Le 18 Mars, la Banque centrale européenne (BCE) a inauguré son nouveau siège à Francfort : une tour d’un montant d’1,3 milliards d’euros. C’était sans compter sur les manifestants, venus en nombre pour s’opposer à ce qu’ils considèrent comme une gabegie et une provocation de la part de la banque centrale, qui impose des mesures de rigueur aux pays en difficulté de la zone euro depuis 5 ans. Des affrontements ont opposé les manifestants et les policiers.
Regroupés sous le nom de Blockupy, en référence au mouvement Occupy Wall Street, plusieurs syndicats, associations et partis politiques accompagnés de nombreux anonymes sont venus empêcher l’inauguration du nouveau siège de la BCE, qui a couté la somme abyssale de 1,3 milliards d’euros pour un budget initial de 500 millions d’euros. Inacceptable pour les opposants, qui considèrent la BCE comme le fer de lance des mesures d’austérité imposées aux pays en difficultés, des mesures aux conséquences dramatiques qui ont fait exploser la pauvreté, les maladies et les suicides – ainsi que la dette et les privatisations.
La BCE fait en effet partie de la puissante troïka (avec la Commission européenne et le Fonds monétaire international), organisme non élu aux commandes des principales décisions économiques et monétaires en Europe, qui a imposé des mesures de rigueur drastiques à la Grèce, l’Espagne, le Portugal et l’Irlande. La BCE a invité à l’inauguration du bâtiment (deux tours en verre entrelacées et luxueuses) des responsables politiques et des dirigeants financiers triés sur le volet.
Rappelons que Mario Draghi, le président de la BCE, n’est autre que l’ex vice-président Europe de Goldman Sachs, la sulfureuse banque américaine qui a une grande part de responsabilité dans la crise des subprimes (mais qui en a tiré de juteux bénéfices) et qui a aidé la Grèce à maquiller ses comptes pour la rondelette somme de 600 millions d’euros faisant au passage doubler la dette que la Grèce lui devait.
« La somme vertigineuse d’ 1,3 milliards d’euros a été dépensée pour construire ces tours jumelles de 185 mètres de haut qui ressemblent à une forteresse, entourées de clôtures et de douves. Cette intimidante architecture du pouvoir est un symbole parfait de la distance qui sépare les élites politiques et financières des populations. », explique Blockupy.
blockupy-vor-eurozeichen-in-frankfurtSource : http://nrw.blockupy.org/
Venus de plus de 39 villes européennes en car ou en train, les opposants ont massivement dérangé la grande fête de la finance sauvage organisée par M. Draghi. Parmi les intervenants : des syndicats, des mouvements étudiants, des représentants d’Attac, du Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde et d’autres ONG, des représentants des partis de gauche anti-austérité grec et espagnol (Syriza et Podemos), des écolos, des mouvements sociaux divers mais aussi de nombreux citoyens anonymes.
« La politique financière de la BCE détruit tout, le social comme l’environnement. Ils produisent l’appauvrissement du peuple, comme en Grèce. Cette politique pousse à l’enfermement, et malheureusement, la seule solution qui reste est la violence », a déclaré Irène, 63 ans, militante à Attac et au DAL (Droit au logement).
Les autorités avaient tenté de bloquer les manifestants aux frontières allemandes, mais cela n’a pas suffit. Elles ont donc choisi de déployer huit mille policiers et de bloquer toute la ville aux manifestants, exacerbant les tensions. En dehors des manifestations festives (clows, musique, batucadas, chansons), de nombreux affrontements entre manifestants et forces de l’ordre ont eu lieu, causant des blessés dans chaque camp. Les témoins sur place parlent de « ville-fantôme », les autorités ayant enjoint la population à rester chez elle en vue des affrontements. Voitures et poubelles ont été incendiées, et certains bâtiments ont été dégradés.
Mais ne nous y trompons pas : cette violence temporaire, bien qu’impressionnante par les images et complaisamment relayée par les grands médias, n’est rien comparée à la violence subie par les populations européennes les plus fragiles, ces millions de personnes en situation de grande précarité sociale et sanitaire suite aux mesures néolibérales imposées par la troïka. Les centaines de milliers de personnes expulsées de chez elles en Espagne, en passant bien sûr par la Grèce où, outre les expulsions et le chômage, des maladies infectieuses sont réapparues, des personnes sont mortes faute de soins, la mortalité enfantine a explosé…
Les affrontements étaient inévitables suite à cette provocation ultime de la BCE et devant le fossé créé de toutes pièces entre le peuple et les dirigeants européens, qui semblent vivre dans un autre monde, où les valeurs démocratiques ont été remplacées par l’autoritarisme financier.
Mentionnons enfin la cerise empoisonnée sur le gâteau : la veille de cette inauguration du luxe et de l’argent gaspillé, la Commission Européenne a exigé qu’Athènes renonce à ses premières mesures pour lutter contre la crise humanitaire. Que prévoient ces mesures ? « Une allocation logement de 70 à 220 euros à 30.000 personnes, une aide alimentaire pour 300.000 personnes et le rétablissement, jusqu’à la fin de l’année, de l’électricité pour les ménages qui se l’étaient vus couper faute de moyen pour payer les factures. » Rien de plus que le minimum vital…