Par Yovan Menkevick 19 mars 2015
Source : http://reflets.info/parlons-un-peu-de-la-sous-democratie-francaise/
En France, nous vivons dans une démocratie. Nous vivons dans une démocratie, parce que nos libertés sont garanties, en apparence : celles de déplacement, d’opinion et d’expression, de la presse, de la propriété privée, de la vie privée.
Mais il se trouve, qu’en quelques années, ces « garanties démocratiques », bien qu’établies sur le papier, se sont dégradées. Fortement. Pas pour tout le monde. Pas de la même manière pour tous. Mais le constat est là. Si nous effectuons une photographie des libertés démocratiques françaises en ce mois de mars 2015, il y a de fortes chances qu’elle soit très floue et mène à réviser le jugement précédemment énoncé. Nous vivons en réalité dans une sous-démocratie. Une démocratie qui a le goût, la couleur, l’apparence, de la démocratie, mais qui n’est plus celle que nous connaissions, il y a quelques années encore. Même si elle était imparfaite et incomplète. Détail de la photo.
Rupture des contrats
Une démocratie, même représentative, a vocation à maintenir un contrat entre ceux qui demandent la confiance du « peuple » (les électeurs) et ce même peuple. Le plus connu est le contrat social et nous en avons déjà parlé dans les colonnes numériques de Reflets. Celui-ci est largement entaillé, avec un gros canif. Mais au delà du contrat social, il y a d’autres contrats qui ne peuvent pas normalement être rompus, dans une démocratie. Celui de la séparation de l’exécutif politique et de la justice, ce qu’on appelle « l’indépendance de la Justice ». Les contrats d’une démocratie comme la démocratie française sont donc nombreux, et l’on peut, en vrac, citer l’égalité de droit, devant la justice, la non-discrimination, l’accès aux services publics, la liberté d’expression, la propriété privée, la liberté de circulation, la protection de la vie privée. Le problème est que ces quelques exemples de contrats de « droits et de libertés » sont tous, aujourd’hui, quasi intégralement, rompus.
Circuler en France est devenu une gageure, entre les robots contrôleurs de vitesse, la fouille des coffres des véhicules, les placements en garde à vue des automobilistes qui contestent l’attitude parfois provocatrice des forces de l’ordre, les règles incompréhensibles et le racket organisé des municipalités sur les stationnements, qui peut encore croire que la liberté de circuler est garantie [correctement] dans ce pays ?
Quant à la vie privée, sachant qu’elle passe énormément par Internet et qu’Internet est désormais déclaré ennemi national, que l’Etat peut aller fouiller les données de chaque citoyen sans qu’aucune autorité judiciaire ne puisse autoriser ou non cette surveillance, il est bien clair qu’elle n’existe plus.
Terroriser la population, c’est démocratique ?
Manuel Valls est venu expliquer il y a peu à des lycéens qu’il fallait « qu’ils s’habituent à vivre avec le danger [du terrorisme] ». Mais Manuel Valls a aussi peur du Front national, pour la France. La meilleure réponse politique a un problème — qui est pour l’heure ponctuel, celui de trois candidats au djihad qui massacrent des journalistes et des clients d’un supermarché — est-elle d’utiliser les mêmes armes que ceux que l’on veut combattre ? Terroriser les terroristes ? Et la population avec ? Une démocratie digne de ce nom n’est normalement pas aussi faible qu’elle en viendrait à utiliser les mêmes méthodes que ceux qui aimeraient la faire tomber. Normalement. Mais une sous-démocratie, elle, est prête à toutes les bassesses pour maintenir le système qu’elle a pourtant dégradé au point qu’il n’est plus qu’une pâle copie de l’original. Et c’est bien là que le bât blesse, et que la population commence à sentir que quelque chose cloche, ne tourne plus rond.
Si ceux qui sont au pouvoir ont peur, d’un parti politique, par exemple, pour lequel une part plus ou moins grandissante de la population vote, cette population doit penser en retour, qu’en réalité, le pouvoir politique a peur d’elle. Et un pouvoir qui a peur de sa propre population — au point de la mettre sur écoute administrative — par exemple, n’est pas démocratique, et est très inquiétant. Chacun est capable de le comprendre. Rassurer avec des instances « indépendantes », des commissions et autres comités ne change rien à l’affaire, puisque toutes ces structures ont démontré par le passé qu’elles ne servaient à pas grand chose, étant bien trop lourdes et peu dotées pour garantir quoi que ce soit.
Changer (au moins) de République
Il reste à discuter des solutions pour redresser la barre et régénérer cette sous-démocratie, la remettre sur pieds. Pour en faire de nouveau une démocratie complète ? François Hollande s’est fait élire sur de nombreuses promesses de « régénération démocratique », et le coup du « moi président » n’est pas pour rien dans son élection. « Lui président » ? C’est une dégradation de la démocratie encore plus importante que son prédécesseur. D’où la désertion des urnes d’une part importante de la population. Le FN n’est pas en train de grossir en termes de nombre de voix, puisque en réalité il est au même niveau qu’il y a 13 ans : autour de 5 millions d’électeurs. C’est simplement l’effet mécanique de l’abstention qui le mène en tête des suffrages.
Parce que si cette sous-démocratie actuelle n’est pas rapidement dissoute au profit d’une nouvelle qui déterminera les fondamentaux d’une démocratie telle qu’on peut l’envisager au XXIème siècle, la suite des événements risque d’être excessivement pénible. Violente aussi, par force. Pour une partie de la société, qui déjà, en bave un peu trop. C’est un choix. Hollande peut faire l’histoire, en fin de compte. Ou au contraire, devenir le fossoyeur de ce qu’il restait d’encore un peu enviable au pays des Lumières. Moi président a intérêt à bien réfléchir à tout ça. Vraiment.