source : http://www.investigaction.net/le-bilan-sanguinaire-du-regne-obama/
- 02 Fév 2017
La flamboyante élection et investiture de l’ancien présentateur de télé et homme d’affaires Donald Trump a soulevé une répulsion généralisée à l’échelle internationale. Au point que certains observateurs s’étonnent à juste titre du fait que cela serve à éclipser le bilan d’Obama. Dans ce débat, la position d’ Investig’Action consiste à dire qu’il n’y a pas de bons et de méchants, mais de forts intérêts économiques en jeu, au milieu desquels les peuples peuvent résister pour la défense de la vie et la lutte pour un monde meilleur. Cette tribune signée par une porte-parole de Codepink, organisation à la fois féministe et anti-guerre, est une analyse opportune qui contribue à ce débat autour des « bons » et des moins bons présidents de l’empire. (IGA)
La plupart des Américains seraient probablement étonnés de réaliser que le président qui a été dépeint par les cadres de Washington comme plutôt opposé à l’intervention armée est en réalité un va-t’en-guerre. L’accord nucléaire iranien, aboutissement historique, et le rétablissement des relations diplomatiques avec Cuba sont hélas les seules réussites obtenues par la diplomatie, et non par la force.
Alors que le candidat Obama a accédé au pouvoir en plaidant la fin des guerres initiées par George W. Bush, il quitte ses fonctions de président en détenant le record de la période de guerre la plus longue de l’histoire américaine. Il est aussi le seul président à avoir effectué deux mandats complets en état de guerre permanent.
Le président Obama a réduit le nombre de soldats américains engagés en Afghanistan et en Irak, mais il a déployé de manière dramatique la guerre aérienne et l’utilisation des forces d’opérations spéciales dans le monde. En 2016, les forces spéciales étaient présentes dans 138 pays, soit 70% des nations, ce qui représente une augmentation impressionnante de 130% depuis l’administration Bush.
A l’heure du bilan du président Obama, Micah Zenko, du Conseil des Relations étrangères, a révélé les chiffres du Département de la Défense relatifs aux frappes aériennes, faisant une révélation édifiante : pour la seule année de 2016, l’administration Obama a largué au moins
26 171 bombes. Ce qui signifie que chaque jour de l’année, l’armée américaine a largué 72 bombes ciblant des soldats ou des civils de par le monde, soit 3 bombes par heure.
Si la plupart des bombardements ont eu lieu en Syrie et en Irak, les bombes américaines sont aussi tombées en Afghanistan, en Libye, au Yémen, en Somalie et au Pakistan. Il s’agit de 7 pays à majorité musulmane.
Une des techniques de bombardement favorisée par Obama fut celle des frappes de drones. En tant que commandant en chef, il a étendu l’usage des drones en-dehors des zones de combat déclarées d’Afghanistan et d’Irak, principalement au Pakistan et au Yémen. Obama a autorisé 10 fois plus de frappes de drones que George W. Bush, transformant automatiquement tous les hommes de ces régions en combattants, et faisant d’eux des proies à éliminer de manière télécommandée.
Le président Obama a affirmé que ces aventures militaires de par le monde étaient légales, se basant pour cela sur les autorisations datant de 2001 et de 2003 relatives à l’usage de la force militaire votées par le Congrès pour éliminer al-Qaida. Mais les guerres menées aujourd’hui n’ont pour ainsi dire plus rien à voir avec ceux qui ont attaqué les Etats-Unis le 11 septembre 2001.
Cette base juridique tordue que l’administration Obama a édifiée pour justifier ses interventions, plus particulièrement ses frappes extrajudiciaires par drones sans aucune restriction géographique, est désormais dans les mains de l’imprévisible Donald Trump.
Mais qu’a récolté l’administration, de ces 8 années de combats sur tant de fronts ? Le terrorisme a augmenté, aucune guerre n’a été « gagnée » et le Moyen Orient est ravagé par plus de chaos et de divisions qu’à l’époque où Obama déclarait son opposition à l’invasion en Iraq.
Si la transition de troupes au sol vers le recours aux forces spéciales et les missions aériennes ont permis d’épargner la vie de soldats américains, un nombre incalculable de vies ont été fauchées à l’étranger. Nous ne savons pas combien de civils ont été tués dans les bombardements massifs en Iraq et en Syrie, où l’armée américaine traque Daesh en pleine zone urbaine. Nous n’entendons que sporadiquement parler des morts civils en Afghanistan, comme lors du tragique bombardement de l’hôpital de Médecins sans Frontières à Kunduz, qui a fait 42 morts et 37 blessés.
Forcé à révéler les chiffres des morts civils des frappes de drones, en juillet 2016, le gouvernement américain a prétendu de manière absurde que ce chiffre ne dépasserait pas les 116 civils au Pakistan, au Yemen, en Somalie et en Libye, et ce pour la période de 2009 à 2015.
Des journalistes et des défenseurs des droits humains ont alors réagi sur ce nombre ridiculement bas et invérifiable, puisqu’aucun nom, aucune date, aucun lieu, aucun détail n’était révélé. Le Bureau du Journalisme d’Investigation basé à Londres, qui enquête depuis des années sur les frappes de drones, affirme que le chiffre réel serait en fait 6 fois supérieur.
Alors que les drones ne représentent qu’une petite proportion des munitions larguées durant les 8 dernières années, le nombre des civils tués par les bombes du gouvernement Obama peut s’estimer à plusieurs milliers. Mais il s’agit d’une estimation dans la mesure où tant l’administration que les médias mainstream ont quasiment passé sous silence le taux de civils décimés dans les interventions ratées de l’administration.
En mai 2013, j’ai interrompu le Président durant son discours sur la politique étrangère à l’Université de la Défense nationale. Je revenais à cette époque du Yémen et d’Afghanistan, où j’avais rencontré des familles de civils innocents tués dans des attaques de drones américains, notamment les enfants Rehman qui ont vu leur grand-mère déchiquetée alors qu’ils étaient occupés à cueillir du gombo dans les champs.
Au nom de ces familles meurtries dont les pertes n’ont jamais été reconnues par le gouvernement américain, j’ai demandé au Président Obama de s’excuser. Alors que j’étais emmenée hors de la salle, le Président a dit : « la voix de cette femme mérite d’être écoutée ». Dommage qu’il ne l’ait jamais fait.
*Medea Benjamin est une activiste politique étatsunienne, surtout connue pour avoir co-fondé en 2002 l’organisation « Code Pink, Women for peace », une organisation militant contre la guerre et pour la justice sociale.
Source: tribune parue dans The Guardian. America dropped 26,171 bombs in 2016. What a bloody end to Obama’s reign | Medea Benjamin