Source : http://www.dedefensa.org/article-de_la_candidate-syst_me_la_naus_e-antiwar_13_04_2015.html
Auteur : Philippe Grasset
Auteur : Philippe Grasset
Hillary Clinton candidate pour 2016, quelle non-surprise ! Tout le monde la donnait candidate et tout le monde dans les salons la voient gagnante, d’ailleurs comme en 2006-2007 où elle était déjà super-favorite et où elle perdit magnifiquement comme l'on sait. Tout cela fait partie du cirque-Système habituel, dont Hillary est un des clowns-vedette. Il faut dire que, présidente, elle comblerait nos vœux les plus chers : une femme présidente, une adepte à la fois de l’affectivisme et du déterminisme-narrativiste, extrêmement postmoderne, espérant parvenir à faire une campagne de $2,5-$3 milliards avec les donateurs qui vont bien, une extrémiste exaltée qui nous donnerait sans doute une Victoria Nuland au département d’État, – que du bonheur, comme ils disent selon une expression si complètement de la couleur des temps. (Pour avoir une mise en bouche ... Un article de Robert Parry, de ConsortiumNews, du 10 février 2014 donne une vision équilibrée de l’action diplomatique et de sécurité nationale de Clinton, – et les choses ne se sont pas améliorées depuis, avec son attitude tout au long de la crise ukrainienne. Il est aussi simple de dire qu’Hillary Clinton est une neoconaffirmée, qui ferait parfois passer GW Bush pour un modéré, et bien sûr idem pour Obama.)
... Bien, passons outre ces bruits de basse-cour. Hillary ne présente guère d’intérêt, sinon la capacité de rassembler sur son nom un certain nombre de $milliards, pour faire perdurer le désordre américaniste dans la voie dynamique où il se trouve. Beaucoup plus intéressant, cet article d'Edward Lozansky, dans Sputnik.News, le 10 avril 2015. Lozansky est un homme intéressant, Ukrainien de naissance du temps de l’URSS, études avancées à l’Institut de Moscou de Physique et d’Ingénieurerie, mis à l’index pour avoir critiqué la politique extérieure de l’URSS et s’expatriant aux USA en 1976, pour travailler à l’Université de Rochester puis à l’American University de Washington, avant de revenir en 1990 en URSS redevenue Russie pour fonder l’American University de Moscou. (Voir sa biographie.) Tout cela pour dire que Lozansky n’est pas un extrémiste et qu’il garde aussi bien un pied à Washington, avec les contacts qu’il faut, tout en travaillant à Moscou. Son texte est intitulé «Who is America's Worst Enemy?».
• ... Et la réponse est étonnante, dans tous les cas pour les républicains : «Ironically, in a recent poll, over a third of the Republican Party members named none other than US President Barak Obama as the biggest threat to America.» Effectivement, un sondage réalisé par Reuters/Ipsos, et dont les résultats ont été communiqués le 31 mars 2015 (reprise dans Business Insider), donne chez les républicains Obama comme première “menace imminente” pour les USA, très loin devant Poutine (25%) et Assad (23%).
«A Reuters/Ipsos online poll this month asked 2,809 Americans to rate how much of a threat a list of countries, organizations and individuals posed to the United States on a scale of 1 to 5, with one being no threat and 5 being an imminent threat. The poll showed 34 percent of Republicans ranked Obama as an imminent threat, ahead of Putin (25 percent), who has been accused of aggression in the Ukraine, and Assad (23 percent). Western governments have alleged that Assad used chlorine gas and barrel bombs on his own citizens...
»Given the level of polarization in American politics the results are not that surprising, said Barry Glassner, a sociologist and author of “The Culture of Fear: Why Americans are afraid of the wrong things.” “There tends to be a lot of demonizing of the person who is in the office,” Glassner said, adding that “fear mongering” by the Republican and Democratic parties would be a mainstay of the U.S. 2016 presidential campaign...»
Il n’est pas assuré que nous soyons de l’avis de Mr. Glassner. Même pour des républicains, faire du président des USA la première “menace imminente”, à près de 10% devant un Poutine après le torrent de diabolisation et d’accusations antirusses de ces douze derniers mois, constitue un cas exceptionnel qui révèle une rupture complète, non pas entre les deux partis (c’est une évidence sans grande importance), mais dans le cœur même du sentiment nationaliste de patriotisme, et de l’affirmation d’exceptionnalisme qui ont toujours caractérisé l’attitude civique aux USA, et ceci et cela favorisés jusqu’à l’outrance d’une constante mise en condition par le système de la communication. Ce n’est pas de “polarisation” entre deux partis qui sont comme les deux ailes d’un “parti unique” qu’il faut parler, c’est d’une dissolution explosive du sentiment de fierté collective de la conscience de la citoyenneté américaine, et donc un danger majeur pour le système de l’américanisme ; en effet, ce sentiment de “fierté collective” fut le plus souvent l’effet d’un effort constant de manufacture du système de la communication pour tenir unie une fédération (les USA) qui ne l’était guère, et sa dissolution serait, – est un échec particulièrement grave, troublant et gros d’une instabilité redoutable.
• Là-dessus, après l’introduction qu’on a lue, Lozansky passe en revue la politique extérieure d’Obama dans la mesure où c’est sur ce point, selon lui, que les républicains devront en priorité affronter le candidat démocrate, – fort probablement, la candidate Hillary ... Et le mot qui résonne aujourd’hui parmi les élus républicains, ou plutôt l’expression est celle de “chaos total”, où les USA ne sont plus capables, par leur propre faute, de reconnaître qui est leur ami, qui est leur ennemi, qui est leur allié et qui est leur adversaire ...
«“Total chaos" is how many Congress members, Republicans and Democrats alike, most often describe the current situation in the Middle East. The media seem to concur. In this chaos neither politicians, nor generals, nor yet even the wisest military analysts can confidently say who is a friend and ally, and who is the enemy. It just so happens that one of America's certain enemies, Iran, is helping us in the fight against the Islamic State, while at the same time supporting the leadership of Syria and Shiite rebels in Yemen who have overthrown pro-US President Abd Rabbuh Mansur Hadi...[...]
»In the recent talks on Iran's nuclear problem it was our top enemy Russia who was a key and a constructive player without whom the problem simply cannot be solved. Even US State Department spokesperson Marie Harf said that Russia played an important role in reaching the framework agreement with Iran. All of this is unfolding against the backdrop of tough sanctions imposed on Russia. With these, Obama hopes to destroy Russia's economy and achieve a change in leadership. Yet these policies have failed to achieve any of these goals. Besides, some European countries are beginning to protest against the sanctions – which hurt their own economies, not just Russia’s.»
... Tout cela conduit à un constat paradoxal que fait Lozansky. Alors que Washington retentit de cris guerriers, de proclamations de guerre totale, de dénonciations furieuses, semble apparaître une sorte de mouvement de lassitude extrême, avec l’impérieuse idée qu’il est vraiment nécessaire de changer quelque chose à cet immense bordel. Le paradoxe est que ce qu’on pourrait désigner comme une “nausée-antiguerre” se manifeste chez des républicains, où l’on trouve pourtant, avec les McCain, Graham & Cie, les plus acharnés paranoïaques-bellicistes qui se puissent manufacturer aux normes du Système.
«In short, the problems are snowballing, and it looks like some people in Washington have started to search for better ideas. Last week in Congress, where until recently anti-Russia resolutions were churned out one after another, one of the most prestigious Senate halls was lent to US “dissidents” who explained in so many words to those present that the White House Russia policy was all wrong. Dana Rohrabacher, a Congressman from California, and Ronald Reagan’s speechwriter, stated clearly that instead of fomenting anti-Russian hysteria, Obama would do well to start talking to Putin at once, find a diplomatic solution to the Ukraine crisis, and reach an agreement on joint operations to fight radical Islam.
»Other prominent political observers, journalists and even former CIA and Pentagon analysts also criticized the White House policies and their own colleagues. It was said that these policies were dangerous and detrimental to the United States itself, as they could cause direct military confrontation with Russia, not excepting nuclear strikes.
»Characteristically, during a recent voting on lethal weapons deliveries to Ukraine, as many as 48 Congressmen spoke out against such deliveries. Previously, such voices were few and far between. Obviously, this is far from a substantial opposition as yet, but the tendency is there all right. According to information from reliable sources, a fairly influential group of Republicans is soon to make public its view of cardinal changes in US foreign policy. Russia will be offered certain compromise options for settling the Ukrainian crisis in exchange for support in the fight against terrorist threats. The names of those potential presidential candidates who will dare voice these ideas are not being disclosed now, as it takes considerable courage to do that. Yet the one who will risk it will most likely earn quite a few political points.
»America is weary of its endless wars, and a war with Russia is the last thing anyone might want. It is the time for Obama instead of sabotaging the upcoming celebrations of our joint victory over Nazi Germany in WWII to make a phone call to Putin with the offer of a reasonable compromise on Ukraine. This would not only highly benefit both our nations and mankind but undoubtedly would also boost Obama’s legacy which is presently based on a very shaky ground.»
Il s’agit là un bien curieux développement, qui témoigne dans tous les cas d’une confusion extraordinaire du pouvoir, – de ce qu’il en reste, à Washington D.C. L’explication, certes, on la connaît par rapport à ce que nous estimons de la situation générale, qui est la surpuissance aveugle de la politique-Système qui emporte les USA, avec le reste du bloc BAO avec plus ou moins d’entrain. Cette politique-Système n’a aucun sens sinon celui, nihiliste, de la déstructuration-dissolution pour conduire à l’autodestruction, – et quoi de plus simple, comme explication de la situation générale ... Par contre, les conséquences, au niveau des attitudes et des comportements humains dans le cours de cette politique qu’ils croient de moins en moins conduire, sont d’une complexité extrême. Alors, les paradoxes ne manquent pas.
... C’en serait un, en effet, et de taille, si quelque chose se dessinait au sein du parti républicain pour dégager une critique anti-guerre de la probable candidate démocrate, la sémillante Hillary adorée de tous les salons, et qui a les yeux étincelantes de la guerrière au nom d’une politique toute entière emprisonnée dans l’affectivisme qui parvient, seul, à faire avaler les pilules successives de la politique-Système. Après tout, c’est Hillary, exultant à l’image d’un BHL ou d’une Christine Ockrent, qui s’exclamait devant la vidéo montrant le corps lynché, déchiqueté, empalé de Kadhafi «We came, we saw, he died», – cela avant qu’on lui passât, à elle Hillary, les petits fours pour la dégustation. Il n’est pas sûr que ce qui reste de cet épouvantable spasme de ruines sanglantes qu’est la Libye apprécie les petits fours aujourd’hui. Et voilà que certains, à Washington, découvrent la nausée, à leur tour, et qu’éventuellement cette nausée pourrait être un bon investissement électoral.
Il est certain qu’Obama a réussi à rassembler sur son nom une fantastique désunion du monde politique et des électeurs les plus engagés. Il n’est pas sûr que le racisme explique tout, et nous verrions même cet argument pour salon de thé ettalk-shows n’être qu’une façade émotive et de convenance. (Après tout, pour les Africains-Américains également, BHO est “le pire président des USA depuis 1945” [au moins].) Le phénomène intéressant est que cet dissolution antagoniste du sentiment collectif a tendance à se manifester principalement sur la politique étrangère, où Obama fait pour l’essentiel, ou laisse faire (absence de contrôle) la politique que réclament les extrémistes républicains. Cette tendance est nécessairement le moteur de l’activisme d’Hillary, qui en est complètement la prisonnière. Par conséquent les tactiques électorales peuvent conduire à des contrepieds, des perspectives à front renversé, etc., avec des situations d’une extrême originalité. Il ne s’agirait que d’un tribut justifié rendu au désordre illimité qui règne à Washington, de façon à ce que ce désordre ne soit pas en vain.
Quoi qu’il en soit, nous serions tentés, selon notre sentiment courant, de ne pas mettre trop d’espoir dans un tel mouvement, qui demande une capacité de rassemblement et un courage hors du commun par rapport à la terrorisation des psychologies qu’exerce le Système. (Lozansky lui-même parle de “courage” : «The names of those potential presidential candidates who will dare voice these ideas are not being disclosed now, as it takes considerable courage to do that.») Mais peut-être le désordre parviendrait-il à accoucher du contraire de ce qu’il tend à diffuser, dans un mouvement classique de “coup de fouet en retour” (la CIA, qui a l’habitude, dit “blowback”), – peut-être les psychologies parviendraient-elles effectivement à susciter indirectement un réflexe de rejet à partir de la nausée signalée dans ces remarques... Cela conduit enfin à observer que l’appréciation hypothétique la plus significative qu’on peut présenter à propos de ce rassemblement et des supputations que fait Lozansky, c’est effectivement que l’ensemble washingtonien est en train d’arriver à un point de saturation de son propre désordre ; comme si le désordre lui-même finissait par avoir la nausée de tout ce désordre...
Mis en ligne le 13 avril 2015 à 14H29