"Il n'existe rien de constant si ce n'est le changement" BOUDDHA; Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots." MARTIN LUTHER-KING; "Veux-tu apprendre à bien vivre, apprends auparavant à bien mourir." CONFUCIUS ; « Nous savons qu’ils mentent, ils savent aussi qu’ils mentent, ils savent que nous savons qu’ils mentent, nous savons aussi qu’ils savent que nous savons, et pourtant ils continuent à mentir ». SOLJENITSYNE
Je me souvient d'un épisode a la cantine de mon école ou un adulte, pour une raison qui m'échappe, avait décidé de me forcer a manger un bout de viande: - "On va rester la tous les deux jusqu'a ce que tu finisses ta viande !"
Privilégiant l'intuition a la tonalité des raisons militantes et mi-latentes, il m'est arrivé de ne pas consommer de protéines animales pendant des années, puis d'en consommer…puis a nouveau de ne plus en consommer.
Ces cycles alimentaires intimes, échos de la nature opportuniste et doncSurvivaliste du système digestif équipant notre espèce, ont largement déclenchés en moi un réel processus d'exploration concernant notre logique de subsistance alimentaire dans sa globalité.
Car si, a l'échelle globale, notre consommation de viande et plus largement les stratégies d'élevage structurées ces quarante dernières années sont absolument révoltantes, les stratégies agricoles modernes n'en sont pas moins accablantes et absurdes. C'est la totalité du système alimentaire qui n'est ni cohérent…ni durable.
Que nous soyons, par conviction ou nécessitée vitale, les esclaves d'un régime alimentaire d'origine animale ou d'origine végétale, le constat est aujourd'hui tragique: c'est le suicide collectif.
L'Humain, qu'il soit grand ou petit, riche ou pauvre, malin ou idiot, de droite ou de gauche, lettré ou illettré, beau ou moche, gros ou maigre…m'apparait fondamentalement merdique.
Plus important, le monde, c'est a dire notre terrain de "je", est gouverné par des lois naturelles qui, jusqu'a présent, reposent sur un axe fondateur: la violence. Nous avons bien eu une poignée d'êtres téméraires ayant osés explorer la mise en place d'autres axes, mais nous les avons tué assez rapidement…et plutôt violemment !
Globalement… - Nous consommons de la merde. - Nous participons de la merde ambiante. - Nous sommes toutes et tous aussi merdiques que nos voisins. - Et nous vivons, toutes et tous, dans un monde intimement lié a la violence, que celle-ci soit physique ou psychologique, subtile ou bornée: manger, ou être mangé.
Trois fois par jours, certains consomment de la viande de batterie injectée de merdes imprononçables, et trois fois par jours, d'autres, pas plus ou moins malins que leurs voisins carnivores, consomment des légumes et des fruits issus de la culture intensive moderne et pulvérisés de merdes imprononçables…
Est-ce qu'une option est moins merdique que l'autre ? Les végétariens diront oui…car la présence de l'abattoir, soit la mise a mort d'un être vivant dans la première catégorie merdique est insupportablement merdique.
Cette notion d'éthique concernant la question de l'abattoir, la manière dont nous traitons les animaux et plus largement les stratégies d'élevages intensifs, aura été le point de départ de ma réflexion concernant notre logique de subsistance alimentaire.
Idéaliste dans l'âme, et sans trouver de réponses ou d'options pleinement satisfaisantes, j'ai souvent décidé de refuser de participer au bordel ambiant: plus de viande. Ces périodes végétariennes ont été importantes pour mon développement personnel parce qu'elles ont prolongées et surtout "panoramisées" ma réflexion.
Si notre logique intensive de production animale est insupportable, qu'en est-il de notre logique intensive de production végétale ?
Monoculture, pesticides, insecticides, fongicides, destruction massive des sols et de la bio-diversité, barrages, pollution, gaspillage hydrique, déforestation, modifications génétiques, chaines de transport, d'emballage, de réfrigération…la culture intensive moderne et globalisée que nous subissons, c'est avant tout l'extermination de milliards d'insectes, de petits rongeurs, d'oiseaux, de grenouilles, de gibiers et d'organismes en tout genre. Humainement, c'est aussi les diasporas, l'esclavagisme économique lié aux semences génétiquement modifiées et la compétition sur le marché global, les maladies lourdes et/ou chroniques liées a la consommation et l'inhalation des produits chimiques, et finalement le suicide de nos paysans: en France, un paysan se suicide tous les deux jours. En Inde, c'est plus de 17 000 paysans qui se suicident par an.
Devant cette impasse alimentaire globale, j'ai souvent pensé a cette phrase de Cioran:
"Le grand tort de la nature est de n'avoir pas su se borner a un seul règne. A coté du végétal, tout parait inopportun, mal venu. Le soleil aurait du bouder a l'avènement du premier insecte, et déménager a l'irruption du chimpanzé."
De ma fenêtre, le "moins merdique" ne peut s'arrêter a une simple pirouette émotionnelle. Le moins merdique doit avant tout être le fruit d'un processus intime, parfois brutal, nous confrontant a notre propre médiocrité, a notre propre violence…tout comme la construction d'autonomie et de résilience ne peut s'arrêter a la simple possession d'un flingue, de 3 boites de conserves et d'un couteau "de survie". La construction d'autonomie et de résilience est avant tout le fruit d'un processus intime, parfois brutal, nous confrontant a notre propre dépendance.
Intimement, nos stratégies d'élevages ne me conviennent pas. Intimement, nos stratégies agricoles ne me conviennent pas non plus.
Les deux logiques de subsistance alimentaire appliquées par notre espèce depuis "la révolution verte" sont fondamentalement merdiques. Essayer de quantifier leurs taux respectifs de "merdiciter" reste un exercice vide de sens…c'est a dire saturé d'opinions, de critiques et de jugements parfois valides, mais trop souvent vide de solutions cohérentes et pratiques.
C'est le grand moment de solitude…je bouffe quoi ?
Pour la plupart d'entre nous, les pratiques "Bio" sont souvent la porte de sortie. Seulement, la culture "Bio", comme toute ouverture habitée d'un caractère militant est devenue merdique aussi…et il est parfois difficile de réellement cerner la complexité "Bio" tant ces trois lettres sont aujourd'hui utilisées pour designer tout et n'importe quoi.
Ce qui est "Bio" pour mon voisin ou le gouvernement, ne l'est pas forcement pour moi…
Par exemple, "Bio" peut designer une méthode agricole qui n'est pas durable d'un point de vu hydrique, énergétique ou logistique. C'est a dire que nous pouvons avoir des poivrons "Bio" venant du Chili, des oranges "Bio" de Tunisie et des Amandes "Bio" de Californie…
Monoculture + gaspillage hydrique + emballage + avion + camions + réfrigération = Bio ?
Si l'élimination d'un certain nombre de produits chimiques durant le développement de notre nourriture est un pas en avant, la question des sous-systèmes, de l'énergie déployée, de l'irrigation, de la conservation, du trajet parcouru ou encore de la méthode de production, continu d'être une dynamique"trois pas en arrière".
Un voisin fermier me faisait visiter ses champs pas plus tard que la semaine dernière: - "Regardes, je fais que du Bio maintenant…"
Sauf que ses champs étaient merdiques. Ses cultures toujours basées sur une organisation en monoculture, avec des grosses machines piétinants et tassants la terre. Sans haies naturelles. Sans diversité. Sans notions de durabilité hydrique. Sans âmes…et sur des sols victimes de la pétrochimie depuis les années soixante dix.
Des lignes droites et déconnectées d'un tout a perte de vue…comme nos classes d'écoles…des monocultures en rangées basées sur l'unique dynamique du rendement.
A ces problématiques de fond souvent écartées par manque de clarté concernant l'appellation "Bio", il faut aussi ajouter la présence d'une supercherie économique…car "Bio", c'est surtout un privilège alimentaire qui vise principalement les classes sociales favorisées: le "Bio" est devenu "bobio".
Re grand moment de solitude…je bouffe quoi ?
Quelle que soit la nature de notre régime alimentaire, le constat est qu'il est extrêmement difficile aujourd'hui, pour ne pas dire impossible, de totalement éliminer les paramètres "violence" et "merdique" de nos vies.
Cependant, il est possible de largement minimiser, avec des ordres de priorité différents selon les choix de routines alimentaires, les sensibilités et les intentions de chacun, notre participation au paradigme ambiant…et finalement au suicide collectif.
Notre parcours familiale merdique s'est arrêté sur quatre "principes":
1. Privilégier la production cohérente.
Production végétale ou animale, brute ou dérivée, nous faisons l'effort quotidien d'éviter le plus possible les aliments issus de l'univers "intensif moderne". Je fais ici la différence entre les systèmes de production agricole intensifs traditionnels, et les systèmes de production agricole intensifs modernes.
Qu'il soit question d'un sac de pommes de terre, d'un kilo de riz ou de farine, d'un poisson ou d'un poulet: nous évitons l'intensif moderne sous toutes ses formes et manifestations. Cette pratique est extrêmement difficile, surtout pour les produits dérivés comme par exemple le pain (d'ou vient le blé ?), le beurre (d'ou vient le lait ?), l'huile végétale (d'ou vient la plante oléagineuse ?) etc.
L'idée générale est plutôt grossière:
Fuck les produits chimiques. Fuck le gaspillage hydrique. Fuck la pollution. Fuck les OGM. Fuck la monoculture. Fuck les usines a viande. Fuck l'Agribusiness. Fuck 99% de notre nourriture moderne quoi…
2. Privilégier la production locale.
De plus en plus, nos aliments peuvent germer d'une méthode de production"cohérente" et non intensive, mais provenir de l'autre bout du monde. Cette dynamique de "la chaine de production trop longue" est elle aussi catastrophique et non durable.
Camions, trains, bateaux et avions sont des méthodes de transport gourmands en carburants et produits pétroliers en tous genres. Manger des produits de l'autre bout du monde acheminés par avion est merdique.
Selon l'environnement et le climat, privilégier les produits locaux est assez simple durant les cycles naturels de production, mais peut devenir complexe durant les saisons creuses. D'une manière générale, il est important ici de conserver un lien avec nos cycles naturels: les oranges en Janvier n'ont aucun sens si celles-ci doivent faire 10 000 km avant d'atterrir dans notre cuisine, mais aussi et peut être surtout avec nos producteurs locaux. 3. Privilégier la production personnelle.
J'ai déjà fait un énorme travail sur ce blog concernant la notion de "production familiale". Le fait est que pour minimiser le merdique, la solution la plus directe et efficace reste de produire ses aliments soi même.
La production familiale permet de combiner les deux premiers principes, par le développement d'une alimentation cohérente et ultra locale. Au delà des bénéfices nutritifs, éthiques, énergétiques et environnementaux, la production familiale permet aussi la préservation de nos aliments, soit la construction d'une certaine résilience alimentaire capable de minimiser l'impact d'une situation difficile comme par exemple une situation de précarité économique.
L'idée générale est de conserver le plus de contrôle possible sur la provenance et la qualité de nos aliments…et ne pas reléguer cette responsabilité a l'état: qui contrôle la nourriture contrôle le peuple.
Mettre a manger sur la table est un exercice vital…primaire. Mettre de la nourriture saine et cohérente sur la table…un défi moderne en soi.
4. Privilégier la connexion systématique.
Au final, la notion de "connexion alimentaire" m'apparait être le noyau dur d'un changement radical de paradigme alimentaire.
De ma fenêtre, la majorité des problématiques lourdes associées a notre alimentation moderne provient d'une déconnexion totale entre "la ferme", soit le système de production, et "notre assiette", soit le système de consommation.
Privilégier la connexion systématique avec notre nourriture dicte une notion de responsabilité personnelle.
Cette notion de responsabilité personnelle est encore plus troublante si nous considérons intégrer des protéines animales a notre régime alimentaire. Acheter un bout de viande plastifié a la supérette du coin est un geste vide de responsabilité personnelle. Vide d'un contact primaire et naturel a la vie…et si toutes et tous devions tuer ou voir mourir un animal pour subsister, la consommation globale de protéine animale chuterait instantanément.
Qu'il soit question d'élevage ou d'agriculture, ce manque chronique de connexion, ce manque chronique de responsabilité, ou tout est systématiquement relégué a l'état, organisé, repoussé et éloigné de notre confort quotidien, est la source d'une multitude de petites et grandes violences.
Puisque nous ne sommes plus capables d'assumer la vieillesse, la décomposition, la pourriture, les odeurs et les bruits déplacés, les cycles naturels et finalement la mort, nos vieux sont aujourd'hui eux aussi envoyés ailleurs…pour aller mourir loin de la cellule familiale, la ou tout est pris en charge, nettoyé, aseptisé et bouclé.
Ce refus catégorique de nous confronter a la vie dans toute sa violence en devient insupportable…et ce n'est que dans la connexion intime et la production directe qu'il m'a été donné l'opportunité de réellement respecter et apprécier ma nourriture.