Par Nafeez Ahmed
Face à l’effondrement, fondons des alliances terrestres [Et intéressons nous à la physique quantique ?] / In the face of the collapse, let us base ground alliances [ And let us interest in the quantum physics?]
19 juillet 2018 / Corinne Morel Darleux
source : https://reporterre.net/Face-a-l-effondrement-fondons-des-alliances-terrestres
Il faut changer de regard ?
Source : Insurge Intelligence, Nafeez Ahmed, 11-01-2019
Donc vous voulez changer le
monde. Alors, prenez un verre, asseyez-vous et attachez votre ceinture
pour plonger profondément dans la dynamique de la transformation du
système. Le système que vous combattez est en vous. Nous ne pouvons pas
le vaincre dans le monde tant que nous ne nous serons pas recâblés
nous-mêmes à partir de zéro. Ce n’est pas facile. C’est la chose la plus
difficile que nous ayons jamais faite, parce qu’elle touche toutes les
dimensions de notre vie et les recoins les plus profonds de notre être.
Parce que nous sommes des produits du système, jusqu’à ce que nous
choisissions de ne pas l’être. Mais ce choix, cette pilule rouge, est
beaucoup plus difficile à avaler qu’on pourrait le croire. Il faut
devenir plus que ce que nous pensons être et donner aux autres les
moyens de faire de même. La trajectoire de ce document n’est pas un
voyage facile, d’autant plus que je suis toujours en chemin. C’est
dense, exigeant et rigoureux. Pensez-y comme à une collection de notes
de campagne essayant de condenser certains des outils les plus
importants que j’ai trouvés. Les concepts, les idées et le récit qui se
développent ci-dessous jettent les fondements d’un cadre de
connaissances, d’une façon d’être et d’une pratique qui s’inspire de
tout ce que j’ai appris et développé comme journaliste, universitaire,
théoricien des systèmes, entrepreneur social, stratège en organisation,
responsable des communications, activiste du changement, époux, père,
frère, fils, ami, ennemi et être humain qui avec quelques succès fait
maintes erreurs et échoue de nombreuses fois, mais essaie de tirer des
enseignements de mes erreurs et échecs. Il ne s’agit encore que d’un
travail préliminaire qui, bien entendu, s’inspire largement des travaux
pionniers des autres et les intègre. Il y a aussi des lacunes, et il va
donc sans dire que toutes les fautes, erreurs ou omissions sont les
miennes et les miennes uniquement. J’espère que cela pourra vous aider
dans votre propre voyage en tant que compagnon de route sur ce vaisseau,
la Terre, même si ce n’est que d’une manière minime.
Nous sommes confrontés à une
convergence de crises qui s’intensifient et sont toutes liées entre
elles. Jour après jour, alors que ces crises s’accélèrent, notre
capacité à y répondre de manière efficace semble s’amenuiser. Non
seulement nos institutions sont largement incapables de comprendre
comment ces crises s’imbriquent en tant que symptômes d’une crise
systémique globale plus profonde, mais elles sont de plus en plus
dépassées par leurs impacts.
Nous nous trouvons au seuil d’une
crise civilisationnelle – une crise de l’évolution – comme nous n’en
avons jamais connue auparavant, une crise qui menace potentiellement la
survie même de l’espèce humaine. Même sans cela, les pressions
grandissantes sous forme de destruction de l’environnement, la
prédominance de la guerre, les risques d’annihilation nucléaire, les
inégalités croissantes, la xénophobie croissante, l’autoritarisme
croissant, les dangers des chaînes logistiques, les marchés volatiles,
les épidémies de maladies mentales, la violence armée, la violence
contre les femmes représentent tous à la fois des failles dans notre
modèle actuel et les possibilités de le dépasser.
Ces crises s’aggravent et
s’approfondissent à toutes les échelles – mondiale, régionale,
nationale, locale. Elles ont un impact sur nous de multiples façons, sur
nos gouvernements, nos organisations inter-gouvernementales, nos
nations, nos sociétés, nos communautés, nos cultures, nos affaires, nos
entreprises, nos organismes sociaux et sans but lucratif, notre
personne, notre corps, notre mental, notre cœur, notre esprit.
Nous sommes donc confrontés à un
tournant de notre évolution : soit nous succombons aux catastrophes
convergentes du déclin des civilisations, soit nous saisissons
l’opportunité de les transcender en adaptant de nouvelles capacités et
de nouveaux comportements, qui nous permettent de devenir plus que ce
que nous étions.
Pour réagir efficacement, nous
avons besoin d’une approche totalement différente. Ce document propose
une approche systémique dérivée de mon propre travail et de mes propres
expériences pour formuler une manière d’aborder ces crises à travers le
prisme de l’« intelligence collective ». Il présente une nouvelle façon
de voir les choses et un ensemble de processus et de pratiques qui
peuvent être adoptés par toute personne ou tout groupe, que ce soit un
individu, une famille, une entreprise ou une organisation. Il s’agit
d’une boîte à outils concrète, écrite comme une ressource de base et une
feuille de route pour tous ceux qui veulent vraiment travailler pour un
monde meilleur. Si vous n’êtes pas dans cet état d’esprit, ce document
n’est pas pour vous.
Bon nombre des thèmes abordés ici
pourraient être expliqués et développés plus en détail – et c’est
exactement ce que je ferai à l’avenir. Nombre d’entre eux peuvent être
mis en œuvre de différentes manières – par des approches innovantes des
plates-formes numériques, par le journalisme, par l’esprit d’entreprise,
par la charité et la philanthropie, par la stratégie organisationnelle,
par la lucidité, le développement personnel et au-delà. Mais le
résultat est qu’ils tournent autour de la pratique humaine – à la base,
c’est quelque chose que vous devez faire dans votre propre vie.
Je commence par définir un vaste
modèle systémique sur la façon dont nous pouvons donner un nouveau sens
au monde qui nous entoure d’une manière qui saisit la complexité de ce
qui se passe. J’aborderai ensuite la façon dont ce paradigme systémique
fournit des renseignements utiles sur la nature de l’intelligence et de
la sagesse, et comment ces connaissances peuvent être distillées dans
une nouvelle façon de cultiver l’intelligence et de traduire cette
intelligence en actions transformatrices concrètes.
1 – Ce que nous sommes
Nous sommes des systèmes. Pour être plus précis, nous sommes des systèmes adaptatifs complexes.
Un système existe chaque fois que plusieurs éléments interagissent avec les autres de quelque manière que ce soit.
Un système complexe existe
lorsque les relations entre ces éléments conduisent le système pris
comme un tout à afficher des schémas de comportement qui sont
qualitativement au-delà et qui ne peuvent être réduits aux propriétés de
ses composantes.
Un système évolutif complexe existe
lorsque le système dans son ensemble est capable de se restructurer, de
changer – s’adapter – en changeant le comportement de ses composantes,
afin de survivre.
Un organisme biologique est un
système évolutif complexe. Des millions d’années d’évolution ont eu lieu
parce que des systèmes vivants complexes ont pu s’adapter à leur
environnement. L’une des façons d’y parvenir est de traiter
l’information provenant de leur environnement et de la traduire par des
mutations génétiques. Les organismes qui l’ont fait avec succès avaient
les meilleures chances de s’adapter à leur environnement et de survivre.
La survie et l’évolution de l’espèce humaine – de la civilisation
humaine – est, bien entendu, plus qu’un simple cas de production d’un
ensemble approprié de mutations génétiques. C’est parce que nous faisons
des choix sur la façon dont nous organisons nos sociétés.
Lorsqu’un système évolutif
complexe est particulièrement mis à l’épreuve par ses conditions
environnementales, il entre dans une phase de crise. La crise remet en
question les structures existantes, les relations existantes et les
modèles de comportement dans un système.
Si
la crise s’intensifie, elle peut atteindre un seuil qui peut miner
l’intégrité de l’ensemble du système. En fin de compte, soit le système
s’adapte en se restructurant, ce qui conduit à un « changement de phase »
vers un nouveau système, un nouvel équilibre stable, soit il régresse.
L’une des choses importantes que
nous faisons en tant qu’organismes vivants est d’extraire l’énergie de
notre environnement, qui est ensuite traitée pour alimenter notre
activité. Nous nous distinguons nettement de la plupart des autres
organismes biologiques grâce à notre intelligence, nous sommes capables
d’interagir avec notre environnement d’une manière tout à fait unique.
Cela implique de manipuler des choses dans notre environnement pour
développer de nouveaux outils qui permettent d’extraire et d’exploiter
plus efficacement l’énergie pour développer diverses structures et
activités qui répondent à nos besoins et désirs.
Une caractéristique importante de
la civilisation humaine est que sa croissance a été rendue possible par
cette capacité d’extraire des quantités croissantes d’énergie excédentaire – énergie qui n’est pas nécessaire pour extraire l’énergie elle-même, mais qui peut donc être utilisée pour d’autres usages.
Nous sommes des organismes
biologiques qui, simultanément, coexistent avec des expériences
psychologiques, sociales et spirituelles – c’est-à-dire, portant des
vies mentales, des pensées et des souvenirs dans un contexte social où
nous prenons des décisions et portons des jugements basés sur notre
interprétation des « valeurs » de « bien » et de « mal », de « bon » et
de « mauvais ».
Nous sommes aussi intégralement
interconnectés les uns avec les autres et avec d’autres espèces à
travers un réseau complexe de vie qui comprend, dans son intégralité, le
système terrestre – ou, s’inspirant du chimiste James Lovelock, Gaia,
un étonnant système naturel d’autorégulation qui est finement réglé pour
le maintien de la vie telle qu’on la connaît.
En allant plus loin, nous savons
aussi qu’au niveau des particules fondamentales, nous et l’univers tout
entier sommes (méta ?) physiquement interconnectés dans l’espace-temps
par une intrication quantique d’une manière que nous ne comprenons pas
encore totalement ; et que l’acte d’observation et de mesure joue un
rôle fondamental dans la manifestation de ce qui est réel. Bref, il y a
déjà eu un changement de paradigme dans notre compréhension scientifique
du monde, mais relativement peu en sont conscients, et encore moins en
ont exploré les ramifications.
La biologie évolutive et les
cycles de vie de multiples civilisations humaines à travers l’histoire
nous enseignent qu’au cœur de la capacité de survie se trouve une
capacité fondamentale : la capacité d’évoluer sur la base d’une
appréhension précise de l’environnement.
Bien que nous ayons de nombreux
désaccords sur la composante comportementale des valeurs morales, nous
sommes généralement incapables d’agir sans y faire référence d’une
manière ou d’une autre. Nous avons tendance à prendre des décisions
basées sur ce que nous considérons comme étant « juste » ou « bon ».
Il est maintenant clair,
cependant, que les catégories comportementales morales dominantes
associées au paradigme dominant de l’organisation sociale sont
dysfonctionnelles. Elles reflètent en fait des modèles de comportement
qui contribuent directement non seulement à la déstabilisation et à la
destruction de la civilisation, ainsi qu’à l’extinction de multiples
espèces, mais potentiellement à l’anéantissement même de l’espèce
humaine.
Si nous prenons une valeur morale
ou éthique pour représentative d’un mode ou d’un modèle de comportement
particulier, nous pouvons conclure de notre situation civilisationnelle
actuelle que le système de valeurs prédominant fondé sur
l’auto-maximisation par accumulation matérielle sans fin est
fondamentalement défectueux, en décalage avec la réalité et
objectivement contre-productif. Inversement, les valeurs que l’on
pourrait associer à des comportements de plus grande collaboration et de
plus grande coopération qui semblent reconnaître les êtres vivants
comme interconnectés, comme l’amour, la générosité et la compassion
(impliquant des modèles comportementaux dans lesquels la maximisation de
soi et le souci du tout sont considérés comme complémentaires plutôt
que conflictuels), auraient une fonction évolutionnaire objective pour
l’espèce humaine.
Cela nous donne une idée de la
façon dont de meilleurs modèles de comportement sembleraient s’aligner
sur les valeurs éthiques. Plus précisément, cependant, la clé de
l’adaptation évolutive par le biais de nouveaux modèles comportementaux
plus éthiques est l’accès à l’information sur notre environnement avec des ramifications directes pour notre comportement.
Les adaptations évolutives se
produisent sur la base de nouveaux comportements et capacités qui
émergent de nouvelles mutations génétiques. Les mutations génétiques
sont porteuses de nouvelles informations extrêmement complexes. Mais
elles ne peuvent produire les informations les plus utiles pour les
adaptations que si elles reflètent les défis qui émergent dans
l’environnement naturel et s’y adaptent.
Un organisme qui ne parvient pas à
convertir de façon cohérente des informations complexes sur son
environnement en adaptations physiques appropriées ne peut pas évoluer
en fonction des circonstances et sera donc incapable de survivre à
mesure que la pression augmente.
Le
premier enseignement que nous pouvons en tirer est qu’une évolution
réussie ne peut se produire sans le traitement d’informations précises à
partir et sur la relation d’une personne avec son environnement
naturel.
Cela a des implications particulièrement profondes lorsqu’on l’applique aux êtres humains.
L’espèce humaine est la seule sur
la planète capable d’adopter consciemment des modes et des modèles de
comportement entièrement différents basés sur notre compréhension de
nous-mêmes et du monde naturel. Cette capacité consciente, que nous
pourrions considérer comme une caractéristique essentielle de
l’intelligence humaine, a permis aux êtres humains de développer un
large éventail d’outils qui extraient et emploient l’énergie
excédentaire pour exercer rapidement une domination croissante sur le
monde naturel au fil des siècles, pour aboutir au système
civilisationnel qui existe aujourd’hui.
Ce
qui conduit à son tour à la conclusion suivante : l’objectif de
l’adaptation comportementale exige que nous demeurions ouverts à de
nouvelles informations pertinentes – des informations utiles à notre
évolution, qui peuvent nous accompagner dans nos processus d’adaptations
et nous aider à éviter les catastrophes qui compromettent notre
évolution.
Tout comme chaque être humain est
un système adaptatif complexe à une échelle microscopique, les
différents collectifs de l’espèce humaine, qu’il s’agisse de groupes,
d’institutions ou d’organisations, sont des systèmes adaptatifs
complexes plus vastes, qui fonctionnent tous comme des sous-systèmes du
système adaptatif macro complexe qui est la civilisation humaine
mondiale dans son ensemble.
Il existe donc une interconnexion
indélébile entre chaque être humain et le système mondial plus large
dont il est une partie. Les macrostructures du système civilisationnel
mondial émergent des modèles de comportement qui se produisent aux
échelles sous-systémique (régionale et nationale) et micro
(individuelle). À leur tour, ces macrostructures contraignent et
configurent ces modèles.
Dans un sens très réel, ce qui se
passe dans le monde « là-bas » n’est donc pas entièrement séparé et
distinct de ce qui se passe « ici » chez l’individu. Dans une certaine
mesure, ce qui se passe « dehors », aussi éloigné ou odieux que cela
puisse paraître, est susceptible de refléter les processus que les
individus vivent en eux-mêmes et dans leur propre vie, et vice versa.
Les incohérences au niveau mondial sont susceptibles de trouver leurs
pendants aux niveaux régional, national et individuel.
Quand nous voyons une incohérence
dans le monde, il se peut bien qu’elle reflète ou réfracte d’une
certaine manière nos propres incohérences – peu importe à quel point
nous pouvons apparemment ne pas les aimer ou y être opposés.
2 – Intelligence et prise de décision
Pour survivre et prospérer, les
êtres humains doivent être capables de s’adapter aux changements
environnementaux. Dans la civilisation mondiale complexe d’aujourd’hui ;
s’adapter aux changements environnementaux implique l’adaptation d’un
large éventail de processus sociaux, économiques, politiques et
culturels, qui s’inscrivent tous dans un contexte plus profond de
systèmes énergétiques et environnementaux.
Cela exige en outre que nous
développions des capacités analytiques et empathiques pour traiter
l’information de manière à pouvoir distinguer l’information inexacte,
inutile, dysfonctionnelle et inadaptée de l’information exacte, utile,
fonctionnelle et adaptée.
Bref, il est impossible de
prendre des décisions judicieuses et saines sans être en mesure de
traiter l’information qui se rapporte à ces décisions.
La leçon clé est qu’une
information complète, exacte et holistique est essentielle pour tout
individu, organisation ou société afin de s’adapter à son environnement
changeant, de survivre et de s’épanouir. La fonction de l’intelligence
ici est claire : la sagesse – s’engager dans son environnement dans
toute sa complexité stupéfiante ; permettre la prise de décision qui
sous-tend les adaptations comportementales à cet environnement.
2.1 Le modèle cognitivo-comportemental dominant : les boucles fermées
Dans le contexte de la civilisation industrielle moderne du XXIe siècle,
le volume de données produites et partagées a considérablement
augmenté, mais peu de ces données se traduisent par des connaissances
pertinentes, utiles et exploitables au sujet du monde.
L’incapacité à traiter cette
avalanche d’informations complexes pour en tirer des perspectives sur le
monde avec des implications claires pour l’action est potentiellement
fatale, car cela signifie que la capacité d’adaptation aux conditions du
monde réel est extrêmement réduite.
Au XXe siècle,
les flux d’information étaient beaucoup plus centralisés, largement
dominés par les médias et les conglomérats d’édition. Les flux
d’information étaient principalement pyramidaux [du sommet vers la base,
NdT] et hiérarchiques. Alors que les normes de qualité étaient souvent
plus rigoureuses, bien définies et appliquées de manière cohérente,
l’information était souvent biaisée par le fait qu’elle était créée de
manière indélébile par les structures dominantes du pouvoir.
Dans le modèle du XXIe siècle
qui a émergé à l’ère du Big Data et des plates-formes sociales, les
règles du jeu de l’information se sont transformées. Bien qu’il existe
encore des supports centralisés pour la production de l’information,
leur portée s’affaiblit. Simultanément, de nouveaux mécanismes
décentralisés de production et de diffusion de l’information sont
devenus omniprésents. Bien que décentralisées dans leur portée, ces
plates-formes sont également soumises à des cercles de pouvoir
concentriques fortement liés.
Submergés par les biais
cognitifs, les humains ont tendance à s’orienter vers des flux
d’information qui confirment leurs croyances et leurs pratiques
existantes. Par conséquent, les flux d’information sont devenus de plus
en plus polarisés à mesure que des communautés se forment, créant
différentes bulles d’opinions idéologiques qui se renforcent
mutuellement, et il n’existe aucun mécanisme pour intégrer les
connaissances entre ces différents sous-ensembles idéologiques.
Cela a créé des bulles
d’idéologie polarisée, sapant toute capacité d’intelligence collective.
Nous aimons souvent penser que nous sommes au-delà de ces limites, mais
c’est une illusion. Éviter les contraintes des biais idéologiques est
une pratique qui exige une vigilance constante et une approche
stratégique de l’information.
Il est de plus en plus largement
admis que le modèle d’information dominant entretient ces boucles
fermées d’informations qui sont souvent mutuellement exclusives. Cela
entrave en fait la capacité de recevoir de nouvelles informations.
D’importants
volumes d’informations finissent par être traités au sein de boucles
fermées préexistantes, renforçant ainsi les mêmes préjugés et idées
préconçues de longue date. En l’absence de nouvelles informations, la
capacité de comprendre la complexité réelle du système mondial dans son
ensemble s’évapore en grande partie.
La plupart des médias ne
comprennent pas vraiment le monde parce qu’ils le voient à travers un
ensemble spécifique de lentilles, de préjugés ou de perspectives. En
tant que telles, les informations qu’ils produisent sont soit
fragmentées, déroutantes et accablantes, soit elles sont passées au
crible sous l’angle d’un cadre idéologique qui préfigure constamment la
perspective dans la même série de croyances et de valeurs.
Il y a, par conséquent, une
capacité réduite à saisir comment des événements ou des incidents
particuliers peuvent avoir des répercussions indélébiles sur d’autres
questions ; comment ils émergent de forces et de tendances plus
profondes ; et comment ils sont susceptibles d’avoir une incidence en
termes de nouvelles forces et tendances.
En fin de compte, plutôt que de
donner aux personnes, aux organisations, aux entreprises ou aux
gouvernements les moyens d’agir de manière productive dans le monde, le
modèle d’information dominant tend à les submerger de deux états
cognitifs seulement : la désorientation complète ou le biais idéologique.
Souvent, l’état cognitif passe
d’un mode à l’autre, se renforçant de lui-même. La désorientation
s’accompagne d’une dépendance à l’égard d’anciens liens idéologiques
confortables, liés à des réactions comportementales familières. En cas
d’échec, la désorientation s’installe de nouveau, jusqu’à ce que les
attaches puissent être remontées à la surface ou reconstruites en n’en
changeant que l’emballage.
Les consommateurs n’ont souvent
pas d’autre choix que de réagir à court terme aux stimuli de
l’information encadrés par une idéologie ou une opinion étroite. Les
décideurs politiques, les chefs d’entreprise, les citoyens et les
militants du changement sont donc toujours en retard, toujours en train
de réagir, toujours en train de lutter pour rattraper leur retard,
toujours derrière la courbe.
En lisant ceci, vous pourriez
être tenté de vous concentrer sur la façon dont ces dynamiques négatives
se manifestent dans les organisations, les agences consultatives, les
partis politiques, les gouvernements, les organisations à but non
lucratif et les entreprises qui vous semblent problématiques. Mais même
si c’est important, c’est également facile. Tout d’abord, et c’est le
plus impactant, il faut discerner
la manière dont ces dynamiques se déroulent dans les organisations, les
réseaux et les groupes que vous soutenez ou auxquels vous êtes affilié.
Si vous le faites correctement,
vous commencerez à voir comment non seulement ceux que vous soutenez,
mais aussi vous-même, s’engagent dans des pratiques et des modèles de
comportement qui renforcent les boucles d’information fermées.
En retour, vous serez en mesure de constater que ce sont ces boucles d’information fermées qui sont responsables de comportement négatifs et autodestructeurs qui ne changent pas et qu’il est impossible de changer.
Ces boucles d’information fermées
et ces modèles comportementaux fixes font partie de la même matrice de
dysfonctionnement – que ce soit dans votre esprit, votre famille, votre
communauté, votre entreprise ou votre société.
3 – Le modèle évolutif : des nœuds ouverts d’engagement
Ceux d’entre nous qui s’engagent à
donner le meilleur d’eux-mêmes, à l’espèce humaine et à toutes les
espèces de la terre qui survivent et prospèrent ensemble, doivent
explorer différentes approches.
Ces approches, pour réussir, devront comporter les caractéristiques suivantes.
3.1 Faire la distinction entre ce qui est connu et ce qui ne l’est pas
Nous avons besoin dès le départ
d’un système rigoureux qui fait sens, conçu pour distinguer les faits du
mensonge. Cela exige de fonder tous nos efforts de création de sens de
manière tout à fait consciente dans un système logique axiomatique, en
toute conscience. Il n’est pas nécessaire que ce soit un processus
explicite et visible, bien que cela puisse être utile, mais il faut
qu’il soit systématique.
Un système logique axiomatique
implique l’application d’une méthode logico-déductive pour tester nos
propres hypothèses et croyances par rapport à nos expériences du monde.
Pour ce faire, il faut établir clairement quels sont nos points de
données entrants, tant à l’interne qu’à l’externe, afin de déterminer la
base factuelle et les hypothèses qui sous-tendent nos croyances.
Derrière chaque argument ou position que nous défendons, il y a les
hypothèses que nous faisons. En les faisant remonter à la surface, nous
exigeons de nous-mêmes de faire de notre mieux pour valider ces
hypothèses dans des données réelles, afin que ces hypothèses soient soit
irréfutablement vraies dans un sens logique soit validées empiriquement
; et si nous ne pouvons pas les valider, alors nous sommes en mesure de
le reconnaître et de réagir en conséquence. Idéalement, nous voulons en
arriver à un point où nos hypothèses de base sur le monde sont
irréfutablement vraies d’un point de vue logique ou validées
empiriquement.
Dans le passé, nous avons trouvé
utile d’appeler ces points de données « axiomes » (s’inspirant des
travaux des premiers mathématiciens grecs) ; d’appeler les nouvelles
informations qui émergent de l’analyse de ces axiomes « connaissances » ;
puis d’utiliser ces connaissances pour définir les possibilités «
d’actions ».
En bref, cette structure
tripartite cherche à identifier ce que nous savons vraiment, à le
séparer de ce que nous ne savons pas ou réalisons comme étant faux ; à
tirer parti de ces connaissances dans l’ensemble du « système des
systèmes » pour développer de nouvelles perspectives dans le système ;
et à tirer parti de ces nouvelles perspectives – nouvelles connaissances
– pour développer un nouveau cadre pour accompagner des décisions
éclairées en vue d’actions visant à une adaptation au monde.
Dans le même ordre d’idées, nous
voulons nous assurer de développer de nouvelles informations sur le
monde sur la base d’une analyse systémique et holistique de ces axiomes.
Cela exige une approche qui cherche à éviter les erreurs cognitives
courantes, telles que les généralisations, les fausses inférences, les
analogies injustifiées et autres erreurs souvent associées aux biais
cognitifs. Dans la mesure du possible, nous voudrons nous assurer que
nos nouvelles idées sur le monde sont formulées de manière à ce qu’elles
correspondent le plus possible aux points des données axiomatiques que
nous recueillons.
Une théorie ou une inférence est-elle réellement étayée par des données empiriques ?
Les données étayent-elles spécifiquement et entièrement l’inférence ou seulement partiellement ?
Y
a-t-il des spéculations et des hypothèses supplémentaires dans le
cheminement de l’inférence, des hypothèses qui ne sont pas entièrement
fondées sur les données disponibles ?
L’inférence est-elle vraiment cohérente ou contient-elle des contradictions et des tensions?
Est-elle cohérente avec d’autres domaines du savoir ?
Lorsque
nos croyances ne peuvent plus être directement dérivées de nos axiomes,
alors elles ont cessé d’être des idées et sont devenues de l’idéologie.
Dans ce cas, nous devons nous demander d’où viennent exactement ces
idées et pourquoi nous insistons pour y croire.
3.2 Un écosystème de connaissances partagées
Une autre chose dont nous avons
besoin dès le départ, c’est d’un nouveau cadre d’analyse de la réalité –
quelle qu’elle soit de notre point de vue – à travers un cadre
systémique complexe explicitement conçu pour s’engager dans la réalité
du monde en tant que « système de systèmes ».
Un système logique axiomatique
sera de peu d’utilité s’il est appliqué dans un contexte d’information
fermé – dans ce cas, il ne serait même pas ouvert à de nouvelles
informations, de véritables données nouvelles en dehors du périmètre de
sa propre boucle de connaissances, et même si ces données arrivaient,
elles seraient simplement auto-sélectionnées comme étant pertinentes. Un
nœud ouvert d’information exige, de par sa nature même, une lentille
multidisciplinaire qui peut diriger l’information à l’extérieur de la
zone de confort de sa propre « expertise » ou de son approche
disciplinaire.
Ainsi notre premier objectif est
de développer nos capacités cognitives pour commencer à percevoir le
monde comme un système complexe de systèmes ouverts et interconnectés.
Ce cadre met en évidence les interconnexions systémiques inhérentes
entre et à travers de multiples domaines sociaux, économiques,
politiques, psychologiques, culturels, énergétiques, écologiques,
technologiques, industriels et autres, ainsi qu’entre les principaux
problèmes et défis et les parties prenantes.
Cela exige un effort de mise à
niveau pour renforcer nos capacités cognitives dans nos propres
contextes. D’abord et avant tout, cela signifie que nous devons nous
former en tant qu’individus. D’autre part, il s’agit d’examiner comment
cela peut être réalisé dans le contexte organisationnel des institutions
dans lesquelles nous travaillons et intervenons.
L’élaboration d’une objectif
multidisciplinaire pour voir le monde comme un « système de systèmes »
aura inévitablement des limites au niveau individuel et exigera donc un
engagement constant avec une expertise intersectorielle des disciplines.
Elle exige également des cadres holistiques capables d’assurer un
engagement intersectoriel efficace, en s’appuyant sur une compréhension
empirique validée des systèmes du monde réel.
L’objectif suivant est de faire
exactement le contraire de ce que nous faisons dans des boucles fermées
d’information. Les boucles fermées d’information sont renforcées par les
comportements actifs des individus qui choisissent eux-mêmes
l’information en fonction de leurs partis-pris pré-établis. Cela tend à
renforcer les récits polarisés. Cela renforce également les boucles
d’information internes fermées qui maintiennent des croyances et des
valeurs préférées et familières, bloque la capacité d’accepter et de
traiter de nouvelles idées sur le monde et enferme l’individu dans un
cycle de schémas comportementaux dysfonctionnels auxquels il ne peut
échapper.
L’approche inverse consisterait à
exploiter et à intégrer des points de vue multiples et dissonants pour
explorer des flux d’information disparates et souvent déroutants sur des
questions particulières, en tant que mécanisme central. Au lieu
d’éviter, de contester, de dénigrer et d’excommunier des points de vue
contraires, cette approche exige de retenir ces points de vue pour tirer
parti de leurs enseignements respectifs.
Cette approche repose sur un
axiome fondamental : que notre point de vue, peu importe à quel point
nous pensons qu’il est « juste », est en fin de compte faillible, limité
et dérivé d’un ensemble limité de données. Peu importe tout ce que nous
faisons pour corriger cette situation, notre perspective sera toujours
limitée. Cela signifie qu’à tout moment, notre perspective sera toujours
exactement la même : une vision du monde, et non une image vraie,
complète et exacte. Pour corriger cette situation, il faut une approche
stratégique continue de l’information qui s’appuie sur un modèle de
fonctionnement intégrant de multiples approches contradictoires.
Par
conséquent, nous devons intégrer un processus – que ce soit en tant
qu’individus ou en tant qu’organisations – pour faire face aux
dissonances entre des points de vue opposés. De vraies idées ne peuvent
être développées qu’en appliquant un système logique axiomatique pour
discerner les faits de l’imposture d’une manière qui doit être cohérente
sous tous ses angles.
Dans le modèle d’aujourd’hui, il
est devenu une tendance dominante pour les gens qui se situent à
l’intérieur de boucles fermées d’information particulières, que ce soit «
à gauche », « à droite », « au centre » ou quoi que ce soit d’autre, de
ne crier qu’au mensonge contre d’autres boucles fermées d’information
qui s’opposent à la leur propre. Dans ce cas, il est même souvent
considéré comme déloyal d’invoquer le mensonge ou le manque d’intégrité
parmi les producteurs d’information auxquels on est attaché. C’est le
symptôme d’un profond déclin civilisationnel de notre capacité
collective en matière d’intégrité de l’information.
Cette approche garantit que les
échecs et les failles de son propre cadre idéologique seront
systématiquement ignorés et sous-estimés. Il s’agit avant tout d’une
stratégie d’effondrement cognitif interne dont le résultat inévitable
sera une dislocation croissante du système complexe des systèmes qu’est
le monde réel. Elle représentera simultanément un déclin moral de la
plus haute importance, dans lequel l’obsession des torts de « l’Autre »
devient un substitut commode à l’obligation de rendre compte de ses
propres pratiques cognitives et partis-pris en examinant l’intégrité de
sa propre boucle fermée d’information.
Une autre approche, et la seule
qui peut maintenir la possibilité d’une évolution adaptative tout en
évitant l’effondrement cognitif et moral, est un nœud ouvert de contrat
informationnel qui cultive spécifiquement une ouverture authentique à
d’autres boucles d’information qui donnent un sens, y compris celles
avec lesquelles elle est fondamentalement en désaccord. Cette ouverture
n’est pas inconditionnelle. Elle ne peut conserver l’authenticité
épistémologique qu’en exerçant un système de logique axiomatique qui
permet d’accéder à des connaissances valables provenant d’autres boucles
d’information tout en rejetant leurs défauts, leurs échecs et leurs
incohérences. De même, cette ouverture doit être capable de tirer parti
des connaissances externes pour éliminer les défauts, les échecs et les
incohérences dans son propre cadre.
Ainsi,
au lieu de boucles d’information fermées, polarisées et s’excluant
mutuellement qui servent des préjugés préexistants qui se renforcent
mutuellement, nous cultivons des nœuds ouverts et croisés d’engagement
humble, critique et réfléchi dans lesquels l’information nouvelle peut provenir de perspectives multiples et être destinée à tous les points de vue.
3.3 Trouver sa force dans l’ici et maintenant
Cela permet un engagement profond
et riche en contexte dans de multiples disciplines, sur de multiples
questions en reliant des points. Cet effort cherche à naviguer, à l’aide
d’une approche axiomatique, dans tout le paysage des données et de
l’expérience disponibles pour développer tout un ensemble de
connaissances systémiques qui peuvent être comprises dans leur contexte
systémique plus large, plutôt que simplement comme des questions ou
incidents disparates ou désordonnés.
Le corpus de connaissances qui en
résulte est donc constitué de multiples points de vue, avec différents
regards générés par différents nœuds ouverts d’information et
d’élaboration de sens. L’ensemble de ces connaissances à travers de
multiples nœuds et perspectives peut ensuite être exploité pour soutenir
le développement de l’intelligence collective de systèmes entiers,
renforçant la capacité à prendre des décisions saines et à agir avec
cohérence dans le monde qui favorise des comportements d’adaptation et
d’évolution.
L’impératif
est d’identifier des points focaux où des actions pertinentes peuvent
être entreprises – pour travailler sur les domaines où nous conservons
le pouvoir, plutôt que de nous plaindre des domaines où nous manquons de
pouvoir. En tirant parti des connaissances pour créer le changement ici
et maintenant, dans nos propres corps, esprits, contextes et
communautés, nous trouvons notre véritable pouvoir.
4 – Les dynamiques éthique et spirituelle de l’intelligence collective
L’examen de ces approches
divergentes en cognition comportementale que sont les boucles fermées et
les boucles ouvertes met au jour une série d’observations importantes.
Nous pouvons résumer celles-ci à quelques observations éthiques clés, en
prenant en compte le fait que les valeurs éthiques sont les signifiants
de schémas comportementaux favorables ou défavorables, et que ces
derniers seraient le reflet de notre orientation spirituelle.
4.1 De l’intérieur vers l’extérieur
Dans un premier temps il faut
nous rappeler que les incohérences à grande échelle émergent en
définitive des incohérences à petite échelle. Ainsi, quand nous voyons
les malheurs qui touchent le monde et nous scandalisent – des formes de
profondes incohérences qui provoquent une grande souffrance chez
d’autres êtres vivants – ces incohérences ne sont pas simplement des
horreurs détachées de nous.
La faille cognitive majeure
consiste à voir ces incohérences comme ne faisant absolument pas partie
de nous. Bien que, dans une certaine mesure, cela soit le cas, elles
représentent aussi des tendances et des traits profondément ancrés de
nos propres comportements. Et bien qu’il soit important d’affronter ces
incohérences et de tenter de les modifier, faire cela sans simultanément
prendre soin de régler nos incohérences personnelles, qui sont
probablement présentes dans nos vies dans des contextes interpersonnels
et sociaux très différents, ne produirait à la fin du compte aucun
changement réel.
4.2 La force dans l’humilité
La seconde observation concerne
la nécessité de l’humilité. En reconnaissant que l’ être humain est
profondément faillible avec des limitations intellectuelles
fondamentales, nous acceptons et embrassons le fait selon lequel nous
disposons toujours d’un point de vue particulier de la réalité, peu
importe qu’il soit juste en lui-même elle ne constitue jamais « la
vérité ». Il nous faut alors résister à la tentation de l’orgueil de
vouloir défendre nos propres convictions. Orgueil et certitude
renforcent les circuits fermés d’informations en partant du principe que
nous sommes familiarisés avec « l’entière vérité » et n’avons plus
besoin de rechercher ou de découvrir des sources d’informations qui nous
seraient peu familières.
En adoptant une humilité
implacable, nous devenons plus ouvert à l’égard de l’inconnu et
recherchons ce qui pourrait peut-être nous mettre mal à l’aise.
Ainsi plutôt que de nous isoler
dans un cocon d’idées qui nous sont confortables et familières, nous
cherchons constamment à nous mettre au défi, à vérifier nos hypothèses
et nos points de repères.
Et au lieu de chercher à vérifier
ou réfuter les opinions des autres, notre priorité est d’apprendre de
leurs opinions et de nous débarrasser des oripeaux de nos préjugés.
Si nous n’adoptons pas cette
humilité implacable, alors nous ne sommes pas vraiment intéressés par ce
qui est réel. Nous nous attachons au lieu de cela à « avoir raison ».
Ceci s’apparente en fait à une sorte d’égoïsme anxieux, qui nous
garantit, finalement, d’être déconnecté du réel.
4.3 La vraie bataille
Une troisième observation est le
fait que les circuits d’information fermés qui se développent à travers
le monde, telles des métastases, reflète de près la neurophysiologie
interne de l’individu. Ces circuits fermés sont en fait des
prolongements collectifs de nos propres schémas de pensées, de
communications et de comportements de groupe. Et en tant que tel, nous
les retrouvons profondément ancrés dans les processus cognitifs internes
qui nous paraissent souvent évidents et que nous remettons rarement en
question (peu importe que nous soyons capables ou pas d’examiner les
incohérences des puissantes structures présentes dans le monde).
Le parallèle le plus immédiat est
cette voix intérieure à laquelle nous nous identifions, le « je », ce
flot intérieur sans fin de nos pensées. Oui, cette voix intérieure que
nous appelons « moi » et qui ne s’arrête jamais de parler, de commenter, de sentir, de juger, de réagir et ainsi de suite.
Efforcez-vous de vous placer dans
un état de pleine conscience l’espace d’un instant, regardez et écoutez
votre voix intérieure pendant un moment et vous remarquerez que le flot
infini de la pensée ne s’arrête jamais, tel une machine incessante ou
un « lapin Duracell » fou sous stéroïdes. Il ne s’arrête ni ne se tait.
Quand vous essayez de l’arrêter, de le pousser à se concentrer, de le
diriger, il serpente autour des obstacles et trouve un moyen de refaire
surface et de reprendre sa dynamique interne.
Bienvenue dans votre boucle fermée d’information intérieure.
Ce flot de la pensée et de
l’émotion, auquel nous avons l’habitude de nous identifier, ce n’est pas
« vous » – c’est bien sûr une partie de vous, mais le fait que vous
ayez conscience de ce flot d’une manière qui vous permet dans une
certaine mesure de vous en distancier et d’en avoir une certaine
maîtrise démontre que vous, votre conscience, votre capacité de
discernement, constituent bien plus que la somme de vos pensées et de
vos ressentis.
Quoi qu’il en soit, cette boucle
fermée intérieure est le résultat neurophysiologique d’une combinaison
de facteurs : votre héritage génétique, le vécu de votre mère lorsque
vous étiez dans son utérus, les stimuli de votre cadre social et de
votre cadre de vie depuis la naissance, l’éducation reçue durant votre
enfance, les relations avec vos parents, vos frères et sœurs, votre
famille en général, puis plus tard avec vos professeurs et vos amis, et
les expériences variées de la vie au cours de toutes ces phases.
Dans une grande mesure, la
manière avec laquelle nous nous comportons ou nous réagissons dans nos
rapports aux autres, en tant qu’adulte, est le produit de schémas
comportementaux appris, qui se sont développés ainsi. Ces schémas sont
des habitudes ancrées. Ils trouvent à leur tour leurs racines dans des
structures de la pensée et de l’émotion, qui se sont construites sur nos
premières réactions aux stimuli de notre cadre social et de notre cadre
de vie. Et ainsi, la manière dont nous établissons des rapports avec
nos parents et notre fratrie contribue à créer des cadres inconscients
de croyances et d’émotion sur ce que nous sommes et sur le monde, cadres
qui définissent notre comportement pour des années à venir, si ce n’est
pas jusqu’à la fin de notre vie.
L’anxiété et les inquiétudes
vécus dès le plus jeune âge, détermineront nos comportements au travail,
dans nos relations ou dans des situations sociales pendant des années –
ce que quelqu’un peut dire aujourd’hui passe par le filtre d’un enfant
qui aura vécu une forme de traumatisme ou de négativité. Même si la
situation d’aujourd’hui est complètement différente, nous finissons par
extraire du passé ce traumatisme ou cette négativité.
En
bref, nous passons une grande partie de notre vie dans des boucles
fermées d’informations, d’émotions et d’actions, qui sont
dysfonctionnelles, et desquelles nous ne pouvons nous échapper. C’est
souvent parce que nous avons rarement conscience de ce que nos réactions
ne sont pas nécessairement rationnelles, mais sont déclenchées par
d’anciennes boucles fermées de pensées et de comportements.
(L’une des caractéristiques des
boucles fermées d’information extérieures que nous avons vu
précédemment, est la tendance que nous avons à voir très facilement les
failles dans les boucles d’information autres que la notre, tout en
refusant d’exposer notre propre boucle à un tel examen. Une chose que
nous faisons systématiquement.)
Cet ensemble d’activité mentale,
que j’appelle parfois « trains de pensées », a tendance à fonctionner
selon une volonté tenace qui lui est propre. Ces trains de pensées sont
propulsés en suivant leur propre logique, ils se projettent en avant
sans jamais s’arrêter. Lorsque nous nous identifions à ces trains de
pensées , nous n’avons plus le contrôle. De fait, nous devenons les
esclaves de notre propre système neurophysiologique, les marionnettes de
notre propre histoire, des automates dont les actions révèlent les
mêmes schémas et boucles comportementaux se répétant perpétuellement. En
fait, nous sommes tels des zombies prisonniers d’une séquence connue
d’actions et de réactions.
4.4 Comment sortir des boucles fermées d’informations
L’ensemble des trains de pensées a
été largement étudié par les traditions spirituelles et religieuses
ainsi que par les théories de la psychologie et de la psychanalyse. Il
est parfois décrit comme une structure complexe – Freud l’envisageait
comme une entité tripartite composée du ça (les pulsions inconscientes),
du surmoi (la conscience morale) et du moi, lequel fait office de
médiateur entre les deux premiers, et auquel nous nous identifions.
Ces concepts sont, dans une
certaine mesure, légitimes, cependant, une approche plus judicieuse
serait de reconnaître que cet ensemble de trains de pensées se trouve à
la croisée des chemins entre le moi, cette conscience que nous
définissons comme le « je », et la voix intérieure qui se manifeste sous
la forme de l’enchaînement continu du fil de la pensée couplé aux
émotions. Nous sommes conscients des « trains de pensées », auxquels
généralement nous nous identifions, et nous considérons qu’ils sont une
représentation du « je », sans comprendre, en général, leurs causes
profondes.
A
cet égard, l’idée géniale de Freud résidait dans le fait que nous
contribuons peu à l’élaboration des « trains de pensées » – ceux-ci se
développent continuellement, répondant aux stimuli extérieurs sur la
base d’une programmation codée en dur, résultat d’années d’exposition
aux stimuli environnementaux, sociaux et génétiques.
Ce n’est que lorsque nous
commençons à porter une partie de cette programmation à l’attention de
notre conscience et que nous nous permettons d’examiner comment nos «
trains de pensées » sont inconsciemment entraînés, que nous sommes en
mesure de nous libérer de nos anciennes boucles fermées d’informations
et de comportements, et de choisir vraiment de nouvelles manières
d’agir, qui ne seraient pas déterminées par le carcan des comportements
acquis, des peurs, des cycles de pensées négatives et des
dysfonctionnements cognitifs fixés en nous à travers nos expériences
passées.
Pour Freud, la conscience morale
du surmoi chez l’individu était simplement composée de notions apprises à
travers sa socialisation. Selon lui, le moi finit par servir de point
d’inflexion et de champ de bataille entre les pulsions inconscientes (le
ça) qui propulsent un faisceau intriqué de trains de pensées (le moi)
et les impératifs moraux de la société (réfracté par le surmoi).
4.5 La conscience et la connaissance intuitive du réel
Freud n’avait cependant pas
totalement raison. Bien que les interprétations des catégories et les
préceptes moraux soient certainement le résultat de la socialisation de
l’humain, les catégories en elles-mêmes, la notion de bien et de mal, la
justice, la compassion, la générosité etc, sont universellement
reconnues par tous les êtres humains tout au long de l’histoire de
l’humanité, dans toutes les cultures, toutes les religions et chez les
athées.
Nous nous trouvons en face de
preuves empiriques irréfutables, qui confirment que la conscience morale
– et les valeurs de coopération, d’amour, de gentillesse, etc, qu’elle
recouvre – reflète des modèles de comportements collaboratifs et
synchronisés, qui à leur tour impliquent l’existence d’un paradigme
d’unité et de responsabilité humaine à l’égard de la planète, en
contradiction avec le paradigme dominant.
Ce dernier est constitué de
modèles comportementaux, de structures associées de type politique,
économique et culturel et d’un système de valeur et d’hypothèses
idéologiques coextensifs, qui participe de l’auto-maximalisation
individuelle à travers l’accumulation matérialiste sans fin et la
gratification. Si la trajectoire ultime d’un statut quo du paradigme
dominant se trouve dans l’effondrement et l’extinction de la
civilisation, le paradigme d’une unité et responsabilité humaine, quant à
lui, représente la seule manière d’éviter une telle fin.
Ceci indique que les actions
d’ordre éthique ont bel et bien une fonction évolutionniste objective
coextensive à la survie de l’espèce humaine. Les valeurs éthiques ne
sont donc pas uniquement des produits de la socialisation de l’humain.
Elles sont le reflet d’une structure ontologique plus profonde qui englobe les rapports entre les êtres humains et la nature.
Ce que Freud appelait le surmoi
n’est en fait que le moi profond de l’esprit de l’humain, qui est
lui-même intrinsèquement et intuitivement conscient de sa relation
directe avec la terre, le vivant, la vie elle-même et le cosmos,
connaissance partiellement induite par la fonction latente de l’état de
conscience aussi appelé conscience, la faculté d’appréhender les valeurs
éthiques.
Lorsque nous nous autorisons à
voir nos trains de pensées pour ce qu’ils sont vraiment, nous découvrons
leurs éléments moteurs. Le fait de voir cette « programmation » de nos
comportements appris, de nos pensées, de nos émotions, de nos réactions
et contre-réactions, est une condition préalable pour pouvoir nous en
défaire.
Nous permettons alors à notre moi
de comprendre ce moi plus profond, dont la conscience latente est en
phase avec la terre, la vie et le cosmos, et de s’engager dans une
action vraiment libre de tout carcan à travers une auto-réalisation
éthique en phase avec la terre, la vie et le cosmos.
Bien sûr, ceci ne se résume pas à
une simple introspection mais demande une ouverture sur l’extérieur –
en se détachant des vieilles croyances et habitudes dysfonctionnelles,
l’humain est désormais ouvert à un dialogue régénérateur avec ce qui est
réel ; et dialoguer avec ce qui est réel demande une attention
vigoureuse et renouvelée pour le réel, qui comprend la reconnaissance
des connections physiques et métaphysiques profondes de l’individu avec
la terre, la vie et la cosmos.
A
l’inverse, l’incapacité de voir ces trains de pensées pour ce qu’ils
sont, ne conduit qu’à une crise interne et un effondrement.
Les trains de pensées sont
souvent incapables de réagir de manière sensée avec le monde réel car
ils ne réagissent pas au monde tel qu’il est mais aux constructions, aux
perceptions et aux émotions limitées qu’ils ont du monde, ancrées dans
les expériences passées. Ils provoquent des schémas comportementaux qui
ne permettent pas de se connecter avec ce qui est réel, et sont donc
destructeurs et inefficaces.
Cela peut conduire à toute sorte
de défaillances : des problèmes psychologiques, des dépressions, des
problèmes de santé mentale, ainsi que des ruptures dans nos relations,
que ce soit au sein du foyer ou au travail, dans une relation amoureuse,
entre parents ou dans une fratrie.
5 – Il n’y a pas d’affranchissement social sans affranchissement de soi.
Vous ne pouvez pas libérer le
monde quand votre esprit, vos pensées et votre corps sont entravés dans
les mailles de vos propres illusions. Ce qui se produit à l’échelle du
microcosme de l’individu se prolonge à l’échelle du macrocosme de la
société.
Lorsque nous regardons l’appareil
dominant des communications de masse aujourd’hui au sein de l’espèce
humaine, nous pouvons voir très clairement comment il fonctionne et
essentiellement comme une extension de nos dysfonctionnements internes
au niveau du moi.
Les
boucles fermées de partage d’informations autoréférentielles sur les
médias sociaux sont le prolongement du tourbillon fermé et insulaire de
pensées qui composent le moi et se renforcent les unes les autres.
Tout comme en interne, les
boucles d’information fermées ont tendance à impliquer des cycles
répétés de dysfonctionnement, impliquant souvent des crises et des
effondrements, en externe, elles ont des corrélats similaires. Dans les
sociétés et les communautés, dans les organisations et les institutions,
les boucles fermées ont tendance à impliquer des hypothèses
idéologiques qui se renforcent mutuellement. Il en résulte des
comportements fixes dans les organisations et les groupes, et des
dynamiques dysfonctionnelles qui tendent à exclure les idées et les
comportements qui remettent en question ou sapent la légitimité de ces
modèles fixes et les cadres de pensée limités sur lesquels ils reposent.
Les boucles fermées offrent peu
de possibilités d’apprentissage organisationnel réel, car tout ce qui se
trouve en dehors de ce que l’on suppose déjà « connu » est largement
exclu. L’organisation est ainsi condamnée à l’échec lorsqu’elle est
confrontée à de nouveaux défis dans le monde réel, car elle est alors
incapable de s’adapter – il n’y a pas de capacité d’adaptation au
changement lorsque l’organisation manque de l’ouverture cognitive
fondamentale requise pour comprendre la nature de ce changement et sa
dynamique.
Les boucles fermées ont donc un
caractère cancérigène. Elles tendent à conduire à la fossilisation
institutionnelle et à la stagnation. Lorsque le changement survient, il
peut conduire à une crise institutionnelle et à un effondrement, et peut
aussi déclencher le recours à des modèles mentaux et comportementaux
familiers mais limités et imparfaits, qui peuvent bien être
intégralement liés aux causes de la crise, mais qui sont néanmoins
poursuivis. Le résultat pourrait en être de remettre à plus tard – si
les vraies questions d’adaptation profonde ne sont pas abordées, cela
garantit une résurgence de la crise.
Une approche en nœud ouvert, en
revanche, implique une conscience de soi organisationnelle – une
introspection critique capable de voir les structures, les intérêts, les
processus et les hypothèses qui déterminent les comportements
organisationnels du statu quo, de les voir tels qu’ils sont.
Le fait de voir cette «
programmation » structurelle du comportement organisationnel, des
pensées, des émotions, des réactions, des préjugés inconscients, des
traumatismes inconscients et des contre-réactions est la condition
préalable pour que les agents clés de l’organisation se libèrent de
cette programmation structurelle, et permettent ainsi à l’organisation
en tant qu’accumulation de ces agents de se libérer pour choisir une
voie véritablement nouvelle et régénérative.
Il ne suffit pas de voir les
choses de cette façon. Il est également essentiel de s’engager avec
l’environnement au sens large, de le voir et de le comprendre vraiment,
au-delà du paradigme dépassé de l’ancienne idéologie organisationnelle,
mais maintenant pour ce qu’il est. Cela exige une approche axiomatique
qui s’adapte intentionnellement à ce qui est réel – la terre, la vie et
le cosmos – en s’engageant dans de multiples perspectives, disciplines,
optiques, paradigmes, afin de voir ce qui est réel comme un système
entier, un système de systèmes.
Sur cette base, une nouvelle
capacité de régénération émerge: cette capacité implique une capacité
renouvelée à comprendre ce qui est réel et qui s’améliore
continuellement sur la base d’une autocritique rigoureuse et
bienveillante et d’un engagement externe essentiel ; une compréhension
qui renforce le développement de nouvelles valeurs et comportements
adaptatifs conçus pour mieux correspondre à ce qui est réel.
Cela permet à l’organisation de
prendre conscience de son potentiel à manifester un caractère plus
profond en tant qu’expression de l’intelligence collective, dont la
conscience latente est alignée sur la terre, la vie et le cosmos, et
d’entreprendre ainsi une action véritablement libre par une
auto-réalisation éthique qui est en accord avec la terre, la vie et le
cosmos.
5.1 Un nouveau paradigme
Les réponses adaptatives exigent de prendre de nouveaux engagements radicaux en pensée et en action, et d’y donner suite. C’est le socle fondateur de l’intégrité humaine.
Dans le vieux paradigme de la
boucle fermée, nous avons peut-être toutes sortes d’engagements et
d’intentions conscients, mais ceux-ci sont souvent déjoués en raison de
l’élan effréné des modèles de pensée et des cycles comportementaux
appris. Celles-ci peuvent surgir de façon inattendue et diriger notre
comportement réel d’une manière dont nous ne sommes pas toujours
pleinement conscients, même lorsque nous prenons des décisions
conscientes qui vont à son encontre. Si nous ne prenons pas conscience
de ces facteurs internes, nous ne pouvons pas être libres de voir à quel
point ils nous affectent, et nous ne pouvons pas nous en affranchir par
la suite.
Lorsque nous les soumettons à la
lumière de la connaissance, nous devenons libres de nous élever
au-dessus d’eux. Mais s’élever vraiment au-dessus d’eux n’est possible
qu’en créant de nouvelles voies de pensée adaptatives et de nouveaux
modèles comportementaux qui s’alignent sur le réel. Pour ce faire, il
faut prendre de nouveaux engagements à l’égard de ce qui est réel. En
respectant ces engagements, nous créons de nouvelles voies conceptuelles
qui reflètent la réalité et de nouveaux modèles de comportement ou
habitudes qui s’adaptent à la réalité.
La condition préalable à cela est
de prendre conscience de la boucle fermée des trains de pensée qui
dirigent le comportement. Il s’agit de voir et de se défaire de ses
illusions en reconnaissant les responsabilités que nous avons réellement (souvent inconsciemment) prises à travers nos comportements et leurs conséquences dans notre vie et celle des autres.
Nous pouvons constater que les
idéaux pour lesquels nous aimons croire que nous sommes engagés font
partie d’un masque que nous présentons aux autres et même à nous-mêmes,
un bouclier pour les insécurités internes développées à partir d’une
foule de traumatismes passés. Nos engagements comportementaux réels
pourraient bien être simplement d’avoir « raison » ; ou d’être forts ;
d’être « intelligents » ou « cool » ; d’être « appréciés » et « acceptés
» ; d’être « sûrs » ; ou à l’exact opposé de ceux-ci, selon la façon
dont notre passé a tissé notre composition neurophysiologique.
Quand nous réalisons que ces
attaches subliminales liées à nos boucles fermées de pensée et d’action
causent en fait notre destruction et celle des autres de différentes
manières ; nous sommes capables de nous en libérer.
Il est essentiel de les voir
telles qu’elles sont et, dans ce processus, de les laisser partir. Sur
cette base, nous pouvons être prêts à prendre librement des engagements
véritablement nouveaux et porteurs d’adaptation.
Pour les organisations, le
processus est à peu près le même – la stratégie et la vision
organisationnelles doivent être recalibrées et redéfinies sur la base
d’un ensemble renouvelé d’objectifs, d’engagements et de valeurs qui
définissent une nouvelle mission. Cette mission doit à son tour
s’appuyer sur une évaluation globale des systèmes qui va au-delà de
l’analyse abstraite traditionnelle SWOT [SWOT : Strength, Weakness,
Opportunity, Threat (force, faiblesse, opportunité, menace), NdT] pour
aboutir à une approche qui sollicite des données pluridisciplinaires
débouchant sur une telle analyse systématique et holistique.
Le fondement de l’intégrité
montre à quel point les réponses adaptatives exigent une transcendance
et une transformation de l’égoïsme.
L’ego n’est pas aboli, mais
transformé en un véhicule pour faire naître un moi supérieur et
meilleur, plus en harmonie avec ce qui le dépasse, et dans lequel il est
intégré.
Nous passons du réductionnisme au
holisme, de l’auto-absorption à l’interconnexion mutuelle, de
l’affliction de la séparation et de l’aliénation à l’abondance de la
synchronicité et de la coopération, de la guerre de l’information
fragmentée discordante et conflictuelle à la communication inclusive,
synergique et co-créative. Nous passons d’une dynamique dégénérative
d’effondrement chaotique à des flux complexes de revitalisation
régénérative.
Les voies d’action ouvertes par
ce processus devront traduire une transformation de l’orientation des
valeurs en changements structurels profonds.
La pratique d’extraire et
d’accumuler de l’énergie pour concentrer la richesse matérielle et le
pouvoir entre les mains de quelques-uns ne peut que nous détruire tous
avant la fin du siècle.
Ces
changements métaboliques devront donc nous réorienter d’une relation
d’exploiteur et de prédateur envers notre environnement et entre nous,
vers une relation basée sur la parité ; d’une sur-accumulation et
centralisation de la richesse et du pouvoir, vers un ensemble de formes
propres, mutualistes, régénératrices et distributives de consommation
des ressources, de la production, de la propriété et du travail qui nous
font passer dans un système énergétique humain et terrestre durable et
enrichissant pour tout ce qui le constitue.
Fondamentalement, un changement constructif du système consiste
à transformer notre relation métabolique collective profonde avec la
terre, la façon dont nous extrayons et mobilisons l’énergie dans tous
les domaines de notre vie à travers nos structures économiques,
sociales, politiques, et culturelles. Si nous ne parlons pas cette
langue, nous ne faisons que bricoler.
6 – Les stratégies pour changer de système
Lorsque les systèmes connaissent
une crise due à l’incapacité de s’adapter aux changements
environnementaux, la crise est existentielle. Soit le système évolue
grâce à une adaptation qui exige une appréhension précise de
l’environnement qui mobilise les adaptations comportementales, soit il
régresse et s’effondre finalement.
Cette période indéterminée implique un passage progressif à
ce qui pourrait devenir un nouveau système, mais qui évoluera ou
régressera. Dans ce cas, l’évolution consiste en un renouvellement
individuel, organisationnel ou civilisationnel ; l’alternative est une
forme de régression individuelle, organisationnelle ou civilisationnelle
qui se traduit par un premier pas vers un long déclin.
Nous sommes actuellement au milieu d’un changement de phase mondial qui
signale que l’ordre, le paradigme et le système de valeurs dominants
sont dépassés et insoutenables. L’effondrement du système mondial a
entraîné un renforcement et une accélération de l’indétermination dans
les structures et sous-systèmes politiques, économiques, culturels et
idéologiques. Nous en faisons l’expérience dans la confusion croissante
entre tous ces systèmes, en particulier dans la dislocation «
post-vérité » de nos systèmes d’information dominants.
Une réponse adaptative exige le
plus grand nombre possible de composantes du système mondial pour
embrasser notre mission évolutive en tant qu’individus, familles,
organisations, communautés, sociétés, nations, institutions
internationales, et en tant que civilisation et espèce.
Cela nécessite une approche sur
plusieurs fronts impliquant la coordination d’acteurs à différentes
échelles – à la fois une pression externe de « résistance » par le bas
combinée à une action d’engagement de haut niveau, calibrée avec
l’objectif spécifique d’amener les agents clés à prendre conscience de
l’ensemble du système. Cela suppose également de cibler des structures
spécifiques et de modifier l’orientation cognitive des personnes dont
les pensées et les comportements sont les fondements microcosmiques de
ces structures.
Lorsqu’une organisation ou une
structure particulière atteint un point de basculement en termes de
changement cognitif des personnes qui la composent, ce n’est qu’à ce
moment-là que la structure organisationnelle au sens large devient
vulnérable au changement authentique.
D’autres perspectives se dégagent ici.
Tout d’abord, la nature
étroitement liée des structures sociales, la nature interconnectée des
systèmes, implique que le pouvoir de l’action individuelle est beaucoup
plus important qu’on ne le pense.
Bien sûr, d’une part, il est
important d’adopter une approche pragmatique qui accepte les limites de
son propre pouvoir. Une seule personne ne peut pas changer tout le
système à elle seule. Cependant, une seule personne peut agir d’une
manière qui contribue au changement du système et le catalyse, que ce
soit à court terme ou, très probablement, à long terme.
La
nature interconnectée des systèmes signifie que les conséquences des
décisions d’une personne dans un contexte social auront un effet
d’entraînement en cascade avec la possibilité inhérente d’influencer
tout un système.
L’importance de cet impact dépendra d’un certain nombre de facteurs :
Dans quelle mesure l’action fait-elle partie d’un nouveau paradigme d’un point de vue systémique ?
Dans
quelle mesure fait-elle appel à d’autres composantes du système, les
mobilise-t-elle et les pousse-t-elle vers des modalités qui brisent les
paradigmes et créent de nouveaux paradigmes – et pas seulement des
actions fragmentaires, mais une transformation globale en intention
consciente, en vision et en modèle comportemental ?
Dans
quelle mesure ces nouveaux modèles de pensée et de comportement
émergents contribuent-ils à l’émergence de nouvelles structures – de
nouveaux modèles collectifs de pensée et de comportement orientés vers
la vie, la terre et le cosmos ?
Après avoir exécuté les processus
décrits jusqu’à présent, la tâche consiste à choisir – sur la base
d’une évaluation systémique et holistique de soi-même, de son contexte
socio-organisationnel et de l’ensemble des systèmes (politique,
culturel, économique, etc.) – la voie de l’action adaptative et
transformatrice.
L’orientation
de l’action que l’on choisira sera différente pour différentes
personnes et dépendra entièrement de qui l’on est et du contexte complet
des relations environnementales, sociales, politiques, culturelles,
économiques, familiales et autres dans lequel on s’inscrit.
Sur la base de cette évaluation,
des voies et des possibilités d’action variables deviendront claires. La
voie choisie doit être conçue de manière à mobiliser le meilleur de voscompétences,
expériences, ressources et réseaux disponibles pour transformer (dans
la mesure du possible) votre moi et ensuite tirer parti de ce mouvement
interne dans votre contexte spécifique pour
explorer la perspective de créer (autant que possible) des tendances et
comportements qui peuvent jeter les bases de l’émergence de nouvelles structures et systèmes paradigmatiques dans votre contexte particulier.
La discussion qui précède
illustre cependant une certaine logique à ce processus. Le travail
préparatoire exige une voie d’action dans la poursuite de la
transformation de la création de sens et de l’exploitation de
l’information dans votre contexte social en guise de première étape.
Cela exige naturellement de dépasser les généralisations abstraites et
de se concentrer concrètement sur votre situation existante et réelle
dans un contexte territorialisé.
L’étape suivante consiste à en
tirer parti pour créer un dialogue génératif à travers de multiples
perspectives dans votre contexte social, organisationnel ou
institutionnel afin de générer un véritable éveil de la conscience de
systèmes entiers pertinents pour ce contexte territorialisé.
L’étape finale consiste à prendre
conscience de la structure actuelle du système et de ses défaillances
dans ce contexte spécifique, en vue de mettre au jour les points de
pression et les possibilités d’action transformatrice par l’analyse de
scénarios :
A
quoi ressemblerait un nouveau système, une nouvelle structure, une
nouvelle façon de vivre et de travailler, une nouvelle façon de vivre et
d’être en relation avec la vie, la terre et le cosmos dans cette
localité, pour cette famille ou cette communauté ?
Comment
prendre des mesures concrètes pour y parvenir, pour construire ce
nouveau paradigme par la construction et l’adoption de nouvelles formes
d’intention, de réflexion et de comportement ?
Que se passerait-il si nous n’adoptions pas ces mesures ?
L’un des enseignements qui en
ressort est qu’il n’est pas possible de changer le système en se
désengageant de ce système. Bien que l’application de pressions sur le
système puisse parfois fonctionner, cela peut aussi être
contre-productif et produire des résultats involontaires dans lesquels
les agents puissants qui bénéficient du système réagissent simplement en
essayant d’écraser et de neutraliser la puissance de ces efforts de «
résistance ». Souvent, en déclenchant de telles réactions militarisées,
les approches traditionnelles de « résistance » aboutissent à elles
seules à un cycle d’autodestruction dans lequel elles ne peuvent gagner,
étant donné que la « résistance » ne peut jamais égaler la puissance
écrasante des réactions militarisées qu’elles provoquent toujours.
Cela ne signifie pas que la « résistance » traditionnelle n’est pas sans valeur, mais elle montre qu’en tant que seule stratégie de changement, elle est susceptible d’échouer.
Le changement de système exige
une gamme complète d’approches stratégiques à plusieurs niveaux.
L’application d’une pression de « résistance » peut être un levier utile
et approprié à certains moments. De façon plus générale, des stratégies
d’engagement critique sont également nécessaires. Il s’agit d’entrer
dans les structures et les systèmes que l’on souhaite changer et d’y
appliquer les nouveaux modèles d’intention et d’action ; de trouver des
occasions d’appliquer notre processus en plusieurs étapes de création de
sens, de collecte d’information, de communication et de dialogue,
d’éveil (afin de reconnaître le besoin de transformation) et enfin de
s’engager sur la voie d’un changement de paradigme pour faire évoluer ce
système vers une nouvelle configuration adaptative.
Les efforts de changement de
système doivent être entrepris par les personnes et les organisations en
reconnaissant explicitement que nous vivons actuellement un changement
global de phase, où existe une opportunité sans précédent de s’engager
dans l’acte de semer des graines microcosmiques pour le changement
macrocosmique.
L’objectif
de ces efforts devrait être de poursuivre les activités qui permettent
d’atteindre des niveaux d’impact menant au seuil de basculement afin de
pousser des sections clés du système vers un nouvel état stable.
Pour cela, il est nécessaire d’établir de nouveaux niveaux de coordination au sein du système entre de multiples groupes, organisations, institutions, classes – pour
planter les germes d’un nouveau réseau transversal entre sociétés et
communautés à travers lequel de nouveaux canaux de communication, de
partage et d’apprentissage peuvent être développés pour transmettre une
conscience cognitive revitalisée basée sur des systèmes complets qui
font sens. Sur cette base, les structures adaptatives émergentes,
les institutions, les pratiques et les modèles comportementaux peuvent
être partagés, explorés et proto-typés dans de multiples contextes territoriaux.
Chaque individu, groupe et
organisation qui s’engage pour un monde meilleur doit intégrer dans sa
constitution interne un processus qui intègre cette pratique adaptative
et évolutive. Si ce n’est pas une priorité à un certain niveau, c’est
que vous êtes engagé dans un autre projet (inconsciemment ou non) et
vous devez vous efforcer de découvrir lequel et pour quelle raison.
Inutile de dire que les systèmes
et les structures qui insistent pour résister à de tels efforts de
changement finiront par s’effondrer pendant le changement de phase.
Une autre idée fondamentale qui
se dégage ici est qu’il est tout à fait inutile de s’engager dans un
effort pour changer le monde, le système ou tout autre contexte social
extérieur à vous, sans avoir commencé par vous-même.
C’est
un processus continu, une discipline constante. Parce que le microcosme
et le macrocosme sont en fin de compte des reflets l’un de l’autre. Le
monde extérieur est une construction et une projection des mondes
intérieurs.
Plus concrètement, si vous n’avez
même pas commencé à comprendre comment votre moi, vos pensées, vos
schémas comportementaux et votre neurophysiologie sont reliés par
l’ensemble du système, afin de devenir vraiment libre de manifester un
moi vraiment choisi, vous ne serez jamais équipé pour vous engager dans
un effort significatif pour modifier le système.
Au lieu de cela, votre lutte pour
changer les externalités deviendra un champ de projection pour vos
dysfonctionnements internes et au lieu de contribuer au changement du
système, vous apporterez involontairement des tendances égoïstes
régressives dans le renforcement de la dynamique systémique dominante et
enracinée au nom de la « résistance ». Après avoir inconsciemment
intériorisé les valeurs et les dynamiques régressives externes du
système que vous n’appréciez pas, vous finirez par promouvoir ces mêmes
dynamiques dans votre « activisme ».
Les efforts pour appeler au
pouvoir n’ont aucun sens si vous n’avez pas renversé le tyran en vous.
Cela nécessite une autoformation intensive et continue, ainsi qu’un
engagement externe continu dans votre contexte socio-organisationnel.
Abandonnez
les boucles fermées pour devenir un nœud ouvert. Embrassez votre
interconnexion ontologique avec toute forme de vie, la terre et le
cosmos et découvrez votre moi comme leur expression consciente ; et dans
cette découverte, assumez votre responsabilité existentielle envers la
vie, la terre et le cosmos, devenant ainsi celui que vous êtes vraiment.
Considérez-vous comme responsable. Grandissez et manifestez-vous dans
votre propre vie et votre propre contexte. Acceptez votre responsabilité
dans les relations brisées autour de vous, reconnaissez les manques de
loyauté dans vos engagements, faites amende honorable et trouvez de
nouveaux engagements authentiques. Et apportez cette intégrité, cette
humilité et cette clairvoyance émergentes dans un effort renouvelé pour
construire des visions et des pratiques qui changent de paradigme dans
le cadre dans lequel vous pouvez réellement agir. Et vous planterez une
graine dont le seul destin sera de s’épanouir inexorablement.
Le défi le plus immédiat qui nous
attend est peut-être de faire face à l’effondrement inévitable de
l’ancien paradigme, à l’intérieur comme à l’extérieur, et d’accepter ce
que cela signifie. Au premier abord, cela peut sembler être quelque
chose qui génère un profond chagrin. Et en effet, la disparition de
l’ancien apportera inévitablement d’immenses dévastations et souffrances
– les dangers de cette reconnaissance sont qu’elle conduit à l’une ou
l’autre de deux réactions émotionnelles extrêmes, le déni optimiste ou
le pessimisme fataliste. Ni utiles, ni justifiées par les données
disponibles, elles renforcent toutes deux l’apathie. Elles sont
dépourvues de vie. L’acceptation de la disparition de l’ancien
paradigme, lorsqu’elle est correctement ancrée dans la vie elle-même,
est la condition préalable à l’entrée dans une nouvelle vie, une
nouvelle façon de travailler, de jouer et d’être en harmonie avec la
vie, la terre et le cosmos ; c’est la condition préalable pour trouver
le pouvoir de commencer à co-créer de nouveaux paradigmes.
Dr Nafeez Ahmed est le rédacteur fondateur d’INSURGE Intelligence.
Nafeez est journaliste d’investigation depuis 17 ans, précédemment au
journal The Guardian, où il a rendu compte de la géopolitique des crises
sociales, économiques et environnementales. Nafeez parle du ‘changement
global du système’ pour VICE Motherboard. Il a des articles dans The
Independent on Sunday, The Independent, The Scotsman, Sydney Morning
Herald, The Age, Foreign Policy, The Atlantic, Quartz, New York
Observer, The New Statesman, Prospect, Le Monde diplomatique, etc. Il a
remporté à deux reprises le Project Censored Award pour ses reportages
d’investigation, a figuré à deux reprises dans la liste des 1000
londoniens les plus influents du Evening Standard et a remporté le prix
Naples, le prix littéraire le plus prestigieux d’Italie créé par le
Président de la République. Nafeez est également un universitaire
interdisciplinaire largement publié et cité qui applique l’analyse de
systèmes complexes à la violence écologique et politique. Il est
chercheur à l’Institut Schumacher.
Source : Insurge Intelligence, Nafeez Ahmed, 11-01-2019
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
A propos de l'intelligence collective, un document très intéressant à télécharger ici : http://axecoaching.com/pdf/livre_blanc_icvc.pdf
A propos de l'intelligence collective, un document très intéressant à télécharger ici : http://axecoaching.com/pdf/livre_blanc_icvc.pdf
A propos d'intrication quantique... un article relayé dans ce blog en 2018
Face à l’effondrement, fondons des alliances terrestres [Et intéressons nous à la physique quantique ?] / In the face of the collapse, let us base ground alliances [ And let us interest in the quantum physics?]
19 juillet 2018 / Corinne Morel Darleux
source : https://reporterre.net/Face-a-l-effondrement-fondons-des-alliances-terrestres
La dépendance de nos sociétés au pétrole et aux technologies fait redouter la « Grande Panne »,
qui nous plongerait dans un monde inconnu. Notre chroniqueuse partage
ses réflexions sur la collapsologie et sur les possibilités de vivre
après l’effondrement, notamment grâce à l’alliance terrestre des humains
et des non-humains.
Corinne Morel Darleux est secrétaire
nationale à l’écosocialisme du Parti de gauche et conseillère régionale
Auvergne - Rhône-Alpes.
- Corinne Morel Darleux
Depuis quelques mois, mon cheminement intellectuel sur l’écosocialisme
est de plus en plus irrigué de collapsologie, une approche de la fin du
monde, que l’on peut considérer comme le pendant laïc et rationnel de
l’eschatologie. Sur la base de faits scientifiques, la collapsologie
prédit l’effondrement du climat, des ressources naturelles disponibles,
de la biodiversité, de l’organisation même de la société, et ouvre des
horizons et des défis politiques passionnants. La parution remarquée du livre de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer,
lui a donné un élan inattendu. L’écho grandissant de cette hypothèse,
ma rencontre avec des auteurs de la collection Anthropocène, du Seuil,
dirigée par Christophe Bonneuil, et la création du collectif Les
Terrestres qui s’en est suivie, tout cela m’a permis de renouer des
liens entre un univers politique qui se soucie d’écologie, et un milieu
universitaire engagé et résistant, loin du plomb académique que j’avais
fréquenté lors de la rédaction de ma thèse. Ces deux mondes sont souvent
très étanches, voire hermétiques, je ne me reconnais totalement ni dans
l’un ni dans l’autre ;
le croisement des deux en revanche a un potentiel fertile qui me ravit.
J’y ai découvert, en profane affamée, des théories et sources
d’inspiration qui m’ébranlent et me nourrissent comme je ne l’avais pas
été depuis longtemps. Ajoutez à cela le grand plongeon dans la
bibliothèque de science-fiction parentale qui a trouvé refuge dans mon
salon, additionné d’une vaste programmation de films d’anticipation, une
série de nouvelles chroniques sur les fictions post-apocalyptiques, et
me voilà prise dans le filet infini des dystopies, uchronies et autres
possibles.
Parmi ces découvertes, la notion d’alliances terrestres explore la manière dont humains et non-humains peuvent s’allier dans des mécanismes d’entraide et d’interdépendance, loin de la vision d’un environnement qui
nous serait extérieur et qu’il faudrait protéger, plus loin encore de
la vision prométhéenne d’une nature vue comme un adversaire à dominer.
C’est le cas par exemple de l’amarante sauvage : une plante résistante,
redoutablement fertile, comestible et riche en protéines, qui a en outre
la judicieuse mauvaise manière de résister aux herbicides comme le
Roundup. Une « ingouvernable ».
Des paysans en lutte contre le soja transgénique et ses ravages, en
Argentine et au Paraguay, s’en sont servis sous la forme de « bombes de graines » pour saboter des champs d’OGM. « En 2016, trois mois d’occupation (type ZAD) du site de construction à Malvinas ont
eu raison de ce qui devait être le plus grand centre de production de
semences transgéniques au monde (48.000 hectares tout de même !) et contraint Monsanto à battre en retraite », et c’est ainsi qu’est née la notion de « résistance interspécifique ».
Autant de schismes dans la pensée qui dessinent des horizons différents
De même, on ne peut pas simplement parler de services écosystémiques que
nous rendrait la nature, mais d’un ensemble systémique, dans lequel
nous devons à notre tour venir en aide à la biodiversité pour nous
sauver nous-mêmes. Un tout, système inclusif et complexe, fait
d’interactions, dans lequel l’humain est un acteur parmi d’autres qui
agissent tout autant et composent le monde vivant. Certains avancent
d’ailleurs qu’il serait plus juste de sortir l’ensemble du vivant de la
notion de nature : « Pour qu’homme et biodiversité se solidarisent, il faudrait les penser ensemble, et donc forcément séparés de la nature. Le vivant est culture. Il n’est pas nature. » Autant
de schismes dans la pensée qui dessinent des horizons différents,
d’autres manières d’envisager notre univers et le rôle que nous y
tenons.
Cette approche différente de la « nature » a
également été alimentée par le travail détonnant et décalé d’Alessandro
Pignocchi, qui place ses mésanges punk sur les traces de Philippe
Descola et de l’animisme des Jivaros Achuar, défini par l’anthropologue
comme « la
propension à détecter chez les non-humains — animés ou non animés,
c’est-à-dire les oiseaux comme les arbres — une présence, une “âme” si vous voulez, qui permet dans certaines circonstances de communiquer avec eux ». Dans l’animisme, les êtres vivants, humains et non humains, ont une intérioritécommune,
que l’on peut appeler âme ou esprit. Ce sont leurs caractéristiques
physiques — bouche ou bec, griffes ou ongles, marche debout ou à quatre
pattes, organes — et non spirituelles, qui modifient leur mode
d’expression, leurs besoins, leur rapport au monde. Dans la théorie
occidentale, c’est l’inverse : s’il y a une continuité biologique entre
l’être humain et l’animal, en revanche la supériorité morale et
intellectuelle de l’humain est indiscutable. Disons, par extension
malicieuse et en clin d’œil aux amis marxistes, que l’animisme serait
une sorte de matérialisme historique revisité par les Jivaros.
Alessandro Pignocchi, non moins taquin, imagine dans ses dessins nos
responsables politiques convertis à l’animisme. Et cela… révolutionne
la pratique. Plus ancré dans le réel et le présent, on peut également
trouver trace de ces révolutions silencieuses à l’œuvre dans le slogan
vu sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes, qui proclame : « Nous ne défendons pas la nature, nous sommes la nature qui se défend. »
- Aquarelles d’Alessandro Pignocchi.
À ce stade, je me dois de préciser que je ne suis pas devenue
antispéciste ni animiste pas plus que mystique. Mais cette rupture qui
en finit avec l’étrangeté de la nature me semble aussi inspirante que le
jour où j’ai découvert le catastrophisme éclairé de Jean-Pierre Dupuy,
ou les seuils de contre-productivité d’Ivan Illich. Ce moment lumineux
où l’on comprend, par sa propre expérience, des mots écrits à une autre
époque, par des inconnus. Il m’est difficile d’apprendre dans les
livres, j’ai besoin de vécu. Mais quand je m’astreins à laisser en paix
cet énorme mille-pattes dans ma salle de bains, en me raisonnant sur le
fait qu’après tout ma maison est au milieu de son jardin, et qu’il a
tout autant le droit que moi d’en profiter, je fais déjà un grand pas en
avant, un grand pas de côté. En toute franchise, il y a quelques
années, j’aurais appelé mon mari pour l’écraser, ce qui est doublement
peu glorieux.
Nous avons besoin pour cela d’un nouvel ordre imaginaire
Je ne souscris donc pas systématiquement à tout ce que je lis et
entends, mais cela alimente mes réflexions, ce qui est déjà un vrai
bienfait dans un monde où les débats intellectuel et politique sont à ce
point appauvris. La qualification de non humains, tout comme la notion de capitalocène et le débat avec les partisans du terme d’anthropocène, tout
ceci est discutable, au sens noble du terme. Mais comme souvent en
politique, le débat vaut la conclusion et l’essentiel n’est pas toujours
de parvenir. Cheminer est une fin en soi, tant dans les fils de ces
discussions émergent des apports essentiels à la pensée écosocialiste,
au nouveau paradigme qui doit se construire sur notre rapport au monde.
Nous en discutions lors d’une de ces belles soirées d’été et d’amitié
avec Didier Thévenieau, professeur de philosophie : au-delà des
approches purement biologiques, nous avons besoin d’aborder ce monde
changeant qui est le nôtre par une approche philosophique et culturelle,
sans se contenter de chercher à en fragmenter et décrire chaque
caractéristique par le seul prisme des analogies scientifiques. Ce qui
doit nous préoccuper n’est pas tant de savoir comment mesurer
l’intelligence de tel ou tel animal, ou ses proximités génétiques avec
l’être humain, pour en déterminer la valeur sur
l’échelle des espèces, mais de faire la démonstration que lombrics et
amarantes font partie de la biosphère nécessaire à la vie humaine. Nous
avons besoin pour cela d’un nouvel ordre imaginaire, selon la formule
défendue par un autre ami philosophe, Benoit Schneckenburger : dans mon
imaginaire personnel, l’idée d’alliances terrestres va ainsi se nicher
sans prétention dans la brise qui remet une mèche de cheveux indocile en
place, dans l’action conjuguée de la pluie et du soleil qui fait rougir
les tomates et transforme en jungle mon jardin, ou encore dans l’orage
torrentiel qui anéantit le meeting de François Fillon.
Politiquement, beaucoup s’inquiètent du découragement que risque
d’induire la collapsologie : en signant la fin du monde,
n’encourage-t-elle pas le relâchement d’efforts devenus vains, la fuite
en avant, tant qu’il y en a et fichu pour fichu, vers les plaisirs
polluants ? Le catastrophisme éclairé a
apporté des débuts de réponse à cette question. Mais de fait, le
scénario d’un effondrement imminent modifie le rapport public à ce qu’on
appelle la transition. Selon que
celle-ci a pour objectif d’éviter la catastrophe en faisant bifurquer
la société avant qu’il ne soit trop tard — ce qui était jusqu’ici la
principale option — ou qu’elle vise non pas à éviter la catastrophe mais
à préparer le rebond post-effondrement, les logiques sont bousculées.
Les mesures à mettre en place ne sont plus forcément les mêmes, selon qu’on vise des politiques d’atténuation ou d’adaptation.
Je n’y vois pas nécessairement de contradiction, et reste pour ma part
partisane d’amortir au mieux les dégâts de l’ère productiviste : changer
de modes de production, relocaliser l’activité, mieux répartir les
richesses, atténuer nos émissions de gaz à effet de serre… Mais
désormais, il nous faut aussi réfléchir simultanément au volet adaptation et
l’enclencher rapidement : quel type de société serons-nous en mesure de
construire, si demain la société telle que nous la connaissons
s’effondre ? En combien de temps ?
Renouvelons le pari de Pascal
Là réside tout l’enjeu du Plan Seldon, dans le cycle de science-fiction Fondation, d’Isaac
Asimov (1951) : son concepteur, Hari Seldon, est persuadé de
l’effondrement imminent de l’Empire. Cette certitude établie, plutôt que
de perdre temps et énergie à essayer de l’éviter, le scientifique va
consacrer sa vie à imaginer les mécanismes qui permettront de réduire la
période de transition post-effondrement — caractérisée par le chaos, ou
a minima l’instabilité — pour la rapporter de 30.000 à 1.000 ans. Il
dispose pour ses simulations d’une science que nous ne possédons pas,
la « psychohistoire », qui permet, par des calculs mathématiques, de prévoir les grandes trajectoires des masses humaines.
Nous n’avons pas de Hari Seldon, et nous ne sommes pas un empire
galactique. Nous n’avons pas les instruments permettant de prévoir les
décisions historiques sur un millénaire. Nous ne sommes même pas sûrs
que l’effondrement soit imminent. Soit. Mais s’il l’est… Comment
ferons-nous à court et moyen terme face à l’arrêt brutal de l’ensemble
des serveurs Internet, des systèmes de refroidissements des centrales,
dans un pays paralysé par l’absence de carburant, où les services
d’urgence ne peuvent plus se déplacer, dans lequel plus rien n’est livré ?
Les stocks de réserve en carburant correspondent à onze jours de
consommation moyenne en France. Un supermarché classique dispose
d’environ trois jours de stock alimentaire. Quel qu’en soit le facteur
déclenchant — et il y a aujourd’hui plusieurs hypothèses de plus en plus
probables, ne serait-ce que par l’extrême dépendance de notre société
au pétrole et aux technologies —, comment faire pour vivre et non
simplement survivre à la « Grande Panne », en partant de l’axiome qu’il n’y aura pas de possibilité de retour en arrière ?
Si l’on examine l’hypothèse de l’effondrement, et non plus celui d’une
crise à surmonter avant de revenir à un état antérieur, il y a tout un
chantier à explorer, et d’urgence.
Personne n’a de baguette magique, si l’effondrement arrive il y aura des
morts et des blessés. Mais on peut, on doit, commencer à préparer le
monde d’après. Renouvelons le pari de Pascal. Si l’ultime stade de la
catastrophe n’arrive pas, nos efforts n’auront pas été vains : nous
aurons renoué avec notre caractère naturel en réintégrant l’humain dans
le monde vivant ; nous aurons contribué à une organisation sociale plus digne, plus juste et plus épanouissante.
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BONUS
CHANGER DE REGARD
Il faut changer de regard ?
et si on s'aidait de la physique quantique pour créer des ponts...
et tant qu'on y est ma conférence préférée
de même que cette interview plus récente
Et pour mieux comprendre celle-ci, une vraie poésie, voir d'abord les deux précédentes...
Rejoignez-vous sur FACEBOOK pour faire la révolution intérieure !
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Luc Bodin nous invite à suivre cet adage "Soyez le changement que vous voulez dans le monde !".
La souffrance est un message de notre âme pour nous indiquer que nos actions ne sont pas en rapport avec nos aspirations profondes. Cette souffrance peut parfois s'imprimer dans notre corps et provoquer des maladies, qui renferment ce message.
Reprendre notre route en trouvant notre mission de vie est alors le véritable sens de la guérison !
***LUC BODIN***
Docteur en médecine, diplômé en cancérologie clinique, spécialiste en médecine naturelle. Auteur, conférencier, conseiller & formateur. «Donner un maximum d’informations pour que chacun devienne autonome dans la gestion de sa santé et de sa vie », constitue la route que le Dr Bodin a décidé de suivre à travers ses articles, ses livres, ses conférences, ses ateliers et ses stages.
Le site internet de Luc Bodin :
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***MUSIQUE***
- Michèle Landais "Chant du chakra du 3ième Oeil" - Production Mental Waves
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- Wake Up Songs "Healing Happens All Around"
Un bouquin intéressant :
Un bouquin intéressant :
Résumé
Pour Michelle-J. Noel, enseignante en PNL et passionnée par les études
des facultés du cerveau, la réussite et l'abondance sont à la portée de
tous. Toute personne peut changer sa vie ou le cours de son existence,
tout peut basculer Si ce que vous vivez ne vous convient pas, elle vous
propose, dans ce livre, de comprendre par quel principe vous pouvez
rêver, décider et choisir votre nouvelle vie. Nous possédons
l'ordinateur le plus performant du monde, notre cerveau inconscient.
Nous l'utilisons sans le savoir et il nous arrive même de faire des catastrophes. En comprendre le mécanisme vous permettra de rencontrer les bonnes personnes et voir les portes s'ouvrir devant vous. La chance n'existe pas. En revanche, la pensée existe et votre cerveau fait le reste. Bien sûr, quelques règles sont à respecter pour une réussite à long terme, car nous vivons dans un univers dont nous faisons partie intégrante.
Si nous comprenons et mettons en place les stratégies du cerveau inconscient en respectant les lois universelles, la réussite est à la portée de tous, même des plus démunis. Nous pouvons tous changer et améliorer notre vie, et ainsi, réaliser un vrai chef-d'œuvre Pour cela nous utiliserons la Programmation-Neuro-Linguistique (PNL), un peu d'analyse transactionnelle et certaines lois universelles. Science et religion marchent ici ensemble.
Nous l'utilisons sans le savoir et il nous arrive même de faire des catastrophes. En comprendre le mécanisme vous permettra de rencontrer les bonnes personnes et voir les portes s'ouvrir devant vous. La chance n'existe pas. En revanche, la pensée existe et votre cerveau fait le reste. Bien sûr, quelques règles sont à respecter pour une réussite à long terme, car nous vivons dans un univers dont nous faisons partie intégrante.
Si nous comprenons et mettons en place les stratégies du cerveau inconscient en respectant les lois universelles, la réussite est à la portée de tous, même des plus démunis. Nous pouvons tous changer et améliorer notre vie, et ainsi, réaliser un vrai chef-d'œuvre Pour cela nous utiliserons la Programmation-Neuro-Linguistique (PNL), un peu d'analyse transactionnelle et certaines lois universelles. Science et religion marchent ici ensemble.
Sommaire
- Etude de l'état présent
- Etre l'auteur de sa vie
- Les méta programmes
- Se fixer des objectifs - savoir comment les atteindre
- Les niveaux logiques de la pensée ou comment résoudre un problème
- Les lois de l'abondance
- Les synchronicités
- La Boîte à Outils