Source : https://www.centre-paramita.fr/blogs/philosophie-bouddhiste/lamrim-6
Bouddha a enseigné la méditation sur la mort afin de combattre l’idée erronée de la permanence de la vie. L’observation des conséquences engendrées par une absence de prise de conscience de la mort nous incite à réaliser cet exercice. La plupart des gens qui suscitent des troubles et détruisent leur vie sont ceux qui donnent un sens fallacieux à leur pérennité. Ils croient vivre pour longtemps entourés de leurs parents et amis. Ils pensent que leur bonheur est immuable et constant. Alors ils agissent pour favoriser leur entourage aux dépends des autres et s’engagent dans des activités néfastes qui apportent désolation et ruine pour les autres et eux-mêmes.
« Un endroit préservé de la mort n’existe pas, ni dans l’espace, ni dans les mers, ni en restant protégé au cœur des montagnes. »
Bouddha
Adhérer à l’hypothèse que nous vivrons longtemps, dans la permanence, fragilise la nature du soi et des autres par l’irruption d’idées et d’intentions négatives. Cette situation repose sur la perception erronée de la permanence. Elle interdit toute prise de conscience de la mort. Si la mort est considérée comme pouvant frapper n’importe quand, de tels ennuis sont écartés, car avoir pleinement conscience que la mort est inévitable nous mène à réfléchir à la vie future. S’il existe un doute sur le principe de la renaissance, intéressez-vous aux avantages que procure cette vie et à ce qu’elle pourrait être. Puis, vous vous interrogerez sur le karma, sur la causalité des actes. Réflexion qui vous détache des activités nocives pour encourager celle qui sont salutaires. Vous allez ainsi donner un sens positif à votre vie.
À force de ne pas faire la moindre allusion à sa propre mort, comme si elle était improbable, le jour où elle arrive, une peur et un profond malaise vous envahissent. Constater que la mort est naturelle crée une grande différence. On s’accoutume alors à l’idée de mourir, ce qui encourage à s’y préparer et à rechercher le moyen de gérer son mental à ce moment-là. Au jour de votre mort, ces préparatifs auront un impact profond. « Voici la mort », penserez-vous en réagissant comme prévu, insensible à la peur.
Imminence de la mort
« Maintenant, il est temps de vous
Distinguer des animaux domestiques. »
Jangchup Rinchen, grand yogi tibétain.
La méditation sur l’imminence de la mort s’élabore à partir de trois principes, basés chacun sur trois arguments qui mènent à une résolution. En voici un résumé qui sera suivi par des explications point par point.
La certitude de la mort
Une chose qui naît, eût-elle l’aspect d’un objet dans le monde extérieur ou celui d’un être vivant, va lentement vers la désagrégation. Des astrophysiciens avancent que nous sommes à vingt-cinq milliards d’années du Big Bang initial, cette explosion cataclysmique qui a donné naissance à l’univers, d’autres proposent douze milliards, ou encore dix-sept ou dix-huit. Il y a donc un commencement, et sur un certain point, il est indiscutable que l’univers aura une fin. Les montagnes qui se dressent sur Terre depuis des millions d’années s’érodent à chaque instant. Et les êtres vivants qui peuplent le monde sont bien plus fragiles qu’une d’entre elles, et inexorablement ils vont vers leur mort.
Le corps est tributaire de tant de conditions et d’éléments qu’il forme une entité complexe. La moindre peccadille peut entraîner un problème. S’il était seulement empli d’un liquide, il n’y aurait que cela. Mais le corps humain est très élaboré : les cinq organes principaux – cœur, poumons, foie, rate et reins – se régulent chacun selon leur processus qui, déréglé, est source de problèmes. L’organisme humain comparé à un objet solide est plus vulnérable et demande une surveillance constante.
Depuis que les hommes sont apparus, il y a environ un million d’années, personne n’a réussi à échapper à sa destinée mortelle et aucun ne le pourra. La mort est certaine. Bouddha disait :
Les divers êtres vivants dans le monde sont, comme
Les nuages d’automne, impermanents,
La naissance et la mort sont comme un spectacle.
La pérégrination d’une vie est comme une lumière
Traversant le ciel.
Elle va vite comme emportée dans le flot d’une cascade.
La certitude de la mort appelle à s’engager dans la pratique spirituelle.
L’heure de la mort est indéterminée
Au plus profond de nous-mêmes, nous savons que la mort arrivera. Mais nous voulons croire que cela se passera dans longtemps. Au moment où elle se manifeste nous continuons encore à penser qu’il n’est pas encore l’heure. Cet état d’esprit nous conforte à repousser le but suprême d’un vrai bonheur sempiternel.
L’illusion de la permanence favorise les atermoiements. Il est capital de se remémorer souvent que la mort arrive n’importe quand. La vie est fragile. Et les choses qui l’améliorent comme la voiture ou qui nous aident comme les médicaments peuvent la provoquer. Dans La Précieuse Guirlande des avis au roi, Nagarjuna dit :
Les causes de la mort vous entourent
La lumière d’une lampe dans une brise puissante.
La précarité de la vie doit nous forcer immédiatement à nous engager dans une pratique spirituelle. Pratiquer une spiritualité n’est pas une activité physique. Bien que les actes vertueux, corporels et verbaux, soient importants, la spiritualité induit une transformation mentale. Il ne s’agit pas seulement de comprendre quelque chose de nouveau. Le continuum de la conscience s’imprègne de sagesse afin que l’esprit insoumis soit maîtrisé, pour qu’il soit au service de la vertu. Cela doit nous inciter à pratiquer au plus tôt. Si vous vous appliquez, dès à présent, à faire au mieux pour transformer le mental, lors de la mort, dans la maladie ou la douleur, le puissant sentiment de paix intérieure ne sera pas troublé, restera solide comme une montagne, enfoui au tréfonds de l’esprit.
À l’instant de la mort
Tout devient vain sauf la pratique
Une pratique fructueuse est cruciale. Observons comment défilent nos journées. Quelques-uns parmi nous pratiquent un peu, grommellent des mantras. Si tout va bien, nous nous inquiétons un peu des « autres êtres vivants ». Mais un petit événement inattendu nous dérange, nous devenons agressifs envers les autres, nous les décevons, pour finalement perdre notre soif spirituelle. La vraie pratique n’a rien de comparable avec cette activité sporadique, qui ne prépare pas l’esprit aux situations intolérables. Se consacrer immodérément à son propre confort mondain nous détourne de l’objectif final.
À Lhassa, la capitale du Tibet, un flâneur vint s’enquérir auprès d’un individu assis en méditation : « Que fais-tu? – Je médite sur la patience », lui répond-il. Le promeneur lui lance : « Ânerie ! » Et l’homme qui médite de tancer : « TU es un âne ! » L’homme en méditation n’a finalement pas su résister à une espièglerie.
Quand tout va bien, il est facile de prendre cette posture de sérénité en méditant. Mais l’apparition de la première contrariété dans l’environnement immédiat révèle combien peut être superficiel cet exercice. Si, de notre vivant, la pratique n’est pas probante, au moment voulu, au tournant de la mort, sa portée aura difficilement un impact puissant. La pratique doit s’effectuer avec une concentration intérieure profonde.
Soyez courageux, de mois en mois, d’année en année, pour que votre perception, votre façon de penser et votre comportement soient affectés. Plus tard, le corps en sera peu modifié, mais le mental aura subi une profonde révolution. Après cette transformation, face à l’adversité vous allez encore renforcer votre caractère, pour améliorer la pratique spirituelle et progresser sur le chemin de l’éveil. Vous serez alors un vrai pratiquant.
Les deux pratiques principales sont l’altruisme et la perception de la vacuité, ou la production conditionnée. Lorsque vous aurez atteint un certain niveau de pratique, ces points de vue seront devenus des amis loyaux et des protecteurs inébranlables. Des dispositions mentales qui vont être fort utiles dans l’immédiat jusqu’à la mort, que ces pratiques deviennent les racines, l’essence de la vie. Il faut donc prendre la décision de se détacher des choses illusoires et fugitives et cesser les atermoiements, afin de vous engager dans la pratique à votre niveau.
Dissiper les idées erronées
En 1954, je suis allé à Pékin pour rencontrer Mao Zedong. Lors de notre dernière entrevue en 1955, il m’a dit : « La religion est un poison pour deux raisons : elle nuit d’abord au développement du pays, et diminue la croissance de la population. » Il pensait que les personnes qui s’engagent dans la voie monastique sont responsables de la réduction du nombre des naissances. Avec du recul, je ne saurais dire si un nombre important de vœux monastiques en Chine eussent fait diminuer la population ! En vérité, Mao ne comprenait pas le sens de la spiritualité.
Parfois, les personnes qui acceptent l’idée d’une mort incertaine concluent de manière erronée que les projets deviennent inutiles dans leur vie, et décident en conséquence de ne plus rien faire. C’est une mauvaise interprétation, il est seulement question de ne plus se consacrer exclusivement à la réalisation d’un bonheur égocentrique, de vouloir vivre longtemps, de s’enrichir encore et encore, de bâtir une maison au-delà de la nécessité, etc. Et, au contraire, il s’agit de s’engager dans des activités au service du bien-être social : construire des écoles, des hôpitaux et des usines. La vie doit reposer sur une préoccupation altruiste.
Voici, par exemple, comment se comportait Dromton, le disciple d’Atisha, au XI siècle. Ayant atteint la pleine réalisation de la pratique de l’Éveil, il décida de construire un temple à Rato dans le Tibet central. Et il ne se contenta pas de s’asseoir et de penser : « Oh! Moi, je peux mourir aujourd’hui. » Au début du XV siècle, Tsongkhapa bâtit lui aussi l’université monastique de Ganden. Et dès qu’il l’acheva, il conseilla à son élève Jamyang Chojay d’aller près de Lhassa construire le monastère Drepung, et un autre de ses élèves, Jamchen Chojay, sur un site à l’opposé de la ville, fit élever le monastère Sera. Ils ont tous les trois entrepris de grands projets pour faire progresser le bien-être de la société pendant des centaines, et même des milliers d’années.
Le premier Dalai-Lama, Gendün Droup, était un grand maître et adepte accompli du bouddhisme, un réel bodhisattva. Il fit le choix de construire une université monastique à l’ouest du Tibet, le monastère Tashi Lhunpo. Très tôt, un matin, il désira donner un enseignement portant sur des textes majeurs, mais il décida d’envoyer ses élèves chez les habitants de la région pour collecter des fonds pour la construction du monastère. Il dirigea personnellement les travaux auprès des ouvriers. Il s’est investi sans restriction dans chacune de ses tâches : l’enseignement, l’écriture, la recherche de dons et la construction. Il ne fit pas ces efforts pour son bien-être mais pour le bien de la société entière. C’était un simple moine qui ne possédait rien. Il s’engageait dans de nombreuses actions pour le bien-être des autres à long terme.
Nous, à l’inverse, nous avons souvent un esprit mesquin. Nous nous écartons des sollicitations pour aider à l’amélioration de la société avec pour prétexte le manque de temps ou le caractère éphémère de telles actions. Quand notre bien-être est en question, que cela concerne un gain d’argent, un meilleur logement, etc., nous oublions l’aspect éphémère. Nous devons nous inquiéter de telles attitudes et être plus attentif à notre vie pour discerner si nous sommes dans cet état d’esprit.
Conseil pour le jour de notre mort
Nous mourrons tous. Et nous devons réfléchir au comportement à avoir face à la mort. Au cours de la vie, vous vous êtes accoutumé à prendre des attitudes vertueuses. Ainsi, au moment de la mort, vous serez capable d’adopter une position vertueuse. Placer près du lit une image religieuse, ou avoir de l’assistance d’un ami, sera d’une grande aide. Si vous avez souvent mal agi au cours de la vie, si proche du trépas, vous devez faire un acte de profonde contrition pour ce que vous avez commis. Vous aurez ainsi, probablement, une possibilité d’obtenir une renaissance dans une vie favorable où la pratique religieuse est envisageable.
Et, à l’inverse, l’engagement vertueux d’une vie peut être remis en cause si un sentiment profond de haine ou de désir se manifeste, qui influencera défavorablement la renaissance. Vous devez prêter une grande attention à l’état de la conscience et trouver la mort dans le calme de l’esprit avec compassion, amour, confiance et autres sentiments vertueux. Pendant le passage d’une personne que vous connaissez vers l’au-delà, veillez à ne pas provoquer chez elle du désir ou de la colère.
Sa Sainteté le Dalai-Lama(Quelques photos proviennent du site www.dalailama.com)
La réflexion sur l'impermanence se fait en 3 niveaux :
1. Les désavantages de ne pas penser à la mort :
Nous ne pensons pas au Dharma ;
Nous y pensons, mais sans le pratiquer ;
Nous le pratiquons de manière impure ;
Nous ne pratiquons pas avec persévérance ;
Nous agissons négativement ;
Mourir en ayant des regrets ;
2. Les avantages de penser à la mort :
Y penser est très bénéfique ;
Y penser donne beaucoup de puissance à notre pratique ;
Y penser est important au début du cheminement ;
Y penser est important pendant le cheminement ;
Y penser est important pour mener notre cheminement à terme ;
Mourir en paix et joyeusement.
3. La manière de méditer sur la mort
Dans le cycle des existences, au cours de nombreuses renaissances et parfois en une seule vie, tout change continuellement. Il ne peut y avoir aucune certitude. Tout rassemblement se défait, tout statut élevé se termine par la chute, la réunion se change en séparation, et la vie s'achève par la mort. Même notre bonheur ne fait que passer. Tout ce qui est nôtre est livré à l'impermanence. Rien de ce que nous considérons être réel n'est permanent.
Une nouvelle naissance n'éloigne personne de la mort. En fait, nous ne cessons de nous en rapprocher, exactement comme des animaux menés à l'abattoir. Dans notre univers, chaque chose est soumise à l'impermanence et finira par se désintégrer. Le septième Dalaï-Lama disait: "Les jeunes qui paraissent solides et en bonne santé mais qui meurent tôt sont des maîtres qui nous enseignent l'impermanence. Comme au théâtre, après avoir joué un rôle, les personnages changent de costumes pour ensuite réapparaître sous d'autres traits".
D'après Lama Samten, il n'est pas difficile de reconnaître que la mort est certaine. Le monde existe depuis très longtemps, mais il n'y a pas un seul être sensible qu'on puisse qualifier d'immortel. Lorsqu'on apprend que l'on est atteint d'une maladie mortelle, on court d'un médecin à l'autre, pour être finalement envahi par la peur et la crainte lorsque qu'on voit qu'il n'y a plus rien à espérer. Puis nous voilà en train de manger notre dernier repas, de porter des habits pour la dernière fois, et de nous asseoir sans plus jamais avoir l'occasion de nous relever. Et soudain, notre corps tombe par terre, comme une masse, laissant notre verre d'eau à moitié plein. Et c'est la mort.
Il est important de réaliser que quelque chose de dangereux nous guette, quelque chose qui peut être imminent. Cette considération provoque un sentiment d'inconfort et d'agitation, mais nous permet de ne pas gaspiller notre vie humaine en vaines et futiles activités.
" La pensée que, l'année ou le mois qui vient, j'aurai mené à bien toutes mes tâches et mes projets et pourrai enfin me consacrer à une parfaite pratique spirituelle, n'est autre que l'intervention du démon pour tout compromettre." (déclaration de Gungthang Tenpai Dronme dans Comment méditer sur l'impermanence).
Il est donc vain de s'attacher dur comme fer à cette existence, car même si nous vivions cent ans, il faudra mourir un jour. D'ailleurs, l'instant de notre mort ne nous est pas connu et peut se présenter à tout moment. Quand cela se produira, à quoi nous serviront nos biens ? À cet égard, la mort d'un milliardaire ne vaut pas mieux que celle d'une bête sauvage. Les seules choses qui auront de l'importance au moment de notre mort seront nos bonnes ou mauvaises actions, ainsi que le développement spirituel que nous aurons atteint. C'est la seule certitude.
Guéshé Lobsang Samten
RÉFLEXION MÉDITATIVE DE SA SAINTETÉ LE DALAI-LAMA
En considérant que :
1. La permanence ou l’inconscience de la mort créent l’idée négative que vous allez exister pour longtemps. Cela conduit ensuite à avoir des activités anodines qui vous fragilisent, vous et les autres.
2. La conscience de la mort vous pousse à penser à la probabilité d’une renaissance future et vous montre l’aspect avantageux de cette vie. Cela vous engage à vous consacrer à des activités solidaires à long terme, et à refréner l’attrait de ce qui est superficiel.
3. Pour avoir le sentiment de l’imminence de la mort, méditez sur la force des trois principes, neuf raisons et trois résolutions :
Premier principe : méditer sur l’idée que la mort est certaine.
1. Car la mort est inévitable,
2. Car la durée de la vie n’est pas extensible et ne peut perdurer ne serait-ce qu’un peu,
3. Car la vie malgré sa durée ne nous laisse que peu de temps pour pratiquer.
PREMIÈRE RÉSOLUTION : JE DOIS PRATIQUER
Deuxième principe : méditer sur l’incertitude de l’heure de la mort.
4. Car la durée de notre existence dans ce monde n’est pas définie,
5. Car les causes de la mort sont multiples et celles de la vie rares,
6. Car le moment de notre mort est une inconnue, notre corps est si fragile.
DEUXIÈME RÉSOLUTION : JE DOIS PRATIQUER SANS ATTENDRE
Troisième principe : méditer sur l’idée que rien ne nous secourra au moment de mourir, sauf la pratique transformatrice.
7. Car au moment de la mort, les amis ne sont d’aucun secours,
8. Car au moment de la mort, la richesse n’est d’aucun secours,
9. Car au moment de la mort, le corps n’est d’aucun secours.
TROISIÈME RÉSOLUTION : JE VEUX ÊTRE DÉTACHÉ DES MERVEILLEUSES CHOSE QUI NOUS ENTOURENT
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