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vendredi 19 novembre 2021

Significations de "Booster shot", expression récupérée par la novlangue francophone




booster shot  nom

https://www.linguee.fr/anglais-francais/traduction/booster+shot.html


ou si vous préférez

une p'tite injection rapide, cool, unique et sans dangers pour doper votre système immunitaire


un peu comme le machin ci-dessous





dimanche 10 juin 2018

[Lutte contre le management] "Collaborateur" plutôt que "salarié" : ce qu'il y a derrière la novlangue de votre DRH / [ Fight against the management] "Collaborator" rather than "employee": what there is behind the newspeak of your HR DEPARTMENT

source : https://www.nouvelobs.com/rue89/notre-epoque/20180601.OBS7585/collaborateur-plutot-que-salarie-ce-qu-il-y-a-derriere-la-novlangue-de-votre-drh.html

Pourquoi votre DRH préfère-t-il le terme de "collaborateur" à celui de "salarié" ?

Par Henri Rouillier

Publié le 04 juin 2018 à 10h18

A l'époque, les journalistes de "Libération" en avaient rigolé sur Twitter. Sur les badges d'accès à leur nouveau lieu de travail, à la case renseignant leur fonction, on pouvait lire le terme de "collaborateur". Pas "journaliste", pas "rédacteur", pas "salarié".

On ne compte plus les tribunes, les articles de la presse spécialisée et les brochures de recrutement qui mentionnent ce terme de "collaborateur", alors qu'à chaque fois il est question d'un ou d'une salarié-e.

Danièle Linhart est sociologue, directrice émérite du laboratoire Genre, travail et mobilités au CNRS. En 2015, elle a publié "la Comédie humaine du travail, de la déshumanisation taylorienne à la sur-humanisation managériale", aux éditions Erès.

Avec elle, on a parlé des chief happiness officers, du mythe de Narcisse et des gens à qui on demande sérieusement de "rendre l'impossible possible" en entretien individuel d'évaluation.

Parlons de novlangue. Le terme auquel on pense spontanément, c’est celui de "collaborateur" (qui figurait sur les nouveaux badges des journalistes de "Libération" quand ils ont emménagé dans leurs nouveaux locaux).

Que porte le terme de "salarié" pour qu’on lui préfère celui de "collaborateur" désormais ?

Je crois que ce qui est véhiculé par le terme de "salarié", c’est le concept de subordination que la Cour de Cassation a défini depuis 1996 comme "l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements du subordonné".

A savoir que le lien de subordination du salarié à son employeur est inscrit dans le contrat de travail.

Dans une pratique modernisée du management, cette relation de subordination fait tache, si l’on peut dire. En conséquence, le management reprend un terme dont étaient traditionnellement affublés les cadres (que la direction considérait comme des interlocuteurs aptes à "collaborer" avec elle) pour l’appliquer au reste des employés de l’entreprise. Sous-entendant que tout le monde existe sur le même plan que l’encadrement, que tous les salariés de l’entreprise vivent les conditions d’une égalité.

Il y a une tare dans le salariat, c'est la subordination

En réalité, il s’agit donc de faire sauter l’idée même de subordination, au profit de la collaboration qui est censée se faire de plein gré. En pratique, c’est un concept que l’on retrouve notamment dans la rhétorique de l’entreprise libérée où l’on considère chacun comme son propre manager. C’est encore une manière de masquer ou d’invisibiliser ce lien de subordination.

Vous pensez que l’on peut envisager une relation de travail dénuée de subordination ? Cela semble très contre-intuitif.

Ma seule position, en tant que sociologue, c’est de dire que le salariat présente d’énormes avantages en ce que c’est une forme de mise au travail collective. Le salariat, ce sont des droits, des garanties ainsi qu’une forme de protection. Et c’est très important. Le salariat permet aussi des pressions et des mobilisations collectives qui peuvent aboutir à l’amélioration des conditions de travail. Je pense donc que c’est quelque chose de positif.

Néanmoins, il y a une tare dans le salariat. Cette tare, c’est la subordination. On devrait pouvoir repenser l’entreprise sans elle. On pourrait arrêter de considérer que le patronat est l’entreprise : rappelons qu’en 1998, le CNPF (Conseil national du patronat français) est devenu le Medef (Mouvement des entreprises françaises). Symboliquement, ce fut une OPA extraordinaire sur l’entreprise. Les entreprises sont quand même composées des gens qui y travaillent.

Reposer la question du lien de subordination, c’est reposer la question de ce qu’est une entreprise : à qui elle appartient ? à quoi elle sert ? Après tout, le rapport Senard-Notat, rendu le 9 mars dernier à Bruno Le Maire, a rappelé que les entreprises "devaient poursuivre l'intérêt collectif". Cela ne veut-il pas dire qu’il faut repenser la chose ? Si l’on imagine un salariat sans subordination, ça veut dire qu’on imagine que l’entreprise puisse être représentée comme une entité où ses différentes composantes soient parties prenantes des délibérations quant aux modalités d’organisation du travail et surtout, de sa finalité.

Est-ce qu’il est possible de dater l’émergence de la personnalisation de la relation au travail ?

Avant de parler de personnalisation, on peut parler de l’individualisation de la relation au travail. En France, elle date de la deuxième partie des années 1970 et elle est issue de la mise en place d’une politique qui avait été élaborée en contrecoup de Mai-68 par le CNPF [le Conseil national du patronat français, ancêtre du Medef, NDLR].

Il s’agissait de répondre aux aspirations qui s’étaient manifestées au cours des occupations d’usines, etc. et donc de dire : "On va prendre au sérieux les aspirations des ouvriers." Ça passait par une individualisation de leur gestion et une individualisation de l’organisation de leur travail. On a donc vu se mettre en place toute une série de dispositifs (les primes, par exemple) qui sont venus mettre en pièce l’équation :

"A travail égal, salaire égal."

Il s’agissait de mobiliser les qualités de chacun, les reconnaître et les récompenser. En réalité, cela aboutissait surtout à une mise en concurrence systématique entre les ouvriers.

Peu à peu, on a fait un pas de plus vers ce qu’on appelle la personnalisation de la relation au travail. Ce sont les fameux entretiens annuels d’évaluation avec le n+1, dont le but est de fixer des objectifs personnalisés au salarié, mais aussi de procéder à son évaluation. Cela pouvait très bien concerner des opérateurs de chaînes de montage.

Des salariés dont les tâches sont donc a priori peu différenciables ?

Oui, l’idée étant de minimiser le risque d’absentéisme, de donner des pistes d’amélioration ou de promouvoir l’esprit collaboratif. Progressivement, les caractéristiques et les traits de personnalité de l’employé sont venus s’insinuer dans l’évaluation qu’on a pu faire de sa relation au travail.

Ce que promettent nombre d'entreprises, si le salarié accepte de se mettre en danger, c'est de le faire grandir

On a demandé aux salariés de montrer qu’ils avaient de l’inventivité, de la créativité, un certain sens de l’adaptation, qu’ils étaient capables de se remettre en question, de prendre des risques et d’avoir le goût de l’aventure, par exemple.

Les effets destructeurs du management à la cool

Dans le langage managérial, c’est le fameux : "sortir de sa zone de confort". Un management qui s’organise autour de vertus comme le courage, l’audace ou l’engagement, plutôt qu’autour de qualifications ou de compétences professionnelles bien identifiées.

D’aucuns ont même parlé de narcissisation de la relation au travail, notamment autour de Vincent de Gaulejac, qui a évoqué une transaction narcissique entre le salarié et sa hiérarchie.

Ce que promettent nombre d’entreprises, si le salarié accepte de se "mettre en danger", c’est de le faire grandir, de l’améliorer. Il y a une focalisation sur des aspirations et fantasmes très personnels de grandeur. La conséquence, c’est que les salariés ne sont plus seulement mis en concurrence les uns avec les autres, ils sont aussi en concurrence avec eux-mêmes. C’est ce fameux moment de l’entretien où on leur dit :

"C’est bien, mais vous n’avez fait qu’atteindre vos objectifs."

En réalité, les performances individuelles sont difficilement objectivables, tout comme le travail réel (tout ce que les gens font indépendamment du travail qui leur est prescrit pour parvenir à justement faire le travail) peine à être pris en compte. Je me souviens d’une manageuse qui disait :

"C’est vrai que j’ai fixé comme objectif à certains de mes subordonnés de rendre l’impossible possible."

on seulement c’est aberrant mais cela crée les conditions d’une frustration permanente.

A ce titre, comment analysez-vous l’arrivée des chief happiness officers en entreprise, chargés spécifiquement du bien-être et du bonheur des salariés sur leur lieu de travail ?

Comme une incursion du management dans l'intimité des salariés. Ces responsables du bonheur entretiennent une pseudo-bienveillance à l’égard des salariés, et cela traduit une chose : le management prétend prendre en considération ses salariés en se focalisant sur leurs dimensions spécifiquement humaines (leurs aspirations, leurs rêves, leurs fantasmes, leurs peurs) alors qu'il nie leurs compétences et les savoirs qui leur donnent le droit d’avoir un point de vue argumenté sur la manière dont ils devraient eux-mêmes travailler.

On les disqualifie en tant que professionnels tout en les magnifiant en tant que personnes.

Managers du bonheur : "Si nos salariés sont bien dans leur peau, ils sont meilleurs"

Qu’est-ce que cette forme de management vient neutraliser, dans les faits ?

Le savoir, la compétence, l’expérience, ce sont des ressources qui ont toujours fait peur aux employeurs. Taylor, par exemple, a tout de suite compris que le savoir était le pouvoir. Toute l’intelligence taylorienne a alors été d’éclater les métiers en tâches élémentaires. D’exproprier les ouvriers de leurs métiers, de leurs savoirs, de leurs connaissances et de leur expérience. Le but étant de transférer le savoir des ateliers vers l’employeur et ses bureaux.

Le savoir tel que vous le conceptualisez est constitué de quel type de données, concrètement ?

En fait, c’est l’histoire d’un basculement. A l’époque où Taylor officiait, il existait des ouvriers de métier. Quand quelqu’un voulait ouvrir un business, il embauchait des ouvriers de métier qui, eux-mêmes, recrutaient des compagnons. Ensemble, ils définissaient l’organisation de leur travail. Le patron était dépendant d’eux parce qu’il ne disposait pas de leur savoir-faire.

Il y a d'un côté la personnalisation de la relation au travail et de l'autre, une déprofessionnalisation constante

C’est ce que Taylor a trouvé épouvantable : les ouvriers pratiquaient la flânerie systématique, le patron ne pouvait pas intervenir contre cela parce qu’il ne disposait pas du savoir-faire de ses ouvriers, il ne pouvait donc rien imposer. Taylor s’est dit qu’il fallait sortir de ça. Il a inventé l’organisation dite scientifique du travail pour faire en sorte que le savoir expert soit du côté de l’employeur.

C’est la même logique qui s’applique aujourd’hui : les directions prétendent qu’elles sont les seules à disposer des savoirs experts pour diriger les entreprises dans le cadre de la globalisation. Elles disent qu’elles paient les meilleurs experts des plus grands cabinets internationaux pour organiser le travail, mais cela se fait sur la base d'un savoir abstrait, déconnecté des réalités du travail concret.

Pour récuser l’expertise de la base, les savoirs experts des professionnels, le management s’est engouffré dans une politique de changement permanent qui met en obsolescence l’expérience des salariés. On leur dit : "Vous pensez que vous savez, mais en fait, on ne fait plus comme ça." Il y a ainsi d’un côté la personnalisation de la relation au travail et de l’autre une déprofessionnalisation constante.

 Propos recueillis par Henri Rouillier


lundi 3 juillet 2017

De quoi la gouvernance est-elle le nom ? Par Olivier Starquit / Of what the governance is the name ? By Olivier Starquit

La gouvernance, un terme très à la mode dans nos institutions publiques... Ci-dessous, petit article d'auto-défense intellectuelle.

source : http://www.barricade.be/sites/default/files/publications/pdf/olivier_-_gouvernance.pdf

COMMENT CET OBJET POLITIQUE S’EST-IL IMPOSÉ ? LA GOUVERNANCE
EST-ELLE TOXIQUE POUR LA DÉMOCRATIE ? ET QUELS DANGERS RECÈLE CE
« PETIT PUTSCH CONCEPTUEL 1 » ?

«Les mots sont importants et vivre dans l’omission de cette évidence laisse la voie libre aux plus lourds stéréotypes, amalgames, sophismes et présupposés clôturant la pensée et la création mieux que ne le ferait la plus efficace des censures 2 » clame le Collectif Les mots sont importants sur son site. Prenons ainsi le terme « gouvernance» qui prolifère aujourd’hui comme une mauvaise herbe. La gouvernance est terme utilisé en ancien français (au xiiie siècle) comme équivalent de « gouvernement» (l’art et la manière de gouverner). Mais il nous est revenu insidieusement de Grande-Bretagne, forte de nouvelles connotations. À la fin des années 80, le mot est présent dans les discours de la Banque mondiale, et est repris par le Fonds monétaire international (FMI) et par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Il a entre-temps mué en un concept extrêmement malléable qui permet de redéfinir a minima le rôle de l’État par la promotion d’une « gestion néolibérale de l’État qui se traduit par la déréglementation et la privatisation des services publics 3 ». Elle signifie désormais l’art de gouverner sans gouvernement, une nouvelle façon de gouverner la société qui se caractérise par une prise de décision mise en réseau où tout le monde est partenaire de tout le monde 4 . Ce faisant, le terme substitue au gouvernement tel que nous le connaissions un mode d’intervention à l’intersection de la sphère économique, la sphère publique et la sphère associative.

Outre la tournure un tant soit peu démagogique de cette représentation des choses (nous serions tous acteurs mais certains sont plus acteurs que d’autres, pour paraphraser George Orwell dans La Ferme des animaux 5 ), cette manière de penser l’action publique induit aussi une certaine dilution des responsabilités. «La notion de gouvernance efface toute rigueur en matière de responsabilité des décideurs: elle n’est plus celle d’individus en particulier, occupant des fonctions précises, mais celle de défaillances ponctuelles d’un système de « gouvernance» ou d’une de ses parties. Toute responsabilité individuelle est désormais diluée par ce concept insaisissable, dont la fonction […] est de dégager le dirigeant individuel et les opérateurs sous ses ordres de tout souci éthique 6 .» Elle promeut en quelque sorte un évanouissement de la politique. Ses partisans « associent le terme à l’élaboration de nouvelles techniques de gouvernement et à la substitution de l’action unilatérale de l’État par un mode plus consensuel et pluraliste de formulation de la norme 7 »

La gouvernance cherche « à ranger la chose publique au rang des vieilleries et à la remplacer par l’ensemble des intérêts privés, supposés capables de s’auto-réguler. C’est précisément en cette autorégulation des intérêts privés que consiste la gouvernance politique 8 ». Plus besoin d’État puisque «la gouvernance conduit à remplacer les normes juridiques (décidées par les pouvoirs publics représentant le peuple) par des normes techniques (créées par des intérêts privés): codes de conduite, labels, normes comptables privées, normes ISO… Dans la conception de la gouvernance, l’État n’exprime lui-même aucun intérêt général et doit se borner à arbitrer entre des intérêts particuliers » 9 . Autre - ment dit, cette dilution «disqualifie l’État tout en privatisant la délibération politique 10 ».

Mais cette dilution se manifeste également par d’autres méthodes. Ainsi, outre une hypertrophie du pouvoir exécutif et la perte de toute substance du travail législatif parlementaire, la gouvernance penche résolument en faveur d’un partenariat avec d’autres acteurs comme par exemple la fameuse société civile, alors mise en concurrence avec le Parlement. Or la société civile n’est ni élue, ni représentative…

La société civile 

Qu’est-ce donc que cette société civile ainsi appelée à la rescousse? Le Livre blanc de la gouvernance européenne la définit comme suit: ce sont «les organisations syndicales et patronales (les partenaires sociaux), les organisations non-gouvernementales (ONG), les associations professionnelles, les organisations caritatives, les organisations de base, les organisations qui impliquent les citoyens dans la vie locale et municipale avec une contribution spécifique des églises et des communautés religieuses 11 ». Cette société civile englobe donc toutes les associations privées qui se réclament de l’intérêt public en se substituant aux pouvoirs publics (ONG, associations charitables religieuses…).

Comme nous le constatons, elle devient partie intégrante de la représentation politique et du processus de décision, se substituant ainsi à la souveraineté populaire et au vote des citoyens. Ce processus revient à privatiser la décision publique, d’autant plus qu’une addition d’intérêts privés ne constitue pas l’intérêt général ! De plus, derrière la société civile se cache bien souvent l’efface - ment de la frontière entre le public et le privé.

En outre, la définition donnée dans le Livre blanc témoigne bel et bien du bric-à-brac disparate que représente cet ovni sémantique qu’est donc la société civile: il ne faut pas être grand clerc pour subodorer et constater que l’apport du lobby des employeurs européens sera autrement valorisé que celui d’un syndicat ou d’un mouvement associatif. Au mieux, ces derniers bénéficieront d’une écoute polie. Ainsi, «le recours à la très nébuleuse société civile permet de valoriser comme acteurs politiques fondamentaux les entreprises commerciales et financières et leurs multiples cabinets d’experts 12 . »

La gouvernance, en décrivant comme « vertueuse la prise de décision dans des forums et lieux qui échappent à la sanction du vote populaire… contribue à un affaiblissement du contrôle démocratique 13 » et tend un piège à la démocratie. «Elle se présente comme un élargissement de la démocratie par une meilleure participation de la société civile, alors même qu’elle est en train de détruire le seul espace où les individus peuvent accéder à la démocratie: en devenant citoyens et en cessant d’être de simples représentants d’intérêts particuliers 14 . »

Le danger est grand, car le recours au concept de gouvernance, qui vise en fait à «délégitimer les techniques de la démocratie représentative 15 », représente «le point nodal d’un programme politique conservateur qui concurrence le modèle de l’État-nation basé sur la démocratie représentative afin d’œuvrer à la mise en place d’un nouveau régime politique antagonique à la démocratie 16 ».

Cette invocation incantatoire de la société civile offre en outre l’avantage d’arracher un consensus par un pseudo-débat sur des projets arrêtés préalablement par les pouvoirs exécutifs en place (gouvernements, Conseils des ministres européens), et, autre avantage non négligeable, de substituer au peuple experts et notables. Ce recours aux experts est une véritable négation de la politique, assimilant celle-ci à une pure et simple gestion aussi rationnelle que possible de la société.

Ce modèle promu par la gouvernance induit par conséquent une dynamique de dépolitisation qui implique que pouvoir et fonctions politiques peuvent dis - paraître au bénéfice d’une simple « administration des choses».  En somme, «la gouvernance traduit bien la destruction de ce qui impliquait une responsabilité collective, c’est-à-dire la politique. Il ne s’agit plus de politique mais de gestion et d’abord de gestion d’une population qui ne doit pas se mêler de ce qui la regarde 17».

Outre l’accent mis sur la gestion, la gouvernance se caractérise également par une focalisation du débat sur les instruments et moyens d’une action politique à entreprendre et non sur l’action en tant que telle. En résumé, les problèmes politiques se muent en questions techniques. Puisque il ne s’agit plus de gouverner, mais de gérer, la technique donne un sceau d’inéluctabilité aux décisions prises.

Enfin la gouvernance vise, sous couvert de décisions techniques prises au consensus, à neutraliser le débat politique: «la substitution assez récente de la notion de gouvernance à celle de pouvoir vise à laisser entendre que personne n’a ou ne détient de pouvoir, que toute décision est issue des nécessités objectives de situation... À aucun moment n’est structurée une situation de débat où s’affronteraient des conceptions opposées du bien commun. Tout est contractuel, négocié, accepté. Ce que nous imposons c’est ce que vous avez voulu. Qui nous? Qui vous? Personne 18 . »

En somme, la gouvernance est la traduction politique du consensus technocratique et néolibéral 19. Et c’est ainsi que nous assistons à la mise en place d’une société consensuelle qui assurera logiquement l’hégémonie idéologique.

Est-ce grave, docteur ?

Oui, car «le retrait des peuples de la sphère politique, la disparition du conflit politique et social permet à l’oligarchie économique, politique et médiatique d’échapper à tout contrôle 20 ». Un autre danger de ce processus régressif est le désenchantement qu’il pourrait engendrer à l’égard de la politique en général et de la démocratie en particulier. Or, le conflit est nécessaire et consubstantiel au bon fonctionnement de la démocratie. Ce dont cette dernière a besoin est d’une «sphère publique où des projets hégémoniques différents peuvent se confronter 21.»

Les mots sont importants, surtout quand certains d’entre eux constituent un obstacle à la reconquête de l’imaginaire. Une conclusion plus positive serait de poser le constat selon lequel l’imposition du concept de gouvernance « aura au moins permis que la question de la citoyenneté soit reposée [et]… devienne le ferment du renouvellement d’un débat public le plus souvent languissant et convenu 22.»

Olivier Starquit, décembre 2011

1 Nous empruntons cette formulation à Philippe Arondel & Madeleine Arondel-Rohaut, in
Gouvernance, une démocratie sans le peuple, Paris, Ellipses, 2007.
2 http://lmsi.net
3 Jacques B. Gélinas, Dictionnaire critique de la globalisation, Montréal, Éditions Ecosociété,
2008, p. 151.
4 Ce concept pragmatique est aujourd’hui tellement en vogue qu’il est utilisé à toutes les sauces:
on parle de gouvernance locale, de gouvernance urbaine, de gouvernance territoriale, de
gouvernance européenne, de gouvernance mondiale, le dernier en date étant la gouvernance
économique européenne (un bel euphémisme pour dire politiques d’austérité)…
5 Une variante : en tant que partenaires, nous sommes tous dans le même bateau, mais quelquesuns
trustent le salon et la majorité végète dans les soutes. 
6 Georges Corm, Le nouveau gouvernement du monde, Paris, La Découverte, 2010 p. 206.
7 John Pitseys, «Le concept de gouvernance», Etopia, p. 63. 
8 Dany-Robert Dufour, Le divin marché, Paris, Denoël, 2007, p. 155. 
9 Thierry Brugvin, «La gouvernance par la société civile: une privatisation de la démocratie?»
In Quelle démocratie voulons-nous? Pièces pour un débat, Alain Caillé (dir.) Paris,
La Découverte, Paris, 2006, p. 74
10 John Pitseys, op.cit.
11 Commission européenne, Gouvernance européenne. Un livre blanc, Bruxelles, 25 juillet
2001, COM (2001) 428 final, 40 p.
Disponible sur http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/site/fr/com/2001/com2001_0428fr01.pdf
À noter l’usage des partenaires sociaux à la place d’interlocuteurs sociaux !
12 Corinne Gobin, «Gouvernance» in Pascal Durand (dir.), Les nouveaux mots du pouvoir,
abécédaire critique, Bruxelles, Aden, 2007, p. 266
13 Barbara Delcourt, Nina Bachkatov & Christopher Bickerton, « Complexification du
monde et exigences minimalistes de la narration » In Science politique et actualité, actualité de
la science politique, Régis Dandoy (dir.). Louvain-la-Neuve,
Éditions Academia Bruylandt,
2011, p. 250
14 Dany-Robert Dufour, op. cit., p. 161
15 Philippe Arondel, Madeleine Arondel-Rohaut, Gouvernance, une démocratie sans le peuple, Paris, Éllipses, 2007, p. 175 .
16 Corinne Gobin, op. cit., p. 265 .
 17 Isabelle Stengers, Au temps des catastrophes, résister à la barbarie qui vient. Paris, Les empêcheurs de penser en rond, 2009, p. 67 . 
18 Alain Caillé, «Un totalitarisme démocratique? Non le parcellitarisme» In Quelle démocratie voulons-nous? Pièces pour un débat, Alain Caillé (dir.) Paris, La Découverte, Paris, 2006, p. 96 . 
19 Ce consensus mou qui n’est pas celui issu du conflit mais qui le précède et lisse les positions avant que le débat ait pu avoir lieu.
20 Cornelius Castoriadis, Une société à la dérive, entretiens et débats 1974-1997, Paris, PointsSeuil, 2005, p. 28. La constitution de gouvernements technocratiques en Grèce et en Italie illustre à merveille cette évolution néfaste. 
21 Francine Mestrum, «La “gouvernance” comme processus de dépolitisation par le déplacement du conflit» In Le conflit social éludé, Roser Cusso (eds), Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylandt, 2008, p. 149. 
22 Philippe Arondel & Madeleine Arondel-Rohaut, Gouvernance, une démocratie sans le peuple, op. cit, p. 176.

Pour aller plus loin

Livres

Philippe Arondel & Madeleine Arondel-Rohaut, Gouvernance, une
démocratie sans le peuple, Paris, Éllipses, 2007.
Pascal Durand, Les nouveaux mots du pouvoir, un abécédaire critique,
Bruxelles, Aden, 2007.
John Pitseys, «Le concept de gouvernance», Etopia, p. 63.
Texte disponible sur www.etopia.be/IMG/pdf/r7_pitseys_web-2.pdf

Petit exercice d’autodéfense intellectuelle

Chaque fois que le terme « gouvernance» est proféré (journal parlé ou
télévisé), se demander quel mot il remplace.
Chaque fois que vous entendez un interlocuteur utiliser ce terme,
l’interrompre et l’inviter à définir précisément ce qu’il entend par ce terme.





dimanche 18 octobre 2015

Lorsque j'entends parler de "gouvernance", j'ai envie de vomir / When I hear about "governance", I want to vomit

La novlangue néolibérale 

Par Olivier Starquit

 Après 40 ans de crise(s), le discours néolibéral parvient non seulement à justifier les politiques néolibérales en masquant leur caractère de politiques de classe, mais arrive encore à les renforcer. comment y parvient-il ? quels sont ses ressorts ? comment ces mots du pouvoir fonctionnent-ils, par qui sont-ils propagés et quels dangers recèlent-ils pour notre démocratie ? (...) Et la pièce centrale de cette visée est le recours au concept de gouvernance, qui vise en fait à « délégitimer les techniques de la démocratie représentative» et représente « le point nodal d’un programme politique conservateur qui concurrence le modèle de l’État-nation basé sur la démocratie représentative afin d’œuvrer à la mise en place d’un nouveau régime politique antagonique à la démocratie ». D'ailleurs, l’absence de débat à propos d’une idée ou d’une opinion en finit même par devenir la preuve subjective de la validité de cette idée ou de cette opinion. En somme, notion controversée, « la gouvernance traduit bien la destruction de ce qui impliquait une responsabilité collective, c’est-à-dire la politique. Il ne s’agit plus de politique mais de gestion». Ainsi, « sous couvert d’un rejet presque effarouché des idéologies (ce mot, comme tant d’autres, est lui-même devenu politiquement incorrect), le discours véhiculé par les médias forge peu à peu une apparente unanimité sociétale et ce faisant prêche, sans le vouloir, pour la soumission à un ordre de plus en plus établi. Ce discours se construit d’évidences qu’il voudrait tellement indiscutables (des réformes seront nécessaires, des efforts voire des sacrifices devront être consentis) qu’il s’exonère lui-même de l’argumentation et surtout de l’analyse des causes ou des alternatives». 

L'intégralité du texte sur : http://www.barricade.be/publications/analyses-etudes/novlangue-neoliberale