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vendredi 22 mars 2019

[Gilets jaunes] Ce que l’extrême droite ne nous prendra pas, un texte de Frédéric Lordon

Un texte puissant de Frédéric Lordon, rédigé en  2013. Un texte qui va à la racine du mal et qui reste plus que jamais d'actualité. Il peut s'adresser, de façon urgente, au peuple de France (le peuple étant les gens sur lesquels s'exerce le pouvoir). 



source : https://blog.mondediplo.net/2013-07-08-Ce-que-l-extreme-droite-ne-nous-prendra-pas


par Frédéric Lordon, 8 juillet 2013


La colorimétrie des demi-habiles ne connaissant que deux teintes, toute mise en cause de l’Europe, fût-elle rendue au dernier degré du néolibéralisme, est le commencement d’une abomination guerrière, toute entrave au libre-échange est la démonstration manifeste d’une xénophobie profonde, toute velléité de démondialisation l’annonce d’un renfermement autarcique, tout rappel au principe de la souveraineté populaire la résurgence d’un nationalisme du pire, tout rappel au principe de la souveraineté populaire en vue d’une transformation sociale, la certitude (logique) du… national-socialisme, bien sûr ! Voilà sur quel fumier intellectuel prospère le commentariat européiste quand, à bout d’argument, il ne lui reste plus que des spectres à brandir.

Le pire cependant tient au fait que ces imputations, où le grotesque le dispute à l’ignoble, font sentir leurs effets d’intimidation jusque dans la gauche critique, terrorisée à l’idée du moindre soupçon de collusion objective avec le FN, et qui se donne un critère si bas de cet état de collusion que le moindre regard jeté sur une de ses idées par les opportunistes d’extrême droite conduit cette gauche à abandonner l’idée – son idée – dans l’instant : irrémédiablement souillée. A ce compte-là bien sûr, la gauche critique finira rapidement dépossédée de tout, et avec pour unique solution de quitter le débat public à poil dans un tonneau à bretelles. Comme on sait, sous couleur de ne pas donner prise aux accusations de « repli national », elle a laissé tomber de fait toute idée de mettre quelque entrave que ce soit au libre-échange puisque toute restriction à la libre circulation des conteneurs est une offense égoïste faite aux peuples des pays exportateurs – et la démondialisation y a été vue comme une inacceptable entorse à un internationalisme de principe. En bonne logique ne faudrait-il pas, à cette partie de la gauche, renoncer également à la critique de la déréglementation financière internationale au motif que l’extrême droite, elle aussi, en fait l’un de ses thèmes de prédilection, en conséquence de quoi la chose ne pourrait plus être dite ?

Souverainisme de droite, souverainisme de gauche

« Repli national », en tout cas, est devenu le syntagme-épouvantail, générique parfait susceptible d’être opposé à tout projet de sortie de l’ordre néolibéral. Car si cet ordre en effet se définit comme entreprise de dissolution systématique de la souveraineté des peuples, bien faite pour laisser se déployer sans entrave la puissance dominante du capital, toute idée d’y mettre un terme ne peut avoir d’autre sens que celui d’une restauration de cette souveraineté, sans qu’à aucun moment on ne puisse exclure que cette restauration se donne pour territoire pertinent – n’en déplaise à l’internationalisme abstrait, la souveraineté suppose la circonscription d’un territoire – celui des nations présentes… et sans exclure symétriquement qu’elle se propose d’en gagner de plus étendus !

Prononcer le mot « nation », comme l’un des cas possibles de cette restauration de la souveraineté populaire, peut-être même comme l’un de ses cas les plus favorables ou du moins les plus facilement accessibles à court terme – précision temporelle importante, car bien sûr le jacquattalisme du gouvernement mondial, lui, a le temps d’attendre… –, prononcer le mot « nation », donc, c’est s’exposer aux foudres de l’internationalisme, en tout cas de sa forme la plus inconséquente : celle qui, soit rêve un internationalisme politiquement vide puisqu’on en n’indique jamais les conditions concrètes de la délibération collective, soit qui, les indiquant, n’aperçoit pas qu’elle est simplement en train de réinventer le principe (moderne) de la nation mais à une échelle étendue !

En ce lieu de la souveraineté, qui donne naissance à toutes les confusions politiquement intéressées, il pourrait être utile de commencer par montrer en quoi un souverainisme de gauche se distingue aisément d’un souverainisme de droite, ce dernier se concevant généralement comme souveraineté « de la nation », quand le premier revendique de faire droit à la souveraineté « du peuple ». Les tenants de la « souveraineté nationale » en effet ne se posent guère la question de savoir qui est l’incarnation de cette souveraineté, ou plutôt, une fois les évocations filandreuses du corps mystique de la nation mises de côté, ils y répondent « tout naturellement » en tournant leurs regards vers le grand homme, l’homme providentiel – l’imaginaire de la souveraineté nationale dans la droite française, par exemple, n’étant toujours pas décollé de la figure de de Gaulle. L’homme providentiel donc, ou tous ses possibles succédanés, comités de sages, de savants, de compétents ou de quelque autre qualité, avant-gardes qualifiées, etc., c’est-à-dire le petit nombre des aristoi (« les meilleurs ») à qui revient « légitimement » de conduire le grand nombre.

La souveraineté vue de gauche, elle, n’a pas d’autre sens que la souveraineté du peuple, c’est-à-dire l’association aussi large que possible de tous les intéressés à la prise des décisions qui les intéressent. Le souverainisme de droite n’est donc rien d’autre que le désir d’une restauration (légitime) des moyens de gouverner mais exclusivement rendus à des gouvernants qualifiés en lesquels « la nation » est invitée à se reconnaître – et à s’abandonner. Le souverainisme de gauche est l’autre nom de la démocratie – mais enfin comprise en un sens tant soit peu exigeant.

Faute de ces élémentaires distinctions, une partie de la gauche en est venue à ostraciser l’idée de souveraineté quand elle prétend par ailleurs lutter pour une extension de la démocratie… qui n’en est que le synonyme ! Démocratie, souveraineté populaire : une seule et même idée, qui est celle de la maîtrise par une communauté de son propre destin. On mesure donc les effets de captation et de terrorisme intellectuels de l’extrême droite, et les effets de tétanie de la gauche critique, à cette aberration d’auto-censure et d’intoxication qui a conduit cette dernière à abandonner l’idée de souveraineté, faute d’être simplement capable de se souvenir que, sous l’espèce de la souveraineté populaire, elle est l’une de ses propres boussoles idéologiques depuis la Révolution française !

Contre l’« armée de réserve » des sans-papiers : la régularisation !

Il est bien vrai cependant que le FN se montre d’une redoutable habileté dans le pillage éhonté des idées de la gauche critique. Il aurait tort de se gêner puisqu’il ne vient personne pour lui rappeler les orientations foncièrement reaganiennes de sa « pensée économique » jusqu’au début des années 2000, ni lui faire observer les légères traces de pneu qui résultent d’un tête-à-queue idéologique aussi parfait – mais les journalistes politiques qui disent déplorer le dépérissement du « débat d’idées » ne sont visiblement pas très intéressés par ce genre d’idées… Le terrain de l’imposture intellectuelle ainsi grand ouvert, le FN s’avance gaiement, sans le moindre complexe ni la moindre vergogne, se goinfrant de thèmes de gauche pour mieux semer une réjouissante confusion, mais affinant également son art de couler ses obsessions xénophobes de toujours dans une critique du néolibéralisme de fraîche date.

Ainsi, dans cette veine, sa nouvelle empathie pour les travailleurs revient-elle périodiquement souligner que l’immigration irrégulière constitue une « armée de réserve » prête à s’employer aux pires conditions, et vouée par là à faire une concurrence déloyale aux salariés réguliers (on est invité à comprendre nationaux), notamment à tirer vers le bas les salaires. Il n’y aurait pas pire objection que celle qui se réfugierait dans le pur et simple déni de tout effet de cette sorte. Car il est hautement vraisemblable que l’entretien d’une armée de réserve, et même d’une « sous-armée de réserve », constituée de travailleurs rendus au dernier degré de la précarité pour être exclus de toute protection légale, offre au patronat une formidable masse de main d’œuvre corvéable à merci avec, oui, pour effet de tirer vers le bas tous les standards sociaux, en tout cas de faire une concurrence directe aux salariés « réguliers » du niveau juste au dessus.

Le MEDEF, lui, ne s’y trompe pas qui défend l’immigration avec des accents que ne renierait pas Harlem Désir : « Restons un pays ouvert, qui accueille de nouvelles cultures et profite du métissage » déclare la main sur le cœur Laurence Parisot (1), inquiète des tours de vis de l’équipe Guéant-Sarkozy en 2011 qui pourrait bien tarir la source miraculeuse aux exploitables. « Je ne crois pas qu’il faille faire de l’immigration un problème », ajoute-t-elle avec un humanisme criant de sincérité. Bien sûr – il ne s’agit tout de même pas de se mettre le gouvernement d’alors à dos –, Parisot ne manque pas de préciser que l’immigration à laquelle elle pense est l’immigration de travail légale – mais c’est celle dont Guéant se propose de réduire les volumes... Il suffirait cependant de pas grand-chose pour imaginer que Parisot étendrait volontiers le métissage et l’accueil de toutes les cultures à une immigration moins légale, celle, précisément qui fait les meilleures (sous-)armées de réserve.

On remarquera au passage que, dans une asymétrie caractéristique, l’endos enthousiaste de l’immigration par le MEDEF est un de ces rapprochements bizarres qui pose curieusement moins de problème que la récupération de la démondialisation par le FN… Mais l’essentiel est ailleurs. Il est dans l’instrumentation éhontée de l’immigration par le patronat telle qu’elle donne symétriquement sa matière à la xénophobie d’extrême droite, qui trouve ici le moyen idéal de se rendre présentable en se ripolinant de critique sociale. Vu de loin, on admirera l’habileté tactique, car c’est indéniablement une manœuvre très réussie que de faire cheminer ainsi un fond inaltérable de racisme sous les dehors les plus honorables de la préoccupation pour la condition ouvrière, la seconde, protestée de bonne foi, permettant alors de faire vibrer implicitement toutes les cordes du premier sans avoir l’air d’y toucher – parfois aussi sans prendre la peine de ne pas avoir l’air...

Rien n’oblige cependant à tomber dans des stratagèmes aussi grossiers, et ceci d’autant plus que les capacités de récupération idéologique de l’extrême droite atteignent assez vite leur limite, en tout cas ici on va les leur faire atteindre, et rapidement. Car, au-delà de l’immigration légale à laquelle Laurence Parisot affecte de s’en tenir, on fera observer à Marine Le Pen qu’on règle très facilement le problème de la sous-armée de réserve des clandestins : par la régularisation intégrale ! Plus de clandestinité, plus de vulnérabilité ; plus de vulnérabilité, plus de chantage patronal, donc plus de salaires de misère ni de traitement de quasi-esclaves. Les régularisés auront les mêmes salaires et les mêmes droits que les nationaux et les résidents légaux – auxquels ils appartiendront –, cessant par là même de créer cette poche de sous-salariat dépressionnaire qui produit objectivement tous ses effets de dumping social intérieur, et ceci d’autant plus violemment qu’on a poussé plus loin la déréglementation du marché du travail.

Faucher la nation au FN

Mieux encore : s’il est évident que l’abandon de toute régulation des flux de population est une aberration indéfendable, il n’est pas moins évident que les résidents et les régularisés qui le souhaitent ont pleinement vocation à être intégrés dans la nationalité française. Ce sont des femmes et des hommes qui travaillent, qui contribuent à la vie matérielle et sociale de la collectivité, qui payent leurs cotisations et leurs impôts – eux.

Au lieu de se laisser défaire en rase campagne et de tout abandonner sans même combattre, la gauche critique ferait mieux non seulement de se tenir un peu fermement mais aussi de songer à quelques contre-mesures, manière de retourner contre le FN ses propres procédés. Cette question de l’immigration et de la régularisation offre peut-être l’occasion idéale de lui faucher la nation, dont elle s’est fait le monopole et qu’elle a constitué en pôle toxique du débat public, mais au prix bien sûr d’en avoir défiguré l’idée. Par un effet de tétanie aussi navrant que caractéristique, la gauche critique n’a pas même fait l’effort de s’y attaquer et, là encore, comme à propos de la souveraineté dont elle est évidemment profondément solidaire, la nation s’est trouvée de fait rendue à l’idée que s’en fait l’extrême droite – et à ses seuls usages.

Là contre, il faut dire que la nation n’est en aucun cas le fantasme ethnique que propage le FN, et qu’on ne voit pas au nom de quoi la gauche devrait abandonner l’idée de la nation ouverte, jouant le sol contre le sang, assise sur la citoyenneté et sur elle seule, qui lui a été, elle aussi, léguée par la Révolution. S’il est vrai que, sous couleur de « République », on a longtemps bourré les crânes avec « nos ancêtres les Gaulois », ce temps-là est révolu. A quelque chose malheur étant bon, l’époque de crise profonde est on ne peut plus propice à expliquer, et dès l’école !, qu’appartenir à la nation s’apprécie en tout premier lieu par le respect de ses devoirs fiscaux, que cette appartenance n’est pas une affaire de naissance, encore moins de lignée (pour ne pas dire de souche…), mais d’une démonstration simple et permanente de citoyenneté comprise comme participation à une forme de vie commune dont la reproduction emporte naturellement des sujétions contributives. A ce compte-là, pour parler comme Le Pen, et aussi pour parler très différemment d’elle, on voit très vite qui est « vraiment français » et qui ne l’est pas – et c’est un nouveau crible qui va sans doute lui faire tout drôle, on attend de voir si elle va le récupérer celui-là.

Car voilà le nouveau paysage de la nationalité : Bernard Arnault ? Pas français. Cahuzac ? Pas français. Johnny et Depardieu qui se baladent dans le monde comme dans un self-service à passeports ? Pas français. Les Mamadou et les Mohammed qui triment dans des ateliers à sueur, font les boulots que personne d’autre ne veut faire, et payent leurs impôts sont mille fois plus français que cette race des seigneurs. Le sang bleu évadé fiscal, dehors ! Passeport et bienvenue à tous les basanés installés sur le territoire, qui, eux contribuent deux fois, par leur travail et par leurs impôts, à la vie collective, double contribution qui donne son unique critère à l’appartenance de ce qui, oui !, continue de s’appeler une nation – mais pas la même que celle du Front « National ».

Immigration et chômage ?

Il y a peu de crainte que le FN vienne nous chercher sur ce terrain-là. Davantage que, dans sa comédie de néo-macroéconomiste, il vienne nous objecter que si la régularisation fait disparaître le « dumping interne » et la concurrence intra-salariale déloyale, elle ne règle rien à la concurrence intra-salariale « ordinaire », et même l’intensifie en faisant grossir une population active déjà confrontée à une pénurie objective d’emplois. Mais d’où vient cette pénurie elle-même ? Il faut toute l’emprise du biais xénophobe pour refuser de poser cette simple question et, par défaut – en fait par propos délibéré – faire des immigrés la cause générale, voire unique, du problème du chômage.

Or on ne répond à ce genre de question qu’en commençant par remarquer combien les liens entre démographie et emploi sont autrement plus complexes que ne le supposent ceux dont l’outillage intellectuel s’arrête aux quatre opérations de l’arithmétique élémentaire, pour conclure que si la démographie augmente alors le chômage aussi « puisqu’il y a plus de gens pour le même nombre d’emplois »… Il faudrait d’ailleurs que le FN finisse par arrêter une position car ce même argument qui cherche à singulariser les immigrés s’appliquera tout autant aux bonnes familles françaises, invitées par lui à croître et à se multiplier... Petits français de souche, ou immigrés, ça ne va pas changer grand-chose à ses équations simplistes du chômage…

En vérité il n’y a aucune détermination univoque aussi rudimentaire entre démographie et chômage. On le sait bien depuis le fordisme qui a connu simultanément une démographie salariale galopante, notamment du fait du mouvement de salarisation des femmes, et un plein-emploi éclatant… au point d’ailleurs que le patronat français n’a pas manqué d’aller faire de massives campagnes de recrutement en Afrique du Nord. Dans cette affaire, loin de se combattre, croissance démographique et emploi se soutiennent : l’afflux de nouveaux salariés employés injecte plus de revenu dans l’économie, donc plus de consommation, plus de demande… et plus d’offres d’emploi. La croissance démographique vient donc intensifier les propriétés vertueuses, établies par ailleurs, du régime d’accumulation fordien.

Le régime qui succède au fordisme est tout autre. A l’exact opposé de ce que soutient la doctrine néolibérale, la déréglementation généralisée ne produit aucune croissance : il suffit de comparer en longue période le taux de croissance moyen en Europe sur les périodes 1945-75 et 1985-2013 pour que l’affaire soit vite entendue. Les mondialisateurs libéraux répondent en général à ce genre d’objection en préférant détourner le regard vers les BRICS et autres pays émergents… à ceci près, comme l’a montré Rodrik (2), que le succès de ces pays doit tout ou presque… au fait qu’ils ont pris bien soin de n’appliquer aucune des recettes que leur préconisait le FMI, la Banque mondiale et l’ensemble des prescripteurs autorisés du néolibéralisme !

Dans le dispositif néolibéral tel qu’il s’est appliqué aux pays les plus industrialisés, un élément s’est révélé particulièrement nuisible, il s’agit du pouvoir actionnarial qui est l’un des « charmes » de la déréglementation financière. Les exigences de rentabilité des fonds propres en constant relèvement ont en effet conduit à passer à la trappe tous les projets d’investissement qui ne passent plus la barre des 15 %, et forcent les entreprises à se saigner en dividendes ou en buy-back pour rétrocéder leur cash « oisif » aux actionnaires – forcément il est « oisif » puisqu’on lui interdit de travailler à moins de 15 %... Le néolibéralisme est donc un régime d’accumulation dépressionnaire par inhibition actionnariale de l’investissement.

Il suffit d’y ajouter toutes les pertes d’emploi liées à la large ouverture aux délocalisations et à la concurrence très distordue du libre-échange, plus les politiques économiques aberrantes d’austérité en période de crise, pour avoir toute les données structurelles de la pénurie d’emploi – dont on voit alors qu’elle est le propre des orientations profondes de l’accumulation du capital en régime néolibéral, et qu’elle n’a pas grand-chose à voir avec la présence des immigrés sur notre sol. Toutes choses égales par ailleurs, l’occupation des emplois par des immigrés nourrit la boucle macroéconomique « revenu-consommation-demande » et contribue à la création d’emplois pour tout le monde – raison pour quoi, en passant, le renvoi instantané de tous les immigrés que fantasme le FN n’améliorerait en rien la situation de l’emploi, au contraire !

Mais toutes choses ne sont pas égales par ailleurs. Diffèrentes, donc, les caractéristiques structurelles du régime d’accumulation en vigueur. C’est de ce côté-là, et de ce côté-là seulement, qu’il faut aller chercher les causes du chômage, et non du côté de la couleur de peau de ceux qui occupent les postes. C’est la forme dépressionnaire prise par l’accumulation du capital en régime néolibéral qui donne toute l’explication de la pénurie d’emploi. Et ce sont ces structures-là le problème de première instance – pas l’immigration.

Le FN ou la « réconciliation nationale »... sous l’égide du capital 

Mais ce problème-là, le FN a-t-il quelque envie sérieuse de s’y attaquer ? Tout à son nouveau rôle, il clame vouloir faire la peau à la mondialisation et à la finance. Voire. Comme l’attestent ses revirements de longue période, le FN est un invertébré idéologique quand il s’agit d’économie, où il n’a d’autre boussole que l’opportunisme. Il se trouve qu’il peut compter avec une paire d’effrayés et d’éditorialistes décérébrés pour que tout lui profite. Mais on n’est pas forcés de s’y laisser prendre. Ni d’oublier de rappeler ce que sont les grands invariants de l’extrême droite en France (et sans doute ailleurs) : loin d’être, comme une lobotomie médiatique en entretient l’idée, l’apanage du peuple affreux, sale et méchant, l’extrême droite est un projet qui plaît beaucoup à une certaine fraction de la bourgeoisie, et dont d’autres, la bourgeoisie d’affaire notamment, s’accommoderaient très bien s’ils ne font pas œuvre de soutien manifeste.

L’histoire a suffisamment montré que la bourgeoisie avait le libéralisme politique qui s’arrêtait là où commence sa liberté de valoriser le capital. Rien ne permet d’exclure formellement une remise au goût du jour du « Hitler plutôt que le Front populaire » si la situation « l’exigeait ». Mais surtout rien ne permet de douter que la sociologie de ses élites dirigeantes, et de celles qu’elles recruteraient dans l’hypothèse d’une arrivée au pouvoir, conduirait le FN à mener une politique conforme aux intérêts du capital, ou disons à passer avec le capital un compromis politique, sans doute différent de celui de la mondialisation néolibérale, mais tout à fait satisfaisant pour la préservation de ses intérêts.

Lire le dossier « Les extrêmes droites à l’offensive », Le Monde diplomatique, janvier 2011 L’extrême droite prête à défier le capital pour les travailleurs est une fable qui ne résiste pas un instant à l’analyse. Ni encore moins aux enseignements de l’histoire. Car très loin de tout anticapitalisme, l’extrême droite est plutôt un rêve de « réconciliation nationale »… autour d’un ordre social dominé de fait par le capital. Aucun des fascismes n’a jamais cherché la confrontation avec le capital, tout au contraire : ils n’ont cessé de poursuivre la chimère d’un corps national fondu dans l’unité affective d’une appartenance mystique, cette fusion étant d’ailleurs explicitement conçue comme le moyen d’un dépassement de toutes les (inutiles) divisions « secondaires » – au premier rang desquelles le conflit de classes bien sûr…

C’est peut-être le Metropolis de Fritz Lang qui en donne la représentation la plus frappante, puisque, commençant à la manière d’un Marx cinéaste, campant la lutte des classes entre le sous-sol des prolétaires asservis et la surface de la bourgeoisie jouisseuse, il finit dans l’exaltation pré-nazie (3) de la réconciliation du capital et du travail, dont les personnages représentatifs finissent par triompher de leurs animosités respectives et se donner la main… sous le porche de la cathédrale !, soit exactement la trajectoire prévisible d’une Marine Le Pen qui tiendrait presque le discours de la lutte des classes, et emprunte tout ce qu’elle peut au discours de la gauche critique, mais finira à coup sûr dans le plus complet déni du conflit capital-travail – dont on sait qu’il est bien fait pour garantir et la domination et la tranquillité du capital –, et ceci au nom du « rassemblement » dans la « communauté nationale unanime ».

Récupérations lepénistes et braiements médiatiques

Faute de ces rectifications élémentaires, les erreurs intellectuelles et politiques s’enchaînent les unes aux autres. La gauche critique abandonne la souveraineté populaire et la nation-citoyenne à l’extrême droite qui les défigure en souveraineté du chef et nation ethnique ; et l’incapacité à qualifier, c’est-à-dire à affirmer le qualificatif pertinent – populaire pour la souveraineté, citoyenne pour la nation – suffit à rabattre ces deux idées sur les usages qu’en fait l’extrême droite, qui ne les fait plus exister implicitement que sous ses propres qualificatifs à elle – où l’on retrouve incidemment que les entreprises de récupération trouvent aussi leur possibilité dans la passivité de ceux qui se laissent dépouiller.

Or la souveraineté du peuple inscrite dans une citoyenneté élective, constituée dans et par le consentement fiscal, est cela-même qui ne cesse d’être attaqué par le néolibéralisme, comme l’attestent et les confiscations technocratiques (augmentées du pur et simple pouvoir des marchés…), et la généralisation de l’évasion fiscale des possédants. Il est certain que la lutte contre le néolibéralisme s’en trouve singulièrement compliquée lorsqu’on abandonne à l’ennemi les deux thèmes à la fois les plus centraux politiquement et les plus susceptibles de faire, à raison, levier dans l’opinion publique…

On comprend mieux alors, dans ce vide créé par une désertion intellectuelle, que des militants, voire des publicistes, sincèrement de gauche, finissent par s’égarer sérieusement en louchant du mauvais côté – mais le seul restant qui fasse vivre, quoique pour le pire, des thèmes qui leur sont chers, mauvais côté auquel ils cèdent sous l’habileté captieuse d’une extrême droite qui, comme toujours en période de grande crise, sait s’habiller des oripeaux de la révolution sociale.

Il leur suffirait pourtant d’aller creuser sous ces convergences trompeuses, et d’interroger ceux qu’ils envisagent de se donner pour nouveaux compagnons de route sur la régularisation des sans-papiers, sur leur intégration entièrement justifiée dans la nationalité, sur la profonde bêtise de la « théorie » qui lie chômage et immigration, pour recueillir des réactions qui leur montreraient le primat de la compulsion xénophobe, la manière dont elle ordonne et même dont elle subordonne toute la « doctrine », et pour voir combien ce qu’on pourrait appeler le délire de l’homogène nourrit un fantasme de « communauté nationale », littéralement parlant le fantasme d’une communauté et non d’une société, c’est-à-dire d’une fusion qui impose son principe (mystique) à tous les clivages, à tous les dissensus… à commencer bien sûr par celui qui oppose le capital et le travail.

Le voile est bien mince qui sépare cet arrière-plan de toujours de l’extrême droite de la comédie « sociale » qu’il nous joue à l’avant-scène. La stratégie de la récup’ est à coup sûr d’une grande habileté ; elle n’a cependant rien d’irrésistible, il est même assez simple de remettre quelques pendules à l’heure, pour peu qu’à gauche, on n’ait pas le désir de se laisser contraindre à un strip-tease intégral. La chose n’est pas seulement simple : elle est de la plus urgente nécessité. Elle l’est pour conserver des éléments de fond pertinents de la critique du néolibéralisme, elle l’est au moins autant pour ôter leur fourrage aux braiements médiatiques intéressés, trop content de se précipiter – « ah ! vous voyez bien ! » – sur la dernière récupération lepéniste, et dont l’empressement opportuniste à l’amalgame est le symétrique de celui du FN, l’un et l’autre également obstacles objectifs à la perspective de la transformation sociale.

Frédéric Lordon

Un autre texte de Charvin à propos de Marine comme roue de secours du capitalisme...

Regards sur les élections présidentielles et législatives françaises : « on ravale la façade »



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L’Histoire continue….. au sein des institutions d’une V° République usée, bien sûr, mais surtout demain et après-demain dans les entreprises, les lieux de cultures, et la rue.

 

Premier constat : la marée médiatique


L’intense bavardage médiatique sur la personnalité des candidats, sur l’interprétation qu’il « fallait » donner à leurs paroles et à leurs gestes, voire à leur style, tenue vestimentaire et autres, leur qualité de « grands » ou de « petits », sur la mise en exergue de tel point de leur programme et le silence sur d’autres, sur la place majeure qu’il convenait d’accorder aux sondages à effet multiplicateur, le tout sur un ton, selon les cas, agressif ou indulgent, a imprégné l’esprit des électeurs et entretenu une confusion inédite.
Sans que les journalistes, tous transformés en « expert » ou en « éditorialiste », n’aient une quelconque légitimité à se prononcer sur tout au nom d’une pseudo omniscience-autoproclamée (économique, écologique, sociale, financière, etc.), ils ont, tout autant que le discours des candidats, fabriqué le « climat » d’une élection que ne devaient gagner ni la gauche radicale de J.L. Mélenchon ni la droite-ultra et néofasciste de M. Le Pen : le Médef et l’establishment parisien avaient choisi et dans leur sillage les grands groupes de presse, les grands hebdos et la plupart des quotidiens du « Monde » à « Libé », via BFM TV et autres chaînes publiques et privées ! Macron était le meilleur !
Le F.N a été soigneusement instrumentalisé (tandis que Le Pen, Philippot et autres ont cru pouvoir en profiter) : il a servi de repoussoir et de justificatif à tous les ralliements et aux votes « utiles ».
La montée dans l’opinion de J. L. Mélenchon, source d’un bref affolement, succédant à une indifférence feinte, a été stoppée par l’évocation subite de quelques leaders d’Amérique latine, de « l’Alliance bolivarienne » et de l’inévitable référence e à la « méchante » Russie, qui auraient eu la sympathie de la France Insoumise, rompant ainsi avec le silence traditionnel en période électorale sur la politique internationale.
Contrairement à leurs prêchi-prêcha habituels, ces « honnêtes » médias n’ont pas insisté sur les droits de l’homme : les milliers de victimes des mouvements migratoires et le refus d’un accueil digne, l’état d’urgence prolongé qui préfigure l’éventuelle répression à venir d’un mouvement social trop radical, et l’indifférence totale vis-à-vis de la misère du Tiers Monde pas même effleurée, ne prêtaient pas à l’insistance sur « l’Humanisme occidental » !
Les grands médias ont, avec aisance, changé de logiciel !
Ils ont été capables de réagir aux dérapages plus ou moins imprévus qui ont troublé la « bien-pensance » hégémonique : les « affaires » suscitées par la presse elle-même ont permis de choisir Macron au détriment de Fillon (second choix des milieux d’affaires) ; la difficulté à imposer la priorité à la question sécuritaire en raison de la réalité trop prégnante du chômage et du pouvoir d’achat a conduit à dénoncer comme « populiste » aussi bien les promesses sociales du F.N que l’analyse critique du capitalisme financier de la France Insoumise ! Les citoyens ont été submergés par cette marée médiatique tous azimuts interdisant de penser par soi-même : le climat pré-macronique, initié par « Paris Match » précédait le « tout-Macron » courtisan qui a suivi l’élection et s’est poursuivi durant la campagne des législatives prolongeant le « délai de grâce », c’est-à-dire le temps des illusions, traditionnel après une consultation. Le plus « convenable » et consensuel des candidats s’est vu ainsi récupéré au-delà de ses propres voix, les 50% de suffrages anti-F. N de ceux qui croyaient (ou feignaient de croire) le néofascisme aux portes de l’Élysée !
Une fois de plus, le vote « utile » a joué, évitant surtout que le nouveau Président soit un mal-élu !
Ainsi, avec habileté et bombardement intensif, tout a été entrepris pour médiatiser à outrance un semi-inconnu, affichant sa volonté de faire du neuf avec du vieux, dans un style bonapartiste, en écartant Fillon, droitier démodé et cléricalisé, en jouant avec Le Pen pour qu’elle fasse peur (juste ce qu’il fallait pour qu’elle soit présente au second tour, adversaire « idéale ») et évidemment en dénonçant Mélenchon, à l’anticapitalisme financier insupportable pour l’oligarchie établie !
Il fallait produire par tous les moyens le plus de « franc-macrons » possible et persuader tout le monde qu’une France nouvelle était née ! Les résultats de cette mobilisation médiatique ont été cependant très médiocres pour les élections législatives : le succès ne provient que du mode de scrutin (majoritaire uninominal). Le mouvement de Macron ne représente au premier tour que 16% des inscrits ! Plus de 51% des citoyens se sont abstenus !! Le « triomphe » est totalement artificiel.
Cet envahissement médiatique n’est pas l’affirmation éclatante de la liberté d’expression, comme certains journalistes le proclament eux-mêmes. C’est, au contraire, une méthode d’asphyxie des citoyens, de destruction de leur esprit critique : submergés par le flot continu des commentaires tous azimuts, ils restent enfermés dans un faux pluralisme étroitement interne au système socio-économique existant et aux institutions césariennes de la V° République, faisant du Chef de l’État une sorte de Zorro, Superman, présenté comme capable de résoudre tous les problèmes ou presque !
L’orchestration de cette bataille de « têtes » et non de programmes, tous les cinq ans, n’est que source d’abêtissement des électeurs, transformés en sous-citoyens en attente d’un sauveur suprême, rapidement déçus évidemment, mais à qui il convient de redonner périodiquement confiance pour perpétuer l’ordre établi. Napoléon (le petit) sommeille chez tous les candidats, souvent jusqu’au ridicule !
A tout cela s’ajoutent les attentats « déjoués » et ceux intervenant à la veille du scrutin : le tour de force a réussi. Le candidat de l’establishment a été élu et il a sa majorité absolue qui ne dérange pas le Médef.

 

Second constat : la question de l’autonomie relative des forces politiques


Chaque force politique est en relation privilégiée avec certaines catégories sociales, groupes d’intérêts, milieux professionnels, etc. et avec certains régimes politiques étrangers (particulièrement les États-Unis, l’éternel grand frère, quel que soit leur Président), mais on ne peut mécaniquement considérer que les partis politiques ou les mouvements style « En Marche » soient l’expression stricte de telle classe sociale ou de tels groupes d’intérêts. La relation est plus complexe mais elle est cependant incontestable : les milieux d’affaires, par exemple, ont clairement choisi de soutenir en premier choix E. Macron. On peut analyser les élections de 2017 en France comme la condamnation par ces mêmes milieux d’affaires de l’autonomie relative jugée trop grande du parti de droite traditionnel, Les Républicains, excessivement animé par des querelles de clan, des manifestations abusives d’égos, d’obsessions électoralistes trop importantes.
Le patronat a besoin avant tout de « paix » sociale, d’habiletés séductrices à l’égard des citoyens passant par des mesures sociétales peu coûteuses, que n’ont pas procuré ces dernières décennies ni le sarkozisme ni le hollandisme. F. Fillon, soigneusement « démoli », durant la campagne, était, par exemple, jugé en cas d’élection comme source de perturbations sociales inutiles pour l’Entreprise, comme l’avait déjà été « l’agitation » sarkoziste. Le mouvement catholique intégriste auquel Fillon avait fait allégeance n’était certainement pas très apprécié !
Il fallait en finir avec une force de droite « classique » dont la médiocrité globale et le conservatisme outrancier devenaient un handicap pour le monde de l’argent, même s’il satisfaisait ses revendications.
Était exclue aussi la solution « allemande » » d’une union nationale droite- « gauche », le Parti Socialiste français étant aussi le siège de multiples contradictions et d’une misère idéologique et pratique atteignant des sommets avec ses « Hollandais », gérant la France comme avait pu l’être la Corrèze, département de F. Hollande !
La solution « ni droite ni gauche » à la Macron est ainsi devenue l’idéal (provisoire) de ceux pour qui « tout doit changer afin que rien d’essentiel ne change », comme l’écrivait Tomasi di Lampedusa, dans « Le Guépard ».
Évidemment, cette solution de type bonapartiste, ralliant tous les opportunistes et tous les ambitieux refoulés, devant leur carrière à leur « chef », mais aussi une fraction des électeurs incertains séduits par le flou délibéré du programme de « La République en Marche » et par sa critique de la « politique », ne pourra à l’avenir que susciter dans la société diverses contradictions très vives et des déceptions profondes, mais… « après lui, le déluge » ! Le système sortira, le moment venu, d’autres gadgets séducteurs sources de pérennisation ….
Pour l’heure, le syncrétisme néolibéralisme-social-démocrate l’emporte sous l’égide d’un homme en osmose avec les milieux d’affaires français, européens et américains. Un césarisme « moderne » et cosmopolite, style « manager yankee, soignant sa ligne au crossfit, appuyé par un « mouvement » à facettes multiples « attrape-tout », se substitue ainsi à un système de partis qui ne fait plus ses « preuves » et handicape la « bonne marche » de la course au profit. Le « terrain est dégagé » par ce ravalement de façade du capitalisme financier.
Cette pseudo « rénovation » va servir quelques-uns et séduire les autres, avant tout ceux de la classe moyenne qui en votant Macron se sont tirés un balle dans le pied sans le savoir, sous couvert d’une prise en compte de leurs intérêts ! L’unique horizon « macronique » est en effet l’Entreprise (la grande) sacralisée, le rêve américain (à peine gallicanisé), mais inaccessible au plus grand nombre, et une décadence aimable sous couvert d’un universalisme hors sol (en Afrique notamment) compensant une régression sociale généralisée !

 

Troisième constat : que devient la gauche ?


L’ « exécution » politique du P.S est la meilleure nouvelle apportée par les élections de 2017. Avaient raison ceux qui souhaitent depuis longtemps la réduction de ce parti à un groupuscule sans importance pour tout le mal politique dont il est responsable depuis des décennies !
Malheureusement, son effondrement n’est sans doute pas définitif tant les « socialistes » ont une capacité de reproduction et tant ils sont utiles au système qui déjà les re-médiatise : ils correspondent en effet sociologiquement à une partie des « couches moyennes » et populaires inaptes à choisir clairement la société qu’ils souhaitent et dotés d’un goût irrépressible pour les compromissions. Leur rôle – essentiel – d’occultation des réalités sociales, de refus des clivages de classe, et leur adhésion à un capitalisme « amélioré », est indispensable au système. Depuis la victoire de Macron, tout est fait pour redonner vie à un P.S dont la défaite a été totale : les médias multiplient les interventions de ceux qui ont été ridiculisés quelques semaines plus tôt !
Avec générosité, le système offre à ce parti de nouvelles possibilités afin qu’il se rende encore utile – comme la CFDT dans le monde syndical – : le système a besoin d’une « opposition de sa majesté », sans risque, pour rendre la pseudo-démocratie « crédible » ! De plus, les cadres du P.S, souvent des professionnels de la politique, n’ont pas d’autres débouchés (à défaut de ralliement à Macron) que leur participation à une reconstruction d’un parti sous une forme ou une autre : ils ont débuté avec le lancement de divers « mouvements » incertains autour de quelques élus (dont B. Hamon, battu au premier tour des législatives) qui espèrent se pérenniser.
Ils sont toujours hostiles par nature à la fois aux communistes (malgré l’extrême (et excessive) indulgence des dirigeants du PCF à leur égard) et plus encore à la France Insoumise de Mélenchon, qui a le grand tort de bien les connaître) : ils ne se chargent pas, en effet, de faire l’Histoire. Ils se satisfont, conformément à leurs « valeurs » ambiguës et à leur indifférence de fait à tout principe, à jouer aux politiciens à coups de mini-tactiques, pour survivre en essayant de profiter de leur instrumentalisation. Cette réalité n’est pas seulement française : elle est italienne, grecque, espagnole, belge, allemande, etc. Nul en Europe n’est l’héritier de S. Allende !
Aujourd’hui, une partie de la social-démocratie s’est réfugiée dans la formule Macron, fusionnée avec une droite renouvelée, pour le plus grand avantage des fondamentaux du conservatisme libéral. Mais le léger « mâtinage » pseudo-socialiste du Macronisme suffit aux ralliés style Valls et autres.
C’est la « France Insoumise », avec un capital humain de 7 millions de citoyens ayant voté pour J.L. Mélenchon, qui constitue le cœur d’un radicalisme en rupture avec le capitalisme financier français et européen, toujours tourné vers les États-Unis. Elle absorbe les « Verts » (avec un programme écologique très avancé) dont l’organisation est en perdition, n’ayant jamais eu la volonté de reconnaître la contradiction majeure entre logique du profit, règne de l’argent et exigences de la protection de l’environnement.
La France Insoumise met à mal la direction du PCF, elle aussi professionnalisée et très inquiète de son avenir immédiat. Cette direction semble prête à poursuivre une stratégie timide et prudente assurant, selon elle, sa survie. Elle se refuse à l’insertion du parti dans la dynamique de la France Insoumise, jugée trop « aventureuse » ! Il apparaît que l’avenir socialiste et la Révolution (dont elle ne parle plus jamais) se soient éloignés à jamais !
On peut penser avec de nombreux militants, particulièrement en province, que cette direction se trompe lourdement, comme elle s’est égarée lors de la dissolution des « Comités antilibéraux » de base qui s’étaient constitués et l’avaient emporté en 2005 contre le Projet de Constitution européenne, lors du refus entre 2012 et 2017 de rassembler à la base dans le « Front de Gauche » les simples citoyens ne souhaitant pas entrer dans l’un des partis le composant, puis en menant une campagne très « réservée » pour J.L. Mélenchon, puis très critique lors des législatives pour des raisons incertaines.
Au lieu d’essayer d’être les plus militants les plus actifs et inventifs et donc les « meilleurs » au sein des 7 millions de citoyens ayant voté Mélenchon, en stimulant des groupes de base, ils se sont coupés pour les législatives des électeurs récemment conquis et parfois arrachés au F.N, dès lors qu’ils n’étaient pas associés à La France Insoumise.
Ces dirigeants ont opté pour une position de repli à la fois sectaire et opportuniste, en comptant une fois de plus que sur quelques alliances ici ou là avec les restes du P.S et des Verts, et ailleurs avec la France Insoumise, la gestion de Paris en étant le modèle, effectivement relativement satisfaisant. Faute d’une volonté de conquête et évidemment d’un scrutin proportionnel les élections législatives n’ont pas confirmé le succès de J. L. Mélenchon aux présidentielles.
Pour le P.C.F le plus grave n’est pas la perte de la plupart de ses députés (dont la discipline de groupe avait d’ailleurs disparu), mais une orientation prudente et craintive, comme si La France Insoumise était perçue comme une « aventure politique » dangereuse par sa radicalité. Qu’est devenu le parti révolutionnaire d’antan, qui semble accablé par trop de défaites accumulées ?

 

Quatrième constat : le F.N, roue de secours éventuelle


Quant au F.N, l’échec relatif des présidentielles, qui a entraîné un plus grand échec aux législatives, a fait surgir les clivages traditionnels des mouvements fascisants qui ont, par exemple, éclaté au sein du fascisme italien et du nazisme dans les années 1930-1940 : le courant « national-social » de Philippot est évidemment contesté, comme ont été éliminés ces mêmes courants en Italie et en Allemagne, avec l’appui du conservatisme « classique ».
Pour les « Frontistes », néanmoins, rien n’est perdu, s’ils se rallient, comme leurs prédécesseurs historiques, aux compromissions « utiles ». Le F.N demeure en effet une ultime « roue de secours » si la solution Macron s’avérait dans quelques années un nouvel échec pour le monde des affaires qui n’a aucune préoccupation démocratique réelle. Nul ne souhaite cette solution « brutale », susceptible de provoquer des réactions contraires dangereuses pour « l’ordre » économique. Mais s’il fallait en passer par là, comme on l’a vu dans le passé, un nouveau syncrétisme affairiste de la droite et du néofascisme pourrait « servir ». Les scrupules n’ont jamais perturbé le monde de l’argent.
En bref, l’Histoire continue….. au sein des institutions d’une V° République usée, bien sûr, mais surtout demain et après-demain dans les entreprises, les lieux de cultures, et la rue.

Robert CHARVIN
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dimanche 10 septembre 2017

Ghis on Personal Sovereignty, Immortality, David Icke, with Hugh Reilly on ThatChannel


Ajoutée le 1 sept. 2017

Qui suis-je ?
Je suis un être humain, me dit-on. « Être » identifie l’esprit créateur et « humain » (humus/terre), la matière créée. Je suis donc la créatrice suprême de l’univers et sa créature à la fois. Voilà mon identité véritable. Or, en plongeant dans la matière inconsciente, j’ai oublié qui j’étais. Un petit coquin, le « dieu du mensonge », en profita pour usurper mon pouvoir souverain. Il me convainquit que je n’étais qu’une pauvre créature impuissante qui a besoin de sécurité et de protection. Il établit une hiérarchie du sommet de laquelle il règne sur la terre par ses représentants invisibles et visibles. À la base de la pyramide, ses esclaves humains vivent dans la peur permanente d’un grand patron mensonger nommé Dieu, Allah, Yahvé, Satan, Lucifer, Nature, Hasard, Science. Je l’ai cru. Je ne le crois plus. J’ai choisi le chemin de Personocratia. Personocratia se souvient de qui elle est, et agit en conséquence. Au fur et à mesure qu’elle progresse dans sa conscience-de-vérité, le vieux monde de mensonge – avec son dieu – s’effondre et fait apparaître au grand jour l’être suprême qui réside au fond de tout être humain. Telle est la signification du disque de Personocratia : l’être humain transformé. Ses trois corps (physique, vital et mental) sont alignés sur la gouvernance de l’âme et le règne de l’esprit. Les personocratias sont reliées par la conscience d’être un seul et même esprit. C’est la communion d’esprit. Personocratia adapte son nom et son vocabulaire à cette nouvelle conscience. Personocratia signifie le pouvoir de gouverner (-cratie) de la personne (persono-) souveraine. Personocratia désigne toute personne (toi et moi) qui se souvient de qui elle est, Diesse★, et qui se comporte comme telle au quotidien. Personocratia consiste en une conscience à deux composantes indispensables et interdépendantes l’une de l’autre : la vision et l’action. Elle voit les choses différemment et elle agit en concordance. ★ Diesse : Combinaison des mots « dieu » et « déesse », c’est le nom que Personocratia donne à l’être suprême inhérent à tout ce qui existe. Hors séparation esprit et matière, Diesse est à la fois l’esprit créateur et la matière créée. Par conséquent, toute personne est créatrice de l’univers, qu’elle le sache ou non. Personocratia le sait et le démontre dans ses gestes quotidiens. Quant au mot « diessité », il définit le prochain règne post-animal vers lequel évolue l’humanité. La diessité se manifestera lorsque le gouvernement de la conscience aura remplacé le gouvernement de l’intelligence.
source : http://www.personocratia.com/vocabulaire/

Former medical doctor and author of "The Medical Mafia", and initiator of Personocratia (http://www.personocratia.com), Ghis describes what to do to claim your personal inalienable sovereignty and freedom from oppressive law, government, and other corporate bullies. Get inspired just by listening to her words.
http://www.thatchannel.com 2017-08a-25 Who Am I?
I am told that I am a human being. The word « being » identifies the creative spirit and « human » (humus, soil) represents created matter. Thus, I am both the supreme creatrix of the whole universe and its creature. This is who I really am. As I dived into unconscious matter, I forgot who I was. A mischievous “god of illusion” decided to take advantage of the situation by stealing my sovereign power. He convinced me that I was a poor, powerless creature in need of security and protection. He established an elaborate hierarchy. From its summit, he reigns over Earth through the efforts of his visible and invisible representatives. At the base of this pyramid, human slaves live in permanent fear of this illusory Big Boss, whom they call God, Allah, Yahweh, Satan, Lucifer, Nature, Fate, or Science. Once, I too believed in him. This time is now over. I have chosen Personocratia’s path. Personocratia remembers who she is and acts accordingly. Gradually, as she discovers the truth-consciousness, the old world of illusion collapses, along with its false god. The supreme being inherent to each human being can finally emerge into the open. Personocratia represents this transformed human being as a disk. Its three bodies (physical, vital, mental) vibrate in total harmony under the governance of the soul and the reign of spirit. All personocratias are linked together through the consciousness of a single spirit. This is called the communion of spirit. Personocratia adapts her name and vocabulary to this new consciousness. The word “Personocratia” means the power to govern (-cratia) of the sovereign person (persono-). Personocratia refers to each person – you and me – who remembers that she is Idessa★ and behaves as such in daily life. Personocratia represents a consciousness with two indispensible and interdependent aspects: vision and action. She sees things differently and acts accordingly. ★ Idessa: The combination of “I” (the human being), “-dess” (suffix of “goddess”) and “-a” (feminising suffix). This is the name Personocratia uses for the supreme being inherent to all that exists. Beyond the illusory separation of spirit and matter, Idessa is both creative spirit and created matter simultaneously. Consequently, every person is the creatrix of the universe, whether she is aware of it or not. Personocratia knows this and expresses it in her actions. As for the word “idessity”, it defines the next, post-animal kingdom towards which humanity is evolving. Idessity will become manifest when the government of consciousness will have replaced the government of intelligence.

Ghis parle anglais de façon accessible. Pour les visuels,  possibilité de rajouter les sous-titres en anglais dans le coin inférieur droit de la vidéo (en français, la transcription est imbuvable)


jeudi 26 mai 2016

Qu’est-ce que la souveraineté d’une nation ? / What is the sovereignty of a nation?


« De la souveraineté » L’édito de CharleSANNAT



louis 14

Mes chères impertinentes, mes chers impertinents,

Qu’est-ce que la souveraineté d’une nation ?

Pour qu’il y ait souveraineté, il faut qu’un État dispose de 4 pouvoirs, de 4 attributs principaux.
1/ Un État souverain doit pouvoir battre monnaie.
2/ Un État souverain doit être capable de faire les lois.
3/ Un État souverain doit être en mesure de rendre la justice.
4/ Un État souverain doit pouvoir décider de la paix ou de la guerre.

Or à moins que vous viviez chez les éléphants roses :

– l’Europe bat monnaie à notre place;
– l’Europe fait les lois à notre place, les députés français ayant pour rôle de « transposer » en droit français les décisions de la Commission européenne, comme le montre la loi El Khomri ;
– l’Europe est la plus haute juridiction qui a priorité sur les décisions de justice nationales et les arrêts de la Cours européenne de justice s’impose en droit à notre pays régulièrement condamné.
– enfin, si ce n’est pas l’Europe qui décide de nos guerres, c’est sans doute presque pire, puisque le centre de décision est plus à Washington qu’à Paris.

La France n’est plus un État souverain.

Voilà la terrible conclusion à laquelle, quelles que soient vos orientations politiques, vous ne pouvez qu’arriver de manière uniquement froide et lucide.
La France n’est plus un État souverain.
Nous sommes un vague protectorat américain et une province européenne.
Rien de plus. Rien de moins.
Or la crise politique qui secoue notre pays qui ne « va-pas-mieux » est liée intrinsèquement à cette absence de souveraineté.
Collectivement, nous ne sommes plus en mesure de nous choisir un destin et un avenir.
C’est l’une des conséquences les plus dramatiques de cette funeste Europe qui porte désormais en elle les plus grands malheurs des peuples.
Mais allons plus loin. Si nous ne décidons plus de rien, et que nous ne sommes plus souverains, alors que la souveraineté du peuple est la base même de notre constitution, cela veut dire que nous n’avons plus aucun pouvoir.
Logiquement encore, cela signifie que toutes les décisions prises par d’autres illégitimes s’imposent à nous. Cela porte un nom…
DICTATURE, fut-elle pour le moment relativement soft et sans camp.
Mais l’histoire vous apprendra qu’une dictature ne commence jamais par les camps, elle s’achève avec les camps. Les nazis ne commenceront pas par les camps, pas plus que Staline.
Je vous invite à voir cette vidéo très récente de Marie-France Garaud (tout en bas) à ce sujet. C’est simplement tellement vrai.
Vive la France.
En attendant, mes chers amis, préparez-vous, il est déjà trop tard !
Charles SANNAT
« Insolentiae » signifie « impertinence » en latin
Pour m’écrire charles@insolentiae.com
Pour écrire à ma femme helene@insolentiae.com

Vous pouvez également vous abonner à ma lettre mensuelle « STRATÉGIES » qui vous permettra d’aller plus loin et dans laquelle je partage avec vous les solutions concrètes à mettre en œuvre pour vous préparer au monde d’après. Ces solutions sont articulées autour de l’approche PEL – patrimoine, emploi, localisation. L’idée c’est de partager avec vous les moyens et les méthodes pour mettre en place votre résilience personnelle et familiale.


 « À vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes » (JFK)

« Ceci est un article ‘presslib’, c’est-à-dire libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Insolentiae.com est le site sur lequel Charles Sannat s’exprime quotidiennement et livre un décryptage impertinent et sans concession de l’actualité économique. Merci de visiter mon site. Vous pouvez vous abonner gratuitement à la lettre d’information quotidienne sur www.insolentiae.com. »

mardi 27 octobre 2015

Frontières, mondialisation, souveraineté / Borders, globalization, sovereignty


PAR JACQUES SAPIR · 22 OCTOBRE 2015

source : http://russeurope.hypotheses.org/4402

On parle beaucoup aujourd’hui, du fait de la crise des réfugiés en Europe et au Proche-Orient, d’un « retour des frontières ». Ceci est assez étonnant, tout en décrivant bien, en creux, l’idéologie dominante dans une partie de la presse et chez certains commentateurs. Il faut en effet constater que les frontières existent aujourd’hui. C’est une évidence mais cela relève de la « découverte » pour certain. De ces frontières, certaines sont plus étanches que d’autres, mais elles sont une réalité générale. Par ailleurs, même au sein de l’Union Européenne l’accord de Schengen est aujourd’hui ouvertement remis en cause. Signe des temps : nous voici bien ramené à la question des frontières. Mais, cette question pose en filigrane celle de la mondialisation et celle de la souveraineté.

Du rôle de la frontière

Parler de retour des frontières implique que nous vivrions dans un monde sans frontières, ce qui n’est à l’évidence pas le cas. Cette question est donc très mal formulée. La véritable question n’est pas est-on pour ou contre des frontières, mais à quoi ces frontières doivent-elles servir.

La frontière est en réalité la condition de la démocratie. C’est elle qui permet de relier la décision collective et la responsabilité. Sans l’existence de frontières, si nous vivions dans une indétermination territoriale, nous pourrions certes avoir la possibilité de la décision en commune mais pas la responsabilité de long terme qui vient de l’existence sur un territoire donné. Ce fut d’ailleurs, historiquement, le problème qui empêcha les peuples nomades de se donner des institutions sociales et politiques à l’image des peuples sédentaires. La frontière est aussi constitutive de la démocratie en cela qu’elle détermine un peuple (et non une appartenance ethnique ou religieuse). C’est la frontière qui met l’étranger voulant vivre dans un autre pays devant le choix de s’intégrer ou d’être privé de droits politiques. Elle est une séparation entre l’intérieur et l’extérieur, séparation sans laquelle aucune organisation, et je rappelle qu’un Etat est une organisation, ne saurait – tout comme tout être vivant – exister. Même les protozoaires ont une membrane qui les isole de leur environnement.

Une frontière doit donc jouer le rôle d’un filtre laissant passer certaines choses, et bloquant certaines autres. Aussi, la question des frontières pose celle du protectionnisme. On sait que ce dernier à mauvaise presse. Mais, la question du protectionnisme est indissolublement liée à celle des politiques de développement. Les travaux d’Alice Amsden[1], Robert Wade[2] ou ceux regroupés par Helleiner[3] montrent que dans le cas des pays en voie de développement le choix du protectionnisme, s’il est associé à de réelles politiques nationales de développement et d’industrialisation[4], fournit des taux de croissance qui sont très au-dessus de ceux des pays qui ne font pas le même choix. Avec l’émergence de la nouvelle théorie du commerce international de Paul Krugman, on peut considérer que le protectionnisme a retrouvé en partie ses lettres de noblesse[5]. Paul Krugman lui-même a récemment reconnu que la globalisation pouvait bien, malgré tout, être considérée comme coupable[6]. Des phénomènes comme le recours massif à une sous-traitance étrangère n’avaient ainsi pas été prévus et ont considérablement modifié l’approche de la globalisation[7].

Frontières et mondialisation

Le fait que les pays d’Asie qui connaissent la plus forte croissance ont systématiquement violé les règles de la globalisation établies et codifiées par la Banque mondiale et le FMI a été établi par Dani Rodrik[8]. Ceci renvoie à la question des politiques nationales et à la problématique de l’État développeur qui renaît dans le débat depuis quelques années[9]. Cette problématique est en réalité au cœur du réveil industriel de l’Asie. En fait, ce sont ces politiques nationales qui constituent les véritables variables critiques pour la croissance et le développement, et non l’existence ou non de mesures de libéralisation du commerce international. Mais admettre cela revient à devoir reconsidérer le rôle de l’État dans les politiques économiques et le rôle du nationalisme comme idéologie associée au développement. On touche ici à de puissants tabous de la pensée orthodoxe en économie comme en politique.

Pourtant, il est clair que ce protectionnisme, ces politiques de développement national, n’interdisent nullement le commerce international. Le protectionnisme n’est pas l’autarcie. Ceci devrait être évident pour tout le monde. Mais, quand François Hollande, Président de la République, appelle à l’occasion du soulèvement récent des agriculteurs en France à « manger français », ne se fait-il pas, lui l’apôtre de l’autarcie? Sa formule relève en effet de ce qui s’appelle l’autarcie et qu’aucun économiste ne peut recommander. En réalité, des formes de protectionnisme, égalisant les conditions tant sociales qu’écologiques dans lesquelles les biens sont produits, sont absolument nécessaire. Ces formes de protectionnisme seraient plus efficaces si nous pouvions arriver à un accord commun avec certains de nos partenaires. Mais, même sans cet accord, elles seraient incontestablement efficaces.

 Du rôle modérateur de la notion de frontière

Il faut ici se souvenir du petit livre publié en 2010 par Régis Debray et qui s’intitulait Eloge des Frontières [10]. Il faut donc lire ou relire ce petit livre qui dit une grande chose. La frontière, parce qu’elle distingue un intérieur d’un extérieur permet le contact avec l’autre comme elle permet la démocratie, cette combinaison de pouvoir et de responsabilité. Dans une interview qu’il donne à l’occasion de la sortie de ce livre au JDD, Régis Debray dit aussi : « La frontière, c’est la modestie : je ne suis pas partout chez moi. J’accepte qu’il y ait de l’autre et pour faire bon accueil à un étranger, il faut avoir une porte à ouvrir et un seuil où se tenir, sinon ce n’est plus un hôte mais un intrus. Un monde sans frontières serait un monde où personne ne pourrait échapper aux exécuteurs de fatwas ou aux kidnappeurs de la CIA. (…)La méconnaissance des frontières relève d’un narcissisme dangereux, qui débouche sur son contraire : les défenses paranoïaques. Une frontière invite à un partage du monde et décourage son annexion par un seul »[11]. On voit que le propos est large. Il faut en tenir compte. Sans l’existence de frontières la distinction entre l’invitant et l’invité cesserait d’exister. Dès lors ne pourrait plus être pensée l’obligation morale qu’il y a à accueillir un étranger poursuivi par u pouvoir tyrannique sur son sol natal, obligation qui – il faut le rappeler – existe dans la déclaration des Droits de l’Homme et dans le préambule de la Constitution en France. Mais, ce que dit Régis Debray va encore plus loin. L’existence de frontières permet de penser la pluralité du monde. Elle s’oppose à la vision unifiante – et terrifiante – de l’empire universel. C’est l’existence de frontières, parce qu’elle permet l’existence de nations, qui permet l’internationalisme et non, comme le confondent beaucoup aujourd’hui, un a-nationalisme, une généralisation du statut d’apatride pour tous.

Frontières et souveraineté

Mais, parler de frontière est une autre manière de parler de la souveraineté.

Dès lors, on peut définir le souverainisme étymologiquement comme l’attachement de quelqu’un à la souveraineté de son pays, et donc l’attachement à ses frontières. Cela pourrait en faire un équivalent de patriotisme. Mais, dans sa signification actuelle, le souverainisme définit en réalité un attachement et une défense de la souveraineté du peuple, qui est le fondement principal de la démocratie. Le souverainisme est donc ce qui permet l’expression de la volonté d’une communauté politique (le peuple) à pouvoir décider de lui même, par lui-même et pour lui-même sur les questions importantes[12].

C’est donc une notion qui s’enracine profondément dans une vision de gauche de la société. C’est ce qui explique, sans doute, le succès grandissant des idées souverainistes car elles sont les seule qui permettent de rattacher l’aspiration au progrès social à des mécanismes concrets, car fonctionnant au sein d’espaces territorialisés clairement définis. Ce souverainisme ne relève pas d’une quelconque xénophobie. Il permet au contraire de penser la libre disposition d’un peuple de prendre son destin en main.

Le souverainisme est donc la position logique, et même la position nécessaire, de tous ceux qui veulent penser la démocratie, non pas comme un rite formelle mais comme une pratique réelle. Qu’il y ait, à partir du moment ou la souveraineté est établie et la démocratie réelle rétablie, des oppositions entre courants se réclamant du souverainisme est chose normale. On peut même dire qu’elle fait partie intégrante du processus démocratique. Mais, ces différents doivent être unis quand il s’agit de défendre la souveraineté et la démocratie. De ce point de vue, et contrairement à ce que d’aucuns écrivent[13], il n’existe pas de souverainisme « de gauche » ou « de droite ». Il existe des opinions, de droite ou de gauche, tenues par des souverainistes. Mais, l’ensemble des « anti-souverainistes » sont en réalité des gens que l’on peut qualifier comme « de droite » car ils se prononcent contre les bases mêmes de la démocratie.

Retour des frontières ou retour des Nations ?

Ce à quoi on assiste depuis maintenant plus d’une dizaine d’années, c’est au contraire à un retour des Nations[14]. Ce retour a commencé avec le rétablissement de la Russie ; il s’est prolongé avec les politiques des Etats d’Asie orientale. Désormais, ce processus concerne directement l’Europe. Face à ce retour des Nations, on peut soit le combattre, mais c’est un combat perdu d’avance, ou l’on peut chercher à fonder de nouvelles formes de coopération entre ces Nations.

Car, le retour des Nations n’implique nullement celui du nationalisme et du bellicisme. Les grands projets, dont les européens sont fiers, à juste titre, ont TOUS été le résultat de coopérations multinationales, et non d’un processus fédéral. Qu’il s’agisse d’Ariane ou d’Airbus, au départ ce sont quelques pays qui ont décidé de mettre en commun leurs savoir-faire et leurs compétences. D’ailleurs Airbus n’aurait jamais existé sans l’accord franco-allemand pour la construction de l’avion de transport Transall et sans le Concorde franco-britannique, qui a permis une modernisation décisive de l’industrie française.

Aucun de ces grands projets, et de ces grandes réussites, n’est aujourd’hui possible dans le cadre étriqué et étouffant de l’Union européenne. On a tout à fait le droit de penser que les Nations sont des cadres périmés. Mais en ce cas, il faut en tirer les conséquences pour soi-même. C’est pourquoi on ne peut qu’être très choqué de certains propos tenus récemment par François Hollande lors de son discours devant le Parlement européen, non tant par les propos eux-mêmes, mais du fait qu’ils sont contradictoires avec la fonction de Président de la République qu’il occupe. S’il était cohérent, il devrait donc démissionner.

[1] A. Amsden, Asia’s Next Giant, New York, Oxford University Press, 1989.

[2] R. Wade, Governing the Market, Princeton (N. J.), Princeton University Press, 1990.

[3] G. K. Helleiner (dir.), Trade Policy and Industrialization in Turbulent Times, Londres, Routledge, 1994.

[4] Voir C.-C. Lai, « Development Strategies and Growth with Equality. Re-evaluation of Taiwan’s Experience », Rivista Internazionale de Scienze Economiche e Commerciali, vol. 36, n° 2, 1989, p. 177-191.

[5] Voir A. MacEwan, Neo-Liberalism or Democracy?: Economic Strategy, Markets and Alternatives For the 21st Century, New York, Zed Books, 1999.

[6] P. Krugman, « A Globalization Puzzle », 21 février 2010, disponible sur krugman.blogs.nytimes.com/2010/02/21/a-globalization-puzzle.html .

[7] Voir R. Hira, A. Hira, avec un commentaire de L. Dobbs, « Outsourcing America: What’s Behind Our National Crisis and How We Can Reclaim American Jobs », AMACOM/American Management Association, mai 2005 ; P. C. Roberts, « Jobless in the USA », Newsmax.com, 7 août 2003, www.newsmax.com/archives/articles/2003/8/6/132901.shtml .

[8] D. Rodrik, « What Produces Economic Success?  » in R. Ffrench-Davis (dir.), Economic Growth with Equity: Challenges for Latin America, Londres, Palgrave Macmillan, 2007. Voir aussi, du même auteur, « After Neoliberalism, What? », Project Syndicate, 2002 (www.project-syndicate.org/commentary/rodrik7).

[9] Voir T. Mkandawire, « Thinking About Developmental States in Africa », Cambridge Journal of Economics, vol. 25, n° 2, 2001, p. 289-313; B. Fine, « The Developmental State is Dead. Long Live Social Capital?  », Development and Change, vol. 30, n° 1, 1999, p. 1-19.

[10] Debray R., Eloge des Frontières, Paris, Gallimard, 2010.

[11] Publié dans le JDD du 13 novembre 2010, http://www.lejdd.fr/Culture/Livres/Actualite/Regis-Debray-La-frontiere-c-est-la-paix-interview-233498

[12] Selon la définition donnée par Abraham Lincoln de la démocratie dans la fameuse « Adresse de Gettysburg ».

[13] Voir Plassart P., « Sirènes souverainistes », in Le Nouvel Economiste, 22 octobre 2010, http://www.lenouveleconomiste.fr/sirenes-souverainistes-28489/

[14] Sapir J., Le Nouveau XXIè Siècle, le Seuil, Paris, 2008

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Jacques Sapir

Ses travaux de chercheur se sont orientés dans trois dimensions, l’étude de l’économie russe et de la transition, l’analyse des crises financières et des recherches théoriques sur les institutions économiques et les interactions entre les comportements individuels. Il a poursuivi ses recherches à partir de 2000 sur les interactions entre les régimes de change, la structuration des systèmes financiers et les instabilités macroéconomiques. Depuis 2007 il s'est impliqué dans l’analyse de la crise financière actuelle, et en particulier dans la crise de la zone Euro.