N° 98 | 15.10.2017
ExergueN–3
Appel à nos lecteurs
Pour le centième numéro de l’Antipresse, nous souhaitons vous donner la parole. Que vous a apporté notre lettre? Qu’en pensez-vous? Nous consacrerons un large courrier des lecteurs à vos réactions. N’hésitez donc pas à nous écrire!
Dans ce numéroNOUVELLEAKS par Slobodan DespotCE QUE NOUS VOULONS FAIRE DE NOUS
Nous vous l’annonçons depuis plusieurs semaines: l’Antipresse va changer en profondeur dès son centième numéro. Il me paraît utile, avec un peu d’avance, de décrire le but que nous voulons atteindre et les raisons qui nous y mènent.
L’affluence contre l’influence
L’internet est le terrain d’exercice favori, pour ne pas dire unique, des «médias alternatifs». Ces plateformes touchent quelquefois des audiences très vastes, qui se comptent en millions. Mais la question se pose de plus en plus: qu’est-ce que ça change? L’affluence est-elle une preuve d’influence?
Si l’opposition virtuelle dérangeait réellement, il y a longtemps qu’elle serait bloquée. Les «alternatifs» utilisent des services d’hébergement et des solutions techniques fournis par le système même qu’ils combattent. Ils ont recours pour leur diffusion aux réseaux sociaux institués (Facebook et Tweeter) et dépendent de leur visibilité dans les moteurs de recherche qu’ils accusent eux-mêmes de triche. Sans parler du langage et du mode de pensée, qui se simplifient parfois de manière mimétique jusqu’à donner ce qu’Ingrid Riocreux appelle — chez les journalistes du «mainstream» — une «pensée-émoticône». On s’accommode de la forme brève et de la riposte circonstantielle là où il serait vital de prendre du recul. On mesure son impact en termes de «clics» et de «likes», sans même vérifier si ces suffrages sont le fait d’humains ou de robots. Lorsqu’on emprunte les armes de l’adversaire, l’adversaire a déjà la partie à moitié gagnée.
De notre côté, nous nous sommes toujours adossés à ce qui distingue, précisément, la civilisation de l’indifférenciation technologique qui nous guette: la langue, les livres, la culture et le cœur. Et par-dessus tout, le courage de dire. Le courage, cette vertu qui, comme l’observait C. S. Lewis, est l’aune à laquelle on mesure toutes les autres vertus.
Pour notre diffusion, il aura bien fallu compter sur les mécanismes de l’internet, mais nous nous sommes surtout fiés au bon vieux bouche à oreille. Nous n’avons jamais cherché l’affluence ni valorisé notre travail en chiffres de visites ou d’abonnements. En revanche, nous avons essayé (et parfois réussi) à façonner une influence en proposant des vues affirmées mais pas forcément partisanes, des éclairages décentrés par rapport aux réflexes communs de l’information et des arguments fondés sur un bon sens éprouvé plutôt que sur des positions préétablies et donc prévisibles.
C’est ainsi que, dernièrement, la question de la formation des imams à l’université de Genève est devenue un sujet de discussion à grande échelle, en Suisse romande, après que l’Antipresse eut soulevé des questions de fond («Soumission à la genevoise», n° 92). Des débats s’en sont suivis à la radiocomme à la télévision de service public.
L’Antipresse ne parle pas fort, mais elle est écoutée. Et si elle est écoutée, c’est parce qu’elle n’est pas le porte-parole d’une sensibilité politique particulière ni d’intérêts partisans.
Pour une «presse à l’endroit»
Nous le savons par la composition de son lectorat. Nous savons également que ce lectorat est plutôt cultivé, très intéressé par les grandes questions mais qu’il se situe dans toutes les couches de la société: des élites dites «dirigeantes» aux professions pratiques. La «sociologie» de l’Antipresse, par sa diversité même, nous situe elle aussi à l’écart des médias ordinaires.
Au fil du temps, l’Antipresse est donc devenue un peu plus qu’une lettre. Non une feuille de paroisse mais un forum. Non un outil de pression et de nivellement des esprits mais un lieu d’ouverture et de réflexion destiné à tous. Dans la crise de l’information actuelle, les médias établis ferment les uns après les autres en se persuadant que c’est la faute à la conjoncture et à la publicité alors qu’ils n’ont plus rien à apprendre à leur public et aucun enrichissement à leur apporter.
Notre conviction est que le public se détourne de ces médias-là avec des raisons de fond et des besoins auxquels quelqu’un doit répondre. Les Suisses vont prochainement voter sur l’initiative «No Billag» qui revient à abolir les médias de service public. Le fait même qu’une telle idée ait recueilli les voix nécessaires pour être soumise à référendum est préoccupant. Une part significative des Suisses — pourtant si loyaux à leurs institutions — préféreraient voir un paysage médiatique entièrement soumis à la loi de la jungle commerciale plutôt que de maintenir des chaînes dites «nationales» qui s’emploient — selon eux — à les rééduquer contre leur gré et leurs goûts. L’alternative consistant à ajuster les programmes aux besoins et aux vues de la majorité silencieuse qui les fait vivre par ses impôts leur semble illusoire. Impensable! Plutôt jeter le bébé avec l’eau du bain.
Une crise existentielle
C’est que, quand le mal est profond, on est tenté de tailler sans discrimination. Nombre de lecteurs de l’Antipresse nous confient qu’ils se sentent trahis par les médias «de grand chemin» qui d’ailleurs sombrent dans toutes les évaluations du degré de confiance du public. Or, comme le relève Aude Lancelin dans ses «Sept idées fausses sur les médias», «l’idée de traîtrise ne convient pas davantage à la sociologie nouvelle de ce métier […]. Plutôt que des Judas, beaucoup de journalistes sont en effet désormais des estropiés de ce système. Si on laisse de côté la fine pellicule des éditorialistes surpayés et fanatiquement dévoués à la perpétuation de ce dernier, la précarisation galopante de la profession est désormais une réalité.»
De fait, les médias, et en particulier la presse écrite, sont confrontés à un dilemme existentiel: du moment qu’ils ne vivent plus de leur vente, et donc de leur public, à quel mécène vont-ils encore pouvoir tirer les basques?
La plupart ont longtemps vécu d’annonces. Les ventes et les abonnements n’étaient devenus qu’un appoint. Or l’impact de la publicité s’effrite en même temps qu’elle s’insinue partout. «Personne n’en a plus rien à cirer, de la publicité!» se lamente l’un de ses idéologues, Stéphane Xiberras. La grande presse se fie donc de plus en plus aux financements publics, avec les compromissions que cela implique, ou s’effeuille devant ses patrons issus du grand capital. Au bout de ce chemin: la prostitution ou la soviétisation. Ou les deux.
L’indépendance en acte
Durant l’été, alors que des chaînes de service public ne passaient pratiquement que des reprises, nous avons continué de proposer des contenus inédits. Ce travail, qui correspond pour ainsi dire à celui d’un hebdomadaire professionnel, n’a été (très partiellement) rémunéré que par les dons de nos lecteurs. Nous croyons avoir fait la preuve de notre ténacité et de notre engagement dans cette mission. Quant à l’indépendance financière et politique de la lettre, elle est hors de cause.
Nous avons aussi pu nous rendre compte, par le taux d’ouverture et les réactions que nous recevons, de la fidélité et de la passion de nos lecteurs. Les retards à l’envoi, les erreurs et les bourdes nous sont immédiatement signalés, souvent par SMS. Pour certains abonnés, la lecture de l’Antipresse est en effet devenue un véritable rituel, le premier point à l’agenda des dimanches. La communauté que nous avons créée en deux ans n’est peut-être pas nombreuse — quelque 5000 lecteurs —, mais elle nous paraît fervente et déterminée.
A l’issue de ces deux premières années, nous pensons donc que le temps est venu de transformer l’«anti-presse» en presse, mais en une presse à l’endroit, celle qui est portée par la passion de ses auteurs et par l’engagement de ses lecteurs.
Nous allons donc commencer par répondre aux attentes les plus fréquemment formulées de nos lecteurs:
A ce jour, et malgré les sirènes du progrès, tout ce qu’on a dit de beau et d’important a toujours été imprimé sur du papier. Nous voulons nous assurer que notre lettre soit lisible même lorsque les écrans sont éteints, même si les fournisseurs d’accès devaient nous (ou vous) éjecter du réseau. Nous voulons contribuer à bonne vieille contamination des idées en devenant visibles dans les librairies, les bibliothèques, les salles d’attente de médecins, les salons où l’on cause.
Le problème de la gratuité
Cette évolution de votre lettre préférée implique une organisation rigoureuse et une part de professionnalisation. Il s’agit donc de stabiliser le modèle financier sur lequel repose notre association (car l’Antipresse est bien une association selon le droit suisse).
Cela nous amène à la question de fond: celle de la gratuité complétée par les dons.
Jusqu’à présent, nous avons évolué dans le cadre virtuel de l’internet, où la gratuité paraît de règle. Or, comme dit le proverbe anglo-saxon, «there is no free dinner». La gratuité des services et de l’information procurés par les géants du web a sa contrepartie: la transformation du public en une immense ferme de Big Data exploitable et exploitée à des fins commerciales. Voire, qui sait, plus pernicieuses. Les récentes lubies et prises de parti de M. Zuckerberg (le patron de Facebook) en la matière devraient nous faire bien réfléchir.
Après nous avoir rendus «accros» à leur pays de Cocagne où tout est gratuit, lesdits géants commencent à jouir du revenu de leur investissement. Twitter et Facebook font commerce de nos données parfois les plus intimes et censurent les contenus sans rendre de comptes à personne.
Les grands médias virtuels, de leur côté, introduisent des paywalls sur des contenus qui étaient jusqu’ici en libre accès. D’une manière générale, où qu’il aille, l’internaute est assailli par un bombardement continuel de publicités qui l’agacent et qu’il passe son temps à éviter.
Cela nous ramène enfin à la réalité: l’information qu’on reçoit ne vaut que ce qu’on la paie.
Notre pacte avec nos lecteurs
Nous vous proposons donc un pacte. Plutôt que de tendre un chapeau à la sortie du théâtre — où quelques-uns jettent parfois de généreux pourboires —, nous introduisons un modique ticket d’entrée pour tous.
Plutôt que de nous appuyer sur le pénible bariolage publicitaire ou sur des mécènes cachés et intéressés, nous faisons appel à nos premiers alliés: nos lecteurs.
Pour le prix d’un mois d’abonnement TV/internet, vous aurez droit à un an d’Antipresse, sans publicité, sans mendicité, sans intérêts voilés. Vous pourrez accéder aux archives, par éditions (numéros de la lettre) ou par articles particuliers et bénéficier d’une version PDF téléchargeable avec une typographie lisible et soignée.
Pour une fraction de la taxe du service public ou d’un abonnement à un quotidien, vous aurez droit à une belle lettre imprimée sur le meilleur papier, livrée chez vous.
Dans tous les cas, en tant qu’abonnés, vous serez conviés aux événements et conférences exclusives qui vont reprendre de plus belle avec cette nouvelle version.
Dès la semaine prochaine, nous vous présenterons plus en détail l’Antipresse «2.0» et les diverses offres.
Nous sommes prêts, avec l’Antipresse, à partir à la reconquête des esprits. L’extension et l’expansion de cette nouvelle campagne ne dépendront que de vous!
Ah… un dernier détail!
Pour marquer ce grand tournant, l’Antipresse «2.0» portera un nouveau nom…
CANNIBALE LECTEUR de Pascal VandenberghePADAMALGAM (4)
L’ancienne Secrétaire d’État de Nicolas Sarkozy Jeannette Bougrab «ose» critiquer le déni et la complicité dont les médias et les politiques français font preuve face aux attentats islamiques.
La semaine dernière, dans la rubrique «Main courante», nous vous proposions de lire un entretien réalisé par Le Figaro (et publié le 2 octobre) avec Jeannette Bougrab (« Jeannette Bougrab fustige le déni»), entretien donné à l’occasion de la parution de son dernier livre Lettre d’exil. La barbarie et nous (Le Cerf, 2017). J’ai voulu aller y voir de plus près en lisant ce livre: de quoi fournir un quatrième épisode à notre série «Padamalgam»!
Née à Châteauroux dans une famille d’origine algérienne et musulmane, avec un père harki, Jeannette Bougrab est docteur en Droit public. Elle fut d’abord Maître de Conférences en Droit public à la Sorbonne, puis à l’IEP (Sciences Po). Elle fut nommée présidente de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) début 2010, avant de devenir quelques mois plus tard Secrétaire d’État chargée de la Jeunesse et de la Vie associative dans le troisième gouvernement de François Fillon.
Depuis 2015, elle est chef du service culturel de l’Ambassade de France en Finlande, où elle a «trouvé refuge» après l’attentat perpétré contre Charlie Hebdo: elle était proche de Charb, le rédacteur en chef tué lors de l’attaque terroriste. Il est à noter que son mandat a été renouvelé par l’actuel Premier ministre Édouard Philippe.
Depuis plusieurs années déjà, Jeannette Bougrab fustige la torpeur de ceux qui refusent de prendre la mesure de la menace islamiste: dans Ma république se meurt (Grasset, 2013, «J’ai lu», 2014), elle dénonçait la menace que le communautarisme religieux fait peser sur les institutions et la laïcité. Plus récemment, dans Maudites (Albin Michel, 2015), elle reprenait le combat de la défense de la laïcité et des valeurs de la République face à la montée apparemment inexorable de l’islamisme. Elle choisit dans ce livre de prêter sa voix à ces nombreuses jeunes femmes musulmanes qui se battent courageusement contre l’archaïsme de l’islam, de Paris au Pakistan en passant par le Yémen, et la volonté de certains États d’instaurer la charia un peu partout dans le monde.
Éloignée de Paris et de la France depuis plus de deux ans, elle a pris un certain recul et sa Lettre d’exilenvoyée depuis la Finlande, où elle réside désormais avec sa fille, n’en est que plus pertinente et acerbe. Mais aussi désabusée ou résignée, même si elle reste combative et «en colère», comme elle l’écrit. La citation de George Orwell qui ouvre son prologue: «La façon la plus rapide de mettre fin à une guerre est de la perdre » donne le ton. Bien évidemment, elle conteste le qualificatif de raciste ou d’islamophobe qui est immanquablement accolé à toute personne se permettant de critiquer l’islam: «Combattre l’islamisme, ce n’est évidemment pas être islamophobe, mais au contraire tout faire pour éviter que les musulmans qui vivent en France et en Europe soient tentés par un retour dans le giron de l’oumma, sous la forme la plus soumise à la charia.»
Elle dénonce ceux qui rejettent sur «la société» la responsabilité des actes qui sont commis, faisant ainsi passer les auteurs des attentats du statut de criminels à celui de victimes : « Tant qu’à faire, nous pourrions expier encore plus rapidement nos erreurs en allant nous jeter tout droit dans les bras des terroristes, à l’instar des premiers chrétiens martyrs qui couraient au-devant des fauves, animés qu’ils étaient par la certitude de la résurrection.»
Elle identifie les différents domaines de la société dans lesquels la faillite est prononcée, ou la société en cours de liquidation. À commencer par l’éducation, bien sûr: «Dans un pays où l’ascenseur social est en panne, l’éducation nationale ne remplit plus sa mission. Les imams ont remplacé les instituteurs.» Ainsi que la remise en cause, dans nos pays, de l’égalité des sexes et surtout de la liberté des femmes, consécutive aux refus des «bonnes consciences» de questionner l’islam dans ses fondements même.
Pour celles et ceux qui ont déjà lu des livres sur ce sujet, celui-ci n’apportera pas forcément plus qu’une remise en perspective de cette problématique sous ses différents angles. Il a cependant le mérite et l’originalité d’avoir été écrit par une femme qui a occupé et occupe des fonctions officielles, alors que dans ces rangs-là, les trois tendances dominantes sont toutes convenues: celle de l’extrême-droite, qui instrumentalise l’islam en surfant sur les frustrations d’une partie de la population pour gagner des voix; celle de «l’islamo-gauchisme» (comme l’appelle Jeannette Bougrab), grand défenseur de la «tolérance» sans limites, donc de l’islamisation de la société; celle de la droite «républicaine», qui navigue entre les deux comme un bateau sans quille…
Mais comme elle l’explique elle-même, le combat qu’elle mène prend tout son sens dans son histoire personnelle: «Ce livre n’est ni celui d’une décliniste, ni celui d’une néoréactionnaire. C’est le livre d’une femme musulmane née d’une mère interdite d’école et mariée de force alors qu’elle n’était qu’une enfant, ayant la volonté farouche de montrer la réalité d’une culture et d’une tradition qui, tout simplement, en sont arrivées à nier les femmes et à instrumentaliser les enfants. C’est le livre d’une femme qui ne veut pas redevenir comme sa mère l’a été et qui se battra pour éviter un tel destin à sa propre fille: être une sous-citoyenne qui n’a pas le droit de choisir son destin.»
Ses prises de position sont donc déconnectées du motif politique – ou plus précisément «politicien» – et trouvent leur origine dans son référentiel propre. Ce qui légitime sa démarche et explique sans doute le courage dont elle fait preuve en rompant avec la langue de bois habituelle des politiciens issus des rangs de la droite républicaine.
ENFUMAGES par Eric WernerLA FIN DE LA PRESCRIPTION
45 ans après les faits, en tout cas ceux qu’elle allègue, une femme vient de déposer plainte contre le cinéaste Roman Polanski: une plainte pour viol. Elle l’a fait en Suisse, mais c’est le New York Times qui a publié l’information. Les juges suisses ont dit qu’ils allaient ouvrir une enquête.
Roman Polanski est un des grands cinéastes de notre temps. Il a reçu de nombreux prix, a également présidé les festivals de Cannes et de Venise. Il est en particulier l’auteur d’un film intitulé The Ghost Writer, film dont le héros principal est un premier ministre anglais travaillant pour la CIA. C’est très intéressant comme film. Très bien documenté également. Une bonne entrée en matière, en tout état de cause, pour comprendre la stratégie d’infiltration des services spéciaux américains dans les milieux dirigeants européens; stratégie, certes, qui ne date pas d’hier, mais s’est sensiblement amplifiée au cours de la période récente, celle consécutive à la chute du mur de Berlin. On connaît le mot de Valéry: «L’Europe aspire visiblement à être gouvernée par une commission américaine. Toute sa politique s’y dirige» [1]. Cela passe aujourd’hui par les services spéciaux.
Dans The Ghost Writer, Polanski lève donc un coin du voile. Il montre ce qu’est un agent d’influence. Il n’est pas sûr que la CIA ait tellement apprécié. Le film est sorti en 2010. Coïncidence ou non, peu de temps avant la sortie en salle du film, les Américains cherchèrent à mettre la main sur Polanski en le faisant arrêter en Suisse. Ils déposèrent une demande d’extradition contre lui, au prétexte que le cinéaste n’avait pas complètement purgé une peine de prison à laquelle, soi-disant, il avait été condamné en 1978 aux États-Unis. Une affaire de viol, déjà. Les Suisses furent à deux doigts de le leur livrer, mais en fin de compte y renoncèrent, car la France, de son côté, manifesta une certaine nervosité. Polanski, en effet, est citoyen français. Les Suisses avaient à choisir entre la France et les États-Unis. En la circonstance, ils privilégièrent leurs relations avec le pays voisin.
Ce cas de figure pourrait en évoquer d’autres analogues. Ainsi, l’hiver dernier, on s’en souvient peut-être, il fut beaucoup question, en France, d’emplois présumés fictifs. On était en pleine campagne présidentielle, on abordait la dernière ligne droite. L’affaire se révéla fatale pour l’un des candidats en lice, François Fillon. Certains diront que les emplois fictifs sont chose tout à fait blâmable. De tels manquements à la «morale» n’ont pas leur place en «démocratie». Assurément non. Sauf qu’il est permis aussi de se demander si cette affaire n’a pas surtout été exhumée pour faire payer à François Fillon certaines de ses prises de position en matière de politique internationale. Car Fillon était plutôt prorusse. En 2013, lors d’un déplacement en Russie, il avait critiqué la position française sur la Syrie devant Vladimir Poutine [2]. Pour bien moins que cela, aujourd’hui, on est obligé de passer à la caisse.
Quand on veut tuer son chien, on l’accuse de la rage. Cela ne veut pas nécessairement dire qu’il n’a pas la rage: peut-être, effectivement, l’a-t-il. Mais la rage n’est pas la vraie raison de sa mise en accusation. La vraie raison, c’est qu’on veut le tuer. C’est là le point.
On pourrait faire d’autres remarques encore. On parle volontiers des «principes généraux du droit». Ces derniers sont des sortes de «lois non-écrites», ils constituent un cadre de légitimité. Lesdits principes comprennent le droit d’être entendu, la non-rétroactivité des lois, le fait que ce n’est pas à l’accusé de prouver son innocence mais bien à l’accusateur d’apporter la preuve qu’il ne ment pas, le principe de prescription, etc. Soit l’État respecte lesdits principes, et l’on peut alors parler d’État de droit. Soit il ne les respecte pas, et l’on ne peut alors plus parler d’État de droit. On a vu dans une précédente chronique [3] que certains activistes s’étaient aujourd’hui mis en tête de rendre les délits sexuels imprescriptibles, en même temps que «d’assouplir» l’appréhension de la preuve que doit apporter la victime. Certaines lois ont récemment été réécrites pour répondre à ces revendications. Ce sont là très clairement des entorses à l’État de droit (ou, ou pour être plus clair encore, un pas en direction du totalitarisme: un de plus).
Dans un entretien au Figaro paru en début d’année, l’avocat de Polanski, Me Hervé Temime, disait à propos de son client: «J’affirme qu’aucun homme au monde ne fait l’objet d’un mandat d’arrêt quarante ans après les faits dans une situation comparable» [4]. Mais justement Polanski en fait l’objet! Or, on vient de le dire, une nouvelle plainte vient d’être déposée contre lui: cette fois-ci non plus quarante ans, mais bien quarante-cinq ans après les faits. A une autre époque, on aurait dit que les faits étaient prescrits. Mais ce n’est plus si sûr aujourd’hui. Tout cela est devenu très flou. La police suisse, en tout cas, a enregistré la plainte.
Ce qui incite à la réflexion. En France, la justice vient de réactiver une très ancienne affaire, l’affaire Grégory: affaire remontant, elle, à 32 ans en arrière. A l’époque, l’enquête n’avait débouché sur rien. Et donc, aujourd’hui, on la relance. Un certain nombre de personnes ont été placées en garde à vue. On les cuisine sur leur emploi du temps en ces années-là: que faisiez-vous tel jour, à telle heure, à tel endroit ? Et le lendemain ? 32 ans après les faits. Tout cela semble absurde, et d’une certaine manière l’est: c’estabsurde. On pense au Procès de Kafka. Et en même temps non, car tout cela est répercuté dans les médias. Et donc les gens se disent: l’État a le bras long, il fait ce qu’il lui plaît. C’est évidemment ça, le message. L’État peut tout se permettre, il n’y a plus aucune limite. Voudrait-on intimider les gens, pour ne pas dire les terroriser, on ne s’y prendrait pas autrement.
NOTES
LA POIRE D’ANGOISSE par Slobodan DespotLes mots qu’on ne prononce pas: ÉGORGÉ
Les deux jeunes femmes de Marseille ont été, nous dit la télé, «tuées à l’arme blanche». Cela fait plus propre, plus clinique que de dire «égorgées». Pudeur spontanée des médias audiovisuels? Peut-être. L’Observatoire du journalisme a un autre avis, fondé sur des indiscrétions d’«insiders».
Cela date de l’an dernier déjà, lorsque le père Hamel fut égorgé par des islamistes dans sa propre église:
Les mots qu’on dilue: INGÉRENCE RUSSE
Depuis des mois, l’«ingérence russe dans la campagne électorale américaine» était devenue la rengaine n° 1 de la presse bien-pensante (et des milieux démocrates) outre-Atlantique.
Or il se trouve que les enquêtes interminables et onéreuses ont abouti à… du pipeau. En fin de compte, la scandaleuse manipulation orchestrée par Vladimir Poutine en personne se résumerait à quelques publicités achetées sur les réseaux sociaux. (Ah! Si seulement les Américains s’étaient contentés d’une si timide participation au processus électoral russe, du temps d’Eltsine…)
Et voici que, subrepticement, CNN se met à parler d’«ingérence russe présumée» («alleged Russian meddling»), comme elle aurait dû le faire depuis le début. Pourquoi donc? Cette croyance, dans le mainstream américain, n’a jamais relevé du soupçon raisonnable, mais du dogme religieux.
Main couranteSUISSE | Une élue doublement verte
La nouvelle élue des Verts au parlement fédéral, Irène Kälin, est islamologue, islamophile et islamolobbyiste. A peine élue, elle demande la reconnaissance de l’islam comme religion officielle en Suisse. Elle ne s’allonge pas sur les conséquences d’une telle promotion (ne serait-ce qu’en termes d’aides publiques, de relations avec les autres communautés, etc.), mais s’empresse de dénoncer les préjugés antimahométans de la population autochtone.
Radicalisation des quartiers? «Je n’en connais pas de tels», répond-elle, écartant d’un revers de main les enquêtes de Mireille Vallette et de Saïda Keller-Messahli sur le radicalisme en Suisse. Pour entretenir l’idylle, mieux vaut ne pas côtoyer la réalité de trop près.
Ah, et puis Mme Kälin est aussi «engagée pour l’égalité entre les sexes», même si, hélas, «pour les médias, [s]on rapport avec l’islam semble plus important». Elle n’a peut-être pas encore compris qu’il fallait choisir entre les deux…
Enfin, cerise sur le gâteau, la jeune Mme Kälin profite d’un «portrait» que lui consacre Le Temps du 13 octobre pour affirmer haut et fort que «les forces progressistes ont trop longtemps laissé ce thème [la formation des imams] à l’UDC, qui en fait un sujet d’exclusion.»
C’est vrai: quoi de mieux que les «forces progressistes» pour assurer l’inclusion d’une idéologie de la régression?
Les écolos nous promettaient une suisse verte. Vont-ils enfin tenir leur promesse?
PS — Irène Kälin a été «providentiellement» propulsée sous la Coupole suite au «dérapage» de son prédécesseur Jonas Fricker, qui avait comparé le transport des cochons d’élevage avec celui des Juifs sous l’Holocauste. Circonstance à méditer.
log.antipresse.net. La bêtise humaine n’a pas fini de nous surprendre.
Pain de méningesUne pensée-émoticône
«Or, le Journaliste est de gauche, précisément par la dimension morale qu’il associe à son travail et qui se traduit par une forme — en réalité plutôt timide — de ce qu’on appelle souvent le progressisme. En fait, comme il est très vulnérable au pouvoir des mots, le Journaliste a peur de se retrouver dans le camp des réactionnaires ; en ce sens, tout changement le séduit dès lors qu’il est présenté par ses défenseurs comme une évolution nécessaire et un progrès. Pour autant, le Journaliste n’est pas un révolutionnaire : les idées trop radicales lui font peur et il ne peut adhérer à une cause que si cela lui permet d’avoir bonne conscience. Il est une proie facile pour les groupes de pression partisans du changement permanent ; c’est en ce sens que la qualification d’idiot utile lui sied assez bien. En effet, s’il a peur d’être à la remorque de l’histoire, sa conscience est encore très archaïque, marquée par les catégories de la morale ancienne dont le trait saillant est une vision tout à fait binaire du monde. Un conflit géopolitique ne fait la une de l’actualité qu’autant qu’on peut lui appliquer cette lecture manichéenne des choses ; on pourrait parler de pensée-émoticône, par référence aux petites têtes jaunes souriantes ou tristes qui illustrent les messages électroniques. Dès que les gentils apparaissent tant soit peu comme des méchants et les méchants comme des victimes, l’affaire disparaît presque totalement du paysage médiatique ou n’y subsiste que sous la forme du ronron quotidien sans étayage critique ni analyse de fond.
— Ingrid Riocreux, La Langue des médias, p. 68
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