règne de la marchandise, cette « grande égalisatrice cynique »). Un peu, en somme, comme si on appelait à combattre le désastre écologique actuel – à l’image de cette jeune Greta Thunberg devenue, en quelques mois, la nouvelle idole des médias libéraux – tout en se gardant de dire un seul mot de cette dynamique d’illimitation qui définit de façon structurelle le mode de production capitaliste !
« À la différence des classes supérieures, pourtant si promptes à mettre en avant la mobilité transnationale et la tolérance aux autres, les classes populaires sont dans les faits beaucoup plus métissées et mélangées que tous les autres groupes sociaux. »
Et sur le plan pratique, ensuite, parce que les classes populaires n’ont évidemment pas mis longtemps à comprendre − dans la mesure où elles voyaient parfaitement que c’est, pour l’essentiel, la bourgeoisie de gauche (et notamment ses universitaires, ses journalistes et ses artistes) qui avait pris, dès le début, le contrôle de la plupart de ces nouvelles luttes “sociétales” − que les progrès réels que ces dernières allaient rendre enfin possibles (sous réserve, là encore, qu’on ne confonde pas l’émancipation effective d’une “minorité” avec la seule intégration de ses membres les plus ambitieux dans la classe dominante !) se feraient presque toujours sur leur dos et à leur frais.
Sous ce rapport, rien n’illustre mieux cette dialectique de l’émancipation régressive que l’élection de la nouvelle Assemblée nationale française de juin 2017. À l’époque, l’ensemble des médias avaient en effet salué avec enthousiasme le fait que jamais dans l’histoire de la République française, un parlement élu n’avait compté autant de femmes (près de 40 %) ni de députés issus des “minorités visibles”. Qu’il s’agisse là d’un progrès considérable sur le plan humain, je ne songe évidemment pas à le nier un seul instant. Le problème, c’est qu’il faut également remonter à l’année 1871 (autrement dit à cette assemblée versaillaise qui avait ordonné le massacre de la Commune de Paris – cette « Saint-Barthélemy des prolétaires » disait Paul Lafargue – sous la direction éclairée d’Adolphe Thiers et de Jules Favre, alors les deux chefs incontestés de la gauche libérale) pour retrouver une assemblée législative présentant un tel degré de consanguinité sociale (les classes populaires, pourtant largement majoritaires dans le pays, n’y sont plus “représentées”, en effet, que par moins de 3% des élus ; et, pour la première fois depuis 1848, on n’y trouve même plus un seul véritable ouvrier !).
Ce n’est donc pas tant parce qu’ils seraient “par nature” sexistes, racistes et homophobes que “ceux d’en bas” accueillent généralement avec autant de réticence les combats dits “sociétaux” (une récente étude sociologique sur Les classes sociales en Europe, parue en 2017 aux éditions Agone − montrait même qu’« à la différence des classes supérieures, pourtant si promptes à mettre en avant la mobilité transnationale et la tolérance aux autres, les classes populaires sont dans les faits beaucoup plus métissées et mélangées que tous les autres groupes sociaux« ). C’est bien plutôt parce qu’elles font chaque jour la triste expérience concrète de cette “unité dialectique” du libéralisme culturel et du libéralisme économique sur laquelle la gauche académique en est encore à s’interroger doctement. C’est, du reste, une des raisons pour lesquelles j’en suis venu à accorder, dans mes derniers livres, une importance pédagogique majeure à Pride, ce petit chef d’œuvre du cinéma politique britannique réalisé, en 2014, par Matthew Warchus.
Pride de Matthew Warchus
Pride montre en effet de façon exemplaire que si le soutien apporté aux mineurs gallois du petit village d’Onllwyn, au cours de l’été 1984, par de jeunes militants socialistes du groupe londonien Lesbians and Gays Support the Miners a pu finalement réussir à modifier de façon aussi efficace le regard de ces mineurs sur l’homosexualité, c’est bien d’abord parce qu’à la différence des militants LGBT traditionnels (lesquels sont, du reste, presque toujours issus de la nouvelle bourgeoisie de gauche des grandes métropoles), l’idée ne leur était jamais venue un seul instant de considérer ces syndicalistes gallois comme autant d’esprits “arriérés” qu’il convenait d’évangéliser sur le champ à coup de sermons moralisateurs. Ils les voyaient avant tout, au contraire, comme de véritables camarades de combat, engagés en première ligne contre le sinistre gouvernement de “Maggie la sorcière” (une démarche assez semblable, en somme, à celle qui avait conduit Orwell en 1936 − face à la menace franquiste − à prendre tout naturellement sa place aux côtés des républicains espagnols).
De ce point de vue, la leçon politique de Pride dépasse donc le cadre de la seule lutte contre l’homophobie. Et on pourrait en résumer le principe de la façon suivante. Vous voulez vraiment faire reculer le racisme, l’homophobie, le sexisme et l’intolérance ? Alors remettez d’abord en question tousvos préjugés de classe envers les milieux populaires – à commencer par ceux qui vous portent spontanément à n’y voir qu’un « panier de déplorables » (ou « des gars qui fument des clopes et roulent en diesel », si on préfère la version plus soft de Benjamin Griveaux − porte-parole du gouvernement d’Emmanuel Macron et ancien bras droit du “socialiste” Dominique Strauss-Kahn). Vous pourrez alors découvrir par vous-mêmes à quel point “ceux d’en bas” − quelles que soient, par ailleurs, leur orientation sexuelle ou leur couleur de peau – peuvent se révéler très vite au moinsaussi capables d’humanité, de tolérance et d’intelligence critique – dès lors qu’on accepte enfin de les traiter en égaux et non plus en enfants agités à qui on doit faire sans cesse faire la leçon − que ceux qui se perçoivent en permanence comme the best and the brightest. Reste, bien sûr, à savoir si la bourgeoisie de gauche a encore les moyens moraux et intellectuels, en 2019, d’une telle remise en question. Rien, hélas, n’est moins certain.

Vous critiquez – ou du moins vous pointez les limites – de l’idée de “neutralité axiologique” et de la place qu’elle occupe dans la pensée politique contemporaine. Mais une sorte de variante de cette idée ne s’avère-t-elle pas nécessaire pour une société bonne – et particulièrement pour une société tolérante et ouverte à la différence ?

Le problème c’est qu’il me paraît très difficile de mobiliser ce concept de “neutralité axiologique” sans avoir à réintroduire aussitôt l’ensemble des présupposés du libéralisme politique, économique et culturel ! Derrière toutes les constructions de la philosophie libérale, en effet, on trouve toujours l’idée (née de l’expérience traumatisante des terribles guerres civiles de religion du XVIe siècle) que les hommes étant par nature incapables de s’entendre sur la moindre définition commune de la “vie bonne” ou du “salut de l’âme” (le relativisme moral et culturel est logiquement inhérent à tout libéralisme), seule une privatisation intégrale de toutes ces valeurs morales, philosophiques et religieuses qui sont censées nous diviser irrémédiablement – ce qui implique, entre autres, l’édification parallèle d’un nouveau type d’État, minimal et “axiologiquement neutre” − pourra réellement garantir à chacun le droit de choisir la manière de vivre qui lui convient le mieux, dans un cadre politiquement pacifié. Sur le papier, un tel programme est incontestablement séduisant (surtout si l’on admet, avec Marx, que « le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous »). L’ennui, c’est que c’est précisément cet impératif de “neutralité axiologique” (ou, si l’on préfère, cette idéologie de la “fin des idéologies”) qui contraint en permanence le libéralisme politique et culturel (les deux sont forcément liés puisque si chacun a le droit de vivre comme il l’entend, il s’ensuit qu’aucune manière de vivre ne peut être tenue pour supérieure à une autre) à devoir prendre appui, tôt ou tard, sur la “main invisible” du Marché pour assurer ce minimum de langage commun et de “lien social” sans lesquels aucune société ne serait viable ni ne pourrait se reproduire durablement.
C’est ce que Voltaire avait, pour sa part, parfaitement compris lorsqu’il écrivait en 1760 − en bon libéral opposé à la fois aux principes inégalitaires de l’Ancien régime et au populisme républicain de Rousseau − que « quand il s’agit d’argent, tout le monde est de la même religion ». Et de fait, si le seul moyen de neutraliser la dynamique des guerres de religion et de pacifier la vie commune, c’est de rejeter définitivement hors de la sphère publique et de la vie commune toutes les valeurs susceptibles de nous diviser sur le plan religieux, moral ou philosophique, alors on ne voit pas comment une telle société pourrait trouver son point d’équilibre quotidien ultime ailleurs que dans cette “religion de l’économie” et cette mystique de l’“intérêt bien compris” qui définissent, depuis l’origine, l’imaginaire du mode de production capitaliste.
« La liberté sans le socialisme, n’est pas la liberté. » Charles Rappoport
Pierre Leroux
On comprend du coup beaucoup mieux pour quelle raison les premiers socialistes − il suffit ici de relire Pierre Leroux, Proudhon, Marx ou Bakounine – accordaient une place aussi importante à la critique de cette « idéologie de la pure liberté qui égalise tout » (Guy Debord) dont ils avaient très vite compris – et Dieu sait si les faits ultérieurs leur ont donné raison ! – qu’elle conduirait inéluctablement une société libérale à devoir noyer l’ensemble des valeurs humaines dans « les eaux glacées du calcul égoïste » et à « désagréger l’humanité en monades, dont chacune a un principe de vie particulier et une fin particulière » (Engels). C’est du reste pourquoi il n’y a strictement aucun sens, selon moi, à se réclamer encore du “socialisme” (ou du “communisme”) là où les concepts fondamentaux de “vie commune”, de “communauté” et de “commun” ne conservent pas un minimum de sens et de légitimité philosophique. La seule question politique importante étant, dès lors, de s’accorder démocratiquement sur ce qui, dans une société socialiste décente, devrait nécessairement relever de la vie commune (fondant ainsi le droit de la collectivité à intervenir en tant que telle sur un certain nombre de questions précises) et sur ce qui, au contraire, ne saurait relever que de la seule vie privée des individus, sauf à sombrer dans un régime totalitaire. C’est d’ailleurs sur cette question cruciale (mais qui n’a de sens que si l’on rejette d’emblée le postulat nominaliste et “thatchérien” selon lequel il « n’existe que des individus » et qu’en conséquence « la société n’existe pas ») que n’ont cessé de s’affronter, depuis le XIXe siècle, les deux courants majeurs du socialisme moderne.
D’une part, un socialisme autoritaire et puritain (à l’image, par exemple, de Lénine affirmant, dans l’État et la Révolution, qu’une fois le socialisme réalisé, « la société toute entière ne sera plus qu’un seul bureau et un seul atelier, avec égalité de travail et égalité de salaire ») et, de l’autre, un socialisme démocratique et libertaire (celui que défendait, par exemple, Pierre Leroux lorsqu’il mettait en garde, dès 1834, le prolétariat français contre la tendance d’une partie du mouvement socialiste naissant à « favoriser, consciemment ou non, l’avènement d’une papauté nouvelle » dans laquelle l’individu « devenu fonctionnaire, et uniquement fonctionnaire, serait enrégimenté, aurait une doctrine officielle à croire et l’Inquisition à sa porte »). Éprouvant, pour ma part, infiniment plus de sympathie pour le socialisme anarchisant de Proudhon, de Kropotkine ou de Murray Bookchin que pour celui de Cabet, de Staline ou de Mao, il va de soi que je partage entièrement votre souci d’une société “tolérante” et aussi ouverte que possible sur toutes les “différences” (n’est-ce pas d’ailleurs Rosa Luxemburg qui rappelait dans La Révolution russe – contre Lénine et Trotsky − que « la liberté, c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement » ?). Mais pour autant, je ne vois pas ce qu’on pourrait gagner sur le plan philosophique – sinon quelques confusions politiques supplémentaires – à retraduire dans les vieilles catégories de l’idéologie libérale tout ce qui fait, depuis le début du XIXe siècle, la merveilleuse originalité du socialisme populiste, démocratique et libertaire. Car s’il est incontestable – comme le rappelait naguère le militant révolutionnaire Charles Rappoport − que « le socialisme sans la liberté n’est pas le socialisme », il est tout aussi incontestable – s’empressait-il aussitôt d’ajouter – que « la liberté sans le socialisme, n’est pas la liberté ». J’imagine qu’Orwell aurait applaudi des deux mains !

J’ai le sentiment que beaucoup à gauche (et je pense particulièrement, encore une fois, aux États-Unis) éprouvent une méfiance spontanée envers des idées telles que la “common decency” de George Orwell – qui joue un rôle important chez vous – parce qu’ils y voient une façon détournée de défendre les préjugés et l’intolérance . Comment réagissez-vous face à de telles inquiétudes ?

J’y vois malheureusement le signe de l’influence grandissante des “idées” (si l’on peut dire !) d’un Bernard-Henri Levy sur la nouvelle intelligentsia “progressiste” ! Lui qui, récemment encore, n’hésitait même plus à définir les classes populaires par leur « mépris de l’intelligence et de la culture »et leurs « explosions de xénophobie et d’antisémitisme » (il faut dire que la révolte du “peuple d’en bas” et de ses Gilets jaunes l’avait immédiatement plongé dans le même état de panique haineuse que les riches bourgeois parisiens de 1871 face aux insurgés de la Commune !). Or la plupart des enquêtes empiriques dont nous disposons sur ce point confirment, au contraire, de façon massive que c’est bel et bien dans les milieux populaires que le sens des limites et les pratiques concrètes et quotidiennes d’entraide et de solidarité demeurent, aujourd’hui encore, les plus répandus et les plus vivaces. Ce qui s’explique, après tout, très facilement.
Bernard Henri-Lévy
Quand vos revenus sont beaucoup trop faibles – ce qui est le cas, par définition, de la majorité des classes populaires – vous ne pouvez, en effet, avoir la moindre chance de surmonter les multiples aléas de la vie quotidienne que si vous pouvez habituellement compter sur l’aide de la famille et la solidarité du village ou du quartier. Ayant moi-même choisi de vivre – en partie, d’ailleurs, pour des raisons de cohérence morale et philosophique − au cœur de cette France rurale et “périphérique” abandonnée (là où la plupart des équipements collectifs ont disparu – néolibéralisme oblige – et où il faut souvent parcourir des kilomètres – dix dans mon cas personnel ! – pour trouver le premier café, le premier commerce ou le premier médecin), je peux ainsi vous assurer que la façon dont se comportent la plupart des gens qui m’entourent (ce sont essentiellement des petits paysans, des viticulteurs et des petits éleveurs) correspond beaucoup plus, aujourd’hui encore, aux descriptions de George Orwell dans The Road to Wigan Pier ou Homage to Catalonia qu’à celles de Hobbes, de Mandeville ou de Gary Becker (je n’en dirais évidemment pas autant, en revanche, de ces grandes métropoles – telles Paris ou Montpellier – où j’ai si longtemps vécu !).
« Il me paraît donc grand temps de refermer, une fois pour toutes, la triste parenthèse politique de la gauche libérale et de redécouvrir au plus vite, avant qu’il ne soit trop tard, cette critique socialiste de la société du Spectacle et du monde de la Marchandise qui est clairement redevenue aujourd’hui plus actuelle que jamais. »
Ce qui ne surprendra d’ailleurs pas les lecteurs de Marcel Mauss (comme vous le savez, je me suis beaucoup appuyé sur son Essai sur le don pour expliciter les fondements anthropologiques du concept de common decency), d’E.P.Thompson (je pense, entre autres, à ses analyses décisives sur l’“économie morale” des classes populaires et sur leurs “customs in common”), de Karl Polanyi, de Marshall Sahlinsou de James C. Scott. Et encore moins ceux de David Graeber qui − dans Debt : the first 5000 years – n’hésitait pas à forger les concepts de baseline communism ou d’everyday communism (une version particulièrement radicale, comme on le voit, de la common decency de George Orwell !) pour décrire ce « fondement de toute sociabilité humaine (…) qui rend la société possible »).
Ce n’est donc pas tant l’hypothèse d’une décence commune ou ordinaire – quels que soient par ailleurs les indispensables développements philosophiques et anthropologiques qu’elle appelle par définition – qui devrait faire aujourd’hui problème ! C’est bien plutôt le retour en force, au sein de l’intelligentsia de gauche moderne, de la vieille arrogance de classe et du vieux préjugé élitiste – y compris, hélas, chez certains partisans de la décroissance − selon lequel « postuler une décence ordinaire relève d’une vision paternaliste et fantasmée d’un peuple qui, de fait, n’a jamais existé » (j’emprunte cette formule ahurissante − mais qui en dit très long sur le rapport aux classes populaires d’une grande partie de la nouvelle faune universitaire − à l’honnête “républicain critique”, c’est ainsi qu’il se présente lui-même, Pierre-Louis Poyau). À tel point que j’aurai même tendance à voir dans cet étrange renouveau des thèses les plus défraîchies d’un Gustave Le Bon, d’un Taine ou d’un H. L. Mencken (qu’on songe par exemple à quel point le terme, jadis glorieux, de “populisme” est aujourd’hui devenu, pour la plupart des journalistes et des intellectuels de gauche, un quasi-synonyme de “fascisme” ; ou encore aux délires démophobes et “transhumanistes” de l’idéologue macronien Laurent Alexandre) l’un des signes les plus irrécusables, et probablement les plus désespérants, du naufrage moral et intellectuel absolu de la gauche “moderne” et “progressiste”.
À l’heure où le système capitaliste mondial s’apprête à connaître la décennie la plus critique et la plus turbulente de son histoire – sur fond de désastre écologique grandissant et d’inégalités sociales de plus en plus explosives et indécentes – il me paraît donc grand temps de refermer, une fois pour toutes, la triste parenthèse politique de la gauche libérale (comme avant elle, celle du stalinisme) et de redécouvrir au plus vite, avant qu’il ne soit trop tard, cette critique socialiste de la société du Spectacle et du monde de la Marchandise qui est clairement redevenue aujourd’hui plus actuelle que jamais.
Propos recueillis Michael C. Behrent

Source : Le Comptoir, Jean-Claude Michéa, 20-06-2019

samedi 4 mai 2019

Décryptage : Les Antifas sans cagoule




Ils frappent partout, mais ne semblent venir de nulle part. Ils dénoncent un «fascisme» omniprésent et fantasmé. Ils n’ont aucune existence juridique mais bénéficient d’incroyables indulgences judiciaires.
Qui sont-ils?

Les Antifas se plaisent à revêtir le noir, toujours encapuchonnés et masqués comme les Black Blocks, dont ils sont l’avatar. Comme on le sait, la dénomination Schwarzer Block fut imaginée dans les années 1980 par la police de Berlin-Ouest pour désigner les Autonomes de Kreuzberg. Ce quartier jouxtant le «Mur» faisait encore partie du secteur d’occupation US jusqu’en 1990. Autrement dit, les Black Blocks sont nés dans un territoire sous contrôle militaire américain.

C’est important, car au même moment apparaissait aux États-Unis, plus exactement à Minneapolis (Minnesota) l’Anti-Racist Action Network (ARA). Ce groupe recrutait dans les mêmes éprouvettes punk et squat qu’au sein du laboratoire de Berlin Ouest. Entre scientifiques de l’agitprop, on collabore. Dissous en 2013 pour ressusciter sous le nom de Torch Antifa Network, le but de ce mouvement était, dès l’origine, de combattre le sexisme, l’homophobie, les idées anti-immigrationnistes, le nativisme, l’antisémitisme ou encore l’anti-avortement.
Bref, quelques-uns des leviers de démantèlement d’une société traditionnelle bordée d’ignobles frontières, que l’on retrouve aussi bien dans les programmes officiels de la Commission de Bruxelles et de ses ONG-écrans que dans les feuilles de route de la galaxie Soros.

Les étranges filières de l’argent «humanitaire»

Mais on a beau se faire appeler du doux nom d’Anti-Racist Action Network, cela ne suffit pas: il faut des sous. En cherchant un peu, on les trouve en Alabama, du côté du SPLC (Southern Poverty Law Center), une ONG qui se targue, sur son propre site web, d’être la matrice de l’ARA. Autrement dit, la genèse des Antifas américains n’a évidemment rien de spontané. C’est à ce richissime SPLC qu’a incombé la tâche de créer cet ARA de laboratoire. Il est vrai qu’avec une dotation de financement de plus de 300 millions de dollars, le SPLC a de quoi voir venir, même si on retranche le salaire net de son président, qui émarge à plus de 300’000 dollars par an. C’est beau le «non-profit» politique au pays de l’oncle Sam!

Mais si ces gens-là ont les moyens, ils ne jouent pas pour autant la transparence sur l’origine des fonds. Il est vrai qu’on n’aime jamais trop raconter pourquoi ces fonds devraient transiter par les Iles Caïmans ni comment ils ont connu la tirelire d’un certain Bernard Madoff.

Mais pourquoi le SPLC? Très simple, en dehors de la défense de ses minorités préférées, la spécialité du SPLC est de ficher ses adversaires politiques, systématiquement qualifiés de «fascistes», qu’ils le soient ou non, puis de publier ses listes noires très élaborées et constamment mises à jour. Un travail de pro qui est devenu une référence du genre.

Et les barbouzes qui s’en mêlent

Ce modèle d’activisme et de fichage très professionnel ne vient évidemment pas de nulle part. Il est notamment issu du modèle imaginé par le mouvement Friends of Democracy qui était en réalité une antenne américaine des services secrets britanniques durant la Seconde Guerre mondiale. Son but officiel était de pousser les Américains à entrer en guerre, tout en fichant les récalcitrants, ce qu’il a continué à faire jusqu’à la fin du conflit.  Son organe de communication avait pour titre Propaganda Battlefront dont on peut encore trouver des copies en ligne.

On notera, juste en passant, que ce nom a été ranimé en 2012 par Jonathan Soros, fils de George Soros. Ce choix n’est évidemment pas un hasard.

Pour revenir à nos Britanniques, ces derniers furent également très actifs à domicile, puisque, toujours dans les années 1980, ils fondaient à Londres L’Anti-Fascist Action (AFA), recrutant là encore dans les mêmes milieux punk et squat. Le label «action antifasciste» avait quant à lui été inventé par les communistes européens des années trente. Une contrefaçon de marque politique non déposée qui présentait l’avantage de donner l’illusion d’une filiation légitime. (Il paraît que question détournement d’image, on sait très bien faire dans les services.)

A la veille de la chute du Mur, on voit donc bourgeonner aux États-Unis et partout en Europe les mêmes affiliations à un antifascisme «Canada Dry», qui a le goût et l’odeur de l’anti- fascisme communiste historique, mais pas une goutte de communisme dans sa composition chimique. Une façon de monopoliser l’usage de l’infamante étiquette «fasciste» contre tout adversaire d’un postcommunisme 100 % américanisé, tel qu’il apparaîtra dès 1989, avec la chute du Mur.

Une galaxie hors la loi

Il existe donc une raison objective à la simultanéité de l’apparition des Antifas ces années-là. Mais comme c’est encore le cas aujourd’hui, on se garda bien de créer la moindre structure juridique qui permettrait de remonter jusqu’aux organisateurs et financeurs avérés. Il vaut toujours mieux, surtout lorsqu’on travaille avec le grand banditisme. Un nom fut en effet exposé au grand jour pour ses liens avec la mafia de Manchester. Il s’agissait de Desmond «Dessie» Noonan, grand Antifa devant l’éternel mais surtout braqueur professionnel et chef de gang, soupçonné d’une centaine de meurtres (1). Outre ses responsabilités directes dans l’AFA, il fut également l’un des exécuteurs attitrés des basses œuvres de l’IRA. Il mourut finalement poignardé devant chez lui à Chorlton (sud de Manchester), en 2005.

Son frère Dominic Noonan prit le relais. Outre ses activités mafieuses, on le filma en train de diriger les graves émeutes de Manchester de 2011, dont le déclencheur fut la mort de son neveu, Mark Duggan. Ce dernier, soupçonné d’être impliqué dans un trafic de cocaïne, s’était fait abattre par la police le 4 août 2011, ayant résisté à son arrestation dans le quartier de Tottenham. Il s’ensuivit une semaine d’insurrection qui s’étendit jusqu’à Liverpool, Birmingham, Leicester ou encore le Grand Londres, faisant 5 morts et près de
200 blessés parmi les seuls policiers (2).

La porosité des services de renseignement, de la mafia et des activistes d’extrême gauche n’est pas sans nous rappeler le rôle des Brigades rouges dans le réseau Gladio, piloté par l’OTAN. Il se trouve que justement les Autonomes Ouest-berlinois de la guerre froide finissante étaient eux-mêmes affiliés au mouvement italien Autonomia Operaia (« Autonomie ouvrière»), très proche des Brigades rouges. Le monde est si petit!

Tout ce que la police n’ose pas faire

Mais le point commun le plus spécifique à tous ces Antifas du monde demeure le fichage. Derrière leurs épais écrans de fumée lacrymogène, leurs capuches noires et leurs casses de vitrines qui font toujours les gros titres, il leur incombe essentiellement de ficher en masse leurs adversaires politiques et d’en exposer publiquement les identités et les occupations, exclusivement sur la base de leurs opinions politiques ou religieuses. Une tâche qui est précisément interdite aux autorités, en démocratie.

Ces mouvements sont donc objectivement, à cet égard, des supplétifs des services de police et de renseignement. Ce qui explique notamment leur proximité, voire la facilité de leur noyautage, leur impunité ou encore l’extrême difficulté qu’on peut avoir à les identifier.

Le cas Joachim Landwehr

C’est par exemple le cas de Joachim Landwehr (28 ans), citoyen helvétique, condamné à 7 ans de prison le 11 octobre dernier par le tribunal correctionnel de Paris, pour avoir, le 18 mai 2016, bouté le feu à l’habitacle d’une voiture de police grâce à un engin pyrotechnique, avec ses deux occupants encore coincés à bord. Une peine plutôt légère pour une atteinte à la vie de policiers.

On sait que Landwehr est lié au groupe suisse «Action Autonome», dont les mots d’ordre passent notamment par le site <rage.noblogs.org/>, dont 90 % du contenu relève du fichage, avec un degré de précision qui dépasse très largement les capacités d’une équipe d’amateurs, même à temps plein. On se demande d’ailleurs ce qu’attend le Préposé cantonal à la protection de données pour se saisir du dossier.

On sait également qu’il était présent lors de la manif antifa de Lausanne de mai 2011, et que c’est sans doute lui aussi qui a mis en ligne une petite vidéo de propagande à la gloire de sa promenade. On sait enfin qu’il fut acquitté en août 2017 par le tribunal de police de Genève, alors qu’il y avait participé à une manifestation interdite.

Des agitateurs venus de la «haute»

En revanche, on connaît mieux les profils de ses complices parisiens. Par exemple, Antonin Bernanos, condamné à 5 ans de prison dont 2 avec sursis, est l’arrière petit-fils du grand écrivain Georges Bernanos. On reste issu d’un milieu plutôt cultivé et protégé chez les Antifas. On imagine que l’œuvre de l’illustre aïeul avait encore sa place dans les discussions familiales. Yves, le père du délinquant et réalisateur sans succès de courts-métrages, le confirmait lors d’une interview pour KTO, l’organe cathodique de l’archevêché de Paris, lequel diffusa d’ailleurs l’un de ces courts-métrages, par charité chrétienne sans doute. Mais on n’a pas trop de mal à comprendre que c’est sa femme, Geneviève, qui fait bouillir la marmite. Elle a la sécurité de l’emploi comme fonctionnaire. Elle est en effet directrice de l’aménagement et du développement à la mairie de Nanterre. Côté convictions, elle est fière de n’avoir pas raté une seule fête de l’Huma depuis ses 15 ans.

Dès l’arrestation de leurs deux fils (Angel, le plus jeune, sera mis hors de cause), Monsieur et Madame Bernanos ont arpenté les radios, les salles de rédaction, les collectifs et manifs en tous genres, pour dénoncer l’ignominie policière montée de toutes pièces par l’État fasciste contre leur digne rejeton. Ils ont reçu le meilleur accueil, notamment chez Médiapart. Ils ont même réussi à enrôler le vieux Me Henri Leclerc, qui osa comparer l’arrestation du jeune Bernanos aux fameux morts du métro Charonne, durant la guerre d’Algérie. Il arrive que les fins de carrières soient pathétiques…

Ce qui frappe, c’est la facilité avec laquelle les relais d’opinions se sont mobilisés en faveur d’un délinquant, dont on omet par ailleurs complètement de dénoncer le racisme, sachant que l’un des policiers qu’il attaqua était noir. Dans les réseaux deep-state, on assure donc autant le service après-vente que l’anesthésie morale.

Même milieu BCBG pour Ari Runtenholz, condamné aussi à 5 ans de prison assorti de sursis, pour avoir défoncé l’arrière de la voiture de police à l’aide d’un plot métallique. Lui, on le trouve classé 34ème de l’épreuve d’épée aux championnats de la fédération française d’escrime de 2013. Il pratique aussi la voile à Granville (Normandie) et participe à des régates officielles. Sports très popu, comme chacun sait.

Nicolas Fensch, informaticien sans emploi, détonne quant à lui par son âge (40 ans). Il prétend être arrivé là par hasard, alors que les vidéos le montrent s’acharnant à frapper le policier noir avec une tige, très semblable à un nerf de bœuf. La parfaite maîtrise du geste trahit néanmoins un entraînement certain. Qui est-il vraiment? Les policiers qui ont gaffé à l’audience sur le noyautage de la bande n’en diront pas plus. Il écopera aussi de 5 ans dont 2 avec sursis.

Il y a enfin le LGBT de service: David Brault, 28 ans, devenu mademoiselle Kara, sans adresse en France. Ce(tte) citoyen(ne) américain(e) a traversé tout spécialement l’Atlantique pour la petite fête improvisée. On se demande tout de même si ce n’est pas le SLPC qui lui aurait payé son billet et ses faux frais? Verdict: 4 ans de prison dont 2 avec sursis pour avoir lancé un plot métallique à travers le pare-brise dans le but d’atteindre les passagers. Pas très doux, le trans. Pendant les audiences, à l’extérieur du Palais de justice, plusieurs centaines d’Antifas viendront, comme il se doit, provoquer violemment la police, en soutien à leurs camarades de promotion. Il faut savoir garder la forme et les écrans de fumée.

Les confluences profondes

Mais casser de la vitrine ou du flic n’est pas tout. L’idéologie est là. A y regarder de près, elle n’a certes pas grand-chose à voir avec le marxisme, le trotskysme ou l’anarchisme, ni même avec les Gardes rouges de Mao.

Elle égrène en revanche tous les mots d’ordre qu’on lit ouvertement sur tous les sites des ONG-Ecrans du deep-state euro-atlantique et sorosien: défense des LGBT, de la théorie du genre, des migrants, du multiculturalisme, de l’ineptie des frontières, du voile islamique, et même du Kurdistan libre. Et l’inévitable complément: attaques contre Trump, Vladimir Poutine, le «régime» syrien alaouite, etc.

Dans les quincailleries en ligne des antifas, on trouve évidemment toute la panoplie du parfait émeutier connecté et tous les conseils pratiques qui vont avec. Un mode de propagation qui a très largement fait ses preuves depuis les révolutions de couleur. Une routine du «sans limite», car il faut quand même bien les motiver ces jeunes!

Et justement, c’est l’abolition des limites qui est la première condition à la jouissance de la grande casserie. Mais là n’est pas le plus important. Ce qui compte, c’est que, sous couvert de combattre un fascisme fantasmé pour les besoins de la cause, on fiche à tour de bras et on rend tout cela public. Et cela ne scandalise évidemment personne. L’agit-prop manipulée et noyautée par les «services» est donc un leurre. Pendant qu’on s’interroge sur les excuses sociales de leur violence urbaine, ou la qualification juridique de leurs crimes téléguidés, les soutiers de l’antifascisme constituent, là, sous nos yeux, une branche administrative de la police politique du deep-state, qui n’a rien à envier aux recrues de la Stasi.

Fernand Le Pic

Anti Presse n° 101, novembre 2017

NOTES

    Cf. Sean Birchall, Beating The Fascists, Freedom Press, Londres, 2010.
    http://www.parismatch.com/Actu/International/Derriere-les-emeutes-la-mafia-anglaise–144152

source : https://www.dropbox.com/s/mezx96r96zr...



jeudi 5 mai 2016

Cher Frédéric Lordon, bienvenue sur la liste noire de vos nouveaux amis « antifas » ! / Dear Frédéric Lordon, welcome to the blacklist of your new friends "antifas" !

Cher Frédéric Lordon, bienvenue sur la liste noire de vos nouveaux amis « antifas » !

Lordon antifa fasciste
Un « antifasciste » trop zélé face à son pire ennemi
Suite aux déclarations de Frédéric Lordon concernant l’éviction d’Alain Finkielkraut de la place de la République, justifiant implicitement la violence « antifasciste » en général au nom du combat politique, nous avons eu à cœur de lui signaler que son nom était inscrit, aux côtés de ceux duCercle des Volontaires, de Fakir, de François Ruffin, et de bien d’autres organismes et acteurs proposant des alternatives au fonctionnement politique actuel de la France, sur une liste noire diffusée par le site « antifasciste » Les Enragés. Nous souhaitons ainsi lui faire prendre conscience avec bienveillance et en toute sympathie, d’un effet pervers inévitable : la violence qu’il cautionne pour les autres pourrait à tout moment se retourner contre lui-même. C’est aussi une occasion de le renseigner, si besoin en était, sur la nature réelle de cet « antifascisme » dont la litanie s’accorde dans une pénétrante harmonie avec les intérêts prégnants de « l’oligarchie néolibérale intégrée », selon ses propres termes. 
Cher Frédéric,
Lors de la conférence « Nuit debout l’étape d’après » ayant eu lieu le mercredi 20 Avril 2016 à la Bourse du travail à Paris, vous avez eu le mérite de déterminer des objectifs clairs, à même de fédérer des citoyens venus de tous les horizons politiques de notre belle Nation (oups, un premier gros mot !) :
« Interdire les banques d’activité spéculative, neutraliser le pouvoir actionnarial, dégommer les traités assassins, les traités européens et le TAFTA, voilà un objectif. »
Seulement, cet ennemi-là n’était peut-être pas assez immédiat, trop ambitieux pour l’heure, et la foule présente avait besoin de chair fraîche à se mettre sous la dent. Les banquiers de La Défense sont bien loin de la place de la République, et leurs buildings de verre trop protégés pour des âmes aussi vertueuses que celles de vos auditeurs d’alors. On court moins de risques à repeindre les distributeurs avoisinant le quartier général de la Nuit Debout. Plutôt que de réfléchir aux moyens permettant d’accomplir les nobles objectifs fédérateurs énoncés plus haut, emporté par la foule en délire qui buvait chacune de vos paroles, il vous a fallu désigner un adversaire intermédiaire à la mesure de leurs faibles ambitions. En attendant le Grand Soir où tous ces jeunes gens iraient occuper les sièges de Total et la Société Généraleà la défense, tout près des quartiers populaires de Nanterre, vous avez désigné un ennemi plus accessible aux occupants des beaux quartiers de la place de la République :
 « le citoyennisme intransitif qui débat pour débattre mais ne tranche rien, ne décide rien et surtout ne clive rien. Une sorte de rêve démocratique cotonneux et inoffensif (…) Le démocratisme all-inclusive »,
avez-vous dit, ne manquant pas de faire rire la jeune assemblée pendue à vos lèvres. Vous me rappeliez alors ce cherAlain Finkielkraut, source de tous vos bons mots, parodiant Tocqueville lorsqu’il demandait à Jean-Claude Michéa dans le cadre de son émission de France Culture Répliques du 2 juin 2012, si en lieu et place des dévoiements contemporains du « libéralisme », la source des problèmes de notre société n’était pas plutôt le déploiement de la « démocratie généralisée » (24:06/52:20). Ce à quoi Michéa lui opposa la conception de la démocratie de George Orwell, dont vous brocardez pour votre part avec sarcasme la « faiblesse conceptuelle », la « négligence théorique » ou le « flou » de la pensée. Paradoxalement, en voulant sauver Nuit Debout contre Finkielkraut, vous rejoigniez Finkielkraut dans la division des forces convergeant dans la lutte contre le néolibéralisme, au nom d’une critique se voulant radicale de l’espérance  dans une démocratie réelle à venir. Vous interdisez de donner les moyens concrets de la réaliser. Vous êtes « de gauche » avant d’être « démocrate », et si le peuple, lui, dans sa grande majorité, ne partage pas votre vision de la société, qu’à cela ne tienne ! Quand le peuple vote mal, il faut changer de peuple, disait Bertolt Brechtavec ironie. Par ce refus de dialoguer avec « l’ennemi », vous et Finkielkraut vous rejoignez dans l’adhésion à ce propos sans ironie, et dans la division des forces qui devraient converger dans la lutte pour la souveraineté nationale et populaire.
« la souveraineté s’assimile à la démocratie (…) c’est-à-dire le droit de délibérer et de décider de toutes les matières qui intéressent les politiques publiques tout le temps »,
avez-vous déclaré un jour avec raison à l’antenne de France Inter. Seulement, votre captation de la volonté de démocratie par le seul trône vertueux de « la gauche » moralisante exclut dans les faits la plus large majorité du peuple de ce « droit de décider ». Durant votre discours concernant l’après Nuit Debout, vous avez espéré ce jour glorieux où les médias se retourneront enfin contre vous, signe que vous serez parvenu à faire du mouvement autre chose que ce « rêve cotonneux et inoffensif » que vous dénoncez chez les partisans du « démocratisme ». « Il ne faudra pas redouter ce moment », disiez vous, « ce sera même un assez bon signe, le signe que nous commençons vraiment à les embêter ». Et vous avez touché là à un point chatouilleux du traitement médiatique de la Nuit Debout :
« A-t-on jamais vu mouvement sérieux de contestation de l’ordre social célébré d’un bout à l’autre par les médias organiques de l’ordre social ? »
En un sens, vous avez répondu vous-même à la question, lorsque vous en avez profité pour vous féliciter du travail du « service accueil sérénité » faisant « méthodiquement la chasse aux infiltrations » sur la place de la République. Vous avez justifié ces louanges par le procès que les médias feraient aux sympathisants du mouvement « de devenir rouge-bruns », si cette « chasse » permanente venait à perdre de sa vigueur. Par cette peur que les médias vous traitent de rouge-brun, Monsieur Lordon, c’est-à-dire qu’à terme, ils ne vous accueillent plus sur le plateau de France Inter pour parler de souveraineté, vous avez vous-même restreint le cadre de Nuit Debout à l’intérieur du cadre moral établi par ce jugement potentiel des médias sur vos intentions, ce jugement qui vous fait si peur et qui au final, détermine et conditionne les limites de toutes vos actions, comme vous l’avouez par cette justification :
« on comprend très bien que l’on ne va pas porter les revendications de refaire le cadre auprès des gardiens du cadre. On les chasse, et puis on le refait politiquement »,
avez-vous également déclaré à juste titre, précisant « que le cadre était fait précisément pour cela », c’est-à-dire, pour neutraliser toute action visant à aller dans le sens de la réalisation des revendications.
« S’il n’y a plus d’alternative dans le cadre, il y a toujours l’alternative de refaire le cadre, mais ça c’est de la politique, ce n’est plus exactement du revendicatif »,
avez-vous dit. Et nous ne pouvons que vous donner raison sur ce point Monsieur Lordon, en vous invitant à tenir compte de vos propres déclarations pour la cohérence interne de votre discours. Vous le dites vous-même, le cadre vous interdit de vous associer avec des souverainistes « de droite », ou tout bonnement, avec des souverainistes qui refusent de se cantonner à votre idée de « la gauche ». Le cadre vous refuse le droit de dire que le clivage entre la gauche et la droite est caduc, et que le véritable débat politique se joue désormais entre souverainistes d’un côté, et mondialistes de l’autre. Si vous le dites, il vous traitera également de « rouge-brun », et vous rangera aux côtés de tous ceux que vous disqualifiez d’office, par peur d’y être associé. Il vous rangera aux côtés d’Etienne Chouard, dont vous avez longtemps fait les louanges, avant de le jeter aux ordures avec un mépris propre à la caste universitaire, bien qu’il vous ait lui-même défendu lorsque vous avez subi les attaques absurdes d’un premier groupe « antifasciste », courant 2013. Vous l’avez jeté de peur d’être associé aux personnes avec qui il s’autorise de discuter franchement. Contrairement à vous, il refuse de s’interdire ce dialogue. C’est à dire que précisément, il s’autorise à sortir du « cadre ». C’est pour cela qu’il est ostracisé, et vous le savez, et en réalité, vous êtes mort de peur à l’idée d’être associé à cette courageuse et réelle sortie du cadre.
Mais détendez-vous Monsieur Lordon. Malgré tous vos efforts pour demeurer dans le cadre que vous dénoncez, le cadre, lui, vous rejette déjà peu à peu. Oh, pas par la plume des « chefferies éditocratiques » que vous dénoncez avec raison comme les gourous malfaisants de « la secte de l’oligarchie néolibérale intégrée », non, Monsieur Lordon. Le cadre mondialiste vous rejette par son « extrême-gauche », celle avec laquelle vous pensez pouvoir faire convergence contre les souverainistes qui refusent de s’enfermer dans votre idée de la gauche.
Ainsi, l’inénarrable site « antifasciste » Les Enragés, a fait de vous et de votre camarade François Ruffin, les ambassadeurs d’un dangereux « social-chauvinisme », qui ourdirait un dangereux complot fasciste par l’intermédiaire de Nuit Debout. L’un des arguments avancés étant que « la chasse aux infiltrations » que vous décrivez serait en réalité trop complaisante ! Il y a une justice quelque part entre le ciel et la terre, puisque vous êtes cité dans cet article en compagnie d’Etienne Chouard en personne, celui-là même que vous traitiez de « boulet » pour la réalisation de projet d’une constituante il y a encore quelques mois, alors que des accusations aussi absurdes que celles lancées par Les Enragéscontre vous, il s’en prend dans la figure depuis des années. Vous êtes cité dans cette liste qu’on imagine non exhaustive en compagnie d’autres dangereux fascistes, j’ai nommé (tenez-vous bien) Gérard FilochePierre CarlesPierre Rabhi,Hervé KempfCyril DionEric HazanJohn Paul LepersFranck Lepage, ainsi que les dangereux comédiens Greg Tabibian et Franck Brusset… et des organes objectivement fascistes tels AttacAcrimedArrêt sur imagesle comptoir, les éditions La FabriqueKaizen, le mouvement BDSEuropalestineLa Revue du Mauss, Le Monde Diplomatique et même la CNT !!! Sans oublier, bien entendu, vos humbles serviteurs du Cercle des Volontaires.
Les références « intellectuelles » des Enragés en disent long sur leur programme. La revue Ni Patrie Ni Frontières est citée. Ni patrie ni frontières, ce pourrait être la devise de George Soros et de Warren Buffet. Une alliance objective entre mondialistes capitalistes et mondialistes « anticapitalistes » en somme. L’arme la plus puissante de « l’oligarchie néolibérale intégrée », vous le savez, c’est la dérégulation complète de la circulation des capitaux, des marchandises, mais aussi des personnes. Vous ne pouvez pas critiquer frontalement cette dernière, qui se manifeste par l’immigration massive légale et clandestine favorisant le dumping social exigé par les patrons des multinationales, fournissant une main d’œuvre docile et bon marché. Vous ne le pouvez pas, parce que vous savez que les « antifascistes » veillent, et qu’ils sont prêts, à tout moment, à vous accuser de racisme et à vous expulser vous aussi manu militari, si seulement vous osiez évoquer le sujet. C’est bien dommage, car vous aviez si bien décrit par le passé la mission dont la gauche est dépositaire, à savoir ne pas se laisser déposséder par le Front National des sujets d’importance, ne pas se laisser tétaniser par la menace de se faire traiter de « fasciste ».
Au lieu d’appréhender cette question complexe devant cette assemblée, comme vous l’aviez si bien fait ci-dessus, et de créer une brèche réellement révolutionnaire (la critique à gauche, non pas des immigrés, comme les antiracistes PS et antifascistes essaient de le faire croire, mais du système néolibéral qui organise structurellement cette immigration), vous vous aplatissez désormais devant ce chantage au fascisme en traitant d’ « identitaire » quiconque s’aventurerait à se poser ne serait-ce qu’en lui-même cette question. Contrairement à ce que vous pensez, vous n’êtes absolument pas en opposition frontale avec Finkielkraut sur ce sujet, puisqu’il a de longue date accompagné la progression de l’antiracisme institutionnel (il est toujours aujourd’hui membre du comité d’honneur de la LICRA). Vous critiquez
« les structures du néolibéralisme qui ont précisément pour effet et peut-être même pour projet de frapper d’impossibilité toutes ces revendications »
mais par ce chantage à la menace « identitaire », vous vous constituez vous-même en agent des structures du néolibéralisme, en agent de neutralisation des possibilités réelles du changement, et vous ne vous rapprochez de l’orthodoxie de votre clientèle du moment qu’au prix fort de l’éloignement de la réalité du monde des travailleurs, que vous n’avez, semble-t-il, jamais côtoyé de l’intérieur. Vous vous rendez, vous et tous ceux qui vous suivent, inoffensifs par ce chantage symétrique au chantage à l’antisémitisme de Finkielkraut. En politique comme en sciences sociales, les mots sont importants. Si vous vouliez viser le chantage à l’antisémitisme de Finkielkraut, il aurait fallu dire « communautaire », et non « identitaire ». Mais vous ne le pouvez pas, car la politique communautariste est un des ingrédients majeurs du succès électoral de la Gauche dans certaines banlieues ostracisées. « Identitaire » et « communautaire » sont loin d’être synonymes. Le réduction à « l’identitaire » que vous effectuez vise justement toutes les critiques du communautarisme, insinuant que l’essence de ces critiques serait intrinsèquement raciste.
La question demeure : en définissant toutes les tentatives de résistance citoyenne et souverainiste au mondialisme comme « fascistes », les « antifascistes » en question ont-ils conscience de servir les intérêts du capital ? Plus grave encore, lorsque vous définissez le « citoyennisme » comme ennemi de la Nuit Debout dans vos discours, avez-vous conscience de faire un appel du pied à ce type d’ « antifascisme », et éventuellement de cautionner les violences physiques dont ses propagateurs pourraient être les auteurs, notamment à votre encontre, vous le « chauvin-socialiste » ? Vous qui tenez tant à « sortir du cadre », pourquoi vous enfermer dans la peur de cette accusation « rouge-brune » où tentent de vous enfermer les « chefferies éditocrates néolibérales » sur votre « droite », comme les antifascistes de cette sorte sur votre « gauche » ? Vous êtes trop intelligent pour ne pas comprendre que de telles condamnations ne visent qu’à neutraliser toute véritable entreprise de souveraineté populaire et nationale.
On sent bien que devant l’ampleur de la tâche essentielle que vous déterminez (interdire les banques d’activité spéculatives, neutraliser le pouvoir actionnarial, dégommer les traités assassins, les traités européens et le TAFTA), vous sentez votre auditoire attentif, mais impuissant. Aussi est-il plus facile de s’en prendre à l’ « unanimisme démocratique ». « Il faut mettre des grains de sable partout », dites-vous, en donnant un exemple édifiant : « débouler dans la nuit des débats d’Anne Hidalgo ». La perspective est moins ambitieuse que celle de prendre La Défense à l’assaut des banques d’activités spéculatives. Des grains de sable, vous en voulez « partout », sauf à Nuit Debout.
Laissez-moi vous dire une ou deux choses concernant la « menace fasciste » qui terrorise les « antifas » des Enragés, et que vous redoutez de voir se propager place de la République. Il est signifiant, concernant cette question, que vous ayezactivement participé à la mise en place d’un « cordon sanitaire » à gauche, en compagnie notamment de Philippe Corcuff et de votre camarade du Monde Diplomatique Serge Halimi, visant à isoler Jean-Claude Michéa, qui critiquait pour sa part dans un entretien accordé à la Revue Ballast le 4 février 2015
« cet « antifascisme » abstrait et purement instrumental sous lequel, depuis 1984, la gauche moderne ne cesse de dissimuler sa conversion définitive au libéralisme. Bernard-Henri Lévy l’avait d’ailleurs reconnu lui-même lorsqu’il écrivait, à l’époque, que « le seul débat de notre temps [autrement dit, le seul qui puisse être encore médiatiquement autorisé] doit être celui du fascisme et de l’antifascisme ».
Il définissait par ailleurs dans cet entretien « le désastreux naufrage intellectuel de la gauche occidentale moderne » par
« son incapacité croissante à admettre que la liberté d’expression c’est d’abord et toujours, selon la formule deRosa Luxemburg, la liberté de celui qui pense autrement. »
Ce qui circonscrit une grande partie des problèmes que posent vos positions récentes. Écoutez donc ce qui est peut-être la meilleure leçon à tirer d’un ministre en terme de politique intérieure dans l’histoire récente du « socialisme » français :
« Pendant toutes les années du mitterrandisme, nous n’avons jamais été face à une menace fasciste, et donc tout antifascisme n’était que du théâtre. Nous avons été face à un parti, le Front National, qui était un parti d’extrême droite, un parti populiste, aussi, à sa façon, mais nous n’avons jamais été dans une situation de menace fasciste, et même pas face à un parti fasciste ».
https://www.youtube.com/watch?v=xY3jUuFBWIM
Ces mots sont d’un homme qui est bien placé pour témoigner, puisqu’ils ont été prononcés par Lionel Jospin dans l’émission Répliques de ce cher Finkielkraut (encore lui, décidément), le 29 septembre 2007. Comme disait ma grand-mère (référence ô combien réactionnaire et fascisante) les vieilles recettes font les meilleures soupes, et la soupe socialiste « antifasciste » des années Hollande n’a rien à envier aux potages mitterrandiens. Vous qui vous êtes spécialisé dans le commentaire philosophique de la dimension politique du concept de souveraineté, vous devez certainement vous souvenir de cette leçon inspirée d’une devise du sénat romain, que soufflait Machiavel à l’oreille de son Prince (pas le chanteur, l’autre…) : divide et impera, divise et tu régneras.
« Nous ne sommes pas amis avec tout le monde et nous n’apportons pas la paix », déclarez-vous.
Soit, reste à savoir à qui vous voulez faire la guerre et avec qui vous voulez la mener. Si vous décidez de la mener contre les souverainistes qui refusent de plier au chantage du monopole moral de « la gauche », avec la clique de cette sorte  « d’antifascistes » qui vous soupçonnera toujours d’être un « social-chauviniste » à la solde d’une cinquième colonne néonazie, libre à vous. Libre à vous de vous acharner comme dans la tragédie de Shakespeare (dont nous fêtons le 400è anniversaire) Hamlet, à vous confronter à des fantômes. Mais ne vous étonnez pas de trouver, hors des mouvements sociaux, peu de soutien dans le peuple, qui se fiche de vos guerres de chapelle, et dont la réalité diverge des petits cénacles de profs et de retraités remplissant les chaises des conférences d’ATTAC et de des Amis du Monde Diplomatique (qui font par ailleurs un excellent travail pédagogique qu’il n’est pas ici question de remettre en question). Vous ne pouvez pas reprocher au peuple de refuser d’adopter les œillères de la mafia syndicale de gauche qui l’a si souvent trahi et qui le trahit encore quotidiennement de manière éhontée. Comment votre camarade François Ruffin, si bien informé, dont nous ne doutons pas de la bonne foi, peut-il voir dans une « jonction » avec ces organisations syndicales un aboutissement de la convergence des luttes de la Nuit Debout ?
voir cette courte vidéo : 

http://www.dailymotion.com/video/x45bpp5_la-demande-tres-particuliere-de-la-cgt-et-de-fo-au-gouvernement_news
Le dépassement du « clivage gauche droite » est consommé depuis des lustres du côté de l’oligarchie. Énormément de Français, pour qui ce clivage n’a plus de sens, sont prêts à s’engager dans les luttes concrètes que vous proposez contre les banques d’activité spéculative, le pouvoir actionnarial, les traités assassins, les traités européens et le TAFTA. Ne gâchez pas ce potentiel par goût de l’entre-soi, pour le simple confort de conserver cette « remarquable homogénéité sociologique » que vous dénonciez avec justesse dans les manifestations de soutien à Charlie Hebdo.
L’idée la plus belle, la plus puissante et la plus intelligente qui ait émergé de la Nuit Debout, c’est celle d’une pratique vivante et permanente de la convergence des luttes. C’est elle qui fait peur à tous les esprits binaires, des « antifascistes » au Parti Socialiste, que l’idée de réconciliation véritable contrarie. Ne gâchez pas le potentiel de cette belle idée en vous trompant (volontairement ?) d’ennemi par facilité. Il est plus facile de légitimer le lynchage d’un homme seul avec sa femme depuis votre chaire, que d’aller occuper les vraies places du pouvoir. Vous pouvez me répondre qu’il n’est pas seul, qu’il a tous les médias (nous compris à en croire certains qui ne nous ont pas demandé notre avis…) derrière lui ; rien n’y fait, je ne marche pas. L’expulsion de Finkielkraut est un épiphénomène, et il n’y a pas de quoi vous en galvaniser. C’est une victoire ni pour lui ni pour vous. Elle piétine un peu plus les fondements de cette décence commune défendue par Orwell et Michéa qui suscite tant de sarcasmes de votre part, voilà tout.
Si vous voulez commencer à « vraiment embêter » les tenants de l’oligarchie, prônez une alliance de tous les souverainistes luttant pour le développement des conditions de possibilité d’une démocratie réelle et d’un retour à la souveraineté nationale. Vous verrez qu’effectivement, vous serez défini comme « rouge-brun », qu’effectivement, vous ne serez plus accueilli avec tant de mansuétude dans les studios de Radio France ou de France Télévisions, et quel’Express ne vous dira plus merci. Vous cherchez le signe qui vous dira que vous commencez vraiment à les embêter ? Tel sera ce signe. Tant que ce n’est pas le cas, ne vous étonnez pas que Monsieur Ruffin soit invité sur le plateau deLaurent Ruquier (en attendant ce jour, nous nous réjouissons que son discours puisse être médiatisé), et que la Nuit Debout fasse la Une de toute la grande presse capitaliste. Quand l’extrême gauche internationaliste et les éditocrates néolibéraux s’accorderont pour vous traiter de « fasciste », ce sera le signe qu’effectivement, vous commencez à inquiéter sérieusement « une ou deux personnes », comme vous en avez la légitime ambition. Mais cette vérité aura un prix Monsieur Lordon, et ce jour-là, ne vous étonnez pas de vous faire expulser manu militari des places publiques, avec autrement plus de violence qu’Alain Finkielkraut.
Dans l’espérance d’une convergence des luttes à venir assez judicieuse pour que ce qui nous unit demeure plus fort que ce qui nous divise,
Galil Agar.
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Pour aller plus loin :
Un excellent article de Frédéric Lordon lui-même, ironisant sur la chasse aux « conspirationnistes » (spécialité « antifasciste ») et sur le concept de complot : « Conspirationnisme : la paille et la poutre », 24 août 2012, La pompe à phynance, les blogs du « Diplo ».
Une synthèse assez drôle de cet article en images : https://www.youtube.com/watch?v=uJnAhGGdCjI
Tous les antifascistes ne sont pas à mettre dans le même panier ! Certains ont conscience que l’hystérie des membres les plus « zélés » de certaines de leurs branches desservent leur cause et servent le pouvoir en place, qu’ils entendent combattre. Avant de faire « la chasse aux infiltrations » dans toutes les strates de la société, ces antifascistes raisonnés balaient devant leur propre porte. Ils ont conscience que la mouvance antifasciste est elle-même noyautée par des agents provocateurs cherchant à les discréditer. Le CVIPMA, Comité de Vigilance contre les Infiltrations Policières dans le Mouvement Antifasciste, a longtemps effectué ce travail de manière remarquable. Le CVIPMA définit ainsi l’antifa légitime :
« L’antifa légitime est d’abord indépendant des idéologies et de leurs relais médiatiques. Il se méfie des abus de langage, des amalgames. Il combat le fascisme quand il se présente, et il combat les autres idéologies meurtrières et aliénantes pour ce qu’elles sont. Pas pour régler des comptes, pas pour servir l’ordre dominant à une époque donnée. C’est une posture critique et lucide, qui sait se garder des slogans et mythes de ceux qui se réapproprient l’antifascisme. Afin que ce combat ne dérive pas vers des objectifs de reproduction de l’ordre dominant, ni ceux de le réémergence d’idéologies aussi meurtrières qui appartiennent au passé. Ses principaux ennemis sont d’abord les faux antifas. Parce que le fascisme ne peut être combattu si on les laisse dénaturer cette cause. »
Deux articles très critiques sur les débouchés de la Nuit Debout d’Eric Verhaeghe, sur le site d’inspiration libérale Contrepoints.org :  « La nuit debout n’aime toujours pas les prolos », « Congrès de la CGT, Nuit Debout : la culture de la contestation sociale ».
Sur la Gauche et le protectionnisme en France : François Ruffin, Leur grande trouillejournal intime de mes « pulsions protectionnistes », Les Liens qui Libèrent, 2011.
Sur la souveraineté et la démocratie : Frédéric Lordon, La Malfaçon : monnaie européenne et souveraineté démocratique, Paris, Les liens qui libèrent,‎ 2014.
Sur le scepticisme exprimé par Lordon vis-à-vis du concept de « Common decency » de George Orwell réhabilité par Michéa : « Misère de la décence ordinaire ? », par Florian Gulli, mouvements.info.
Une critique sévère d’Imperium, l’un des derniers ouvrages de Lordon, par Philippe Corcuff, « libertaire » également critique envers Michéa, accusant Lordon de « confusionnisme » : « En finir avec le « Lordon roi ? » Les intellos et la démocratie », rue89.nouvelobs.com.
Autre critique très sévère d’Imperium : « Lordon ou le symptôme de la dégénérescence de la pensée critique », par René Berthier, militant du groupe Gaston Leval de la Fédération Anarchiste.

De l'exclusion : réponse à Frédéric Lordon


par Jean Bricmont 
source : https://francais.rt.com/opinions/19941-de-exclusion-reponse-frederic-lordon

© Elliott VERDIERSource: AFP
L’essayiste belge Jean Bricmont, s'interroge sur le mouvement Nuit Debout et les propos de Frédéric Lordon qui a justifié l'expulsion d'Alain Finkielkraut par les organisateurs du mouvement.

En général, j'aime bien les travaux de François Ruffin, de Frédéric Lordon, le journal Fakir et le film Merci Patron. Je connais moins le mouvement Nuit Debout, mais il a au moins le mérite d'exister. On peut le traiter de «bobo» si on veut, mais il vaut mieux que les gens se rassemblent et discutent plutôt que de rester isolés derrière leur ordinateur.
Mais apprécier un mouvement ne veut pas dire s'abstenir de toute critique. Les propos, volontairement provocateurs, de Frédéric Lordon lors d'une assemblée générale organisée par le journal Fakir à la Bourse du travail le 20 avril 2016 ont suscité les cris d'orfraie des bien pensants.
Le problème dans le cas de Finkielkraut est que la place de la République, même «occupée» par Nuit Debout, reste un lieu public et Finkielkraut a le droit de s'y rendre, tout autant que Marine Le Pen ou son père d'ailleurs
En effet, dans son discours, Frédéric Lordon a justifié l'expulsion de la Place de la République de l'intellectuel Alain Finkielkraut, survenue quelques jours plus tôt, et qui avait déchaîné l'indignation des «chefferies médiatiques»  comme les appelle Lordon. L'argument de Lordon est qu'un mouvement social n'est pas là pour débattre avec tout le monde, sans jamais prendre de position.
En principe il a raison. Le problème dans le cas de Finkielkraut est que la place de la République, même «occupée» par Nuit Debout, reste un lieu public et Finkielkraut a le droit de s'y rendre, tout autant que Marine Le Pen ou son père d'ailleurs. Son expulsion est par conséquent illégale. Un mouvement social peut décider qu'il est nécessaire de violer la loi, mais, si on le fait, il faut réfléchir aux conséquences en termes tactiques et non pas raisonner uniquement au niveau «des principes».
Dans le cas de Finkielkraut, il était évident que son expulsion («épuration» comme il dit) allait provoquer une tempête médiatique contre le mouvement Nuit Debout. Il aurait été bien plus efficace tactiquement de lui demander de venir expliquer de façon contradictoire le traitement infligé par son cher Etat d'Israël aux Palestiniens ou en quoi un voile qui est porté par des millions de femmes dans le monde et l'a été dans le temps même en France, y compris par des femmes chrétiennes et juives, pose un tel problème à la «République».
Mais cela aurait supposé un degré de discipline auto-imposée qui est totalement irréalisable dans le cadre d'un mouvement spontané comme Nuit Debout au sein duquel Finkielkraut suscite une haine aussi profonde que compréhensible.
Plutôt que de justifier son expulsion il aurait mieux valu la considérer comme erreur tactique, regrettable mais inévitable.
Il est paradoxal de s'inquiéter d'accusations possibles de «rouge-brunisme» de la part de ces médias que l'on méprise par ailleurs (à juste titre) et en particulier lorsqu'ils accusent le mouvement d'intolérance dans l'affaire Finkielkraut
Mais il y a un  problème bien plus sérieux dans ce que propose Frédéric Lordon, et qui n'a évidemment pas attiré l'attention des médias : c'est lorsqu'il parle de  la «chasse aux infiltrations» dans Nuit Debout faite «méthodiquement» par  le «service Accueil et Sérénité». Il souligne que «les médias seraient les premiers à nous faire le procès de devenir rouge-brun» si cette chasse n'était pas faite.
Tout d'abord, il est paradoxal de s'inquiéter d'accusations possibles de «rouge-brunisme» de la part de ces médias que l'on méprise par ailleurs (à juste titre) et en particulier lorsqu'ils accusent le mouvement d'intolérance dans l'affaire Finkielkraut. Pourquoi faudrait-il subitement obéir à leurs injonctions lorsqu'il s'agit de faire la chasse aux rouges-bruns ?
C'est l'exemple typique de la révolution qui dévore ses enfants, sauf qu'ici il n'y a pas de révolution
Ensuite, de quelle chasse parle-t-on au juste ? Les vraies infiltrations dans les mouvements politiques ne sont pas faites par les gens qui en sont des critiques explicites (par exemple, les militants d'Egalité et Réconciliation par rapport à Nuit Debout) mais par ceux qui proclament en être les plus ardents défenseurs. Les mouvements de résistance n'ont évidemment jamais été infiltrés par des gens qui se réclamaient du fascisme mais bien de l'antifascisme.
Ce qui nous amène à la question de savoir qui est exclu aujourd'hui des mouvements populaires et ce que veut dire aujourd'hui l'antifascisme. Etienne Chouard, défenseur du tirage au sort, a dit qu'il n'irait pas à Nuit Debout pour éviter d'y être attaqué pas les «antifas». Sylvain Baron, militant souverainiste, lui, y a été et a été attaqué à plusieurs reprises par les mêmes.
Ce qui se passe est une forme subtile de maccarthisme, mais au lieu d’attaquer tout ce qui est suspect de communisme, on attaque tout ce qui est suspect de fascisme ou d’antisémitisme
Plus généralement, on ne compte plus les conférences supprimées, les invités désinvités à la dernière minute et même les attaques physiques dues à la «lutte contre le fascisme». Des sites internet sont consacrés à cette lutte imaginaire et à la diffamation de tous les militants souverainistes, pacifistes ou anti-impérialistes (comme par exemple le Belge Michel Collon). La papesse de l'antifascisme, Ornella Guyet, va même dans son délire de pureté idéologique jusqu'à reprocher à Lordon et à Ruffin de ne pas faire assez le ménage autour d'eux.
C'est l'exemple typique de la révolution qui dévore ses enfants, sauf qu'ici il n'y a pas de révolution. Ce qui se passe est une forme subtile de maccarthisme, mais au lieu d’attaquer tout ce qui est suspect de communisme, on attaque tout ce qui est suspect de fascisme ou d’antisémitisme ; du coup, une partie de la gauche, qui ne réfléchit pas plus loin que le bout de son nez, applaudit et participe à cette chasse aux sorcières.
Une fois que l’on prend conscience du fait que le problème principal n’est pas l’infiltration du mouvement social par des «fascistes» mais bien l’utilisation de l’accusation de fascisme ou d’être d’extrême-droite 
Je ne reproche pas à Lordon et à Ruffin de tomber dans ce travers, dont ils sont parfois eux-mêmes victimes, mais les propos de Lordon cités ci-dessus suggèrent que sa façon de réagir n’est pas optimale. Une fois que l’on prend conscience du fait que le problème principal n’est pas l’infiltration du mouvement social par des «fascistes» (phénomène qui existe peut-être mais est très marginal) mais bien l’utilisation de l’accusation de fascisme ou d’être d’extrême-droite par des gens qui ne se soucient nullement de fournir des preuves de ce qu’ils avancent, ni de débattre de façon contradictoire avec leurs adversaires, et dont les motivations profondes sont pour le moins obscures, il faudrait accepter trois règles avant d’exclure des gens de mouvement sociaux actuels ou futurs au nom de la «lutte contre le fascisme» :
-que les accusations soient bien définies (le souverainisme est-il fasciste ? De Gaulle ou le PCF de son époque étaient-ils fascistes ?).
-qu’elles soient fondées sur des écrits et pas des on-dits ou des ragots.
-que les individus accusés puissent se défendre (par exemple, en replaçant leurs propos dans leur contexte).
Oublier ces règles élémentaires, qui ne sont jamais que celles d’une justice équitable, c’est ouvrir toutes grandes les portes à l’auto-destruction du mouvement par les vrais «infiltrés», à savoir des gens qui sèment la division en poussant chacun à accuser son voisin de manquer de pureté idéologique ou de vigilance politique. Il est d’ailleurs piquant de voir qu’une gauche soi-disant anarchiste, qui professe un anticommunisme virulent, reproduit dans sa pratique les pires travers du stalinisme.
L’attaque contre Livingstone ainsi que les attaques répétées contre un soi-disant antisémitisme qui sévirait dans le parti travailliste a évidemment pour but de renverser Corbyn
Pour se convaincre de la gravité du problème, il suffit de voir ce qui se passe outre-Manche : l’ancien maire de Londres, Ken Livingstone, un des principaux personnages de la gauche du parti travailliste a été exclu de son parti pour «antisémitisme», simplement parce qu’il a rappelé l’accord dit «de transfert» passé entre les Nazis et certains dirigeants sionistes en 1933 et qui visait à transférer des juifs allemands vers la Palestine. Que cet accord ait existé n’est pas contesté et on voit mal pourquoi rappeler une vérité historique serait antisémite. L’attaque contre Livingstone ainsi que les attaques répétées contre un soi-disant antisémitisme qui sévirait dans le parti travailliste a évidemment pour but de renverser Corbyn, le nouveau et populaire leader du parti, bien trop à gauche pour certains.
Si le mouvement Nuit Debout veut réussir, il devra s’adresser à des couches bien plus larges de la population que celles auxquelles il s’adresse aujourd’hui
Si la direction du parti travailliste commet une erreur, ce n’est pas de laisser des antisémites dans le parti mais plutôt de se laisser diviser et détruire de l’intérieur par des fausses accusations d’antisémitisme.
Par ailleurs, si le mouvement Nuit Debout veut réussir, il devra s’adresser à des couches bien plus larges de la population que celles auxquelles il s’adresse aujourd’hui, même si on y ajoute les syndicats et les «banlieues». Et pour cela, il faudra faire preuve d’un maximum d’ouverture d’esprit et d’aptitude au débat contradictoire, ce qui est l’exact opposé de l’esprit de chasse aux sorcières «antifasciste» qui empoisonne les mouvements actuels. Ce sont les semeurs de zizanie qui devraient être la cible principale de la «chasse aux infiltrations» chère à Frédéric Lordon.

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