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dimanche 27 janvier 2019

Laurent Botti est atterré des réactions qu'il lit ici ou là sur les Gilets jaunes. Son analyse, ses prédictions. En bonus, une réaction d'un foulard rouge suite à l'éborgnage de Jérôme Rodrigues

Je suis assez atterré des réactions que je lis ici ou là sur les Gilets jaunes. Il me semble que la plupart de ceux qui s'insurgent contre ce mouvement n'ont pas saisi qu'il constitue une pâle répétition de ce qui se prépare demain: il ne s'agit pas ici d'une prédiction illuminée ou d'un souhait, mais d'une réalité inévitable.
Nous vivons sous le joug d'un capitalisme totalitaire. Ce n'est pas une opinion: c'est un fait. Il n'existe plus aucune alternative à ce système. Son application est universelle, il a éradiqué toutes les autres doctrines économiques adoptées par les pouvoirs en place, s'est libéré de tout frein, et affranchi des lois universelles qui sont au coeur même du pacte humain, dont la plus élémentaire pour soutenir un système: un minimum d'égalité.
Parmi les conséquences de ce totalitarisme d'une extrême violence (nul doute que l'Histoire fera un jour le décompte des mort du capitalisme comme elle a fait l'inventaire du communisme ou d'autres dictatures), deux retiennent particulièrement l'attention: l'état de la planète, terre de pillage devenue poubelle, et le gouffre des inégalités, devenu insoutenable.
Tôt ou tard, ces deux phénomènes sont appelés à se rencontrer. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est la NASA (l'étude a été largement commentée à sa sortie). Cette rencontre va provoquer des bouleversements irréversibles, que l'on peut résumer en ces mots: l'effondrement de notre civilisation.
Nous ne pourrions y échapper qu'à condition d'appliquer deux mesures: la réduction drastique de notre consommation d'énergie et une meilleure redistribution des richesses. Les économistes le savent, les scientifiques le confirment, les penseurs le théorisent depuis maintenant plusieurs décennies.
Seulement voilà: ces deux mesures s'opposent à la nature même du capitalisme tel qu'il est appliqué aujourd'hui.
Les conséquences, donc, sont inévitables. Et s'il est bon de le rappeler, c'est parce que lorsque je lis les réactions, partout, sur ce qui est en train de se passer, je réalise que les gens vivent dans une réalité parallèle, dans l'inconscience absolue de l'état du monde...
Alors chers amis, qui regardez de haut les "beaufs" casser des vitrines de luxe ou renverser des Porsche, et se faire casser à leur tour par une police toujours plus violente pour défendre ce Capitalisme devenu dictature, sachez que je vous regarde, moi, avec l'incompréhension, la compassion, et la terreur, que l'on réserve aux membres d'une secte juste avant leur suicide collectif.
Vous avez été embrigadé, Diorisé, HanounaÏsé... au point de vous moquer de ceux qui défendent l'avenir de vos gosses.
Et dans le processus, vous avez oublié ceci: nous vivons dans une dictature - oui j'ai pesé le mot - capitaliste. Tous les pouvoirs du monde sont mobilisés aujourd'hui contre nous, Humains, pour la défense, la perpétuation, et l'accélération de ce système. Comme tout système totalitaire, calotte glacière ou pas, il est appelé à s'effondrer, à être renversé, éradiqué, jugé et condamné. Et ce que vous voyez avec les Gilets jaunes n'est que le pâle embryon de ce qui est en train de se préparer.
Joyeux réveil.
source :
Laurent Botti
https://www.facebook.com/groups/310403819778193/permalink/408471623304745/


Réaction d'un foulard rouge suite à l'éborgnage de Jérôme Rodrigues 
source : https://www.facebook.com/photo.php?fbid=10219644667371194&set=gm.1128977330596311&type=3&eid=ARB0QIq8s-CKjPkdomiEVU40KS_AjCDkppZq_gC61RMIW-iVSgsPQeMlIBsxrq0d9uRkdnMHywSp4zvm



lundi 14 janvier 2019

Flagrant délit de censure dans la Libre Belgique... A propos des inégalités sociales

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Le journal Kairos est un journal papier, que vous pouvez trouver dans une série de points de vente. Il ne peut réaliser des articles que parce qu’il est acheté ou parce qu’on y est abonné !


En mars 2018, la collaboration entre le magazine Financité et La Libre prenait subitement fin, après 12 années pendant lesquelles le premier fut trimestriellement encarté dans le second.
Retour sur un cas de censure avéré, typique d’un contrôle de la  pensée, généralement plus insidieux, propre à nos sociétés « modernes ».
Kairos : Décris-nous en quelques mots ce qu’est le magazine Financité ? 
Julien Collinet : Financité magazine naît il y a 12 ans. À la base, Financité était une association qui informait uniquement le public sur tout ce qui a trait à l’investissement solidaire. Elle est ensuite devenue une association d’éducation permanente avec une mission d’information et de sensibilisation par rapport à la finance en général. Ensuite, il y a eu une évolution vers des thématiques beaucoup plus larges et un intérêt pour davantage de choses. Du coup, ce magazine qui au départ était consacré uniquement à l’investissement solidaire s’est transformé en quelque chose de plus critique autour de la finance, de sujets économiques globaux et leurs implications sur les gens, en travaillant par exemple sur la spéculation alimentaire. Il faut savoir que dès le deuxième numéro, le magazine était encarté dans La Libre Belgique mais nous le distribuions aussi dans 400/500 lieux de dépôt en Wallonie et à Bruxelles : des cafés, des CPAS, des Maisons médicales, etc., plus nos abonnés qui le reçoivent par la Poste. 
Quelles ont été vos relations avec La Libre au départ et par la suite ? 
C’était vraiment très bien. On avait nos rendez-vous annuels, j’échangeais toujours avec eux. Il faut savoir qu’ils avaient en charge l’impression du magazine, ils étaient très contents, avaient de très bons retours de leurs lecteurs. Les gens pensaient même souvent que c’était un supplément de La Libre Belgique. On m’a toujours dit que ça les arrangeait, leur faisant un contenu rédactionnel de qualité en plus. Il n’y a donc jamais eu aucun reproche, jusqu’à un numéro de septembre 2017.
Donc aucun rappel, même quand vous traitiez des sujets un peu « délicats » ? 
Jusque-là ils ne nous ont jamais rien dit. Il n’y a jamais eu un petit reproche ou une simple discussion sur le contenu. On se sentait vraiment libre de publier ce qu’on voulait. 
La collaboration s’arrête brusquement il y a quelques semaines, explique-nous comment cela s’est passé ?
Comme je disais, jusqu’en septembre 2017, il n’y a pas eu de problèmes, ça allait chaque fois de mieux en mieux. Ils nous offraient plus d’opportunités, étaient dans une démarche pour qu’on continue et qu’on renforce le partenariat. Puis il y a ce numéro en 2017 qui portait sur les inégalités, avec une photo d’Albert Frère en couverture. Mon choix alors était de traiter les inégalités et de les incarner, pas de dire « les inégalités dans le monde », mais montrer qui sont ses représentants. Ainsi, en ouverture du dossier il y a notamment les 8 hommes les plus riches du monde, ce qui ne posait pas de problème du tout à La Libre. Mais c’est une semaine après la parution qu’on reçoit un mail qui nous indique que ça a fait beaucoup de remous au sein de La Libre
Petite précision ici, ils ne contrôlent donc pas ce qui va sortir, c’est après qu’ils réagissent en fonction des retours qu’ils ont eus.
Il faut savoir qu’on envoyait le magazine pour impression le mardi et en général il était imprimé le mardi après-midi. Mais vu qu’ils nous faisaient totalement confiance, il n’y avait pas de relectures. Bref, on reçoit un mail de la personne qui s’occupe du partenariat, qui nous dit que ça fait beaucoup de remous et qui veut qu’on se rencontre, notamment avec le directeur général d’IPM, Denis Pierrard, ancien directeur général de Libération en France.
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Donc, vous allez à cette réunion…
On va à cette réunion qui a lieu deux ou trois semaines après. Je m’y rends avec le directeur de Financité, pour retrouver la personne qui gère le partenariat ainsi que Denis Pierrard. En gros, ils nous expliquent qu’ils ont eu des coups de fil, que son conseil d’administration s’est levé contre cette Une, qu’on aurait dit un tract du PTB, que c’est vraiment démagogique, que nos infos n’étaient pas solides, qu’on mettait des gens en cause qui sont proches de La Libre, que ça, ce n’est pas acceptable, etc. Nous citions notamment dans le dossier des grandes familles au patrimoine important en Belgique, la famille Emsens par exemple, qui s’enrichit grâce au commerce de l’amiante. À ce sujet, ils nous disent que ce n’est pas solide(1).
« La famille Emsens
(3,3 milliards € de patrimoine) s’est enrichie grâce au commerce de l’amiante, via sa société Eternit. Ces gens ont tué des milliers de personnes à cause de leurs produits nocifs et on laisse leur fortune prospérer »

(Financité, septembre 2017)
Qu’est-ce que vous leur répondez ?
Sur le fait, on l’a laissé parler, j’ai vraiment trouvé ça ubuesque, assez violent qu’on remette notre travail en cause comme ça. Ils ajoutent aussi que c’est malhonnête de pointer du doigt Albert Frère comme ça, alors que c’est quelqu’un de très généreux.
C’est un mécène.
Oui, un philanthrope… Ils ajoutent que même s’il avait fait de l’évasion fiscale (sic), ce n’est pas illégal. C’est peut-être immoral mais, bon, on n’a pas le droit d’en parler. Déjà avant, dans le mail, ils nous demandaient, évoquant le logo de La Libre inscrit sur le site de Financité et sur le magazine, de retirer tout cela immédiatement, ne voulant plus y être associés de près ou de loin.
À ce moment, ils nous posent plusieurs conditions. Outre de retirer le logo, ils veulent qu’à l’avenir, si on continue le partenariat, on indique que nos propos n’engagent nullement la rédaction de La Libre. On n’avait pas de soucis par rapport à cela, ça nous paraissait même honnête. Mais ils nous obligèrent aussi à ce que le journal soit relu avant publication et qu’ils puissent exiger des modifications. Cela nous engageait donc à fournir le matériel une semaine avant. Qu’il y ait un délai, pas de soucis, on pouvait s’arranger, le journal paraît tous les trois mois.
Malgré que vous indiquiez que les propos du magazine Financité n’engageaient nullement La Libre, ils demandent un droit de regard et de modification ?
Oui, et nous avons à ce moment réfléchi à cela, car premièrement, ça nous poserait un problème s’ils devaient un jour nous demander d’enlever une information et, deuxièmement, il y a quand même implicitement dans ce cas une forme d’autocensure qui apparaît car on sait qu’on peut se faire retoquer si on écrit quelque chose qui ne leur plaît pas. Mais on va finalement accepter car cela nous permettait quand même d’avoir une distribution énorme pour un petit journal comme ça.
60.000...
Oui, le samedi ils en impriment 60.000. Cela nous permet d’avoir une audience qu’on ne pourrait avoir nous-mêmes par nos petits moyens. On a donc continué, tout en réfléchissant à ce qui pourrait se passer.
Puis, le numéro de décembre arrive.
Oui, le numéro de décembre arrive, qui ne porte pas du tout sur un sujet polémique, puisqu’il traite des coopératives comme réponse à l’uberisation, pour laquelle je prends l’exemple des livreurs à vélo, Delivero, etc. Mais en fait, il y a un autre article, qui se trouve dans les « pages zoom » que publie Financité [L’association] et que moi je vulgarise un peu. Là, j’essaie quand même de les tester et je remets une petite référence à Albert Frère, dans un article qui porte sur la façon dont les riches sont, forcément, ceux qui utilisent le plus les paradis fiscaux. Donc, rappelant les inégalités, je fais une petite phrase sur Albert Frère pour rappeler comment celles-ci sont fortes et j’indique combien pèse son patrimoine par rapport à celui des Belges. Et là, ça ne rate pas, ils me demandent de l’enlever, directement.0?ui=2&ik=56dbc62415&attid=0.1.2&permmsg

Mais le papier montre également que les riches belges font plus d’évasion fiscale que la moyenne européenne, justifiant que je titre « Les riches belges aiment les paradis fiscaux ». Et là, pareil, on me demande d’enlever « belge ». C’est pas grand-chose, mais…
C’est pas grand-chose, mais ça veut dire beaucoup de choses. 
Ça veut dire qu’on peut taper sur les riches globalement mais pas sur les familles belges (et ça on va l’apprendre après, le comprenant clairement quand ils annuleront le numéro de mars 2018) parce que les conseils d’administration des groupes de presse sont composés de personnes défendant les intérêts de ces familles. Dans ce cas, ils nous préviennent deux heures avant le bouclage, on avait bossé deux mois dessus, on n’allait pas dire : « On annule tout ».
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Donc à contre cœur…
… on l’enlève au final. 
C’est violent. Et donc après ? 
Le numéro de mars aborde la question du service public. À nouveau, le sujet est relu. Dans le premier mail qu’on m’envoie, on me dit : « Dorian [Dorian de Meeûs] a relu ».
Le rédacteur en chef de La Libre Belgique
Oui. Ce qui est intéressant, c’est que quand nous avons par après décidé de rendre publique cette affaire en publiant un communiqué de presse, Belga interviewe Denis Pierrard, directeur d’IPM, qui dit : « La rédaction n’avait aucun lien avec ça, elle n’est jamais intervenue dans le contenu », alors que c’est le directeur de la rédaction de La Libre qui a vérifié et ensuite demandé des modifications dans ce numéro-là.
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Tu penses donc que le directeur de rédaction vérifie et ne demande pas l’avis de quelqu’un d’autre. Il sait lui-même ce qu’il faut censurer, ce qui ne va pas plaire aux actionnaires ?
Oui, tout à fait. La personne qui gère les partenariats, écrit dans son mail : « Dorian a relu, il a trouvé le dossier super », etc.  Elle brosse un peu dans le sens du poil, ajoutant toutefois : « Mais il y a deux choses qu’on ne peut pas accepter, notamment dans le courrier des lecteurs où on parle des inégalités et quelqu’un qui se dit écœuré de voir l’écart entre les revenus des patrons et ceux des travailleurs », ce qui en soi, même si on peut trouver ça démagogique et tout ce qu’on veut, est vrai.
Mais surtout, il y a une brève qui pose problème, qui porte sur un rapport publié par une ONG islandaise montrant que certaines banques belges ont des investissements dans l’armement nucléaire. J’y cite des banques, dont Degroof Petercam, ce qui se révélera important plus tard. Je sais que Degroof est au CA de La Libre… En gros, il m’explique que c’est vraiment trop simple, qu’on ne peut pas résumer un sujet aussi compliqué en une brève, que ça demanderait beaucoup d’explications. 
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C’est de Meeûs qui dit cela ? 
Non, c’est l’intermédiaire mais j’imagine que les ordres viennent d’en haut. Bref, il y a des échanges de coup de fil. Moi je me défends, dis que c’est factuel, etc. Je sais donc que c’est cela qui pose problème. Après plusieurs échanges de mails, on m’envoie un message : « Ok, on a discuté avec Denis Pierrard et avec Dorian [de Meeûs] »,  m’indiquant par après au téléphone : « Ce n’est pas possible, on vous fait une proposition ». Et là il m’envoie par mail une proposition : « Enlevons Degroof Petercam qui fait partie de notre conseil d’administration, ça pose problème ».

Parce qu’il y a le fameux Alain Siaens qui est au CA ?
C’est ça. Ils disent « Siaens fait partie de notre conseil d’administration ».
À ce moment-là, que leur dis-tu ? 
Je dis que ce n’est pas acceptable et je refuse leur demande. À ce moment, je sais qu’on ne va pas être publié. Le lendemain, normalement jour de la publication, ils m’appellent et là je suis obligé de les pousser pour qu’ils me disent eux-mêmes : « En l’état, on refuse de publier ça », et là on me dit « C’est Patrice le Hodey, patron d’IPM (voir l’article dans ce dossier : « La galaxie le Hodey »), qui a tranché ». C’est carrément le patron d’IPM qui a tranché pour une petite publication et une histoire de brève ! Donc là on a refusé. Ils ont quand même accepté d’imprimer le journal mais pas de l’encarter. 
La Libre voulait donc que vous réécriviez le journal ? 
Ils ont accepté en fait qu’on publie cette brève, après négociation, mais à condition d’enlever la Banque Degroof, qui est proche de La Libre Belgique, parce qu’un des administrateurs de Degroof est administrateur d’IPM.
Ce qui est fantastique, c’est que par un effet un peu de miroir,  ça donne une idée de ce qu’ils peuvent dire et ne pas dire dans La Libre. Nous, avec Kairos, ça fait des années qu’on fait une critique des médias, et donc de La Libre, ils nous ont toujours dit qu’ils étaient libres de faire ce qu’ils voulaient, cette fameuse « liberté de la presse » qu’on sait totalement fausse. Cela montre que le plus important pour les Belges, pour les lecteurs, n’est pas dit : les écarts de richesse, la manière dont l’argent part dans les paradis fiscaux…
Je n’irais pas jusque-là parce que La Libre publie des articles sur l’évasion fiscale, fait peut-être le minimum, mais…
Alors c’est tout à fait schizophrène ? 
Disons que le coup de fil de l’actionnaire dans une rédaction, ça n’existe pas. La censure est implicite. J’ai bossé 5 ans avant à Canal+ à Paris. Jamais, avant Bolloré, Vivendi n’a appelé pour dire « Ne faites pas ça », mais la censure est implicite, j’ai plein d’exemples.
Ce qui est intéressant, c’est qu’il n’y a eu aucune censure avant septembre 2017.
Au fait, c’est simple : je pense qu’ils ne le lisaient pas. Mais un jour, les gens qui sont importants à La Libre reçoivent le journal du samedi et voient la tête d’Albert Frère, avec un article et un titre un peu provocateur. Alors ils regardent ce qu’il y a dedans. Et c’est ce qu’il s’est passé : ils m’ont dit au rendez-vous que j’avais eu avec Pierrard, qu’ils ont reçu des coups de fil, qu’il y a des gens importants qui se sont plaints. Par après, il y a eu un excès de zèle par rapport à notre publication qu’ils ont relue à trois fois afin d’éviter tous problèmes. Car des brèves comme ça, on a pu en faire 10 avant et ça passait à travers les mailles du filet. L’excès de zèle s’explique aussi parce que les gens qui sont très haut placés dans un journal sont payés pour ça : leur employeur ce sont les actionnaires et, à un moment, ils veulent sauver leur place.
Sans doute donc que ces gens importants ne lisaient pas Financité et s’y sont intéressés en voyant la couverture, mais en attendant ils lisent sans doute La Libre ?
Oui, effectivement (rire).  
Est-ce que cet événement a changé ta perception des médias dominants, même si tu étais sans doute lucide là-dessus ? Est-ce que tu t’es dit : « Là, je ne pensais quand même pas qu’ils pouvaient aller aussi loin » ?
J’ai un certain parcours: j’ai fait une école de journalisme en France, j’ai travaillé dans des rédactions où la critique des médias n’était pas présente et où j’ai compris, parce qu’il y avait des problèmes, à quel point cette critique était pourtant importante. J’avais trouvé une certaine liberté ici chez Financité. Je trouvais que c’était le bon compromis : ça me permettait d’être embauché par une asbl, bien sûr ce n’est pas totalement indépendant mais au moins je n’ai pas d’actionnaires importants derrière moi, je trouvais que tout passait à l’époque. Ça n’a pas changé fondamentalement ma perception parce que c’est quelque chose que je savais.
Mais quand ça te tombe dessus…
Par contre oui, c’est violent. J’avoue que ça a été 6 mois assez durs au fait, personnellement.
On peut imaginer ce qu’il se passe dans ces rédactions-là quand on croit encore à la presse libre. Des gens comme de Meeûs et tous, ce sont des gestionnaires plus que des rédac-chefs, ce sont des tampons entre les groupes de presse et le journal, ils savent ce qu’on peut dire, ne pas dire, ce que tu ne connaissais pas à Financité.
Effectivement. On ne va pas dans le bon sens aujourd’hui, quand tu vois le statut des journalistes. Il n’y a pratiquement que des indépendants, mais ce sont des faux indépendants, des gens qui sont sur des sièges éjectables. Donc ils n’ont pas intérêt à aller contre leur direction. 
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LES – ABSENCES DE – RÉACTIONS DES AUTRES MÉDIAS

Ce qui est intéressant aussi, c’est la manière dont les autres médias ont réagi. À part la RTBF, quels autres médias ont réagi ? Est-ce que Le Soir, qui est tout à fait dans la même situation par rapport à ces actionnaires, la famille Hurbain, a dit quelque chose là-dessus ?
Dans un premier temps, il faut savoir qu’on a hésité avant de sortir l’information. Moi, j’avais vraiment envie de le faire.
Vous avez eu des menaces pour ne pas le sortir ?
Non. Ils m’ont appelé. Ils voulaient qu’on prenne un rendez-vous, un peu qu’on se rabiboche. J’ai un peu fait traîner et on les a eus par surprise… Je pense qu’ils ne croyaient pas qu’on le sortirait. Je voulais le sortir parce que c’est important, ça en dit beaucoup sur ce qu’est l’indépendance de la presse en Belgique. Après, on avait peur de se tirer une balle dans le pied, d’être boycottés. Ça pouvait être dangereux : l’association a besoin de relais de presse quand on sort certaines infos. On savait en le sortant que ce ne serait pas repris dans la presse. On était bien lucide là-dessus.
Donc, à part la RTBF, personne n’a parlé ?
On a contacté Medor qui a sorti [une partie de] l’info, le lendemain de notre communiqué de presse ; Belga a fait une dépêche également. Ce qu’il faut savoir, c’est que normalement quand Belga sort une de nos infos, elle est reprise sur tous les sites, qui ont leur compte, que ce soit 7 sur 7Le SoirLa Libre… et là, juste la RTBF. Pour ma part, j’étais même surpris que la RTBF le passe. Je ne pensais pas qu’il le relaierait. Pourtant, c’est évident qu’énormément de journalistes ont lu le communiqué et qu’il a beaucoup tourné dans les rédactions, parce que c’est un sujet qui touche les journalistes. Je crois qu’on a jamais eu un communiqué de presse qui a autant circulé mais qui n’a pas été relayé sur les autres sites web des médias.
Est-ce que vous connaissiez la composition du Conseil d’administration de La Libre (voir p.12) ?
Non, pas du tout. Je me suis rendu compte que la Banque Degroof était au CA, parce que j’ai reçu un mail sur ma boîte, juste après l’histoire d’Albert Frère où l’on m’avait appelé pour me dire que le contenu n’était pas bien passé auprès de La Libre, d’un certain Alain Siaens, qui ne se présente pas, qui ne dit pas qui il est et qui demande « Telle info, j’aimerais bien avoir votre source, ça me paraît bizarre ».
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Manque de chance, la source s’était le SPF économie. Donc, bref, pas de nouvelles mais je googlise ce type et je me rends compte qu’il est au CA de La Libre. Donc c’est là que je l’ai découvert. Par contre, il y a une chose un peu insidieuse que je découvre sur la presse en Belgique : je pensais que ça allait un peu mieux ici qu’en France où les médias appartiennent à de gros industriels alors qu’en Belgique on a plutôt des groupes de presse : Rossel, IPM, etc. Mais au fait, quand tu creuses un peu, tu découvres la composition du CA, tu vois que tous les groupes de presse appartiennent à des grandes fortunes belges mais, qu’en plus, tu retrouves dans les conseils d’administration toute l’oligarchie belge financière et industrielle. Ils sont liés comme ça.
Mais en France il y a une forte critique de la presse. Le Monde diplomatique a fait un gros travail là-dessus, Acrimed, des types comme Halimi, Accardo, Ruffin, alors qu’ici, excepté Geoffrey Geuens qui avait un peu travaillé là-dessus, il n’y a quasiment personne, ce qui fait qu’il y a encore cette ignorance. Quand vous avez sorti l’info, un internaute réagissait : « Moi qui pensais que La Libre était un des derniers bastions d’une presse encore respectable ».
Sur la question d’une presse respectable, je n’irais pas jusque-là. La majorité des journalistes sont des gens qui font bien leur boulot. La LibreLe Soir, sur les questions d’évasion fiscale par exemple.
Mais plus on est dérangeant, moins on parlera de nous. Est-ce que maintenant dans Financité, vous vous dites que vous allez laisser une place, ou bien vous pensez que ce n’est pas votre rôle, à une critique de la presse de masse et aussi du lien entre la finance et la presse.
Oui, la question se posera et on fera un dossier là-dessus, c’est important. C’était au fait prévu dans ce numéro. Je devais interviewer Aude Lancelin, auteure de Le Monde Libremais ça n’a pas pu se faire niveau timing. J’aurais bien aimé voir leur réaction, c’est dommage.
Comment tu vois l’avenir d’un magazine qui avait la chance, entre guillemets, de pouvoir toucher 60.000 personnes. Ça change tout maintenant ?
Ça change tout, il faut vraiment repenser le truc. On vient de boucler le numéro précédent mais tout s’est fait dans l’urgence. On savait qu’en sortant l’info, ça ne serait pas relayé par la presse, par contre, on comptait sur la société civile et on a eu pas mal de soutiens de citoyens, d’associations et on va compter sur ces relais-là pour diffuser le journal maintenant.
Propos recueillis par Alexandre Penasse, le 21 juin 2018


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  1. http://www.dhnet.be/actu/faits/le-baron-cartier-industriel-belge-discret-rattrape-par-l-amiante-51b7666ae4b0de6db97b80

  2. source : http://www.kairospresse.be/article/flagrant-delit-de-censure-la-libre

mercredi 27 septembre 2017

Christophe Guilluy : "La France d'en haut s'est structurée autour d'Emmanuel Macron pour protéger ses intérêts, le monde d'en bas, lui, est complètement dispersé" /Christophe Guilluy: " France from above formed itself around Emmanuel Macron to protect its interests, the world from below, him, is completely scattered "


53% des français jugent que la politique du gouvernement bénéficiera en premier lieu aux plus aisé. Pour Christophe Guilluy, le fait que le monde d'en haut ne prenne plus en charge les aspirations du monde d'en bas est une rupture historique.

Atlantico : À la rentrée 2016, vous publiiez "le crépuscule de la France d'en haut". Selon un sondage viavoice publié par Libération en début de semaine, 53% des français jugent que la politique du gouvernement bénéficiera en premier lieu aux plus aisés, quand 60% d'entre eux craignent une précarisation. Un an après, quel constat portez-vous sur cette "France d'en haut" ?

Christophe Guilluy : Nous sommes dans la continuité d'une société qui se structure autour de la mondialisation depuis 20 ou 30 ans.

Ce qui est validé ici, c'est une logique de temps long. Avec un monde d'en haut que j'ai décrit dans "la France périphérique" mais aussi dans la "Crépuscule de la France d'en haut". C'est un monde qui vit en vase clos, je parle de "citadellisation" des élites, des classes supérieures, et tout cela ne cesse de se creuser.

Il faut revenir au 2e tour de l'élection présidentielle. Ce que nous avons vu, c'est une structuration de l'électorat qui suit la dynamique économique et sociale de ces 30 dernières années. Le grand sujet caché depuis 30 ans, c'est la disparition de la classe moyenne au sens large, c’est-à-dire telle qu'elle l'était hier, celle qui regroupait la majorité des catégories sociales ; de l'ouvrier à l'employé en passant par le cadre. Les gens étaient intégrés économiquement, donc socialement, politiquement, et culturellement. 

Ce qui explose avec le modèle mondialisé, c'est la classe moyenne occidentale. On va retrouver ces gens dans les territoires qui ne comptent peu ou pas ; France périphérique, Amérique périphérique, Grande Bretagne Périphérique etc…Inversement, des gens qui vont être de plus en plus concentrés dans les endroits ou "ça" se passe ; les grandes métropoles mondialisées. C'est ce qu'on a vu avec la carte électorale, qui était assez claire : les bastions d'Emmanuel Macron sont ces grandes métropoles mondialisées qui reposent sur une sociologie d'un front DES bourgeoisies.

Ce qui est frappant, c'est en regardant Paris. La bourgeoisie de droite n'a qu'un vernis identitaire, car même les bastions de la "manif pour tous" ont voté pour Emmanuel Macron qui est pourtant pour les réformes sociétales à laquelle elle s'oppose. Dans le même temps, les électeurs parisiens de Jean Luc Mélenchon, au 1er tour, ont aussi voté Macron au second tour. Ils n'ont pas voté blanc. Cela veut dire que le monde d'en haut est de plus en plus dans une position de domination de classe qui est en rupture avec la France d'en bas. C'est la grande nouveauté. Parce qu'un société ne marche que si le haut parle au bas. C'était le parti communiste; constitué d'une frange d'intellectuels qui parlaient aux classes ouvrières. Aujourd'hui le monde d'en haut ne prend plus du tout en charge le monde d'en bas, qui est pourtant potentiellement majoritaire. C'est un processus long, qui est celui de la sortie de la classe moyenne de toutes les catégories sociales. Cela a commencé avec les ouvriers, cela s'est poursuivi avec les employés, et cela commence à toucher les professions intermédiaires. Demain ce sera les retraités, il suffit de regarder ce qu'il se passe en Allemagne. La mondialisation produit les mêmes effets partout et les spécificités nationales s'effacent. Sur le fond, même si l'Allemagne s'en sort un peu mieux en vendant des machines-outils à la Chine, la précarisation touche largement l'Allemagne avec des retraités qui sont obligés d'empiler les petits boulots pour s'en sortir.
Ce qui est derrière tout cela, c'est cette fin de la classe moyenne occidentale qui n'est plus intégrée au modèle économique mondialisé. À partir du moment où l'on fait travailler l'ouvrier chinois ou indien, il est bien évident que l'emploi de ces catégories-là allait en souffrir. Nous sommes à un moment ou les inégalités continuent à se creuser. Je le répète, le monde d'en haut ne prend plus en charge les aspirations du monde d'en bas, c'est une rupture historique. On parle beaucoup du divorce entre la gauche et les classes populaires, c'est très vrai, mais ce n'est pas mieux à droite.
Selon un sondage IFOP de ce 20 septembre, 67% des Français jugent que les inégalités ont plutôt augmenté en France depuis 10 ans, un sentiment largement partagé en fonction des différentes catégories testées, à l'exception d'écarts notables pour les électeurs d'Emmanuel Macron (54% soit -13 points). Votre livre décrit une nouvelle bourgeoisie cachée par un masque de vertu. Alors que le Président a été critiqué pour ses déclarations relatives aux "fainéants et aux cyniques", n'assiste-t-on pas à une révélation ?

Aujourd'hui nous avons un monde d'en haut qui se serre les coudes, des bourgeoisies qui font front ensemble, qui élisent un Emmanuel Macron qui va être l'homme qui va poursuivre les grandes réformes économiques et sociétales de ces 30 dernières années. La seule différence entre Macron et Hollande ou Sarkozy, c'est que lui, il n'avance pas masqué. Il assume complètement. Il a compris qu'il ne s'agit plus d'une opposition gauche-droite, mais d'une opposition entre les tenants du modèle et ceux qui vont le contester. Les gens l'ont compris, et c'est de plus en plus marqué, électoralement et culturellement. Ce qui complique les choses, c'est qu'il n'y a plus de liens. Le monde politique et intellectuel n'est plus du tout en lien avec les classes populaires, et ils ne les prendront plus en charge. Les gens savent que les réformes vont les desservir et l'impopularité d'Emmanuel Macron va croître. Le crépuscule de la France d'en haut découle de cette absence de lien, parce qu'une société n'est pas socialement durable si les aspirations des plus modestes ne sont pas prises en compte.
Mais la bourgeoisie d'aujourd'hui est plus intelligente que celle d''hier car elle a compris qu'il fallait rester dans le brouillage de classes, et officiellement le concept de classes n'existe pas. La nouvelle bourgeoisie n'assume pas sa position de classe. Elle est excellente dans la promotion de la société ou de la ville ouverte, alors que ce sont les gens qui sont le plus dans les stratégies d'évitement, de renforcement de position de classe, mais avec un discours d'ouverture. Et quand le peuple conteste ce modèle, on l'ostracise. C'est pour cela que je dis que l'antifascisme est devenu une arme de classe, car cette arme n'est utilisée que par la bourgeoisie. Ce n'est pas un hasard si les antifascistes dans les manifestations sont des enfants de la bourgeoisie. Et tout cela dit un mépris de classe. Parce que personne ne va être pour le racisme et pour le fascisme. En réalité, derrière tout cela, il s'agit d'ostraciser le peuple lui-même, les classes populaires. C'est aussi une façon de délégitimer leur diagnostic, parce qu'en réalité, le "populisme", c'est le diagnostic des gens d'en bas, et la bourgeoisie s'en démarque en se voyant en défenseur de la démocratie. Et si Jean Luc Mélenchon monte trop haut, on utilisera ces méthodes-là.

Vous êtes géographe. Quel verdict dressez-vous des différentes mesures prises par le gouvernement, et comment s'articulent-t-elles autour de votre constat d'une France périphérique ?

On a un processus de plus en plus fort, avec la dynamique économique, foncière, territoriale. Le gouvernement ne fait que suivre les orientations précédentes, les mêmes depuis 30 ans. On considère que la classe moyenne n'a plus sa place, qu'elle est trop payée quand elle travaille et qu'elle est trop protégée par un État providence qui coûte trop cher si on veut être "compétitif"'. La loi travail n'est que la suite d'une longue succession de mesures qui ne visent qu'à dépouiller une classe moyenne qui ne sert plus à rien.

Il y a aussi un jeu pervers avec l'immigration puisqu'on va concentrer les budgets sur les plus démunis qui vont souvent être les immigrés, ce qui va permettre d’entraîner un ressentiment très fort dans les milieux populaires qui se dira qu'il ne sert qu'aux immigrés, ce qui aboutira à dire "supprimons l'État providence". Il y a une logique implacable là-dedans. Parce qu'aussi bien ce monde d'en haut a pu se structurer autour d'Emmanuel Macron pour protéger ses intérêts, le monde d'en bas est complètement dispersé.

source : http://www.atlantico.fr/decryptage/christophe-guilluy-france-en-haut-est-structuree-autour-emmanuel-macron-pour-proteger-interets-monde-en-bas-lui-est-completement-3172492.html/page/0/2