"Il n'existe rien de constant si ce n'est le changement" BOUDDHA; Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots." MARTIN LUTHER-KING; "Veux-tu apprendre à bien vivre, apprends auparavant à bien mourir." CONFUCIUS ; « Nous savons qu’ils mentent, ils savent aussi qu’ils mentent, ils savent que nous savons qu’ils mentent, nous savons aussi qu’ils savent que nous savons, et pourtant ils continuent à mentir ». SOLJENITSYNE
Comment rendre l’écologie populaire ?
Cette question, souvent exprimée depuis le point de vue des classes
moyennes, témoigne d’un manque de (re)connaissance des pratiques
écologiques des milieux populaires. Pourtant, bien avant d’être le
cheval de bataille des associations environnementales, la réparation, la
récup’, la mobilité douce, les circuits courts font partie du mode de
vie de la majorité de la population, tout comme des liens de solidarité
forts, avant que le capitalisme ne dépossède les gens de leurs moyens
d’actions.
Au croisement des enjeux
sociaux, écologiques, mais aussi féministes et anti-impérialistes, en
partant d’exemples d’auto-organisations des milieux populaires à Namur,
nous allons voir que l’économie de subsistance offre de nouvelles
perspectives, de nouveaux rapports au monde, radicalement alternatifs à
la croissance capitaliste.
A Namur, le peuple s’auto-organise
C’est l’année dernière que j’ai rencontré Luc Lefebvre, à la suite
d’une manifestation pour le droit au droit au logement à Namur, dans le
cadre de la semaine « Housing Action Days ». Luc est militant chez LST (Luttes Solidarités Travail),
association à travers laquelle des personnes vivant dans la pauvreté
organisent leurs luttes contre la misère, différentes formes
d’auto-organisation de leurs moyens d’existence et la création de
rapports de solidarité. Depuis les années 80, les militant·es de cette
association ont créé des logements, des potagers, mais aussi différents
lieux de formation à l’action pour mener des luttes politiques. C’est
dans cet esprit qu’est née La Caracole, à Namur, habitat communautaire
autogéré qui permet à ces personnes de cultiver une capacité d’action
autonome, une conscience collective des rapports domination et des
formes d’organisation pour mener leurs luttes contre toute forme
d’oppression.
A travers ces alternatives ancrées localement, se développe donc
toute une « économie de subsistance », une manière d’organiser la
production et les relations, alternative au capitalisme, en partant des
besoins des personnes les plus opprimées. Mais comment définir la
subsistance ? En quoi la lutte pour celle-ci éclaire des mécanismes
d’exploitation et de dépossession spécifiques au capitalisme ?
La subsistance : la reproduction de la vie
Pour Marie Mies et Veronika Bennholdt-Thomsen, autrices éco-féministes, la
production de subsistance inclut tout travail servant à la perpétuation
et à l’entretien direct de la vie et qui n’a pas d’autre objectif que
lui-même. C’est pourquoi la production de subsistance s’oppose à la
production de marchandise et de plus-value1.
Les économies basées sur la subsistance sont articulées autour des
activités nécessaires à la vie : la production de nourriture, la
construction de logements, la récupération, la confection et la
réparation de vêtements, le travail du soin, l’éducation des enfants,
les différents travaux ménagers… etc. Les activités domestiques,
artisanales et paysannes constituent différentes formes de travail
nécessaire à la reproduction sociale des êtres humains.
Le capitalisme repose sur la destruction ou l’absorption de ces formes d’économie.
Ce sont des exemples d’activités porteuses de sens. La subsistance
repose aussi sur la coopération et des mécanismes de solidarité qui se
concrétisent à travers la vie collective, mais aussi les échanges ou le
don. Ce concept recouvre ainsi un grand nombre de savoirs, de pratiques
plurielles, de cultures spécifiques permettant à des communautés ou des
sociétés d’assurer leur existence, de façon équilibrée avec les
écosystèmes dont elles dépendent.
Le capitalisme, système d’organisation sociale basé sur
l’exploitation des êtres humains et de la nature, repose, au contraire,
sur la destruction ou l’absorption de ces formes d’économie, selon sa
logique propre. Ivan Illich, penseur critique de la société industrielle2,
met en évidence la façon dont le capitalisme ne cesse de coloniser de
nouveaux champs en détruisant les activités de subsistance de
communautés, partout dans le monde, condamnant un nombre croissant de
personnes à vivre dans la précarité, sous différentes formes
d’exploitation.
Les dépossédé·es
Dans un rapport sorti en 2007 sur le « développement durable »1,
les militant·es de LST ont montré, par exemple, comment des politiques
écologiques pensées depuis le point de vue des classes possédantes
constituaient une atteinte à la survie de personnes des classes
populaires. A travers des entreprises qui font de l’écologie
un business, des investisseurs dépossèdent des personnes de leurs
ressources matérielles. C’est le cas notamment des start-ups qui se
développent autour du recyclage, en s’appropriant des ressources vitales
pour des gens qui vivent à travers une économie informelle basée sur la
récupération.
La marchandisation des « biens communs » a pour conséquence la perte d’autonomie.
Par exemple, les personnes qui vivaient, il y a quelques années, de
la « mitraille », c’est-à-dire de la récupération des vieux métaux, sont
dépossédées aujourd’hui de leur moyen de survie à travers une
intégration de ces activités dans une logique de marché, au profit des
propriétaires de ces entreprises. Aujourd’hui, il est quasiment
impossible de trouver un bout de cuivre ou de métal et de s’échanger ces
ressources de façon informelle.
On peut faire le même constat avec la transformation de squats en
tiers-lieux branchés dédiés à la consommation, la vente lucrative des
invendus alimentaires ou des vêtements de seconde main, qui étaient, il y
a peu de temps, des ressources que l’on pouvait donner ou s’échanger
gratuitement.
Les activités fondées sur le recyclage ou la récupération, autrefois
populaires, deviennent progressivement une activité de luxe.
Au-delà de la privation matérielle, la marchandisation des « biens
communs » a pour conséquence la perte d’autonomie d’un grand nombre de
personnes, obligées d’accepter des emplois indignes, aliénant et mal
payés, en subissant les rapports d’exploitation propres au travail
salarié. Les gens sont aussi contraints d’acheter des marchandises parce
que les conditions, les ressources communes, qui leur permettaient de
vivre sans elles, ont disparu de leur environnement.
Dans ce contexte, les activités basées sur le recyclage ou la
récupération, autrefois populaires, deviennent progressivement une
activité de luxe pour celles et ceux qui en ont les moyens, soit en
lançant une activité économique rentable, soit, pour les plus
progressistes, en entamant une démarche de « simplicité de volontaire ».
« Faire son potager soi-même » pour s’extraire de l’emploi et retrouver
une autonomie d’action devient le plus souvent une activité réservée
aux personnes ayant les ressources, l’espace et le temps de se détacher
des rapports d’aliénation propres au travail salarié et à la société de
consommation.
Un destin en commun
A travers le capitalisme, tout ce qui est « commun », abondant,
gratuit est approprié progressivement, dans des processus souvent
violents, par les classes possédantes. Ce système produit donc en
permanence de la rareté. Pour satisfaire les besoins d’accumulation de
capital, il s’agit de s’approprier toujours davantage de travail, de
matières premières et de nouveaux marchés. Ainsi, les ressources
naturelles sont pillées, les économies de subsistance détruites et les
êtres humains enrôlés dans des rapports d’exploitation.
Cette réalité est une constante dans toute l’histoire du capitalisme,
à travers notamment les politiques coloniales et impérialistes menées
sur l’ensemble du globe. Aujourd’hui encore, sur tous les continents,
des multinationales chassent de leurs terres des paysan·nes pour
développer différents projets extractifs, que ce soit des projets
agro-industriels ou des projets miniers. Des cultures, des manières
d’organiser la reproduction de la vie, alternatives au capitalisme, sont
ainsi détruites chaque jour. A ce sujet, Rosa Luxembourg, figure
marxiste révolutionnaire du début du XXème siècle, parlait de « dissolution progressive et continue des formations précapitalistes1 ».
La dépossession des moyens de survie des classes populaires illustre ce
phénomène en cours, en Belgique, mais celui-ci n’est qu’un exemple
d’une guerre à la subsistance menée dans le monde entier, depuis
plusieurs siècles.
Crédit photo: Alexandre VanderSchueren
Les activités informelles n’ont toutefois pas toutes disparu sous le
capitalisme. Mais bien souvent, le travail qui ne relève pas du secteur
monétaire a été colonisé par ce système d’organisation sociale. Ainsi,
la croissance économique repose sur toute une économie de l’ombre,
portée en majorité par les femmes dans la sphère domestique. L’éducation
des enfants, le soin aux personnes âgées, la préparation des repas, le
ménage, constituent des exemples de travail gratuit, non monétarisé,
mais qui participent à l’accumulation du capital. Ce travail ménager,
Ivan Illich le qualifie de « travail fantôme ». Il s’agit d’une forme
d’exploitation complémentaire à celle du travail salarié, non
comptabilisé dans la production nationale, grâce auquel les
propriétaires d’entreprise assurent la reproduction de leur force de
travail. Les femmes enfantent, nourrissent, éduquent la force de travail
qu’exploite le capital2.
Ainsi, bon nombre d’activités de subsistance ont été « subsumées »,
selon les termes d’Ivan Illich. A travers la colonisation du travail de
subsistance, se constitue une communauté de destin entre catégories de
personnes dépossédées et exploitées, entre les femmes, les paysan·nes et
les personnes marginalisées qui vivent d’un travail informel, dans le
monde entier, au Sud comme Nord.
Regarder le monde par en bas
Face au totalitarisme de l’argent qui exploite et détruit les vies
humaines et non-humaines, la subsistance offre une perspective
alternative, celle d’une réorganisation de l’économie en vue de la
régénération du monde vivant au sens large.
Les paysan·es produisent à manger et reconstituent les écosystèmes.
Les activités domestiques comme la cuisine, le ménage ou l’éducation des
enfants, le soin en général, sont tout aussi vitales. Enfin, les
personnes marginalisées luttent tous les jours pour assurer la
reproduction de leur existence et celle de leurs proches.
La subsistance est une perspective économique qui est à la fois sociale, écologique, féministe et décoloniale.
Au travers de la croissance capitaliste, ces activités sont
dévalorisées et exploitées. L’économie productiviste répand la mort, en
provoquant l’effondrement de la biodiversité, le bouleversement
climatique ou la destruction de millions d’écosystèmes et de modes de
vie particuliers dont les êtres humains dépendent pour garantir leur
reproduction. Loin d’une économie organisée en vue de l’enrichissement
des plus puissants, la perspective de la subsistance nous invite au
contraire à regarder le monde par en bas, depuis le point de vue de
celles et ceux qui assurent la régénération de la vie. Il s’agit
aujourd’hui de rendre central des activités portées par les catégories
sociales les plus opprimées.
La subsistance est une perspective économique qui est à la fois
sociale, écologique, féministe et décoloniale. Si le capitalisme s’est
approprié « les ressources communes » pour en extraire une plus-value,
il est peut-être temps de faire marche arrière, en militant pour la
défense et la conquête de nouveaux « communs », dans chaque lieu de vie,
afin de laisser la possibilité à des communautés décentralisées
d’assurer l’essentiel de la reproduction de leur existence, de façon
autonome, collective et solidaire. Partageant un destin et des intérêts
communs sous le capitalisme, les conditions objectives sont peut-être
réunies pour une nouvelle solidarité entre dépossédé·es et exploité·es,
dans le cadre d’une lutte unitaire pour la subsistance…
Valéry Witsel
Les Amis de la Terre
1 Maria Mies et Veronika Bennholdt, La Subsistance, une perspective écoféministe, Editions la lenteur, 2024, p.57.
1 Luttes Solidarité Travail, Regards et questions des travailleurs les plus pauvres sur les notions de « développement durable », juin 2007.
1 Rosa Luxembourg, Oeuvres complètes, tome V, L’accumulation du capital. Chap. 29, édition établie par Julien Chuzeville, Marie Laigle et Eric Sevault, 2019 (1913), p.434.
2L’exploitation
gratuite du travail des femmes sous le capitalisme a été théorisée par
les féministes marxistes Lise Vogel, Leopoldina Fortunati et Silvia
Federici.
Photo de Valeriia Miller: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/escargot-sur-l-herbe-2546922/Texte paru sur le site de la Revue Politique
« L’Américain
moyen consacre plus de mille six cents heures par an à sa voiture...,
qu’il l’utilise ou qu’il gagne les moyens de le faire..., pour parcourir
dix mille kilomètres [par an] ; cela représente à peine 6 kilomètres à
l’heure. », affirmait Ivan Illich, grande figure de la critique de la
société industrielle, dans son ouvrage Énergie et équité, en 19751.
L’automobiliste n’irait finalement guère plus vite qu’un piéton et bien
moins vite qu’un cycliste. La voiture représente ainsi l’exemple même
d’une technique dont l’usage excessif est devenu contre-productif. Le
« détour de production » consistant à « perdre du temps pour en gagner »
apparaît finalement dérisoire2.
Depuis
40 ans, cette remarque d’Illich (entre autres) a marqué des générations
de contestataires de l’automobile et continue d’être régulièrement
exhumée, avec effet de sidération des auditeurs ou des lecteurs garanti.
Dans son œuvre, Illich cite d’autres exemples de contre-productivité,
mais c’est certainement cette comparaison des vitesses généralisées de
l’automobile et de la bicyclette qui apparaît la plus emblématique de sa
pensée, tant la voiture reste plus que jamais au cœur de notre mode de
vie actuel.
Pourtant, qu’en
est-il vraiment de ce constat ? Est-il correctement analysé et
documenté ? La situation a-t-elle évolué depuis les années 1970, comme
c’est probable ? Et si oui, dans quel sens ? Et que faut-il alors en
déduire ? Bien que ces questions de bon sens apparaissent légitimes, il
n’existe curieusement, à notre connaissance, aucuns travaux académiques
sur ce sujet émanant de spécialistes des transports. Travaillant de
longue date, sur les modes alternatifs à l’automobile et notamment les
modes actifs (marche et vélo)3, nous avons tenté d’y voir plus clair.
La
réalité nous est alors apparue complètement inverse de celle décrite
par Illich il y a 40 ans : aujourd’hui, la « vitesse généralisée » des
automobilistes – c’est-à-dire tenant compte non seulement du temps de
déplacement mais aussi du temps de travail nécessaire pour payer le
déplacement – est bien supérieure à celle des cyclistes et elle l’était,
sans doute, déjà un peu, en France, au début des années 1970.
L’argument ne reste pertinent qu’à condition de prendre correctement en
compte les nuisances et de se limiter au milieu urbain.
Si
cette idée d’Illich est devenue erronée, d’autres de ses thèses
demeurent d’actualité, en particulier celle du « monopole radical »
qu’exerce l’automobile dès que sa vitesse, et plus précisément son
énergie cinétique, s’imposent au détriment de tous les autres modes de
transport, au point de les faire disparaître. Se pose alors la question
de la légitimité démocratique d’un usage hégémonique de l’automobile.
Les calculs du CEREBE
Jean-Pierre
Dupuy, ingénieur X-Mines et ami d’Illich, devenu plus tard philosophe
des sciences, est en fait le premier a avoir cherché à « mettre en
équation » ce raisonnement. En 1974, il réalise, dans le laboratoire de
recherche du CNRS qu’il a créé deux ans plus tôt avec Philippe
d’Iribarne, le CEREBE (Centre de recherche sur le bien-être), une étude
très fouillée de 38 pages4, résumée en annexe de la version française d’Énergie et équité.
Il y démontre que « la vitesse généralisée de l’automobile est en
général inférieure à celle de la bicyclette » et conclut : « Loin d’être
un instrument de gain de temps, l’automobile apparaît sous cet
éclairage comme un monstre chronophage. » Dupuy explique ainsi son
calcul :
« On estime toutes les dépenses
annuelles liées à la possession et à l’usage d’une automobile... Ces
dépenses sont converties en temps, en les divisant par le revenu
horaire : ce temps est donc le temps qu’il faut passer à travailler pour
obtenir les ressources nécessaires à l’acquisition et à l’utilisation
de sa voiture. On l’additionne au temps passé effectivement à se
déplacer. Ce dernier est estimé à partir du kilométrage annuel moyen, de
la répartition de celui-ci en types de déplacements..., du croisement
de cette répartition avec une répartition selon des types de vitesses
[...] et d’une estimation de ces vitesses. On ajoute enfin pour mémoire
les autres temps liés à l’utilisation de la voiture : temps passé
personnellement à l’entretien, temps perdu dans les bouchons, temps
passé à l’achat d’essence et d’accessoires divers, temps passé à
1’hôpital, temps perdu dans des incidents, etc. Le temps global ainsi
obtenu, mis en rapport avec le kilométrage annuel, permet d’obtenir la
vitesse généralisée cherchée.
Les résultats sont les
suivants, pour différentes catégories socioprofessionnelles, différentes
communes de résidence et différents modèles de véhicule, parmi lesquels
la bicyclette (les performances de cette dernière étant calculées bien
évidemment selon le même principe). Les données sont relatives à l’année
1967 (voir le tableau 1)5. »
Catégorie socioprofessionnelle
Bicyclette
Citroën 2CV
Simca 1301
Citroën DS21
Cadre supérieur (Paris)
14
14
14
12
Employé (ville moyenne)
13
12
10
08
Ouvrier spécialisé (ville moyenne)
13
10
08
06
Salarié agricole (commune rurale)
12
08
06
04
Tableau 1. – Vitesse généralisée en km/h, selon J.-P. Dupuy (1975).
Tous ceux qui se sont
penchés à l’époque sur ces calculs, notamment dans le milieu des
ingénieurs des Ponts et Chaussées et dans la haute administration
publique du ministère de l’Équipement ou au Plan, n’ont rien trouvé à
redire6.
L’étude détaille le « prix de revient kilométrique » par type de
véhicule, les salaires horaires par catégories socioprofessionnelles,
les vitesses et distances parcourues par type de réseau et les multiples
temps consacrés à l’automobile.
Dupuy a repris régulièrement ces résultats. En 2002, il rappelle que :
« Le Français moyen consacrait
[fin des années 1960] plus de quatre heures par jour à sa voiture, soit
qu’il se déplaçât d’un point à un autre dans son habitacle, soit qu’il
la bichonnât de ses propres mains, soit, surtout, qu’il travaillât dans
des usines ou des bureaux afin d’obtenir les ressources nécessaires à
son acquisition, à son usage et à son entretien. »
Et d’affirmer :
« Revenant récemment sur les
données que nous avions rassemblées pour faire ce calcul, j’en suis venu
à la conclusion que la situation présente est sans doute pire que ce
qu’elle était il y a vingt ans7. »
Les analystes français les plus critiques de la société contemporaine n’ont jamais manqué de citer eux aussi ce résultat8.
En revanche, les auteurs étrangers ne connaissent que l’ouvrage
d’Illich et non l’annexe de Dupuy ajoutée à la seule édition française,
et ne se réfèrent donc qu’à la remarque d’Illich dans Energy and Equity, rappelée au début de ce chapitre9.
Questions de méthode
Les calculs de
vitesse généralisée doivent respecter quelques règles trop souvent
négligées. Ces règles n’étaient pas encore bien stabilisées au début des
années 1970 et il est normal que le CEREBE ne les ait pas complètement
respectées.
Une première remarque
concerne le calcul du coût kilométrique de la voiture. Il n’est pas
possible d’utiliser les « prix de revient kilométriques » (PRK) calculés
par des organismes tels que les automobiles clubs, la presse
spécialisée dans l’automobile ou les associations de consommateurs parce
qu’ils ont bien sûr intérêt à gonfler les chiffres pour mieux dénoncer
le soi-disant matraquage des automobilistes par les vendeurs, les
réparateurs ou le fisc. Les données fournies parfois par les sociétés
d’assurance sont aussi sujettes à caution, car elles ont intérêt à
pousser les automobilistes à acheter des véhicules neufs. Il n’est pas
non plus judicieux de retenir les évaluations des promoteurs des
transports publics10,
car ils ont tendance à surestimer le coût de la voiture pour présenter
les transports publics comme bien moins chers. Tous ces acteurs, aux
objectifs pourtant divergents, se coalisent pour retenir dans leurs
hypothèses de calcul : 1) des véhicules neufs alors que les
immatriculations de voitures d’occasion sont 2 à 3 fois plus importantes11, 2) un achat à crédit alors qu’environ 60 % seulement des voitures neuves sont achetées de cette façon12,
3) des réparations toujours payées au prix fort chez le garagiste alors
que bien des automobilistes bricolent eux-mêmes leur voiture ou
achètent des pièces à prix discount, 4) un faible kilométrage annuel,
etc.
Pour limiter ces biais,
estiment les économistes, la solution consiste à évaluer le coût
kilométrique d’un mode de déplacement en divisant la somme des postes de
dépenses annuelles des Français consacrées à ce mode fournies par
l’INSEE, par le total des distances parcourues avec ce mode dans l’année
estimé par le Compte transport de la nation qui s’appuie sur les
résultats des Enquêtes nationales transport13.
Pour la voiture ces dépenses concernent les carburants, les péages et
le stationnement, les lubrifiants, les pièces et accessoires,
l’entretien et les réparations, les autres services, les assurances
automobiles, et les achats de voitures neuves et d’occasion (y compris
les taxes). Ce type de calcul réduit d’environ un tiers les estimations
des lobbies automobiles et des transports publics.
De fait, le CEREBE a retenu « le prix de revient kilométrique que calcule L’auto journal
chaque année » et qui repose en effet sur des véhicules neufs. C’est
aussi le cas du chercheur australien Paul J. Tranter qui s’appuie en
2004 sur les données de la société d’assurance NRMA et en 2012 sur
celles des « organisations d’automobilistes ».
Une deuxième remarque
concerne le taux d’occupation des véhicules, c’est-à-dire le nombre
moyen de personnes transportées pour un mode donné. En économie des
transports, il est d’usage de ramener les coûts de déplacement à la
personne transportée, de façon à pouvoir comparer aisément les coûts de
modes de transport dont les taux d’occupation sont très différents
(deux-roues, voitures et transports publics divers). En oubliant cette
précaution, on sur estime le coût kilométrique d’autant plus que le taux
d’occupation est élevé.
En 1967, le taux
d’occupation d’une voiture était, en France, d’environ 1,5 passager. Le
CEREBE en tient compte indirectement, en retenant le revenu par ménage
et non par personne, ce qui revient à peu près au même. Aujourd’hui, ce
taux est en moyenne de 1,4 toutes distances parcourues, selon l’ENTD
2008, mais l’éco-calculateur de l’ADEME n’en dit mot. Idem pour Tranter,
alors qu’il est actuellement d’environ 1,2 en milieu urbain en
Australie, soit une surestimation du coût kilométrique de 17 %.
En tenant compte de ces
deux remarques, le coût kilométrique de la voiture par personne
transportée est inférieur d’un tiers à la valeur retenue par le CEREBE
et de 40 % pour Tranter, ce qui n’est pas négligeable. Jean-Marie
Beauvais parvient ainsi à un coût de 0,25 €/voya geur-kilomètre. La
Fédération nationale des associations d’usagers des transports,
commanditaire de l’étude de Beauvais, en déduit d’ailleurs logiquement
que : « les barèmes fiscaux devraient être réduits d’environ 40 % pour
constituer une indemnisation correcte sans inciter au gaspillage14 ».
Une troisième remarque
concerne le coût kilométrique de la bicyclette. Dans ce cas, la méthode
de calcul préconisée par les économistes pour les autres modes est moins
fiable, car on ne dispose que d’une évaluation sommaire des distances
parcourues, comme de la part des dépenses correspondant aux déplacements
utilitaires. Il est alors nécessaire de faire des hypothèses
complémentaires sur le kilométrage annuel parcouru par un cycliste moyen
et sur les dépenses qu’il consacre à son vélo et de recouper le tout
par une analyse de la littérature mondiale sur le sujet. Un tel travail a
été réalisé par Francis Papon en 200215.
Il distingue les cyclistes
occasionnels ou moyens et les cyclistes réguliers. L’amortissement du
vélo – y compris le risque de vol et l’antivol – est très élevé pour les
premiers et en revanche faible pour les seconds. C’est l’inverse pour
les autres coûts, si bien que les coûts globaux sont équivalents. Les
coûts d’entretien et le temps consacré à l’entretien sont assez bien
cernés par d’innombrables études, mais d’autres coûts souvent négligés
s’ajoutent. Les cyclistes n’utilisent pas de carburant, mais ils ont
besoin d’une alimentation supplémentaire, ainsi que de vêtements adaptés
en cas d’intempéries et divers accessoires (tendeurs, sacoches...).
Papon arrive ainsi à un total de 0,12 € 2 000 par km (voir le tableau
2), soit 0,13 € aujourd’hui. Ce chiffre est cohérent avec les indemnités
kilométriques incitatives accordées par certains pays pour les
déplacements domicile-travail réalisés à vélo : 0,19 €/km aux Pays-Bas
et 0,21 €/km en Belgique.
Cycliste occasionnel ou moyen
Cycliste régulier (2 000 km/an)
Amortissement, vol et antivol
0,12
0,012
Vêtements et accessoires
–
0,028
Entretien
–
0,024
Temps d’entretien
–
0,024
Alimentation
–
0,024
Total
0,12
0,112
Tableau 2. – Coût kilométrique des cyclistes (en €/km 2000).
Curieusement,
l’étude du CEREBE ne dit rien du mode de calcul du coût kilométrique du
vélo, ni celle de Tranter, mais il est vraisemblable qu’ils aient
retenu des valeurs assez basses, comme l’éco-calculateur de l’ADEME qui
évalue ce coût à seulement 0,05 €/km. Cette question n’est cependant pas
cruciale, car le coût kilométrique du vélo est d’un faible poids dans
le calcul de la vitesse généralisée.
Une formalisation mathématique utile
Dans les études
de choix des modes de transport, le critère couramment utilisé est le
« coût généralisé » qui additionne au coût du transport la valeur du
temps de déplacement. De la même manière, il est possible de définir un
« temps généralisé » qui additionne au temps de déplacement le temps de
travail nécessaire pour payer le transport. En rapportant la distance
parcourue à ce temps généralisé sur une période d’un an, on obtient la
« vitesse généralisée ».
Nous avons eu l’occasion par ailleurs d’expliquer comment la formaliser16.
Résultat : la vitesse généralisée (Vg) ne dépend en fait que de trois
paramètres – la vitesse moyenne (V), le coût kilométrique par personne
transportée (k) et la valeur du temps qui est équivalente au salaire
horaire (w) – et non de la distance parcourue (d).
C’est une fonction
croissante de la vitesse (une hyperbole), qui tend vers la limite w/k.
En clair, plus la vitesse s’accroît, plus la vitesse généralisée aussi,
mais moins que proportionnellement et sans jamais pouvoir dépasser le
rapport entre le salaire horaire et le coût kilométrique (voir figure
1).
Figure 1. – L’évolution de la vitesse généralisée en fonction de la vitesse
On ne peut donc pas dire
qu’il ne sert à rien d’accroître la vitesse, car la vitesse généralisée
continue toujours de croître même faiblement. En d’autres termes, il est
toujours intéressant pour l’automobiliste de rouler plus vite,
contrairement à ce qu’affirment certains commentateurs. La vitesse
apparaît bénéfique, à court terme comme à long terme.
Ce
résultat n’est pas modifié si l’on intègre les externalités négatives
provoquées par l’automobile sans les faire dépendre de la vitesse, comme
le proposent divers auteurs17. Le CEREBE a renoncé à les intégrer car à l’époque les nuisances paraissaient « difficilement cernables ou quantifiables18 ».
Les évaluations ont cependant beaucoup progressé depuis lors. Avant
d’approfondir ce sujet, il est temps de se poser une question cruciale.
L’évolution de la vitesse généralisée depuis 45 ans
Quelle a été, en
France, entre 1967 (date de référence des calculs de Dupuy) et
aujourd’hui, l’évolution des trois paramètres entrant dans le calcul de
la vitesse généralisée ? En voici une estimation sommaire (un peu
différente de celle proposée dans notre article de 2009 déjà cité, grâce
à certains travaux récents qui ont permis d’affiner les calculs).
La vitesse moyenne des
véhicules particuliers est mal connue, mais a augmenté d’au moins 30 %.
Au cours des années 1970, les villes ont en effet bénéficié d’un plan
national d’aide à la mise en place de plans de circulation19
puis profité de la construction d’un réseau d’autoroutes et voies
rapides urbaines qui est passé de 1 000 km en1967 à 11 500 km en 2010.
Ainsi, en Île-de-France, une région qui concentre plus de 80 % des
encombrements routiers français20, l’augmentation des vitesses en véhicule particulier a été néanmoins de 12 % entre 1976 et 200121,
soit peut-être 20 % en 45 ans. Dans les agglomérations de province, où
les enquêtes ménages déplacements ne la mesurent pas, elle est sans
doute bien plus élevée. En tout cas, selon les enquêtes nationales
transport, la vitesse moyenne de déplacement pour tous les modes de
transport confondus est passée de 19 km/h en 1982 à 25 km/h en 1994 et à
26,5 km/h en 2008 (+ 39 %).
Le salaire horaire en
euros constants a cru d’environ 150 %, car les salaires nets annuels
moyens en euros constants ont augmenté de 77 % entre 1967 et 200922 et la durée annuelle du travail s’est réduite de 29 %, passant de 2079 heures par an en 1967 à 1476 en 201123.
Enfin, le coût
kilométrique par personne en euros constants a augmenté d’environ 30 %
(26 % entre 1970 et 2009, selon Beauvais, 2012), car le coût réel des
véhicules a un peu baissé, et celui de l’entretien a fortement augmenté,
les autres coûts restant stables.
Il en résulte qu’en 45
ans, la vitesse généralisée en automobile a augmenté de 60 % et la
vitesse généralisée limite a presque doublé. Cette évolution est
certainement du même ordre dans les autres pays de l’OCDE. Toutefois,
elle s’est fortement ralentie ces dernières années avec une progression
beaucoup plus lente du salaire horaire, une tendance désormais à la
hausse du coût kilométrique avec l’appréciation du prix des carburants
et une vitesse moyenne qui stagne, à cause de la baisse des vitesses
excessives sur le réseau routier du fait de l’instauration du système de
contrôle sanction automatisé (les radars), du ralentissement des
programmes de construction d’infrastructures nouvelles et des politiques
de modération de la circulation en ville.
En ce qui concerne la
bicyclette, la vitesse moyenne a peut-être légèrement augmenté avec
l’allègement des vélos, l’amélioration de leur rendement et quelques
aménagements cyclables (+ 4 %). Le salaire horaire des cyclistes a cru
vraisemblablement de la même façon que pour les automobilistes (+
150 %). Et le coût kilométrique a sans doute baissé un peu avec la
productivité accrue de l’industrie du cycle, mais il est aussi beaucoup
mieux connu et se révèle très supérieur à ce que l’on pensait (soit +
100 %). Cette imprécision est cependant sans grandes conséquences, car
pour le cycliste, la part du coût kilométrique dans le coût généralisé
est faible (un cinquième à un dixième), alors que pour l’automobiliste,
elle est de l’ordre de la moitié : un peu moins en rase campagne et un
peu plus en ville. La vitesse généralisée du cycliste a donc peu évolué
(+ 7 % environ ou + 15 % si l’évaluation de Papon est contestée).
Au total, la vitesse
généralisée de l’automobiliste qui était encore, il y a 45 ans,
inférieure ou équivalente à celle du cycliste, lui est maintenant bien
supérieure (voir tableau 3). Dès lors, l’argument d’Illich-Dupuy se
retourne contre eux et justifierait désormais l’utilisation de
l’automobile plutôt que de la bicyclette ! Pour sauver en partie le
raisonnement, l’astuce consiste à se replier sur le milieu urbain comme
le fait Tranter24.
Tableau 3. – Estimation de l’évolution de la vitesse généralisée en France.
Si
l’analyse en termes de vitesse généralisée ne permet pas de remettre en
cause la vitesse et si la vitesse généralisée de l’automobiliste est
désormais généralement supérieure à celle du cycliste, comment reprendre
sur de nouvelles bases la critique de la vitesse, dont les nuisances
sont tout de même manifestes ? La solution classique préconisée par les
économistes consiste à réaliser une analyse coûts-avantages de la
vitesse, c’est-à-dire à tenter de monétariser ses avantages et ses
inconvénients, afin de déterminer une « vitesse optimale » consistant à
ne pas rouler à une vitesse excessive pour réduire les nuisances mais
suffisante pour se déplacer efficacement. Pour cela, il nous faut
reconsidérer, d’une part, les méfaits de la vitesse et, d’autre part,
ses bienfaits25.
Les méfaits de la vitesse sous-estimés
Toutes les nuisances sans exception varient, et souvent fortement, selon la vitesse26. D’abord, toutes s’accroissent et de façon exponentielle quand la vitesse devient élevée :
la consommation d’énergie à cause de la résistance de l’air ;
la pollution pour la même raison et avec le soulèvement des poussières ;
le bruit aérodynamique et de roulement ;
les accidents surtout à cause du temps de réaction des
conducteurs et du temps de freinage des véhicules lié à leur énergie
cinétique ;
la consommation d’espace pour des raisons de distances de
freinage à respecter et de largeurs de voirie nécessaires aux modes non
guidés ;
l’effet de coupure (ou de séparation des territoires
traversés) qui augmente fortement selon qu’il s’agit d’une rue, d’une
artère ou d’une autoroute ;
la ségrégation sociale et l’étalement urbain ;
l’impact sur les paysages du fait de la taille des infrastructures...
Ensuite, deux nuisances
seulement s’accroissent quand la vitesse devient très faible : la
pollution (voir les « courbes Copert ») et la congestion (voir les
« courbes débit-vitesse »). Certains en déduisent que, pour ces raisons,
les zones 30 sont à proscrire. C’est pourtant, au contraire, dans les
« quartiers calmés » que le report vers les modes actifs – marche et
vélo – devient possible, des modes qui sont justement non polluants et
très économes en espace. Les villes qui ont généralisé les zones 30
depuis longtemps connaissent d’ailleurs un très fort regain de la
pratique de la bicyclette. Par exemple, Berlin (3,4 millions
d’habitants) est passée de 2 % de part modale vélo en 1974, à 8 % en
1989 et 13 % en 2008.
Enfin,
en milieu urbain où les nuisances ont des impacts considérables du fait
de la densité du trafic et de la population, il n’est pas possible de
considérer chaque nuisance de façon séparée, comme il est d’usage parmi
les spécialistes, car les nuisances font système de diverses façons : il
est difficile de les traiter séparément sans effets pervers, elles ont
de nombreux liens directs entre elles, et leurs causes profondes sont
communes27.
Les bienfaits de la vitesse surestimés
Chez les
économistes, la vitesse est traditionnellement parée de toutes les
vertus, car, en première analyse, elle fait gagner du temps et donc de
l’argent, du moins à court terme. À plus long terme cependant, ce temps
est en fait utilisé pour aller plus loin, ce qui favorise l’étalement
urbain et contribue à rendre la voiture indispensable. « Au-delà d’une
vitesse critique, les véhicules à moteur engendrent des distances
aliénantes qu’eux seuls peuvent surmonter » affirmait déjà Illich28, après d’autres (Lewis Mumford ou Jane Jacobs).
Qu’à cela ne tienne, s’il est vrai que les automobilistes ne gagnent pas de temps même s’ils vont plus vite29, ils augmentent en revanche leur accessibilité30
au territoire et diversifient leurs choix, en favorisant l’ajustement
des offres et des demandes sur tous les marchés : du travail, des biens,
des services31...
Par exemple, un employeur trouvera plus facilement les salariés qu’il
lui faut et les salariés trouveront plus aisément l’employeur souhaité.
Face à de tels avantages, les nuisances liées à l’accroissement du
trafic automobile pèsent très peu dans la balance, estime Jean Poulit32.
Cette « théorie de l’accessibilité » est encore bien peu critiquée. Elle est pourtant discutable pour de multiples raisons.
La vitesse ne permet pas d’augmenter le nombre de
déplacements et donc les occasions de rencontre, qui restent stables à
long terme33,
mais seulement la portée et le choix des destinations. De plus, un
déplacement lointain n’est pas plus utile qu’un déplacement de proximité
puisque seule compte l’activité réalisée à destination.
L’adéquation entre l’offre et la demande sur les
différents marchés ne se réduit pas à une simple question de choix plus
ou moins étendu. Aujourd’hui, dans la plupart des cas, le choix est déjà
considérable et son élargissement n’apparaît plus aussi décisif. Nous
sommes entrés dans une société d’hyperchoix qui n’est d’ailleurs pas
sans effets pervers : difficulté à s’orienter dans cet univers et même
parfois renoncement à choisir, voire à consommer34.
D’autres aspects jouent manifestement un rôle bien plus crucial : la
qualité des biens et services et plus largement la construction des
relations entre offreurs et demandeurs.
La densité humaine (habitants + emplois par hectare) reste
un puissant moyen d’accroître l’accessibilité : malgré des vitesses de
déplacement bien plus élevées en périphérie qu’au centre, les
périurbains peuvent accéder à deux à trois fois moins de destinations
que les habitants ou employés du centre dans un temps de transport
donné. Il est donc toujours plus intéressant de vivre et travailler en
zone dense, si on tient à profiter d’une grande variété de contacts. Et
c’est bien pourquoi tant de ménages et d’entreprises souhaitent
continuer à s’installer dans le centre ou à proximité, malgré des
déplacements plus lents et des coûts fonciers élevés.
À ce propos, l’argument consistant à expliquer que la
vitesse permet d’échapper à la pression foncière s’est beaucoup
affaibli, quand on s’aperçoit que le budget global consacré au logement
et aux déplacements ne varie pratiquement pas entre les zones proches du
centre et la grande périphérie, ni même la superficie de logement
disponible par personne35.
Enfin, les grandes infrastructures de transport améliorent
certes l’accessibilité éloignée, mais au détriment de l’accessibilité
rapprochée à cause des nombreux effets de coupure du territoire qu’elles
provoquent. Il est souvent plus simple et moins dangereux de traverser
la ville en voiture que d’aller à pied ou à vélo d’un quartier à l’autre
ou de traverser la rue36.
Vers une vitesse optimale
En tenant mieux
compte des méfaits de la vitesse et en reconsidérant ses bienfaits, la
vitesse généralisée devient « sociale » : elle n’augmente plus
indéfiniment et atteint un optimum (voir la figure 2). Toutefois, il est
très délicat de déterminer concrètement cette vitesse optimale sur le
réseau routier interurbain37,
et il est pratiquement impossible de le faire en milieu urbain tant les
divers aspects du sujet s’enchevêtrent. En outre, ce sont surtout les
avantages de la vitesse qui s’avèrent facilement mesurables et non ses
inconvénients. On atteint là les limites de l’approche gestionnaire que
dénonce, avec d’autres et à juste titre, Jean-Pierre Dupuy.
Figure 2. – La vitesse généralisée en fonction de la vitesse quand les effets négatifs externes de la vitesse sont internalisés.
Résultat : les économistes en sont réduits à constater que, contrairement à ce que prédit la théorie standard38,
les « villes calmées » qui sont plus lentes, ne sont pas en déclin. Ces
villes généralisent les zones 30 et autres zones de rencontre à
l’ensemble des quartiers, soit 80 % du linéaire de voirie, et pacifient
leurs artères en réduisant le nombre de files de circulation et leur
largeur au profit de trottoirs élargis, d’aménagements cyclables ou de
lignes de transport en commun en site propre. Elles connaissent alors un
partage modal beaucoup plus favorable à la marche, aux transports
publics et surtout au vélo. Malgré peut-être une certaine perte
d’accessibilité, elles gagnent en revanche en attractivité dans la
concurrence entre villes.
Finalement,
ce concept de vitesse optimale rejoint parfaitement une autre idée
fonda mentale d’Illich, celle du seuil au-delà duquel une innovation
devient contre-productive :
« Passé un certain seuil de
vitesse, le transport gêne la circulation. Il bloque la mobilité en
saturant l’espace de routes et de voitures, il transforme le territoire
en un lacis de circuits fermés définis par les degrés d’accélération
correspondants, il vole à chacun son temps de vie pour le donner en
pâture à la vitesse. L’inverse vaut aussi. En deçà d’un certain seuil de
vitesse, les véhicules à moteur sont un facteur d’appoint ou
d’amélioration en rendant possibles ou plus faciles certaines tâches. »
Le monopole radical de l’automobile en question
Par sa
surpuissance, l’automobile tend à exclure les autres modes de
déplacement, constate Illich, en introduisant à ce propos la notion de
« monopole radical », radical au sens où il modifie en profondeur, non
seulement les habitudes de déplacement des usagers, mais aussi tout leur
mode de vie.
Cette surpuissance est
liée à ce que d’autres appellent les atouts de l’automobile : sa vitesse
qui lui permet de franchir de grandes distances, son autonomie qui
l’affranchit des horaires, sa capacité de mode individuel à aller de
porte à porte, et son confort qui en fait une extension naturelle du
logement. Mais ces atouts ont leur revers : des nuisances qui tendent à
exclure les autres usagers. La vitesse et la masse d’une automobile lui
procurent une énergie cinétique considérable39
qui représente un danger potentiel effrayant pour les usagers
vulnérables. Sa propension à occuper tout l’espace, tant en circulation
qu’en stationnement, ne laisse aux modes alternatifs que des
aménagements réduits ou envahis. Et surtout sa capacité à réorganiser
l’urbanisme autour d’elle, par le zonage et la hiérarchisation des
voies, disqualifie peu à peu les autres modes, jusqu’à entrainer les
deux tiers de la population dans une dépendance automobile40.
Il ne suffit pas de
reconnaître à chacun « le droit [...] de se déplacer et la liberté d’en
choisir les moyens » (article 1 de la loi d’orientation des transports
intérieurs du 30 décembre 1982), pour garantir un développement
équilibré des divers modes de déplacement. Par ses qualités et ses
défauts, l’automobile a la capacité d’exclure progressivement les autres
modes et c’est pourquoi il est devenu nécessaire de fixer comme
objectif « la diminution du trafic automobile, le développement des
transports collectifs et des moyens de déplacement économes et les moins
polluants, notamment l’usage de la bicyclette et la marche à pied »
(article 1 de la loi sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie
du 30 décembre 1996).
Au contraire, par son
absence de nuisance et d’effet pervers, par son respect de l’ensemble
des autres modes de déplacement, par son coût accessible à tous, la
bicyclette peut être considérée à juste titre comme le symbole d’une
société démocratique, un argument couramment utilisé aux Pays-Bas et au
Danemark41.
Il apparaît dès lors logique de considérer qu’en milieu urbain, la
vitesse automobile devrait être fixée, en général, vers 30 km/h, soit,
comme le dit Illich, « en interdisant de dépasser en ville la vitesse du
vélo », « afin de borner la domination du monopole radical42 ».
Ces
réflexions ont contribué directement au lancement des premières
politiques de modération de la circulation aux Pays-Bas dans les années
1970. Dans ce pays très anciennement urbanisé – dès 1650, la majorité de
la population des Provinces-Unies habitait dans les villes –, les
habitants, les piétons et les cyclistes se sont coalisés pour réclamer
un strict encadrement du trafic automobile afin de préserver l’urbanité.
Dans les années 1980, l’Allemagne a suivi et enrichi le concept en
expliquant la nécessité, pour plus de cohérence, de passer de la rue 30,
à la zone 30, puis à la ville 3043.
Depuis quelques années, de grandes villes françaises, telles que
Strasbourg, Grenoble, Toulouse, Rennes ou Angers, avancent à marche
forcée vers cet objectif.
Conclusion
Dans sa version
première qui ne tient pas vraiment compte des nuisances, le concept de
vitesse généralisée n’est pas pertinent. Il reste toujours intéressant
pour l’automobiliste de rouler plus vite et pour la société de le
laisser faire. Un détour de production finit souvent, en effet, par être
efficace. C’est sa raison même d’exister, comme le rappelait récemment,
en substance, Denis Clerc, en illustrant son propos par certains
exemples44.
En revanche, en
considérant l’accroissement exponentiel des nuisances que provoque une
vitesse accrue, la vitesse généralisée sociale connaît un optimum – vers
30 km/h en milieu urbain, plus sur le réseau interurbain – qui prouve
que ces seuils de vitesse ne peuvent pas être franchis sans provoquer
des dégâts fortement croissants. Le problème surgit en général, non pas
du détour de production, mais du seuil au-delà duquel un « méga-outil »
instaure un « monopole radical », selon les termes d’Illich. Ici les
automobiles, en roulant trop vite, menacent et finissent par éliminer
les bicyclettes, via l’enchevêtrement de nombreux effets délétères, au
détriment de la société en général et de la planète tout entière.
La
maîtrise de la vitesse en milieu urbain touche finalement aux
fondements mêmes d’une société démocratique. Elle permet de rendre la
ville plus accessible à tous, tout en préservant son urbanité.
Notes de bas de page
1 Le texte est d’abord paru sous forme d’une série d’articles dans Le Monde en 1973, puis a été édité enrichi en anglais, en allemand et enfin en français (voir Paquot T., Introduction à Ivan Illich, Paris, La Découverte, 2012, 125 p.). Toutes les citations sont reprises d’Illich I., Œuvres complètes, Paris, Fayard, 2003, vol. 1. Ici, extrait des p. 395-396.
2 Dupuy J.-P., « À la recherche du temps gagné », annexe de Énergie et équité, Paris, Seuil, 1975, repris in Illich I., Œuvres complètes, op. cit., p. 433-440.
3 Voir Héran F., Le retour de la bicyclette. Une histoire des politiques de déplacement en Europe de 1817 à 2050, Paris, La Découverte, 2014, 256 p.
4 Debouverie Y., Dupuy J.-P., L’automobile chronophage, Paris, CEREBE, 1974, 38 p. Nous tenons cette étude à la disposition des lecteurs sous forme de fichier pdf.
5 Ibid., p. 434-435. Voir aussi Dupuy J.-P., Robert J., La trahison de l’opulence, Paris, PUF, 1976, 264 p.
6 Le texte de Dupuy est paru à l’origine dans le Bulletin interministériel pour la rationalisation des choix budgétaires, no 20 de mars 1975.
7 Dupuy J.-P., Pour un catastrophisme éclairé, Paris, Seuil, 2002, p. 36.
8 Gorz A., « L’idéologie sociale de la bagnole », Le Sauvage, no de septembre-octobre 1973 ; Robert J., Le Temps qu’on nous vole : contre la société chronophage, Paris, Seuil, 1980 ; Lacaze J.-P., Introduction à la planification urbaine. Imprécis d’urbanisme à la française, Presses de l’École Nationale des Ponts et Chaussées, 1995, p. 226 ; Cheynet D., « Automobile et décroissance », in Objectif décroissance, Paris, Éditions Parangon, 2003 ; Latouche S., La Mégamachine. Raison technoscientifique, raison économique et mythe du progrès, Paris, La Découverte, 2004, 202 p.
9 Kifer K., Auto Costs Versus Bike Costs, Ken Kifer’s Bike Pages (site Internet consulté en nov. 2012); Tranter P. J., Effective Speeds : Car Costs are Slowing Us Down. Report for the Australian Greenhouse Office, Department of the Environment and Heritage, 2004, 18 p.; Tranter P. J., “Effective speed: cycling because it’s ‘faster’”, art. cit.
10
En France, il s’agit du GART (Groupement des autorités responsables de
transport), de l’UTP (Union des transports publics et ferroviaires), de
l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie),
etc.
11 CCFA, L’industrie automobile française. Analyse et Statistiques 2012, Comité des constructeurs français d’automobiles, 2012, 83 p.
13 Voir les travaux d’auteurs très différents tels que D’autume A., « Évaluation des coûts unitaires des déplacements routiers à partir du compte satellite des transports », Notes de synthèse du SES, janvier-février 2001, 6 p. ; Orfeuil J.-P., « Le vrai coût des transports publics de la vie quotidienne », Infrastructures et mobilité, no 111, 2011, p. 11-18 ; Cordier B., Les vrais coûts de la voiture, Bureau d’études ADETEC, 2012, 8 p. ou Beauvais J.-M.,
Dépenses engagées par les voyageurs : comparaison entre le transport
public et la voiture particulière, situation en 2008 et évolution depuis
1970, étude réalisée pour la FNAUT, 2012, 52 p.
14 FNAUT, Stop aux subventions à la pollution. Réexamen du barème fiscal automobile, Fédération nationale des usagers des transports, 2012, 4 p.
15 Papon F., « La marche et le vélo : quels bilans économiques pour l’individu et la collectivité ? », Transports, 3 parties, no 412, 413 et 414, 2002.
16 Héran F., « À propos de la vitesse généralisée des transports. Un concept d’Ivan Illich revisité », Revue d’économie régionale et urbaine, no 3, 2009, p. 449-470.
17 Cheynet D., « Automobile et décroissance », art. cit.; Tranter P. J., “Effective speed : cycling because it’s ‘faster’”, inPucher J. and Buehler R. (ed.), City Cycling (Urban and Industrial Environments), The MIT Press, 2012, p. 57-74.
22 Source : INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques).
23 Source : OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques).
24 Tranter P. J., “Effective speed: cycling because it’s ‘faster’”, art. cit.
25 Wiel M., « Éloigner les méfaits de la vitesse », in Agence d’urbanisme de la région grenobloise. Les dossiers de demain, no 5, 2006, p. 10-12.
26 OCDE, CEMT, La gestion de la vitesse. Paris, OCDE, 2007, 306 p. ; Héran F.,
Transports en milieu urbain : les effets externes négligés.
Monétarisation des effets de coupure, des effets sur l’affectation des
espaces publics et des effets sur les paysages, Paris, La Documentation française, 2000, 118 p.
27 Héran F., « Pour une approche systémique des nuisances liées aux transports en milieu urbain », Les cahiers scientifiques du transport, no 59, 2011, 25 p.
29 Cf. La constance des « budgets temps de transport » révélée par Zahavi J., “The TT-relationship: a unified approach to transportation planning”, Traffic Engineering and Control, vol. 15, 1973, no 4-5, p. 205-212.
30
Au sens des économistes, c’est-à-dire le nombre de destinations qu’il
est théoriquement possible d’atteindre dans un temps donné, compte tenu
du niveau de service offert par les systèmes de transport.
31 Koenig G., « La théorie de l’accessibilité urbaine, un nouvel outil au service de l’aménageur », Revue générale des routes et des aérodromes, no 733, 1974, p. 69-76.
32 Poulit J., Le territoire des hommes. La création de richesse, d’emplois et de bien-être au sein d’une planète préservée, Paris, Bourin Éditeur, 2005, 349 p.
34 Schwartz B., The Paradox of Choice. Why More Is Less, New York, Ecco, 2004, 265 p.
35 Polacchini A., Orfeuil J.-P., « Les dépenses des ménages franciliens pour le logement et les transports », Recherche Transports Sécurité, no 63, 1999, p. 31-46.
36 Héran F., La ville morcelée. Effets de coupure en milieu urbain, Paris, Economica, 2011, 218 p.
37 Voir Jondrow J., Bowes M., and Levy R., “The Optimal Speed Limit”, Economic Inquiry, vol. 21, July 1983, p. 325-36, puis les nombreuses contributions qui ont suivi, comme celle de Carnis L., « Essai d’estimation d’une vitesse optimale pour les véhicules légers sur le réseau interurbain français », Les cahiers scientifiques du transport, no 46, 2004, p. 63-95.
38 Baumstark L., « Le coût économique des politiques de réduction de la mobilité », 39e colloque de l’ASRDLF (Association de science régionale de langue française) Concentration et ségrégation, dynamiques et inscriptions territoriales. Lyon, 1-3 sept. 2003, 18 p.
39
Des dizaines à des centaines de fois supérieure par rapport à celle
des modes actifs, à la fois plus lents et beaucoup plus légers. Ainsi,
entre une voiture d’1,3 tonne roulant à 50 km/h et un cycliste et son
vélo de 95 kg roulant à 15 km/h, le rapport est de 150. De fait, on n’a
jamais vu un cycliste renverser une voiture.
40 Dupuy G., La dépendance automobile. Symptômes, analyses, diagnostic, traitements, Paris, Anthropos, 1999, 160 p.
41 Carstensen T.A., Ebert A.-K., “Cycling Cultures in Northern Europe: From ‘Golden Age’ to ‘Renaissance’”, in J. Parkin (ed.), Cycling and Sustainability, Bingley, Emerald, 2012, p. 23-58.
42 Illich I., Œuvres complètes, op. cit., p. 415 et 412.
43 Müller P., Schleicher-Jester F., Schmidt M.-P., Topp H. H., Konzepte flächenhafter Verkehrsberuhigung in 16 Städte, Fachgebiet Verkehrswesen, Universität Kaiserslautern, Grüne Reihe Nr 24, 1992, 248 S.
44 Clerc D., « Un penseur “contre-productif” ? », Esprit, dossier sur l’Actualité d’Ivan Illich, août-sept. 2010, p. 126-135.
Maître de conférences en
économie à l’université de Lille 1 et chercheur au CLERSE (Centre
lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques), UMR
8019 du CNRS. Il travaille sur les nuisances des transports et les modes
alternatifs à l’automobile. Il a publié dernièrement La ville morcelée. Effets de coupure en milieu urbain, Paris, Economica, 2011.
bon, il y a ce fameux concept de réincarnation qui revient à plusieurs reprises dans le discours de Gregory Mutombo... ça risque d'en énerver plus d'un :-). Je ne sais pas trop ce qu'il faut penser de cette hypothèse mais à ce stade, elle ne m'obsède pas, elle suscite plutôt de la curiosité. Pour le reste, comme lui, je suis convaincu que nous contribuons, par nos pensées, nos croyances, à ce monde de m... que nous observons. Un monde qui nous revient en miroir en pleine tronche.
Sans déflorer le sujet, voici comment je résume l'essentiel de son discours : il n'adhère pas à cette fameuse citation de Gandhi : "sois toi-même le changement que tu veux voir dans le monde" et ne sépare pas, non plus, l'individuel du collectif. Tout le vivant est un. Selon Gregory, notre job sur terre n'est pas de changer le monde... depuis le temps qu'on essaye, en gros, cela ne fonctionne pas. Notre job, c'est de co-créer du neuf. Pour tenter de comprendre la nuance, eh bien, voyez cette conférence (et bien d'autres sur youtube) :
Alors, réforme, transition ou révolution institutionnelle... ou spirituelle ? Ivan Illich prônait la dernière solution dans la dernière partie de son oeuvre (il évoquait d'ailleurs l'idée d'un droit au chômage créateur). Quant à certains anarchistes, ils avaient eux aussi choisi leur camp : https://www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire/retours-a-la-nature-34-les-clairieres-libertaires-une-vie-communautaire-danarchiste-en-1900.
Ce dont je suis sûr, c'est du caractère contre-productif de la violence. Certes, celle-ci peut résoudre certains problèmes à court terme - exemple : se libérer d'un joug impérialiste, se défendre contre une agression - mais elle ne prend pas en compte, ou pas suffisamment, les causes de son avènement. La violence appelant la violence, elle s'auto-entretient ainsi ad vitam aeternam.
En outre, le discours de Grégory me fait immanquablement penser à celui de Gregg Braden. A son propos, je vous recommande, une fois de plus sur ce blog et ce ne sera pas la dernière, cette passionnante conférence-fleuve de 4h :