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mercredi 1 novembre 2017

Rémi Bourgeot : « Partout en Europe, nous assistons à la réaffirmation des États »./ Rémi Bourgeot: " everywhere in Europe, we attend the reaffirmation of States ".

dimanche 29 octobre 2017


source : http://l-arene-nue.blogspot.be/2017/10/remi-bourgeot-partout-en-europe-nous.html






Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il a poursuivi une double carrière de stratégiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur la zone euro et les marchés émergents pour divers think tanks. Concernant la zone euro ses études traitent des divergences économiques, de la BCE, du jeu politique européen, de l’Allemagne et des questions industrielles. Catalogne, pays de l'Est, Brexit, Allemagne : il revient sur tout cela aujourd'hui sur L'arène nue


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La situation est incertaine en Espagne et devient dangereuse. Le Parlement catalan a voté vendredi dernier l'indépendance. Madrid a a répondu en annonçant la mise sous tutelle de la région, conformément à l’article 155 de la Constitution espagnole. Quelles pourraient être, pour l'Europe, les conséquences de la dislocation d'un de ses États membres ? L'UE peut-être aider à régler la crise catalane ?

La crise catalane renvoie à un risque existentiel pour l’Union européenne. Alors que l’UE a été vue historiquement comme un soutien des divers régionalismes, cette crise représente la limite absolue à cette approche. Quoi que l’on pense de la gestion littéralement désastreuse de Mariano Rajoy, ou des revendications catalanes, une UE qui encouragerait, près du point de rupture, l’éclatement d’un de ces grands États membres, s’aliénerait la quasi-totalité des États et ferait face à une situation de blocage fondamentale. L’UE est une construction internationale qui repose sur la participation volontaire de ses membres. Cette réalité est de plus en plus apparente depuis la crise. Ce constat est évidemment paradoxal si l’on a, par exemple, à l’esprit les programmes d’austérité. En réalité,, toutefois marquée par les lourds déséquilibres qui affectent les relations entre États, en particulier autour de la puissance allemande. 

L’UE a été le cadre de développement de ces déséquilibres qui s’avèrent d’autant plus extrêmes une fois que l’illusion d’un dépassement institutionnel des États se défait. Il n’est donc guère surprenant que l’UE soit la grande absente de la crise catalane. Ce non-soutien a douché les espoirs des indépendantistes catalans qui imaginaient transformer la Catalogne en une sorte de région à nu dans l’UE, en dépassant ce qu’ils considèrent comme un simple échelon madrilène. Sans soutien d’une UE dont le pouvoir politique apparaît de plus en plus comme inexistant en dehors du jeu interétatique (certes déséquilibré), la sécession catalane est impossible… sauf à accepter de plonger dans une forme ou une autre de chaos légal et économique. La Catalogne n’appartiendrait plus à l’UE et aurait les pires difficultés à rejoindre le club. Pro-européenne, elle chercherait à conserver l’euro mais se verrait formellement exclue de l’union monétaire en même temps que de l’UE et se retrouverait donc à utiliser la monnaie unique sur une base légale très faible, au même titre que le Kosovo ou le Monténégro.

Le cas catalan renvoie à un itinéraire historique particulier mais illustre un certain type d’instabilité politique. Il s’agit de la tendance plus générale à la désagrégation des États, les régions les plus riches s’émancipant progressivement de leur appartenance nationale en se représentant plus libre dans un cadre plus large et plus abstrait. Christopher Lasch avait justement relevé ce phénomène à la fin de sa vie, au début des années 1990, en évoquant notamment le cas de la Californie qui rêvait d’une forme d’émancipation dans le cadre de la mondialisation, par son appartenance économique au « Pacific Rim ». La crise politique que traversent nos sociétés dépasse le cadre du populisme et s’ancre davantage dans une remise en question des cadres étatiques qui ont, depuis plus de quatre décennies, organisé leur propre délitement.

Tout autre pays, tout autre type de manifestation identitaire : un parti populiste de droite hostile à l'immigration (ANO) a remporté la victoire aux élections législatives tchèques du 21 octobre. Une semaine auparavant, le très conservateur Sebastian Kurz gagnait les élections autrichiennes, et entreprend actuellement de former une coalition avec le parti de droite radicale FPÖ. Pourquoi cette épidémie de revendications identitaires à l'Est de l'Europe ? 

La thèse défendue, au lendemain de l’élection d’Emmanuel Macron, selon laquelle la vague populiste incarnée par Donald Trump et les partisans du Brexit se serait échouée sur les côtes de l’Europe continentale, n’aura pas tenu longtemps. La remise en cause du statu quo politique est en train de devenir une réalité où que l’on regarde en Europe, mais cette tendance prend des formes bien différentes d’un pays à l’autre. Les développements politiques qui touchent l’Europe centrale paraissent d’abord surprenants si l’on cherche à expliquer le populisme par une lecture quelque peu simpliste des chiffres de croissance économique ou par la seule question de la relégation des classes populaires. Si cette ligne d’analyse permet assez bien d’expliquer l’essor des mouvements populistes en France, au Royaume-Uni ou aux États-Unis, le cas de l’Europe centrale est de nature assez différente, tout comme celui de l’Allemagne. 

Les pays d’Europe centrale issus du bloc communiste ont tendance à rester bloqués à des niveaux de développement plus bas que ceux d’Europe occidentale mais l’ampleur du chemin économique parcouru ces deux dernières décennies ne fait aucun doute et ils ont, de plus, tendance à jouir de taux de chômage plutôt limités. La République tchèque que vous évoquez, connaît même une situation proche du plein emploi, et, sur le plan financier, fait office sur les marchés mondiaux de havre de stabilité, de « safe haven » alternatif, comme une sorte de Suisse d’Europe centrale. D’ailleurs, n’oublions pas que la riche Suisse a été précurseur en matière de populisme de droite visant le pouvoir, avec le SVP/UDC de Christoph Blocher qui, tout comme l’américain Donald Trump ou le tchèque Andrej Babiš, est chef d’entreprise et milliardaire.

Si les bénéfices économiques de leur intégration à l’Union européenne sont apparus comme assez évidents à la Tchéquie et à ses voisins d’Europe centrale, notamment dans le cadre de leur rattrapage économique et des fonds structurels versés aux nouveaux États-membres, les nombreuses implications de la participation à l’UE y paraissent plus problématiques. Il est évident que, pour ces pays, la question de l’abandon de pans de leur souveraineté est, pour des raisons historiques notamment, particulièrement sensible, et alimente une réaction identitaire souvent épidermique voire  brutale. 

Sur la question même de la « success story » économique, il convient tout de même de souligner les limites de leur rattrapage qui a essentiellement consisté en une intégration à l’appareil industriel allemand. La sous-traitance est un puissant outil de rattrapage économique mais ce phénomène connaît, dans la quasi-totalité des pays émergents, une limite intrinsèque qui conduit en général à un pallier dans le développement. Le modèle de sous-traitance nourrit par ailleurs une frustration liée à une structuration économique et sociale qui ne s’ancre pas dans la conception et qui ne mobilise pas la créativité du pays. 

En somme, il existerait un type de frustration identitaire lié à un modèle de croissance économique peu valorisant et devant tout à l'extérieur (ici, à l'Allemagne) ?

Oui. Les gouvernants qui se contentent de jouer la petite musique de l’adaptation bureaucratique au marché unique ou à la mondialisation suscitent rarement une forte adhésion populaire au bout du compte, que cette approche économique produise un certain succès comme en Europe centrale ou une logique de délitement de l’appareil productif comme en France et en Italie. Le rattrapage économique est très souvent le résultat de l’imitation d’un modèle, comme cela fut d’ailleurs le cas des pays d’Europe occidentale suivant la révolution industrielle anglaise. Mais, même en suivant un modèle éventuel, le dépassement du simple cadre du rattrapage nécessite l’intégration de la conception et de la production. Un pays comme la République tchèque a une longue histoire industrielle derrière lui, et était bien plus industrialisé et productif que le bloc communiste dans son ensemble. Ce qui y nourrissait une grande fierté.

Le type de rattrapage des deux dernières décennies, écrit d’avance et connaissant par ailleurs de nombreuses limites, si ce n’est un plafond de verre, a un caractère débilitant lorsqu’il ne s’accompagne pas d’un véritable projet national, et l’on peut à cet égard comprendre le vertige économique de ces pays dans le cadre de l’Union européenne. Toutes les modalités de croissance économique ne se valent pas. Alors qu’il est évident que l’Union européenne souffre de l’absence de projets de coopération viables, les États aussi ont eu tendance à se vider de leur substance dans le cadre de cette simple logique d’allocation du capital productif à l’échelle européenne et mondiale. 
La dimension identitaire de ces développements politiques est préoccupante mais peu surprenante. Nous sommes témoins de l’effondrement de l’illusion quant au dépassement des États-nations. Non seulement pour les pays qui connaissent un délitement économique mais aussi pour ceux qui ont connu un extraordinaire rattrapage, comme les anciens pays du bloc communiste, ou ceux qui affichent une solide prospérité comme l’Autriche, qui n’a rejoint l’UE qu’en 1995 une fois que la disparition de l’URSS l’y a autorisée, ou comme la Suisse qui, bien qu’à l’écart de l’appartenance formelle à l’UE, y est largement intégrée. 

Et la question migratoire alors ? La république tchèque n'a pratiquement pas reçu de « migrants ».... 
Il n’est pas très surprenant de voir, dans ce contexte, une partie de l’électorat de ces pays se focaliser sur la figure de l’immigré, que l’immigration y soit importante ou très faible. Si le mouvement historique de dépassement des États a neutralisé la capacité de mobilisation positive des peuples européens, il semble que des tendances plus sombres lui aient au contraire survécu. Bien que l’on puisse aborder les questions d’immigration de façon apaisée, il convient de ne pas prendre à légère ces obsessions identitaires et leurs conséquences, qui nous dépassent forcément. Nous ne revivons probablement pas les années trente, mais le type de vide politique qui apparait à tous les étages de la structure européenne engendre rarement vertu et raison. Cette réalité s’applique aussi bien aux Etats, qui pensaient s’en remettre à l’Europe pour à peu près tout et à une mondialisation prétendument heureuse, qu’à la bureaucratie européenne elle-même.

En tout état de cause, l’idée de vouloir sauver les meubles en divisant l’Europe centrale entre pro-européens (République tchèque, Slovaquie…) et eurosceptiques (Pologne, Hongrie) est inefficace car erronée dans ses prémisses, comme le montre justement le résultat de l’élection tchèque. Il est, dans tous les cas, trop tard désormais pour ce type de stratégie. Si les pays de ce que l’on appelle le groupe de Visegrád   suivent effectivement des tendances politiques assez différentes, la remise en cause du cadre européen y est commune et profonde. A vouloir stigmatiser à tout prix la critique de l’UE chez les membres les plus récents, on ne fait que donner du sens à une sorte de front commun de ces pays et surtout on y légitime les tendances politiques les plus néfastes. 

Les responsables européens devraient renoncer à l’instrumentalisation de cette « nouvelle Europe » et s’attaquer à la question essentielle du rééquilibrage du continent, du point de vue politique et économique. Les dérives politiques qui mettent en danger l’État de droit doivent être dénoncées. Mais les stratégies de stigmatisation de l’euroscepticisme en tant que tel sont vouées à l’échec. 

Le Brexit semble bien mal engagé. Pourquoi le processus de séparation de la Grande-Bretagne et de l'Union avance-t-il aussi peu ? Qui bloque ? Les Britanniques ? Les États membres de l'UE ? Pensez-vous, comme l'a récemment affirmé l'ancien ministre grec Yanis Varoufakis que le couple franco-allemand ne souhaite pas une véritable réussite des négociations mais veuille au contraire faire un exemple en rendant les choses difficiles aux britanniques ?

L’analyse de Yanis Varoufakis est intéressante et parfois même savoureuse, du fait de sa connaissance intime du cadre des négociations européennes, mais elle est limitée par une forme d’incohérence. Il ne cesse de démontrer sa compréhension du cadre inégalitaire qui organise les relations entre États au sein de l’Union européenne, mais il semble n’y reconnaître que deux échelons, celui d’hegemon et celui de dominion. Il ne fait aucun doute que la Grèce a exploré tous les aspects imaginables de cette dichotomie dans le cadre des plans d’aide. Mais les choses ne sont, en temps de crise, pas si simples ou binaires pour les grands pays. Autant la dépression grecque était un sujet d’importance parfaitement mineure pour l’Allemagne, autant la question du Brexit est tout de même d’un autre ordre.

L’instauration de barrières douanières entre le Royaume-Uni et l’UE, dans le cadre de l’OMC, n’aurait pas de conséquences économiques catastrophiques pour l’Allemagne, malgré son excédent bilatéral d’environ 50 milliards d’euros (86 milliards d’exportations contre 36 milliards d’importations…) avec Londres. Cela serait tout de même problématique pour l’industrie automobile, parmi d’autres secteurs. Dans le cadre politique allemand et de ses règles tacites, la chancelière n’a pas de mandat pour pénaliser délibérément un secteur phare de l’économie nationale à des fins politiques. Même dans le cas des sanctions contre la Russie, on a fini par voir les responsables économiques se manifester et rendre la position allemande ambivalente. 

L’UE souffrirait moins que le Royaume-Uni de l’instauration de barrières douanières mais il est évident que cela serait problématique pour un certain nombre de secteurs qui exportent massivement vers le Royaume-Uni. Plus encore, le commerce entre le Royaume-Uni et l’UE se fait très largement entre entreprises d’un même secteur dans le cadre de chaînes de valeur intégrées. L’instauration de barrières douanières dans ce cadre, tout comme l’addition d’une couche supplémentaire de bureaucratie, affecteraient ces secteurs de façon sensible. Par ailleurs, certains pays comme la Belgique et les Pays-Bas sont encore plus orientés vers le Royaume-Uni et souffriraient bien plus que l’UE prise dans son ensemble.

Alors oui, on entend beaucoup à Paris l’idée qu’un Brexit chaotique, sans accord, servirait d’exemple. Mais dans la plupart des pays européens, l’intérêt économique jouit encore d’une certaine priorité, et c’est notamment le cas en Allemagne, même si cette question n’y a pas d’implication macroéconomique majeure. 

Côté britannique, le principal problème réside aujourd’hui dans la faiblesse politique de Theresa May à la suite des élections générales désastreuse du moi de juin. La Première ministre ne jouit pas d’un véritable mandat pour négocier une nouvelle relation avec l’UE. Elle fait par ailleurs face à la fronde au Parlement des députés les plus pro-européens des deux bords, qui veulent s’assurer d’avoir leur mot à dire non seulement sur l’accord final mais aussi sur la possibilité de l’absence d’accord. Dans la réalité, l’idée d’un accord est de plus en plus ancrée de tous les côtés et les dirigeants des divers États membres sont pressés d’entamer les négociations sur la question commerciale. Évidemment, ceux-ci souhaitent aussi récupérer une partie de l’activité de la City et souhaiteraient donc un accord qui présente d’importantes contraintes pour le Royaume-Uni, en échange d’une limitation de l’immigration européenne.
Reste que l’idée d’encourager d
élibérément un véritable échec final des négociations est éloignée de la réalité. Le cadre fixé dans le cadre de la Commission est inefficace, et naturellement cette inefficacité en partie volontaire peut servir à orienter l’accord final. Des négociations chaotiques peuvent permettre de finir par mettre un accord sur la table, côté européen, et de négocier de simples amendements avec les Britanniques, qui seraient prétendument soulagés d’échapper à une forme de rupture et surtout à l’incertitude. Il semble ainsi que des brouillons d’accord commercial circulent entre ministères à Berlin. 

Le déraillement des négociations, dans le cadre caricatural qui a été fixé à Michel Barnier, a révélé les inquiétudes de divers États européens autant que la forme de chaos qui règne à Westminster et empêche les Britanniques de développer une véritable stratégie.

Et le couple franco-allemand, alors ? Existe-t-il toujours ? Emmanuel Macron poursuit Angela Merkel de ses assiduités mais cette dernière semble plutôt occupée à monter sa coalition « jamaïque ». Les projets de Macron de relance quasi-fédérale de l'Europe vous semblent-ils réalistes une fois cette coalition formée, où sont ils iréniques ?

Les projets d’Emmanuel Macron pour une réforme de la zone euro vont dans le sens du « gouvernement économique européen » dont rêve l’élite française depuis la conception de l’euro, malgré le rejet catégorique de l’Allemagne qui se focalise pour sa part sur le respect de simples règles budgétaires, par la contrainte. Cependant, même sur ce seul plan économique, les projets du Président français font l’impasse sur la question de la coordination macroéconomique qui est en réalité encore plus importante que celle du dispositif institutionnel. Si l’on a à l’esprit l’absence complète de coordination macroéconomique, l’Allemagne étant engagée dans une longue phase de désinvestissement visant à la maximisation de l’excédent budgétaire, on comprend que l’idée, encore bien plus ambitieuse, d’une sorte de fédéralisation de la zone est parfaitement exclue en Allemagne. Et c’était déjà le cas dans le cadre de la coalition sortante entre la CDU/CSU et le SPD. Le SPD et la myriade d’experts proche du parti assuraient le service après-vente fédéraliste de la politique de Mme Merkel, mais n’orientaient pas concrètement celle-ci dans ce sens.

Les élections allemandes de cet automne, avec l’entrée dans la coalition du FDP et l’arrivée massive de l’AfD au Bundestag aggravent cette réalité et la révèlent aux yeux du monde. L’élection d’Emmanuel Macron a, pendant quelques semaines, nourri l’idée d’une convergence de vues entre les dirigeants français et allemands, mais il n’y avait quasiment aucune réalité derrière ces affirmations, bien qu'elles semblaient faire consensus non seulement en Europe mais un peu partout dans le monde, de façon assez étonnante. 

Ce que l’on a appelé « couple franco-allemand » dans l’après-guerre n’existe plus depuis le début des années 1990. D’un côté la réunification allemande et l’intégration économique de l’Europe centrale ont changé en profondeur la place et le poids de l’Allemagne en Europe. De l’autre, les dirigeants français se sont empressés de se débarrasser de leurs prérogatives économiques, vues comme écrasantes, en imposant l’idée de l’euro aux Allemands, en échange d’un soutien à la réunification. Il n’y a jamais eu de couple franco-allemand parfait, symbiotique. Mais les mandats de Gerhard Schröder, bien qu’officiellement pro-européen et social-démocrate, ont changé en profondeur le rapport de l’Allemagne à la France et à l’Europe, quand simultanément la France parachevait son grand rêve bureaucratique d’abandon de ses responsabilités économiques. 

Le discours de la Sorbonne d’Emmanuel Macron a souvent été vu comme une grande feuille de route pour l’Europe, mais il semblait davantage prendre acte de la divergence de vue avec l’Allemagne sur les sujets les plus cruciaux comme l’euro, bien qu’il existe une certaine convergence sur d’autres sujets extérieurs.

Dans un entretien donné au Figaro, le philosophe Pierre Manent expliquait récemment : « L'Allemagne se trouve aujourd'hui dans la situation nationale la plus favorable où elle se soit jamais trouvée. Elle exerce sur l'ensemble européen une hégémonie qui est acceptée et souvent appréciée ». On sent pourtant un malaise dans ce pays, ainsi que l'ont montré le bon score de l'Afd aux élections du 24 septembre et le virage souverainiste des libéraux du FDP comme vous venez de le dire. Pourquoi ce malaise ?

Le vote AfD reste lié aux couches populaires, en particulier de l’Est. Mais le phénomène est plus complexe puisque le parti reprend en fait, en amplifiant la dimension eurosceptique, la grammaire économique ordolibérale. Il ne s’agit donc pas, en tant que tel, d’un relais économique de classes populaires sous pression, puisque le parti peut difficilement être vu comme défendant leurs intérêts. Même sa critique de l’euro, qui était la marque de fabrique du parti à sa création, suivait plutôt une ligne technocratique, à coup de dénonciations du système « Target 2 » (qui régit les flux entre banques centrales nationales dans le cadre de l’Eurosystème) qui fait l’objet d’une obsession maladive chez les eurosceptiques allemands. A l’origine, la ligne du parti semblait plutôt relever d’une sorte d’extrapolation des positions économiques allemandes traditionnelles. La crise des migrants a changé le cœur thématique du parti à partir de 2015. Si le manque de concertation dans les décisions du gouvernement d’Angela Merkel a été critiqué bien au-delà des cercles de l’extrême droite, l’AfD a alors affirmé un ancrage idéologique plus radical.

L’AfD participe de la montée d’un discours nationaliste qui, bien que minoritaire, dépasse le cadre sociologique de ce parti. On a vu au cours des derniers mois, un ouvrage révisionniste et antisémite, Finis Germania de Rolf Peter Sieferle, un historien et ancien conseiller du gouvernement pour l’environnement qui a mis fin à ses jours l’an passé, devenir un best-seller et susciter des prises de position contrastées, parfois complaisantes, au sein de l’establishment littéraire. Bien que l’élite médiatique ait fini par condamner cet ouvrage, dont l’auteur prétendait vouloir donner un sens non-négationniste à une expression telle que « mythe de la Shoah », le débat autour du livre a illustré la crise identitaire qui accompagne notamment la renaissance d’une extrême droite de masse, organisée politiquement.

L’AfD n’est pas un parti néonazi et, bien que nationaliste, ne s’inscrit pas dans l’environnement idéologique du fascisme, ne serait-ce que par sa conception limitée des prérogatives étatiques. Mais il encourage délibérément, notamment en son sein, une libération de la parole et une dédiabolisation de discours pour le moins ambigus sur le Troisième Reich, et l’utilisation de termes à connotation national-socialiste au sujet des immigrés (comme « Überfremdung » pour décrire la prétendue submersion des allemands de souche).

Par ailleurs, la notion de souveraineté a, en allemand, une forte connotation ethnique qui diffère de la conception française (bien que « Souveränität » ait évidemment une étymologie française). Cette différence se reflète également dans le sens donné à la nation, qui s’applique historiquement en France à un ensemble très hétérogène autour d’un projet étatique et d’un modèle de citoyenneté. Si certains philosophes comme Habermas, ont cherché à développer une orientation ouverte, plus politique, de la vision allemande dans le cadre notamment d’un dépassement européen, il convient de constater qu’ils ne sont finalement guère parvenus, malgré leur prestige académique, à orienter les conceptions nationales dans le sens résolument européen qu’ils avaient à l’esprit.

On constate, jour après jour, en Allemagne et ailleurs, le décalage entre les focalisations nationales et l’affichage rhétorique de la croyance en leur dépassement. Cette confusion produit des conséquences plus ou moins nocives selon les pays, mais elle va, dans tous les cas, à l’encontre d’une véritable coopération européenne. 

L’Europe a tellement investi, à tous points de vue, dans la mise en avant de la vision fédérale qu’elle est aujourd’hui paralysée par une crise intellectuelle et même sociologique qui empêche de dessiner la voie d’un nouveau mode de coopération. Au lieu d’un nouveau modèle, nous voyons l’ancien dégénérer en une superposition de crises identitaires nationales, dont il serait imprudent de se réjouir.


vendredi 13 octobre 2017

jeudi 26 octobre 2017

Catalans et flamands, même combat ?

Catalogne : ce que la crise nous apprend sur l’indépendantisme, l’État espagnol et la construction européenne



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La crise entre les dirigeants espagnols et catalans ne s’apaise pas. Le Premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, refuse tout dialogue et menace de prendre le contrôle direct sur la région. Les dirigeants européens soutiennent tacitement la répression. Le dirigeant catalan Puigdemont, de son côté, a organisé un référendum très discutable. Dans un jeu tactique, il a fait une déclaration d’indépendance, qu’il a de suite suspendue. Faut-il choisir entre l’autoritarisme de l’État espagnol et de l’Europe et l’indépendantisme ?

 

La droite espagnole exacerbe les tensions nationalistes


Le premier responsable de l’escalade nationaliste est Mariano Rajoy, Premier ministre conservateur du gouvernement espagnol. Sa responsabilité ne se limite pas à l’utilisation de matraques et balles en caoutchouc lors du référendum catalan. Depuis 2010, Rajoy et son Parti populaire (PP) refusent toute négociation sur l’avenir de la Catalogne. Le conflit s’était précisément aiguisé après l’annulation par la Cour constitutionnelle, sur demande du PP, d’un accord sur plus d’autonomie pour la Catalogne. La police a arrêté des fonctionnaires catalans et perquisitionné des sièges de journaux. Face à cette attitude autoritaire, les indépendantistes catalans ont gagné en soutien.
Si Rajoy semble avoir tout fait pour renforcer les tensions, c’est qu’il a cru pouvoir tirer profit de ce conflit. Il est en effet en position fragile : son gouvernement n’a pas de majorité au parlement espagnol et dépend du soutien des sociaux-démocrates du PSOE. À titre personnel, Rajoy est fortement impliqué dans des scandales de corruption. Fin juillet, il est devenu le tout premier Premier ministre espagnol à devoir témoigner devant un tribunal. Pendant qu’il était vice-président du Parti populaire (PP), 37 personnes auraient été impliquées dans une pratique de pots-de-vin en échange de contrats juteux, avec détournement de fonds publics à la clé. Pour le Parti populaire, ce n’était que l’énième scandale de corruption.
Ainsi, pour Rajoy, attiser les tensions en se profilant comme le « sauveur de l’unité de la patrie » a donc son utilité. Pablo Iglesias (Podemos) synthétise la contradiction sur Twitter : « Les corrompus du PP libres. Les indépendantistes catalans en prison. »

Puigdemont, meilleur ennemi de Rajoy


Rajoy a trouvé un « meilleur ennemi » dans Carles Puigdemont, président de la région catalane. Pendant que Rajoy se prétend le garant de l’unité de l’Espagne, Puigdemont se présente en valeureux champion des Catalans contre Madrid. Avec sa coalition, il a présenté l’indépendance catalane comme la seule réponse au mécontentement social et démocratique en Catalogne.
En réalité, soutenus entre autres par les grandes banques catalanes, Puigdemont et ses alliés ne cherchaient pas vraiment à tout prix à obtenir l’indépendance. Ils voulaient surtout l’utiliser comme monnaie d’échange pour obtenir plus de pouvoirs fiscaux. L’idée était de réduire les contributions de la riche région catalane à la solidarité avec les autres régions espagnoles, permettant d’augmenter les bénéfices des banques et grandes entreprises catalanes.
En revanche, l’amélioration des conditions de vie des travailleurs catalans est loin d’être leur priorité. Par exemple, en Catalogne, la situation dans les hôpitaux est terrible. Puigdemont se dédouane en pointant du doigt Madrid, mais c’est son très catalan prédécesseur, Artur Mas, qui a en diminué de 20 % en cinq ans les dépenses publiques en Catalogne. Pendant que les hôpitaux et les écoles perdaient des milliers de postes de travail, les rangs de la police catalane grossissaient. Puigdemont et ses compagnons sont donc directement responsables de la situation sociale en Catalogne. Ils ne font qu’instrumentaliser la question nationale pour cacher les conséquences de leur politique.
Cela explique aussi en partie pourquoi la coalition de Puigdemont a fait passer la loi sur le référendum sans véritable débat, ni textes préparés, par un simple changement d’ordre du jour. Un débat aussi important que la fondation d’un nouvel État mériterait pourtant un large débat au sein de la société catalane et espagnole.

La droite catalane entre scandales et austérité


Les parallèles entre Rajoy et Puigdemont ne s’arrêtent pas ici. Tout aussi conservateur et de droite que Rajoy, Puigdemont espère sans doute aussi se promouvoir. Son parti ne dispose pas non plus d’une majorité au parlement catalan. La droite nationaliste catalane est, en revanche, elle aussi, impliquée dans de nombreux scandales de corruption, comme l’a relevé le journal français l’Humanité. Les concessions de travaux publics, comme pour le Palais de la Musique à Barcelona, auraient été échangées pour des dons au parti de la droite catalane.
Afin de ne pas payer l’impôt, un prédécesseur de Puigdemont a en plus caché une partie de son patrimoine à l’étranger. Une enquête a aussi été ouverte par rapport aux irrégularités et soupçons de corruption autour de l’entreprise des eaux de Gironne, dont Puigdemont, en tant que bourgmestre, aurait pu être au courant. Parmi les possibles bénéficiaires de l’argent ? Le parti de la droite catalane.
L’exacerbation des tensions nationalistes permet en plus à la droite de d’éviter le débat sur l’austérité, qui a mobilisé des millions de citoyens à travers la péninsule ibérique. Aux élections, la droite indépendantiste utilisait des arguments sociaux afin de convaincre les Catalans de voter pour l’indépendance. Ni Rajoy, ni Puigdemont ne remettent en question les programmes d’austérité qui ont causé une crise sociale énorme en Espagne. Pendant que le débat public tourne autour de l’avenir de la Catalogne, des incendies criminels détruisent des forêts entières, et l’augmentation du chômage en septembre passe inaperçu.

De l’escalade nationaliste à l’unité sociale ?


La gauche en Espagne et en Catalogne se trouve face à un dilemme. Ni Rajoy, ni Puidgemont n’offrent la moindre perspective. En plus, plutôt que de chercher une alternative, le parti social-démocrate espagnol PSOE soutient Rajoy. Comment gagner dans de telles circonstances ?
Les propositions alternatives ne manquent pas. Certains parlent de république fédérale. D’autres veulent offrir des espaces de dialogue et garantir un référendum avec des garanties démocratiques. De telles solutions doivent passer par un vrai débat national. Un débat sur les questions de territoire, où les urgences sociales sont au centre du jeu.
Partout en Espagne, la gauche s’est d’abord mobilisée contre la répression, montrant aux Catalans qu’ils ne sont pas seuls : « Catalunya no está sola.» Pour eux, l’Espagne, ce ne sont ni Rajoy, ni la monarchie, ni les héritiers du dictateur Franco.
Pour sortir la population de la crise et affronter l’Union européenne, ils savent qu’ils devront s’unir afin de permettre aux gens de se réapproprier la démocratie. La bourgmestre progressiste de Barcelone, Ada Colau, condamne durement la répression de Rajoy. En même temps, pendant qu’elle se bat pour augmenter les dépenses sociales, elle souligne qu’une déclaration unilatérale d’indépendance n’aiderait personne.
Il faut dire que, tant qu’un pays accepte les dogmes du marché, il sera en effet obligé de rentrer dans la folle course de la concurrence et de la compétition. Une éventuelle Catalogne indépendante devra alors se mesurer non seulement avec l’Espagne, mais aussi avec l’Union européenne, un puissant bloc économique juste à ses frontières. Des centaines d’entreprises ont déjà, par précaution, quitté la Catalogne. Dans un tel contexte, la droite catalane exigera sans doute une modération salariale encore plus forte au nom de la compétitivité. D’autant plus qu’économiquement, la Catalogne est fortement liée à l’économie espagnole et européenne. Le paradoxe est donc que plus d’indépendance peut impliquer moins de pouvoir décisionnel, comme l’affirmait l’économiste Paul de Grauwe récemment.
Certains espèrent qu’une Catalogne indépendante pourrait rompre avec la logique du marché et de la concurrence. Cependant, cela demanderait un changement énorme dans les rapports de force actuels au sein de la Catalogne. La nouvelle république se trouverait alors isolée au milieu de pays hostiles. Aujourd’hui déjà, la droite espagnole évoque la mise sous tutelle de la Catalogne, avec possible intervention militaire.
Briser le pouvoir des multinationales dans une région de 7 millions de personnes signifierait entrer en conflit non seulement avec l’État espagnol, mais aussi la France, l’Allemagne et l’Union européenne. La crise grecque de 2015, quand les États européens ont étranglé le gouvernement d’Alexis Tsipras, a donné un avant-goût des pressions politiques qui s’exerceraient sur une telle expérience. Sans soutien d’un large mouvement populaire en Espagne, et même en Europe, une telle expérience semble tout bonnement intenable.
La crise catalane met à jour les limites de la démocratie actuelle. La corruption et l’austérité poussent la droite à favoriser le nationalisme. La social-démocratie suit. Le refus du dialogue est inacceptable. Face à l’autoritarisme de l’État espagnol et de l’Union européenne, il y a l’opportunité d’une large mobilisation. Loin des mauvaises instrumentalisations politiques, c’est par elle que passera l’avenir de l’Europe.

Source: Solidaire

Le rôle de l’establishment européen


L’opportunisme et les mauvais calculs politiques de deux dirigeants de droite ont donc fortement contribué à l’escalade actuelle. Le roi d’Espagne a encore jeté de l’huile sur le feu. Il n’a pas montré le moindre respect pour les demandes démocratiques des gens. Quant aux dirigeants européens, ils n’ont pas fait mieux : pendant que la Guardia Civil tabassait des participants catalans, ils se sont tus de Berlin à Paris. Emmanuel Macron s’est ensuite rangé inconditionnellement derrière Rajoy. Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne, a même parlé d’usage proportionné de la force. Pour le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, il s’agissait d’une affaire intérieure espagnole. Une considération qui semble ne pas valoir pour tous ces pays d’Afrique, d’Amérique latine ou d’Asie à qui l’Union européenne aime faire la leçon…
Le courant majoritaire de l’establishment européen défend le modèle des États-nations intégrées dans un super-État européen. Ce courant ne veut pas ouvrir la boîte de Pandore du séparatisme, car d’autres régions s’y engouffreraient. Ceci pourrait alors mener à des luttes internes centrifuges au sein de l’Europe. En même temps, il existe aussi un courant au sein de l’establishment européen qui défend une Europe des Régions sur base « ethnique » ou linguistique. Une telle Europe affaiblirait certains grands États actuels au profit de… l’Allemagne et de l’État européen.
Ce deuxième projet est par contre encore jugé trop déstabilisateur, ce qui fait que, pour l’instant, l’establishment soutient Rajoy. Ce soutien montre le type d’Europe qu’ils sont en train de construire. De la violence économique contre les Grecs à la violence politique contre les Catalans, l’élite européenne a un grand problème de légitimité, comme le synthétisait le président du PTB Peter Mertens lors d’un débat sur l’avenir de l’Europe. Si Charles Michel a été le seul chef de gouvernement à condamner la violence, il ne compte pas moins continuer à construire l’Union européenne avec ces personnages.


source : http://www.investigaction.net/fr/catalogne-ce-que-la-crise-nous-apprend-sur-lindependantisme-letat-espagnol-et-la-construction-europeenne/

Catalogne : entre mirage et réalités



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Après 7 ans de mobilisations et de publicité, le processus indépendantiste de la Catalogne a atteint au moins l’un de ses objectifs : la question est prise en considération dans le monde entier, obligeant les uns et les autres à se positionner. Pour ou contre l’indépendance ? La répression calculée du gouvernement espagnol a paradoxalement offert une publicité inespérée au processus indépendantiste. Processus qui soulève aujourd’hui un florilège d’émotions et de sentiments variés. Avec notamment la noble défense de la démocratie et celle du droit à l’autodétermination des peuples. Mais aussi la poussée d’un nationalisme excluant et la crainte d’ouvrir une boîte de Pandore qui provoquerait une réaction en chaîne des autres mouvements indépendantistes à l’échelle européenne. Aborder cette affaire catalane à la lumière des rapports de classes permet d’en saisir les enjeux fondamentaux.

La Catalogne tente de transformer sa confrontation avec le gouvernement central en une affaire européenne. Rien d’étonnant. Dès les premières manifestations de grande ampleur, l’ensemble des forces politiques et de la société civile affichaient cette volonté. Le 11 septembre 2012, jour de la fête nationale catalane, le principal slogan était : « Catalogne, nouvel État d’Europe ». C’est donc en toute logique que de nombreuses personnes ont salué le mouvement indépendantiste catalan. Ils y voyaient une occasion de relancer la machine démocratique dans une Union européenne de plus en plus critiquée. Depuis la crise économique de 2008 particulièrement, cette Union est divisée entre bons et mauvais élèves. D’un côté, les fondateurs de l’UE qui constituent son moteur économique. De l’autre, les fainéants. Le Portugal, l’Irlande, la Grèce et l’Espagne étaient pointés comme des boulets et qualifiés de manière humiliante : « PIGS » (cochons en anglais). À coups de crédits et de mesures d’austérité, les banques ont pu sauver leurs billes chez les mauvais élèves de l’UE. Mais la vie des Grecs ou des Espagnols ne s’est pas améliorée pour autant.

Une Catalogne indépendante viendrait-elle changer la donne ? Il ne faut pas se leurrer. Le gouvernement catalan mène des politiques antisociales depuis de longues années. Il a ainsi détruit le système public de santé et n’a rien fait pour protéger les travailleurs de la crise économique. Cette Catalogne-là ne va pas relancer le processus démocratique au sein de l’Union européenne. Elle s’inscrit parfaitement dans le modèle préconisé par Bruxelles.


Les angles morts : souveraineté, abstention et nationalisme



Au-delà de la question européenne, le conflit entre les gouvernements de Catalogne et d’Espagne comporte plusieurs angles morts. Tout d’abord, les engagements de Barcelone envers l’Union européenne et l’Otan témoignent d’une vision commune de la société et du monde. Pourtant, le souverainisme national revendiqué dans les pays développés d’Europe apparaît difficilement comme une solution aux problèmes de l’économie mondialisée. Il relève plutôt de l’illusion. En effet, la véritable souveraineté doit être populaire et doit prendre comme priorité la remise en question des fondements du système économique. Un processus de changement réel doit voir plus loin que la seule revendication abstraite de la démocratie, qui est une revendication de forme. Un processus de souveraineté authentique dans les pays du nord en crise doit par conséquent porter en son sein une solidarité internationale envers les pays du sud exploités. Pour qu’une Catalogne vraiment souveraine et indépendante soit crédible, elle devrait s’engager contre le pillage et les guerres plutôt que de lancer des fleurs à Washington et à Bruxelles…(1)
Le deuxième angle mort, c’est l’abstentionnisme. Ces six années de processus pour l’indépendance ont vu une grande activité des autorités catalanes, la publicité des médias, plusieurs tentatives de référendum et des consultations à l’échelle municipale et régionale. Malgré les 2,2 millions de voix et le résultat en faveur du « Oui », une grande partie des Catalans n’a pas été convaincue par les arguments des indépendantistes, et la position abstentionniste reste très importante avec un taux 58%. Une position qui ne témoigne pas nécessairement d’une indifférence à l’égard des relations entre l’Espagne et la Catalogne. Le taux d’abstention reflète surtout l’impossibilité de construire en un temps record et dans une région très dynamique et ouverte au dialogue, un processus qui entraîne la division et la polarisation de la société sur une base identitaire.
Le nationalisme est d’ailleurs le troisième angle mort. Les droites catalane et espagnole ont imposé leur point de vue pour circonscrire le débat à la seule question de la souveraineté nationale. La remise en question du modèle sociale et économique était ainsi rendue marginale. Certes, la gauche catalane favorable à l’indépendance a considéré le processus comme une occasion de briser la chaîne de l’austérité et le statu quo qui règne depuis le retour de la démocratie en Espagne, en 1978. Mais en s’alliant à la bourgeoisie catalane qui défend la création d’un nouvel État, des nouvelles frontières et une nouvelle armée, la gauche a favorisé un discours nationaliste au détriment de ses propres propositions.
L’impact de ce discours a été largement sous-estimé. En effet, critiquée pour ses proximités avec l’élite catalane, une grande partie de la gauche s’est défendue de la pire manière possible et a pointé le nationalisme d’en face, le nationalisme espagnol. Cela devait relativiser les excès des forces nationalistes catalanes considérées comme des alliées, au-delà des rapports de classe. Mais la boule de neige risque de grossir et d’écraser la coexistence des peuples si on ne lui oppose pas une résistance assez tôt. Bien sûr, le parti populaire aux manettes du gouvernement espagnol a des relents nationalistes détestables qui trouvent ses racines dans l’histoire de la dictature franquiste. Les attaques du gouvernement central contre les institutions catalanes s’inscrivent sur la durée, et Rajoy a encouragé les expressions d’intolérance, ravivant les fantômes du passé : on a ainsi pu constater comment les appels à l’emprisonnement du président de la Catalogne se sont popularisés. Ce n’est pas sans rappeler la fin du président-martyr Lluis Companys, fusillé par les franquistes en 1940. Souvenons-nous que le coup d’État du général Franco contre la République espagnole signifia l’écrasement de toute perspective d’émancipation linguistique et culturelle dans un pays formé par des régions aux identités très marquées.


La Catalogne populaire et rebelle, une réalité historique



La Catalogne industrielle a été l’un des principaux moteurs économiques de l’Espagne. Dans les années 1960 et 1970, elle a accueilli des centaines de milliers de travailleurs venus du reste de l’État. Au début des années 2000, c’était au tour des travailleurs maghrébins, africains et latino-américains. La Catalogne a ainsi été le théâtre d’importantes luttes sociales à la fin de la dictature franquiste. Après s’être installés de manière très précaire dans des bidonvilles, beaucoup de travailleurs de la périphérie ont revendiqué le droit à une vie digne dans les quartiers populaires. À partir de la lutte des classes, ils ont remporté des conquêtes qui ont marqué l’identité de milliers de Catalans.

Mais les premiers pas de la démocratie dans les années 80 ont aussi été guidés par une série d’autres événements : la continuité de la lutte armée du mouvement indépendantiste basque avec des attentats sanglants, la répression de l’État par des moyens paramilitaires (les GAL), la tentative avortée de coup militaire de Tejero le 23 février 1981 – qui rendit crédible le rôle conciliateur et unificateur du Roi Juan Carlos auprès d’une large partie de la société, y compris à l’échelle internationale-, la victoire de Felipe Gonzalez aux élections présidentielles et la mainmise du Parti socialiste sur les mairies à travers un réseau de soutien clientéliste, ou encore l’entrée dans l’Otan par le biais d’un référendum…(2)

 


Manifestation dans la « banlieue rouge » de Barcelone, dans les années 1970. Message sur la pancarte : « Les enfants d’ouvriers voulons étudier »


De l’occupation des places par les Indignés au « projet » indépendantiste



En 2011, inspirés par les révoltes de Tunisie et d’Égypte, les Espagnols se mirent à occuper les places publiques. Le mouvement fut baptisé 15M (15 mai) en Espagne ou Indignados en référence à Stéphane Hessel. Le Parti socialiste au pouvoir à Madrid sortait d’une période de grâce qu’il devait principalement à son opposition à la guerre d’Irak en 2003.
À Barcelone, l’occupation de la place Catalogne s’acheva brutalement lorsque le gouvernement catalan envoya la police « nettoyer les lieux ». Les images de violences policières ont marqué une nouvelle génération qui cherchait urgemment des réponses à la crise et au chômage tout en développant une prise de conscience politique. L’un des slogans les plus scandés au sein du 15M ? « Esto no es una crisis, sino una estafa » (ce n’est pas une crise, c’est une arnaque). La corruption et le pantouflage de la classe politique, phénomènes très répandus, étaient également dans la ligne de mire du mouvement. Alors, comment expliquer que les revendications de la société catalane sont si rapidement passées de la défense des droits sociaux à la promotion de l’indépendance ?
Au moment où la crise éclate, le gouvernement catalan était composé d’une coalition de forces progressistes (le Tripartit composé par le PSC, l’ERC et ICV-Les Verts). Situation inédite, car le parti de droite, Convergence et Union (CiU), avait été au pouvoir depuis 25 ans ! Considérée jusque-là comme un moteur économique, la Catalogne connaissait alors une situation sociale de plus en plus tendue. C’est à ce moment-là que le président Artur Mas, dauphin désigné comme le successeur de Jordi Pujol, a renouvelé sa stratégie et a dévoilé son agenda indépendantiste. Il pouvait compter sur le travail constant et infatigable d’organisations de la « société civile » catalane qui occupaient le premier plan lors des appels à la mobilisation. C’était aussi une façon de préserver l’image écornée par les scandales de corruption du CiU, notamment l’affaire des 3%. Le parti aurait touché des commissions de 3 voire 4% par des entreprises sur les contrats que leur attribuaient des mairies gérées par le parti. Bilan des magouilles : une escroquerie à hauteur de 6,6 millions d’euros. D’où l’idée largement popularisée que la question catalane n’était qu’un rideau de fumée…
A leur tour, sous le prétexte de la crise, le PS et le PP s’apprêtèrent à graver dans le marbre de la Constitution le principe de « stabilité budgétaire » de l’État, interdisant de « dépasser les limites du déficit établies par l’Union Européenne pour les États membres ».

 


Meeting de coalition Unidos Podemos en faveur de la plurinationalité, lors de la campagne présidentielle, à Barcelone le 11 juin 2016.


Podemos : ses atouts et ses limites



En même temps, portée par la vague d’indignation du mouvement d’occupation des places, une nouvelle force politique faisait son apparition. Podemos montrait qu’un discours unitaire et rassembleur pouvait politiser les couches sociales les plus fragilisées à cause de la crise, et créer un effet de contagion à l’échelle nationale. Critiquant de façon implacable la réforme de la Constitution approuvée par le PS et le PP, Podemos réussit à dévoiler le vrai visage du bipartisme, montrant que la Constitution peut très bien être réformée, à condition que cela soit en faveur des intérêts de la minorité possédante. Quant à la droite catalane, elle aussi craignait de se voir éjectée à nouveau du pouvoir, et cette fois-ci, pour un bon bout de temps. Il fallait écarter ce risque, coûte que coûte. Même au prix d’une course finale contre la montre avec le gouvernement central. 
Jusque-là, la droite catalane avait joué la stratégie de la tension face à Madrid, injectant le nationalisme à petites doses. Mais tout nationalisme, y compris le catalan, est enraciné dans ses propres mythes. Il faut pouvoir balayer d’abord devant sa porte… Cela explique d’ailleurs pourquoi une partie de la société catalane est restée relativement indifférente face à l’agenda indépendantiste pendant de longues années. Même si la Constitution espagnole de 1978 reconnaît le « droit à l’autonomie des nationalités  », l’émergence du mouvement indépendantisme catalan est un phénomène très récent. La Catalogne restait un cas assez singulier :  les clivages sociologiques étaient très marqués et prévalaient sur la question identitaire depuis des décennies. La lutte contre les expulsions des locataires à travers une plateforme de lutte et de solidarité (la PAH, plateforme des concernés par les crédits hypothécaires) en est l’un des exemples les plus aboutis.


Manifestation pour le droit au logement à Barcelone, le 16 février 2013


Toutefois, la distillation du nationalisme a créé des tensions sur une base identitaire. Pire, elles ont fait l’objet d’une dangereuse banalisation, tant de la part du gouvernement catalan que du gouvernement espagnol. Jusqu’à maintenant, deux facteurs ont empêché l’émergence de forces d’extrême-droite virulentes. Tout d’abord, l’absorption par le Parti Populaire d’éléments d’extrême-droite nostalgiques du franquisme. Ensuite, la dynamique insufflée par Podemos a permis de politiser les couches populaires. Suffisamment ?
À travers une coalition de plateformes citoyennes, Podemos est parvenu à remporter des victoires importantes dans les principales villes lors des élections municipales de juin 2015, avec notamment Ada Colau à Barcelone. Les couches populaires qui avaient énormément souffert de la crise ces dernières années pouvaient espérer souffler. Mais le parti a fait preuve d’immaturité et d’un sens tactique excessif. Diabolisé par les médias, son secrétaire général Pablo Iglesias a parfois eu tendance à modérer son discours.

 


La fuite en avant des indépendantistes



Le 8 septembre, le Parlement catalan approuva une loi de « transition juridique » qui devait mener à une « déconnexion » des institutions espagnoles dès le lendemain du référendum du 1er octobre, en cas de victoire du oui à l’indépendance. Porte-parole du groupe CSQP, la coalition de gauche formée par Podemos, les Verts, Equo et la Gauche Unie et Alternative, Joan Coscubiela critiqua vivementcette procédure qui violait les règles en vigueur: « La majorité est en train de faire voler en éclats toutes les garanties démocratiques (…) on est devant un acte anti-démocratique sans précédents dans notre Parlement (…) Il est parfaitement légitime d’envisager l’objectif de la République catalane, mais pas de cette façon (…) Le pas qui a été franchi pourrait s’avérer irréversible en termes négatifs pour la citoyenneté, le Parlement et la démocratie de la Catalogne…» .
L’approbation de cette loi avant la célébration du référendum, dénonça Coscubiela, n’avait « rien à voir avec les intérêts de la Catalogne ni avec les intérêts du référendum ». Son intervention fut raillée par les indépendantistes, au prétexte qu’elle faisait le jeu de la droite espagnole. Peu importe que cet ancien secrétaire général du syndicat CC.OO. ait été l’une des voix le plus engagées à Madrid dans la lutte contre la corruption, la défense du droit du travail, de l’enseignement du catalan face aux attaques du ministre Wert et même du référendum. Sa position favorable à la négociation sur un référendum pactisé avec Madrid n’a jamais eu droit au chapitre ! Pourtant, cette intervention était lucide et certainement prémonitoire…
En Catalogne, l’acharnement contre la coalition de Podemos témoigne d’une extrême polarisation du débat politique. En effet, les voix progressistes étaient attaquées de tous bords : Rajoy et les médias dominants les accusaient d’aplanir le chemin vers la rupture de l’unité nationale, tandis que la coalition indépendantiste exigeait leur adhésion à son agenda unilatérale. Cette « stratégie de la tenaille » a empêché Podemos de jouer un rôle plus décisif dans le conflit qui divise la Catalogne.

 


Le 1er octobre, une date charnière



La saisie de matériel électoral et l’envoi de renforts policiers en Catalogne les jours précédant la tenue du référendum était un message sans ambiguïtés : le gouvernement espagnol n’allait pas céder un millimètre. Les scènes de répression du 1er octobre ont été choquantes et inacceptables. 893 blessés ! En réprimant brutalement les électeurs pacifique et en niant un droit fondamental des peuples, Rajoy a scandaleusement mis en lumière les contradictions et les limites de nos démocraties.
Pour autant, l’instrumentalisation politique des victimes est intolérable. Le 8 octobre, le discours du président catalan, Carles Puigdemont, finit par accepter les limites de son projet en laissant la porte ouverte au dialogue avec Rajoy. Ce recul a eu un effet de douche froide chez des milliers d’indépendantistes convaincus que le gouvernement allait « désobéir » jusqu’au bout. C’était faire preuve d’une grande naïveté au vu des intérêts de classe de l’élite catalane. En effet, plusieurs grandes entreprises réagirent d’une manière logique à l’agenda de la Generalitat : elles déplacèrent leur siège social afin de se protéger contre l’instabilité financière.
Curieusement, on a tendance à oublier ou relativiser le fait que le mouvement indépendantiste soit étroitement encadré par la droite. La conséquence c’est que l’accent est mis sur la défense des institutions catalanes et ses porte-paroles. Or, celles-ci sont loin d’être irréprochables. Les gens semblent avoir oublié la répression brutale de la police catalane à l’encontre des indignés en mai 2011. Des coups de matraque tout aussi inacceptables que ceux de la police espagnole. Il est surprenant de constater cette évolution qui s’apparente à un revirement à 180 degrés : en juillet 2011, des indignés entouraient le parlement catalan afin de protester contre les coupes budgétaires et affrontaient à nouveau la répression de la police catalane. Ce jour-là, le prédécesseur du président Puigdemont, Artur Mas, fut même obligé de se rendre au parlement en hélicoptère pour éviter l’encerclement. Le 10 octobre 2017, suite à la circulation des rumeurs sur une éventuelle détention du président Puigdemont, un appel à rassemblement devant le parlement pour le défendre futrelayé dans la presse et les réseaux sociaux. 
Après le 1er octobre, les indépendantistes avaient une dernière carte à jouer : la reconnaissance internationale. La réponse mit quelques jours à arriver. Bruxelles rappela que cette crise était une affaire interne à régler par Madrid. C’est alors que la stratégie de « désobéissance civile » catalane fut sagement reportée. En effet, après avoir rappelé le résultat du 1er octobre dans un contexte de répression qui le rendait encore plus légitime à ses yeux, Puigdemont déclara l’indépendance de la Catalogne. Mais celle-ci ne dura que quelques secondes, car il expliqua qu’elle était temporairement suspendue afin de tendre la main à Madrid. Une occasion en or pour Rajoy, qui a refusé le dialogue et s’est présenté comme le seul garant du respect de la loi. Et le 16 octobre, deux porte-paroles des organisations civiles en faveur de l’indépendance ont été embastillés sous l’accusation de « sédition ». Le lendemain au soir, l’indignation s’est à nouveau manifestée à l’unisson lors d’un rassemblement de 200 000 personnes réclamant leur libération. (3)

 


Révolution, ou caricature de révolution ?



Aveuglée par la fièvre nationaliste, la droite catalane a méprisé les revendications sociales du peuple catalan dans toute sa diversité. De même, la droite espagnole s’est trompée lourdement en croyant qu’elle pourrait écraser un mouvement populaire. Celui-ci pourrait rapidement mûrir et dépasser les pièges du discours nationaliste. En effet, la démocratie espagnole a prit un sacré coup de vieux et ravivé le souvenir de la sombre période franquiste.
Le dernier rebondissement de cette affaire a été l’activation par Rajoy de l’article 155 de la Constitution, qui prévoit l’application d’une mesure exceptionnelle vis-à-vis de la Catalogne. Selon Rajoy, le Parti Socialiste espagnol et le nouveau parti de centre-droite Ciudadanos, il ne s’agit pas de suspendre le statut d’autonomie en vigueur, mais au contraire de retourner à la situation de légalité qui prévalait avant l’approbation de la loi du référendum. Cette dernière ainsi que l’organisation du référendum étaient des actions illégales du point de vue du Tribunal Constitutionnel. Pour les indépendantistes, Podemos et d’autres forces progressistes, cette mesure est considérée comme une sorte de coup d’État, car cela implique la destitution du président et de son équipe de gouvernement élu, l’intervention des médias publics catalans, et la gestion des institutions catalanes comme l’école ou la police depuis Madrid. Une humiliation inacceptable.
Suite à la décision de mise sous tutelle prévue pour le jeudi 26 octobre par le Sénat espagnol, le gouvernement catalan envisage de prononcer, cette fois-ci sans ambiguïté, une déclaration solennelle d’indépendance. Il peut compter sur le soutien d’une partie de la société catalane qui n’est pas prête à oublier la répression du 1er octobre. Un appel à manifester a été lancé pour répondre à la décision du Sénat prise ce jeudi, que les indépendantistes considèrent comme étant « tranchée d’avance ».
L’issue de ce scénario de confrontation est incertaine. La désobéissance de la population et le soutien sans fissures aux représentants politiques catalans signifieraient un saut qualitatif dans la stratégie de la tension développée jusqu’à maintenant. Cette situation renforcerait l’identification des institutions catalanes et des représentants indépendantistes et prolongerait la division de la gauche. Mais l’impasse créée pourrait être également une occasion pour élargir la participation et inclure le débat sur les angles morts, ce qui pourrait faire basculer le rapport de forces en faveur des intérêts de la majorité.
Il est donc possible que malgré tout, la question catalane ait semé un grain d’espoir. Pour cela, la mobilisation populaire doit repartir sur les bonnes bases : condamner la répression policière et judiciaire, former des assemblées constituantes qui permettent de renouveler la vie politique et finir avec la corruption des élites, et construire une souveraineté réelle qui ne divise pas davantage les travailleurs. Autrement dit : construire le pouvoir populaire, seule garantie pour l’avenir d’un monde meilleur pour les peuples de l’État espagnol.

Notes :
  1. Dans un contexte où le rejet des étrangers et la criminalisation de la solidarité sont de plus en plus fréquents, il faut saluer l’élan de solidarité exprimé en faveur des réfugiés lors de la manifestation « Chez nous, c’est chez vous »  à Barcelone le 18 février 2017. En revanche, on doit regretter le déclin du mouvement antiguerre : il avait le mérite de dénoncer les causes des guerres et pas seulement ses effets.
  2. D’ailleurs, le résultat de la consultation en Catalogne fut une majorité de « Non » à l’entrée dans cette organisation.
  3. La campagne pour sa libération a décollé avec force immédiatement après l’incarcération des deux responsables associatifs, notamment grâce à une vidéo devenue « virale » qui met l’accent sur le thème «Aidez la Catalogne, Sauvez l’Europe ».


Oubliez la Catalogne, la Flandre est le vrai test du séparatisme de l’UE !

Par Andrew Korybko – Le 11 octobre 2017 – Source Oriental Review
Flandria
Flandria
La campagne séparatiste de la Catalogne a dominé les manchettes européennes ces dernières semaines, mais c’est vraiment la région flamande du nord de la Belgique qui servira de baromètre sur la question de savoir si de grands morceaux de l’UE se désagrégeront en une collection de mini-États centrés sur leur identité avant la reconstitution du bloc en une « fédération de régions ».

Ce qui se passe en Catalogne est d’une importance primordiale pour l’avenir géopolitique de l’Europe car cela pourrait très bien servir de catalyseur pour la fracture de l’UE si ailleurs des mouvements équivalents devaient s’enhardir par un possible succès séparatiste de la région espagnole. Cela a été expliqué en détail dans l’analyse récente de l’auteur sur la « réaction en chaîne catalane », à laquelle les lecteurs devraient se familiariser s’ils ne le sont pas déjà avec la thèse avancée dans ce travail. Pour résumer de façon concise, il y a une possibilité très nette que l’élite libérale-mondialiste de l’UE ait planifié de diviser et de diriger le continent selon des lignes identitaires afin de poursuivre leur objectif ultime de créer une « fédération de régions ».

La Catalogne est l’étincelle qui pourrait déclencher tout ce processus, mais il pourrait s’agir aussi d’un coup d’épée dans l’eau qui pourrait finir par être contenu quel que soit son résultat final. Cependant, la Flandre est très différente en raison du symbolisme accru que la Belgique détient en terme d’identité dans l’UE et la dissolution de cet État artificiellement créé serait le signe le plus clair que l’élite dirigeante de l’UE a l’intention de réorganiser le bloc en une fragmentation programmée. En gardant cela à l’esprit, la propagation de la « réaction en chaîne catalane » à la Belgique et l’inspiration que cela pourrait donner à la Flandre de rompre avec le reste du pays devrait être considérée comme le véritable baromètre de la question de savoir si les États-nations « vont se désintégrer en une constellation d’états balkanisés ».

The Netherlands during the Dutch Revolt, 1580

The Netherlands during the Dutch Revolt, 1580
Les Pays-Bas pendant la révolte des Pays-Bas, 1580
La première « Bosnie »

Pour bien comprendre les enjeux, il est nécessaire de passer brièvement en revue l’histoire de ce que l’on pourrait qualifier en quelque sorte de « première Bosnie », autrement dit d’un « premier État artificiellement créé » en Europe. Une grande partie du territoire de ce que l’on appelle de nos jours la Belgique a été unifié avec les Pays-Bas modernes de 1482 à 1581 lorsque l’entité politique a été dénommée Pays-Bas Habsbourg. La partie sud (Belgique) est passée sous le contrôle espagnol de 1581 à 1714 quand elle a été appelée Pays-Bas espagnols. Après, elle passa sous administration autrichienne de 1714-1797 quand elle devint les Pays-Bas autrichiens avant sa brève incorporation dans la première République française et plus tard l’Empire napoléonien de 1797-1815. C’est durant les époques espagnole et autrichienne que la Belgique a commencé à considérer le catholicisme comme une partie inséparable de son identité nationale en opposition au protestantisme des Pays-Bas. Enfin, la Belgique a fait partie du Royaume-Uni des Pays-Bas de 1815 à 1839 jusqu’à ce que la Révolution belge en fasse un État indépendant pour la première fois de son histoire.

Par essence, ce qui a fini par se produire, c’est qu’une population majoritairement catholique mais ethno-linguistiquement divisée a été prise dans la vague de nationalisme du XIXe siècle et a créé un État hybride franco-néerlandais qui finira par être fédéralisé à la fin du XXe siècle, dans un sens structurel servant de précurseur à la création balkanique dysfonctionnelle de la Bosnie près d’un siècle et demi plus tard.

Il est important de mentionner que le territoire de ce qui allait devenir la Belgique a régulièrement été un champ de bataille entre les puissances européennes concurrentes, les Pays-Bas, les États allemands pré-unifiés, la France, le Royaume-Uni et même l’Espagne et l’Autriche pendant qu’ils contrôlaient cette région. La création de ce nouveau pays a été largement considérée par certains comme n’étant rien de plus qu’un État tampon. La Conférence de Londres de 1830 entre le Royaume-Uni, la France, la Prusse, l’Autriche et la Russie a vu la Grande Puissance de l’époque reconnaître l’entité naissante en tant qu’acteur indépendant, Paris intervenant militairement pour la protéger durant l’échec hollandais de la « campagne des Dix Jours » pour réclamer sa province méridionale perdue à l’été 1831. Pour une construction politique aussi artificielle que la Belgique l’a été, elle a tenu relativement bien au cours du XIXe siècle, car elle a tiré parti de ses approvisionnements en charbon abondant et de sa position géostratégique pour s’industrialiser rapidement et même devenir un colonisateur africain génocidaire au Congo. Bien qu’elle ait été dévastée pendant les deux guerres mondiales, la Belgique a pu rebondir en un laps de temps relativement court, en partie parce qu’elle pouvait compter sur son État pénitentiaire congolais.

Dans le ventre de la bête

Avance rapide vers le présent. La seule chose que la Belgique moderne a en commun avec son passé, ce sont ses divisions internes. Les conséquences post-coloniales de la « perte du Congo » et l’acceptation, peu de temps auparavant, d’accueillir la capitale de l’Union européenne ont ouvert la Belgique jusqu’alors nationaliste à l’influence libéral-globaliste qui a contribué à ce qui finirait par devenir un dysfonctionnement intérieur, ces dernières années. Ce n’est pas un hasard si Bruxelles a été choisie comme siège de l’UE car sa faiblesse intrinsèque était censée en faire un « pays de compromis » idéal pour établir le quartier général du bloc car il ne deviendrait jamais aussi puissant que la France, en monopolisant potentiellement l’agenda de l’organisation internationale. Encore une fois, l’histoire de la Belgique en tant qu’État / région tampon est entrée dans un jeu pertinent en se positionnant « dans le ventre de la bête », qui est aujourd’hui vilipendé par toutes sortes d’individus à travers le continent.

La déconnexion administrative entre sa région septentrionale de Flandre et de la Wallonie méridionale, ainsi que ce qui allait devenir sa structure fédérale, régionale et communautaire à plusieurs niveaux, a été exploitée par l’élite idéologiquement extrémiste de l’UE pour faire de ce pays la pièce maîtresse de leur « expérience multiculturelle ». Après des décennies de facilitation des migrations de masse de sociétés d’un « Sud au sens large » et de ses civilisations différentes, 5,9% du pays est musulman, tandis que 20% au moins de Bruxelles baigne dans l’islam. Presque tous les musulmans de la capitale sont des immigrés, principalement du Maroc et de la Turquie, ce qui n’est pas surprenant si l’on considère que 70% des habitants de Bruxelles sont nés à l’étranger. Malheureusement pour les autochtones, l’expérience multiculturelle a échoué lamentablement, et la Belgique est désormais une plaque tournante du djihadisme en Europe en terme de nombre de combattants par habitant qui ont voyagé à l’étranger pour rejoindre Daech. En tout état de cause, l’« utopie » promise aux Belges en rejoignant l’UE et en accueillant son siège s’est transformée en dystopie et le pays se retrouve maintenant dans le ventre de la bête libérale-globaliste.

Il n’est pas étonnant qu’une partie de la population belge veuille échapper à l’organisation responsable de ses problèmes socioculturels et de sécurité, à l’instar du mouvement indépendantiste flamand qui vise à faire de la région nord du pays un État indépendant en raison d’un avantage en terme de démographie-économie asymétrique qu’elle a sur la Wallonie. La Flandre contribue quatre fois plus à l’économie nationale de la Belgique que la Catalogne en Espagne, puisqu’elle représente 80% du PIB national estimé par la Commission européenne, et représente environ les deux tiers de la population totale de la Belgique, alors que la Catalogne n’y contribue que pour un sixième. Cela signifie que l’indépendance flamande serait absolument désastreuse pour les personnes vivant dans les 55% restants de l’État croupion « belge », ce qui constituerait à toutes fins utiles une Wallonie indépendante, de facto, mais involontairement. Par conséquent, il est important de prévoir ce qui pourrait arriver si la Belgique implose finalement avec la possible sécession de la Flandre.

Flanders
Flanders
La Flandre

Éclatement de l’État tampon

Ce chapitre devrait être introduit en soulignant qu’il n’y a aucune garantie que la Flandre se séparera réellement de la Belgique ou qu’elle réussira à tenir un référendum inconstitutionnel comme celui que la Catalogne a mis en place pour tenter de « légitimer » ses ambitions anti-étatiques. De plus, l’État belge ou l’UE, son superviseur, pourrait recourir à la force comme Madrid l’a fait pour empêcher la sécession de cette région. Le lecteur ne doit donc pas tenir pour acquis que la Flandre deviendra inévitablement un État indépendant. Cependant, la « réaction en chaîne catalane » se propagera au « ventre de la bête » en catalysant un processus séparatiste similaire en Flandre. C’est pourquoi l’auteur argumente en introduction que le résultat d’un tel mouvement post-catalan réengagé dans cette région sera le meilleur baromètre pour déterminer si l’élite libérale-globaliste de l’UE prévoit effectivement de « balkaniser » le bloc en un ensemble régionalement « fédéralisé » centré sur l’identité de mini-États.

Compte tenu des particularités locales et historiques de l’étude de cas belge, il semble probable que la sécession réussie de la Flandre (si elle finit par aboutir) conduirait à un éventail étroit de résultats géopolitiques pour ce pays d’Europe occidentale. Le premier est que la Wallonie ne pourrait pas fonctionner comme un État « croupion indépendant » compte tenu de son maigre 20% du PIB belge unifié, de son tiers de la population de l’État actuel et de sa dépendance présumée au port d’Anvers en Flandres pour garder le contact économique avec le « monde extérieur », à part la France et l’Allemagne. Pour ces raisons, il est concevable que cette région francophone puisse être reprise par la France comme l’avait imaginé à l’origine le célèbre diplomate français Charles Maurice de Talleyrand-Périgord dans son « plan de partition Talleyrand » éponyme, proposé en 1830 à la Conférence de Londres. Quant à la Flandre elle-même, elle pourrait soit tenter de rester un État « indépendant », soit éventuellement se confédérer aux Pays-Bas, si les deux parties souhaitaient cette dernière option.

Là où les choses se compliquent, c’est quand il s’agit de la communauté germanophone de l’est de la Wallonie, qui pourrait ne pas vouloir faire partie de la France. En outre, pour des raisons d’optique politico-historique sensibles, cette région ne pourrait probablement pas rejoindre l’Allemagne parce que cela porterait l’ombre inconfortable de l’annexion par Hitler des Sudètes pendant la dissolution de la Tchécoslovaquie avant la Seconde Guerre mondiale. Par conséquent, il est probable que cette sous-région resterait à l’intérieur de la Wallonie, qui deviendrait probablement une partie de la France, avec toutefois une autonomie possible garantie aux germanophones dont Paris « hériterait ». Cela dit, ce n’est pas la partie la plus difficile à régler de cette rupture belge. Le statut de Bruxelles occupe définitivement une place centrale dans ce scénario. L’UE serait encline à faire en sorte que sa capitale devienne une cité-État « indépendante » au même niveau que le Liechtenstein et de taille similaire, avec toutefois une population salafiste beaucoup plus élevée et plus dangereuse, ce qui pourrait en faire une capitale « légitime » de l’« Eurabia » si les tendances civilisationnelles-géopolitiques continuent dans cette direction.

Réflexions finales

L’avenir de la Flandre sera un signe avant-coureur plus intéressant de l’avenir politico-administratif de l’UE que celui de la Catalogne, même si ce dernier est en effet le déclencheur de ce qui pourrait devenir la poussée séparatiste enhardie de l’UE. Si le pays hôte du siège de l’UE est victime de la tendance sécessionniste susceptible de balayer le bloc en raison de la « réaction en chaîne catalane », cela indiquera avec confiance que l’élite libérale-globaliste dominante de l’UE est déterminée à initier la « balkanisation contrôlée » du continent en une constellation de mini-États centrés sur leur identité afin de satisfaire finalement aux objectifs de longue date pour mettre en place une « fédération des régions ». Il n’y a pas de place en Europe plus symboliquement significative que celle de la Belgique et surtout de sa capitale djihadiste dystopique de Bruxelles. Donc si les structures de pouvoir européennes « permettent » à la Flandre de se séparer de cette « première Bosnie », alors il est certain que le reste du bloc ressentira les réverbérations géopolitiques à l’intérieur de ses frontières plus tôt que plus tard.

Andrew Korybko

Commentaire d'un lecteur - Jean Paul

Monsieur, Pour votre propre crédibilité, je vous demanderais de prendre en compte mes commentaires ci-dessous, et je ne vais pas disqualifier votre article mais plutôt corriger votre point de vue, car étant un Belge moi-même, ce que vous n'êtes pas, et la Belgique n'est pas votre spécialité, je pense même que je connais mieux mon pays que vous. Vos chiffres sur le PIB sont erronés, et si vous relisez le lien que vous fournissez vous-même sur les statistiques de l'UE, vous remarquerez que le chiffre de 80% que vous fournissez pour le PIB des Flandres dans celui de la Belgique est en réalité la part des EXPORTATIONS de la Belgique. La part réelle des Flandres dans le PIB de la Belgique est de 58%, à peu près la même proportion que sa part de la population totale (qui n'est pas non plus des deux tiers comme vous prétendez à tort).

Vous devez savoir (mais en tant que non-Belge que vous ne pouvez pas le savoir) que la Belgique n'existe presque aujourd'hui que sur le papier, c'est une coquille vide; Bien sûr, il y a un gouvernement fédéral, mais ses compétences sont très limitées, même le commerce extérieur, les limites de vitesse, ... vous l'appelez, sont de la compétence des gouvernements régionaux. Ce qui reste, c'est la police, la justice et la sécurité sociale, mais ceux-ci - et les Flamands le savent bien - ne seraient pas sensés à être régionalisés et pourraient avoir de lourdes conséquences pour eux-mêmes.

Vous oubliez que Bruxelles (autrefois une ville flamande) est aussi une région dans cette décentralisation et que les Flandres devrait la reléguer complètement pour faire cavalier seul, et ce ne serait pas non plus une victoire pour eux. Le gouvernement fédéral actuel est a.o. les nationalistes flamands, qui, pour la première fois sont désormais conscients de leur capacité à imposer leur point de vue au niveau fédéral, et une majorité de Flamands se rendent compte qu'il est dans leur meilleur intérêts à continuer avec l'état belge. On estime que seulement un tiers des Flamands seraient en faveur d'une forte indépendance et que la plupart de leurs récriminations sont irrationnelles et émotionnelles, car en réalité le processus de dévolution actif depuis 1980 a mis entre leurs mains le contrôle de leurs affaires. Cela ne veut pas dire que les réformes constitutionnelles sont à écarter, car il serait préférable de réorganiser la construction en un État confédéral, mais il y aura probablement un consensus pour le faire. J'espère que cela aidera les gens qui s'intéressent à cette question et supprimer les inexactitudes de votre article.

Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par Cat pour pour le Saker Francophone

source : http://lesakerfrancophone.fr/oubliez-la-catalogne-la-flandre-est-le-vrai-test-du-separatisme-de-lue