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lundi 23 mai 2016

Sociologie du mouvement Nuit Debout et perspectives de convergence des luttes pour le peuple et la police / Sociology of the movement Night Up and perspectives of convergence of the fights for the people and the police

Qui vient à Nuit debout ? Des sociologues répondent

Une trentaine de sociologues ont parcouru la place de la République en interrogeant les participants à Nuit debout. Ils partagent, dans cette tribune, les premiers enseignements tirés de ces centaines d’entretiens.
Sur Nuit debout, on a tout entendu : “la moyenne d’âge est de 25 ans”, c’est “un entre-soi de bobos parisiens”, on n’y trouve “aucun vrai prolétaire”, mais “une bourgeoisie blanche urbaine”, “des SDF et des punks à chien qui boivent de la bière”, “un rassemblement d’étudiants déclassés, de militants de l’ultra-gauche et de semi-professionnels de l’agitprop”… Ces énoncés, souvent tranchants, mobilisent des catégories toutes faites, disent quoi penser, clament ce que le mouvement est, doit ou ne doit pas devenir, négligent les ordres de grandeur, hiérarchisent les endroits ou les moments de la place, le « vrai » et le « faux » Nuit debout. On plaide ici pour une autre approche : commencer par établir les faits, en enquêtant collectivement.
Depuis les premiers jours de Nuit debout, une trentaine de chercheurs en sciences sociales se sont relayés à Paris, place de la République. Nous y avons travaillé durant six soirées, entre le 8 avril et le 13 mai, de 17 h à 22 h 30. À ce jour, près de 600 personnes ont répondu à notre questionnaire, passé en face-à-face sur la place. Contrairement à nos craintes, les refus de participer à l’enquête ont été rares : les personnes rencontrées, même de culture anarchiste ou libertaire, ont plutôt perçu l’enquête comme un prolongement de leur propre questionnement, et l’occasion de contribuer à une description mieux fondée que celles des observateurs pressés qui saturent les médias.
L’analyse de ces données, produites parallèlement à une ethnographie, commence à peine. Mais les 328 premiers questionnaires exploités dissipent déjà bien des idées reçues sur les gens « debout » au cours des premières semaines du mouvement.
Des jeunes ?
Des jeunes ? Non : les personnes présentes n’ont pas principalement la vingtaine. La palette des âges est en réalité très large et varie suivant les heures. Entre 18 h et 18 h 30, par exemple, la moitié de la population a plus de 33 ans. Et une personne sur cinq a plus de cinquante ans.
Des hommes ?
Des hommes ? La population sur la place est bien aux deux tiers masculine. Cela peut s’expliquer en partie par le lieu – un espace public urbain – et les horaires tardifs, qui ne favorisent pas la présence des femmes, du fait de possibles engagements familiaux et de l’exposition au harcèlement de rue. Cette distribution inégale est l’objet de réflexions et d’actions au sein du mouvement, en commissions féministes comme en Assemblée générale.
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La bibliothèque debout, fin avril.
Des Parisiens ?
Des Parisiens ? Le Figaro écrivait que les gens viennent « d’abord des quartiers centraux de Paris ». Or les quartiers les plus représentés sont plutôt ceux de l’Est parisien, comme le montre la carte des lieux de résidence, et 37 % des participants habitant en Ile-de-France viennent en fait de banlieue. Un participant sur dix n’habite pas même en région parisienne.

Des diplômés ?
Un entre-soi de diplômés, sans catégories populaires ? En première approximation, oui : la majorité des participants est diplômée du supérieur long (61 %), alors que ce n’est le cas que du quart de la population française. Mais l’image se brouille à y regarder de plus près : non seulement le taux de chômage est de 20 % parmi les participants, soit le double de la moyenne nationale ; mais on compte 16 % d’ouvriers parmi les actifs - trois fois plus qu’à Paris, et autant que dans l’Ile-de-France prise dans son ensemble.
Apolitiques ?
Une fête a-politique ? Plus d’un tiers des personnes a participé à une manifestation contre le projet de loi El Khomri. La proportion des enquêtés déclarant avoir déjà été membre d’un parti politique est même remarquable dans un contexte de désaffection militante : 17 %. Et 22 % ont déjà cotisé à un syndicat. Les engagements citoyens, associatifs ou caritatifs sont également très représentés : plus de la moitié en ont eu un ou plusieurs (aide aux réfugiés, aux sans-papiers, maraudes, associations de parents, de quartier, défense de l’environnement, soutien scolaire, festivals, cafés associatifs, etc.).
Egocentriques ?
Une foule amoureuse d’elle-même ? L’émotion vive, le frisson dans le dos de « l’être ensemble », sont loin de primer : la palette des engagements et des ambiances est plus large. Prendre au sérieux le fait que ce mouvement est un rassemblement de place, c’est admettre que la présence, aussi discrète, distraite ou ponctuelle soit-elle, vaut participation : flâner le long des stands, diffuser auprès d’amis ou de collègues des mails, photos ou vidéos.
Certains viennent pour la première fois, parfois de loin, « pour regarder », se tenir au courant, ou pouvoir dire qu’ils y ont été ; d’autres viennent observer, explorer, voir s’ils peuvent être saisis par le mouvement, être utiles. Deux enquêtés sur trois ont apporté du matériel ou des denrées, donné de l’argent, pris la parole en Assemblée générale ou participé à une commission. La participation active et assidue aux commissions (prise de note, statut de “référent”) peut aussi devenir un engagement à temps plein. Près de 10 % des enquêtés sont même devenus des quasi permanents, qui se rendent à la République tous les jours. En leur sein, les mondes professionnels associés au numérique et les ouvriers sont sur-représentés.
Sans lendemain ?
Un phénomène sans lendemain ? Il est étonnant que, pour être jugée utile, l’ouverture d’espaces de débats citoyens sur les affaires communes doive promettre de déboucher sur autre chose qu’elle-même. Comme si la politique ne valait qu’à l’horizon d’un but, l’accès au pouvoir et ses échéances électorales. C’est d’autant plus étonnant que le goût du politique et la participation à la gestion des affaires communes sont ce dont on déplore souvent le supposé reflux. S’agissant du devenir de Nuit debout, seules 20 % des personnes enquêtées les 28 avril et 11 mai ont déclaré souhaiter la transformation en parti politique. Beaucoup hésitent, tiraillés entre le désir “que cela prenne forme”, le refus des formes partisanes déjà connues, et le sentiment que l’exploration doit encore se poursuivre.

Une impossible lutte globale ? C’est là un autre préjugé : l’insistance sur « le commun » entraverait l’extension du mouvement et la construction de revendications. Pourtant, la pluralité des causes et des positions, la difficile réductibilité à l’unité ou l’homogénéité militante, avec les tensions qu’elles entraînent, sont aussi une caractéristique positive du mouvement. Notre matériau montre une formidable capacité à faire coexister des références politiques et culturelles diverses, allant du poète Aragon à Mère Teresa ou Coluche, en passant par les chanteurs Brassens, Renaud, Bob Marley, Barbara, Léo Ferré, les films Merci Patron ! et A la recherche de Vivian Maier, ceux de Ken Loach et de Jean-Luc Godard, le comédien Gérard Depardieu, les essayistes Naomi Klein et Stéphane Hessel, les économistes Adam Smith et Karl Marx, le pédagogue Célestin Freinet, la féministe Christiane Rochefort, les écrivains Guy Debord et Jack London, l’écologue Karl Möbius, l’homme politique Léon Trotsky, le mathématicien Grigori Perelman, les sociologues Pierre Bourdieu et Frédéric Lordon, le journaliste Aymeric Caron, et une multitude d’autres… Certaines de ces références sont déjà internationales, et la posture revendicative les traverse largement. De plus, si les horizons se situent presque toujours à gauche, malgré une déception générale à l’égard de l’actuel gouvernement, on rencontre jusqu’à des élus locaux de partis de droite.
Une sympathie en marche ! A Paris, les publics de Nuit debout sont donc bien plus variés qu’on ne l’a dit. Ils ont en partage des formes de participation citoyenne diversifiées – l’écoute des autres et l’imagination d’un avenir commun n’étant pas des moindres. Une limite à l’extension du mouvement réside probablement dans la perception qu’en ont ceux qui se suffisent de descriptions univoques. Voulant clore la question de ce qu’il est, ils s’interdisent la possibilité d’être surpris par le mouvement.
Au contraire, ceux qui s’engagent le plus sont ceux qui ont choisi de payer de leur personne pour infléchir la réponse à cette question. D’autres, quoique sympathisants, n’osent pas venir faire l’expérience, parfois parce qu’ils ne s’en sentent pas la capacité. Car, au-delà d’une disponibilité temporelle, beaucoup évoquée dans les médias, c’est aussi une capacité proprement physique, comme le raconte avec humour cette dame âgée croisée sur la place, qui regrette de ne pas pouvoir concrétiser son engagement à hauteur de sa sympathie pour le mouvement :
« Vous êtes là pour Nuit debout ?
— Oh oui, j’aimerais bien, j’aimerais bien... Mais je suis trop vieille, moi, vous savez ! Je peux pas rester debout comme ça si longtemps ! »
Stéphane Baciocchi (EHESS), Alexandra Bidet (CNRS), Pierre Blavier (EHESS), Manuel Boutet (université de Nice), Lucie Champenois (ENS Cachan), Carole Gayet-Viaud (CNRS), Erwan Le Méner (EHESS) sont chercheurs en sciences sociales.
17 mai 2016

source : http://www.legrandsoir.info/qui-vient-a-nuit-debout-des-sociologues-repondent.html

Manifestation du 18 mai place de la République : le peuple et la police dans une convergence révolutionnaire ?

cdlcdvDeux syndicats de Police, de gauche (CGT Police) et de droite (Alliance), ont dénoncé la manipulation de certains groupes de casseurs par le gouvernement, et la stratégie de pourrissement et de montée des tensions orchestrée par le ministère de l’Intérieur et le préfet de police de Paris. Le syndicat de police Alliance a lancé un appel à tous les policiers à venir manifester « contre la haine anti flics » sur la place de la République, place de réunion quotidienne des acteurs de la Nuit debout (rebaptisée « place de la Commune » par leurs soins) , le mercredi 18 mai à midi. Pour certains manifestants, il ne s’agit que d’une provocation. Mais d’autres participants à Nuit Debout y voient une occasion de dialogue historique et inespérée avec les forces de l’ordre. Vers une convergence des luttes inattendue et pourquoi pas, réellement révolutionnaire ?
Au vu des violences générées des deux cotés de la matraque par les conditions de contestation et de répression de la « Loi Travail », rien ne semblerait plus impromptu à certains manifestants et à certains policiers, qu’une convergence des luttes entre ces deux forces sociales a priori  antagonistes.

« Policiers Debout » : de l’amertume à la révolte ?

Pourtant, de plus en plus de citoyens, du coté des membres des forces de l’ordre comme du coté des manifestants, réfléchissent aux moyens d’unir leurs forces contre ceux qui les poussent, de manière de plus en plus frontale et gratuite, à l’altercation violente. Ainsi, les deux syndicats de police aux perspectives pourtant très divergentes CGT Police etAlliance (syndicat majoritaire dans la police), ont dénoncé la stratégie de pourrissement orchestrée par le ministère de l’Intérieur et le préfet de police de Paris. Les communiqués de CGT Police et d’Alliance stipulent que consigne leur a été donnée de laisser des groupes de casseurs se mélanger aux manifestants pacifiques pour faire monter la tension et augmenter le degré de violence lors des manifestations.
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La concentration permanente des médias sur les violences discrédite à la fois policiers et manifestants pour faire le jeu du pouvoir : « ordo ab chao »
Cette confusion ordonnée ne peut faire le jeu que de ceux qui souhaitent discréditer à la fois les mouvements de contestation et l’action de la police. Une stratégie de la tension qui met en péril aussi bien la sécurité des policiers et des militaires, que des citoyens qu’ils ont la mission première de protéger. La concentration permanente des médias sur la violence spectaculaire plutôt que sur les questions de fond que posent les mouvements sociaux, participe de plein pied à cette confusion, ce discrédit et ce mépris volontaires : pas de stratégie de la tension et de la division sans les moyens de diversion et de manipulation médiatiques adaptés.
Face à cet adversaire commun, policiers et militaires sauront-ils converger avec les manifestants ? La question peut surprendre, mais l’initiative a déjà eu lieu le 9 décembre 2013 à Turin par exemple, lorsque des policiers ont enlevé leurs casques anti-émeutes pour soutenir l’initiative d’un mouvement social national contre l’austérité décidée par une oligarchie politique incompétente et déconnectée du réel :
En attendant, pour rallier gendarmes, sapeurs-pompiers, douaniers et citoyens à leur cause, des policiers de province ont repris le symbole des manifestations de la République en baptisant leur mouvement de contestation « Policiers Debout« . Évidemment, le symbole est ici repris avec ironie, mais certaines personnes au sein de Nuit Debout font le pari de le prendre au sérieux et proposent de profiter des manifestations du 18 mai pour établir un dialogue historique avec les policiers ouverts à cette perspective.

« La police avec Nuit Debout ? », l’appel révolutionnaire de la Gazette Debout aux policiers

Beaucoup de citoyens engagés dans l’initiative de Nuit Debout ne sont pas dupes de ces tentatives de déstabilisation, et ils le disent avec intelligence. beaucoup, de leur propre initiative, proposent le dialogue direct avec les policiers lors de la manifestation prévue pour le 18 mai. On peut encore lire sur questions.nuitdebout.fr en réponse à la question « Manif alliance 18 mai : tenter un dialogue sur la place avec la police ? » :
 » Les flics sont aussi des prolos qui subissent le système, dialoguer comprendre, et pourquoi pas trouver un terrain d’entente, c’est mieux que de rester dans le confort de la certitude avec ses potes et mettre la poussière sur le tapis. »
  La « Gazette Debout » a eu le discernement de publier des extraits du communiqué du syndicat CGT Police sous le titre suivant, révélateur des perspectives de certains de ses participants: « La police avec Nuit Debout ? Plus qu’un slogan, une possibilité« . Elle a également publié la tribune d’un certain Clém intitulée « Qui a intérêt à discréditer Nuit Debout et la police ? ». L’auteur y rapporte et commente ainsi le témoignage d’un ami policier:
Un ami policier me disait : « Il y a des gens violents des deux bords, dont le gouvernement se sert pour discréditer le mouvement. Aucun ordre clair n’est donné aux forces de l’ordre, et ça pousse au conflit. On nous fout autour de Répu et on nous dit : Empêchez-les de bouger… ». Par conviction, il s’est engagé pour défendre la République. Il a fini sa bière en me disant : « Ce que je fais en moment, c’est pas ça, la police. »
Il ne faut pas se leurrer. Des personnes violentes dans la police, il y en a. Je veux croire qu’elles sont une minorité. Elles effraient, elles portent atteinte à l’image de ce qui devrait normalement être un «service public », composé d’êtres humains à qui on a ôté la possibilité d’être faillibles…
La Gazette Debout a également relayé le témoignage d’Alexandre Langlois, gardien de la paix au renseignement territorial, secrétaire général de CGT Police, paru dans l’Humanité sous ce titre édifiant : « Tout est mis en place pour que ça dégénère« . Extraits :
« Côté renseignement, on constate depuis une dizaine d’années une double évolution, avec des manifestants beaucoup plus pacifiques qu’avant, mais des casseurs toujours plus violents, organisés de manière quasi paramilitaire. Certains de ces groupes sont identifiés avant qu’ils intègrent les manifestations. Mais aucune consigne n’est donnée pour les interpeller en amont. Prenons l’exemple du 9 avril. En fin de journée, nous savons qu’un groupe de casseurs dangereux vient d’arriver gare du Nord pour aller perturber Nuit Debout, à République. Une compagnie de CRS se trouve sur leur passage, prête à intervenir. (…) Mais ordre leur est confirmé de les laisser gagner place de la République, avec les conséquences que l’on connaît ! Par contre, quand il s’est agi d’aller protéger le domicile privé de Manuel Valls, ce soir-là, cette fois les ordres ont été clairs… C’est important de rappeler que, dans les manifestations, tous les collègues sur le terrain n’interviennent que sur ordre. Si certaines, comme le 1er Mai, se terminent en « souricière » place de la Nation, c’est que l’ordre en a été donné. Le message qui est passé, c’est « casseurs venez, vous pourrez agir en toute impunité, et manifestants ne venez plus avec vos enfants, car c’est dangereux pour vous ». Et à la fin de la journée, les médias ne parlent que des violences, et surtout plus des raisons pour lesquelles les citoyens manifestent. Le pouvoir politique instrumentalise la police, qui sert de bouc émissaire. Cela permet au gouvernement de faire diversion. »
Alexandre Langlois témoigne de l’exaspération des forces de l’ordre, auxquelles sont données des consignes insensées:
 » Nous sommes épuisés. Les collègues souffrent d’une perte de sens de leur métier. Aujourd’hui, on leur demande du rendement statistique et d’exécuter des ordres qu’ils jugent incompréhensibles ou injustes. La police est déshumanisée. On compte un suicide en moyenne par semaine dans notre profession. »

Suicides par centaines, journées de travail de 24 heures … des conditions de travail catastrophiques

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Patricia Cordier, mère d’un gardien de la paix s’étant donné la mort en 2008, a remis une pétition à Bernard Cazeneuve pour qu’une action d’envergure soit menée afin de prévenir les suicides dans la police. Elle a recueilli plus de 50 000 signatures
Les policiers risquent leur vie quotidiennement pour garantir, tant bien que mal, avec les moyens de plus en plus déplorables que l’on veut bien leur accorder, notre droit constitutionnel à la sécurité, il faut y réfléchir avant de les montrer du doigt dans des généralisations ne servant que le pouvoir qui les pousse au matraquage. L’année 2014 fut celle du tragique record du nombre de suicides dans la police 55 en douze mois. On dénombre 478 suicides de policiers en 10 ans, de 2004 à 2014. Patricia Cordier, la mère d’un policier ayant mis fin à ses jours avec son arme de service a jugé la situation si critique qu’elle a pris l’initiative d’une pétition pour que les pouvoirs publics cessent enfin d’ignorer cette situation catastrophique. Elle a recueilli 100 000 signatures. Si certains plaident pour le retour d’une médiation d’intervenants de proximité, la situation ne peut réellement cesser de s’assombrir sans un changement structurel radical. Certains responsables syndicaux déplorent la disparition du délégué social, qui était «détaché dans chaque service important et qui était là pour détecter les collègues en difficulté». Une suppression qui va dans le sens de la déshumanisation de ce métier évoquée par Alexandre Langlois, et qui ne peut que nuire à la mission de service public des policiers.
Si Manuel Valls, lorsqu’il était ministre de l’intérieur, avait critiqué la « politique du chiffre » mise en place par Nicolas Sarkozy, elle n’a pour autant jamais été abandonnée. Refusant de mettre en cause la responsabilité de certains hauts gradés de la hiérarchie policière pour ne pas  faire de vagues, Bernard Cazeneuve quant à lui, ne semble pas avoir pris la pleine mesure du ras-le-bol général et de la tension quotidienne qu’endurent les agents de terrain. Les techniques du « management » appliquées aux services publics sont une catastrophe en général, mais les conséquences du burnout,dans le cas d’un militaire ou d’un policier, peuvent s’avérer irréparables.
En janvier 2015, Bernard Cazeneuve n’avait pas jugé «insensé d’envisager une éventuelle refonte des cycles de travail dans la police nationale, pour améliorer la conciliation entre vie professionnelle et vie privée des policiers». Mais ces belles paroles n’ont guère été suivies d’effet, et les pressions combinées de la mise en place de l’état d’urgence et de la répression des mouvements sociaux d’envergure sont vites venues à bout de ces nobles intentions et de ces beaux discours. Courant 2015, l’alourdissement du plan Vigipirate engage l’affectation massive des Gardiens de la paix dans les Compagnies de CRS. Leur statut militaire ne leur permettant pas de manifester, beaucoup de gendarmes protestent en se mettant en arrêt maladie.
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La « politique du chiffre » et le non sens des décrets successifs de l’état d’urgence ont mis les nerfs des représentants de l’ordre et de la justice à rude épreuve
Les quelques 2900 perquisitions enchaînées en un mois et demi après les attentats de Novembre ont mis les policiers à bout de nerfs. Le surplus des dossiers, l’encadrement des perquisitions, ont généré la suppression d’un nombre considérable de congés, pourtant nécessaires au maintien de la santé psychique et physique des militaires et policiers. L’hystérie administrative de l’état d’urgence a également largement entravé le fonctionnement quotidien de notre justice, (en théorie) garante du bon fonctionnement de notre démocratie. La Commission Nationale des Procureurs de la République (CNPR), ont manifesté leur inquiétude à ce propos. L’état d’urgence serait selon eux un prétexte utilisé pour palier au manque de moyens octroyés par l’État aux institutions de la Justice. Notons à ce propos que dans le cadre de l’état d’urgence, des préfets de province se sont pour leur part rendus coupables de perquisitions illégales.
La pression imposée par la sécurisation de la COP21 a également été un facteur d’épuisement. Sommées de protéger l’oligarchie mondiale du ressentiment des peuples, les forces de l’ordre françaises ont dû sacrifier le repos et la formation continue nécessaires au bon déroulement de leurs missions de service public auprès du peuple de France. Certains agents travaillent donc jusqu’à dix jours d’affilée, avec des journées de travail pouvant atteindre 24 heures. Dans de telles conditions, difficile pour le gouvernement de s’étonner de l’augmentation potentielle du nombre et de la gravité des bavures. Dès avril 2015, trois compagnies entières de CRS (soit 240 personnes) ont été mises en arrêt maladie pour « épuisement ». Les journées de travail de 24 heures sont toujours monnaie courante, et sans jamais excuser les violences scandaleuses commises contre les manifestants, la banalisation de telles pratiques les expliquent.
Le Docteur Fatima Idbrik, spécialisé dans l’assistance et le soin psychologique aux forces de l’ordre (clinique spécialisée du Courbat en Indre et Loire), évoque des consommations nombreuses et excessives d’alcool, de médicaments et de drogue directement liées au burnout provoqué par la pression quotidienne liée aux aberrations imposées par la mise en place de l’état d’urgence.
«Depuis début décembre, les demandes de dossier ont doublé, précise la médecin-chef de l’établissement, le Dr Fatima Idbrik. Les patients nous contactent désormais par groupe de dix, ce n’était jamais arrivé auparavant», précise-t-elle.

Suppressions de postes et démantèlement des corps constitués

Les ministres et présidents qui se succèdent ont beau galvaniser l’autorité et fanfaronner en gavant les médias de verbiage en se disant « obsédés par la sécurité des Français« , rien n’y fait… Ceux qui sont chargés de faire appliquer cette autorité sur le terrain ne sont pas dupes et subissent de plein fouet les restrictions budgétaires touchant toutes les administrations publiques au nom des « plans d’austérité » imposés par Bruxelles à notre pays. En France, les forces armées connaissent depuis dix ans des restrictions financières sans précédent dans le cours de leur histoire. Entre 2009 et 2014, les administrations Sarkozy et Hollande ont supprimé 54 000 postes dans l’armée et ont validé le projet d’en supprimer 34 000 supplémentaires d’ici à 2019. Les présidentiables font des pieds et des mains pour obtenir le soutien électoral des forces de l’ordre. Pourtant, depuis les suppressions d’effectifs annoncées depuis 2011, même les gendarmes et les CRS, ne disposant pourtant pas du droit de grève, poussés à bout, se mobilisent et tentent de faire entendre leur voix.

Vers une privatisation rampante de la sécurité publique

alain bauer
Alain Bauer, ancien « grand maître » du Grand Orient De France et président du CNAPS, est l’un des principaux artisans de la privatisation de la sécurité publique en France
Dans le cadre de la contestation générale de la « Loi Travail », il s’en faut de peu pour que tous les secteurs du public ne se mobilisent contre cette « restructuration » globale prenant la crise pour prétexte afin de privatiser tous les services (santé, administration, enseignement, défense) à grands coups de « réformes budgétaires ». La structure historique des institutions publiques chargées de garantir l’ordre et de faire respecter la loi est aujourd’hui menacée par la concurrence de la sécurité privée encouragée par les représentants de l’État, sous le patronage de Manuel Valls, qui encourage la police à « forger des relations opérationnelles avec les agents de sécurité privée« , sur les bons conseils de son ami de toujours Alain Bauer, ex grand maître du Grand Orient de France, « criminologue » autoproclamé nommé par décret présidentiel, lui-même reconverti dans la sécurité privée, apôtre national de lavidéosurveillance généralisée aux frais de l’État. Précisons qu’A. Bauer a été réélu en 2015 président du Conseil National des Activités Privées de Sécurité (CNAPS), récemment entaché par une affaire de corruption ayant conduit à lagarde à vue de son directeur, le préfet Alain Gardère. Précisons que le syndicat Alliance, très proche de Sarkozy, et dont l’ancien secrétaire général Jean-Luc Garnier est devenu président de la « Fédération professionnelle des métiers de la Sécurité » au sein de l’UMP à la fin de son second mandat, s’est étrangement prononcé en faveur de la collaboration accrue entre la police et la sécurité privée. Cette collaboration ne vise-telle pas, à long terme, une privatisation progressive de la sécurité publique en France ? Des réductions massives d’effectifs de Sarkozy aux décrets invraisemblables de l’état d’urgence sous Hollande, Valls et Cazeneuve, tout semble fait pour favoriser l’épuisement des forces de l’ordre et présenter le recours gouvernemental à la sécurité privée comme une solution miracle. Un décret datant du 1° Août 2014 (décret 2014-888) a d’ores et déjà modifié les conditions de détention et d’usage des armes à feu pour les agents de la sécurité privée.

Germes d’une dissidence citoyenne dans la police et dans l’armée

Le cas du préfet et directeur du CNAPS Alain Gardère n’est pas isolé. Les agents de terrain ne subissent plus les humiliations d’une hiérarchie parfois décadente (le général Germanos condamné pour pédophilie, le patron de la DDSPdu Nord Jean-Claude Menault et son adjoint le commissaire Jean-Christophe Lagarde, « entendus » par leurs confrères sur leur responsabilité dans le réseau de proxénétisme du Carlton de Lille, on encore l’ancien policier et ancien dignitaire du Grand Orient de France Eric Vanlerberghe, également impliqué dans les réseaux des affaires DSK…)  sans broncher. Jusque dans les plus hautes sphères de la police et de l’armée, des hommes et des femmes se questionnent sur la nature des intérêts qui poussent nos dirigeants politiques à exploiter les ressources policières et militaires dans des entreprises qui n’ont que peu de relations avec les intérêts du peuple et ceux de la nation.
max weber
Les représentants de la « violence physique légitime » selon l’expression du sociologue allemand Max Weber, passeront-ils dans le camp du peuple qu’ils ont le devoir de protéger ?
En refusant d’interroger la responsabilité des hauts gradés, Cazeneuve perpétue une vieille tradition : un plafond de verre judiciaire protège bien souvent la hiérarchie de la mise en cause de ses agents. Le gendarme Christian Bonnery l’avait révélé lors de l’affaire de Rivesaltes, dès 1998. Dans le milieu des armées comme dans celui de la police, des hommes et des femmes remettent en question la légitimité de certaines décisions, non sans conflit avec les plus hautes autorités de l’État. Le politologue et lieutenant-colonel de gendarmerieJean-Hugues Matelly, radié de l’armée par un décret de N. Sarkozy (25 mars 2010), a gagné un procès contre la France devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Comme il aime à le rappeler, « un soldat est avant tout un citoyen« .  C’est également la position défendue par Bernard Cordoba, gendarme sommé par sa hiérarchie de démissionner (17 avril 2012) de son poste de vice-président de l’association Gendarmes et Citoyens qui milite pour laliberté d’expression des agents de cette institution. Le major Cordoba avait été l’un des meneurs de la manifestation (pourtant interdite dans le corps militaire) menée par les gendarmes en 2001.
Ces hommes et ces femmes ont conscience qu’il faut « faire revenir le soldat dans la cité« , mais aussi le policier. C’est certainement ce qui a poussé le commandant de police Philippe Pichon en 2008 à s’insurger contre les aberrations des systèmes de fichage de la police nationale (STIC/FAED/FNAEG), ce qui lui a coûté son poste par mesure disciplinaire. Citons encore Yannick Danio qui, en 2012, a eu le courage de s’opposer de l’intérieur aux abus générés par la politique du chiffre et les contrôles d’identité ciblés à répétition, qui mettent plus de pression que de sérénité sur les épaules des agents de terrain. Beaucoup de ces individus (pas tous, ne nous berçons pas d’angélisme) se sont engagés pour servir le bien commun. Ceux-là ont une haute idée du sens de l’honneur et du devoir républicain.

Du plan Vigipirate aux opérations extérieures, quelle considération pour la sécurité des soldats ?

Les décisions a posteriori, prises pour compenser médiatiquement celles qui n’ont pas été prises au bon moment, reviennent cher à l’État français. La mise en place du niveau écarlate du plan Vigipirate initiée après le 7 janvier, poussant les militaires à faire de la figuration sur le territoire national au péril de leur propre sécurité (comme l’a montrél’agression de Nice), coûte 1 million d’euros par jour au contribuable français. Tout ceci au dépens de l’énergie et de la santé des soldats, dont un grand nombre d’exercices importants et de permissions nécessaires à leur équilibre physiologique et psychologique ont dû être brutalement remis en question pour assurer le plus grand déploiement militaire sur le territoire national de toute l’histoire de l’armée française. De l’aveu même du ministère de la défense, ce dispositif n’était pas tenable plus d’un mois. On creuse les budgets dans les bureaux du ministère pour assurer un repas chaud (hors ration de combat) par jour aux soldats, au sein même du territoire national… Lors de l’intervention au Mali, les soldats ont été sommés de déguster leur ration de combat matin, midi et soir durant huit mois. Les guerres « low coast » des administrations Sarkozy et Hollande laissent un goût amer dans la bouche des soldats.
Au moment où on leur demande d’assurer la sécurité des citoyens sur le territoire national en sécurisant des lieux qui ne sont pas de leur prérogative, les opérations extérieures ont mobilisé près de 9000 engagés, tandis que 1000 à 1500 militaires ont été déployés pour renforcer la sécurité de leurs propres sites de fonctionnement sur le territoire, elle aussi menacée. En sus de quoi, les soldats sont priés d’encaisser le coût moral et humain des Lois de Programmation Militaire (LPM) qui se suivent et se ressemblent.

Opérations extérieures et diktats de l’Intérieur : Contestations militaires contre un ordre politique déconnecté du réel

vincent desportes
Le général Vincent Desportes a récemment remis Alain Jupé à sa place en lui indiquant qu’un militaire n’avait pas à « la fermer »
Le pouvoir politique souhaiterait museler l’armée Française pour en faire un simple instrument d’exécution. L’ancien ministre de la défense « mal payé » Gérard Longuet par exemple, issu des rangs d‘Ordre Nouveau, comme ses collègues Madelin et Devedjian,  se félicitait en son temps que l’armée soit « la grande muette de notre société« . Mais les choses changent et des voix s’élèvent. Celles du chef d’état-major et directeur d’études à l’IRSERM Michel Goya, qui s’en réfère au mouvement de révolte intellectuelle dit des « jeunes Turcs » (à ne pas confondre avec le mouvement turc du même nom) survenu dans l’armée française avant la première guerre mondiale et qui critiquait en 2013 les opérations militaires à l’usage des médias, l’ancien chef d’état-major de la marine Pierre François Forissier, qui avait, dès juin 2011, vivement critiqué l’engagement de la France en Libye, ou encore le colonel Philippe Espié, ancien commandant du groupement de gendarmerie de l’Ardèche ayant contesté le rattachement de son institution au ministère de l’intérieur pour des raisons politiques douteuses depuis le 1° janvier 2009 (comme le confirme le sociologue Laurent Mucchielli), ont été les instigateurs d’un vaste mouvement de contestation militaire  qui a été servilement ignoré par la radio et la télévision.
Pas plus tard que le 24 avril dernier, Alain Juppé avait encore l’outrecuidance de déclarer: « un militaire c’est comme un ministre : ça ferme sa gueule ou ça s’en va ! ». Ce à quoi le Général Vincent Desportes, sanctionné en 2010 pour avoir contesté la stratégie états-unienne en Afghanistan, lui répondit dans une tribune publiée dans le Monde le 4 mai: « les militaires n’ont pas à la fermer » :
 Méprisants, vos propos montrent une profonde méconnaissance de la réalité stratégique », écrit l’officier. « Non, les militaires n’ont pas à la fermer comme un ministre. La première loyauté d’un ministre au service d’une politique fluctuante, souvent politicienne, est envers son président (…) La première loyauté d’un militaire au service permanent de la nation, de ses intérêts et de ses valeurs, est envers la France (…) Structuré par l’éthique de conviction, il doit prendre la parole pour lui rester fidèle, plutôt que la renier (…) Votre réponse à l’emporte-pièce contredit le discernement attendu de celui qui vise la plus haute magistrature. »
Devant le tollé suscité et certainement par bas calcul électoral, Juppé n’eût d’autre choix que de se rétracter, formulant des « regrets » sans pour autant formuler d’excuses. Suite à cette polémique, l’association professionnelle nationale de militaires GEND XXI a demandé au président de la République la création d’une commission « afin de permettre à l’ensemble des militaires d’avoir un véritable rôle de citoyen dans le respect du statut et des devoirs des militaires ».

Vers l’union avec le peuple en révolte

Chose extrêmement rare pour être soulignée : face à la réduction des budgets et au mépris manifeste de l’État, les forces de la police et de la justice se sont mobilisées dans un même élan  dès 2012 contre cette privatisation antidémocratique de notre système judiciaire. Le 13 Novembre 2014, déjà, près de 9000 policiers se sont déplacés pour une grande manifestation dans la capitale. À la suite de quoi, le gouvernement a vaguement promis d’améliorer leurs conditions de travail. Parce que le pouvoir crève de trouille à l’idée que les forces de l’ordre ne se joignent à tous les mouvements sociaux engendrés par la privatisation rampante de tous nos services publics et par le démantèlement organisé de notre État social et des piliers de notre démocratie. Le « mouvement » médiatique et éphémère du 11 janvier a certes galvanisé la police. Reste à savoir si les pouvoirs politiques en place ne sont pas responsables de la suppression des effectifs qui auraient peut-être permis d’éviter ce massacre. Pour calmer le jeu auprès des policiers, après les évènements du 13 janvier, Bernard Cazeneuve a facilité leur port d’arme en dehors de leur service, dans la stricte limite de la durée de l’état d’urgence.
ninadechiffre
Le 16 Novembre 2013 à Turin, l’étudiante Nina de Chiffre avait tenté cette approche insolite et symbolique avec le jeune policier Salvatore Piccione. L’image avait fait le tour de la toile.
Nous disposons encore d’une police et d’une armée (relativement) protégées de l’appétit des milices privées et de l’ingérence des milices transnationales de l’Union Européenne telles que l’EUROGENDFOR. Plutôt que de regarder les membres de nos forces armées institutionnelles comme d’éternels ennemis, représentants d’une entité diabolique, montrons leur que nous ne sommes pas du côté du chaos, mais que nous luttons pour la souveraineté populaire et démocratique de l’ordre qu’ils ont pour mission de protéger et de faire respecter à NOTRE service.
Alors peut-être qu’un jour, les CRS jetteront leurs boucliers, baisseront leurs matraques, enlèveront leurs casques et viendront marcher à nos côtés. Ceux qui considèrent une telle perspective absurde, angélique ou naïve devraient s’informer sur les vastes mouvements qui ont uni les travailleurs sans toit, les retraités des forces de Police et les personnels de transports publics dans la mégalopole de Sao Paulo avant la coupe du monde de 2014 au Brésil. Rappelons à ce titre que la France est censée accueillir l’organisation mafieuse transnationale UEFA pour l’euro 2016, et que le gouvernement l’a d’ores et déjà exonérée d’impôts, et que la prolongation de l’état d’urgence qui épuise les policiers vise aussi à garantir la sécurité de cet évènement dont le contribuable ne verra donc pas le moindre bénéfice. Ils devraient également se souvenir que le 9 décembre 2013 à Turin, alors que les manifestants avaient troqué les drapeaux partisans et syndicalistes pour arborer celui de la nation, des policiers ont eu le courage d’enlever leurs casques anti-émeute  en signe de soutien lors d’une protestation  contre l’oligarchie financière.
Souhaitons que que les policiers français aient un jour ce courage, et que toutes les forces insurrectionnelles douées de bonne volonté aient l’intelligence de faire converger leurs luttes en réalisant que la souveraineté écologique, économique et politique du peuple français ne pourra aboutir que dans le sentiment fraternel d’appartenance à la communauté nationale, dans la perspective inter-nationale de la reconquête de la souveraineté des peuples. Une perspective qui exige de savoir précisément pourquoi nous nous battons et quel genre de reconstitution nous souhaitons établir pour l’avenir de notre démocratie.
Galil Agar
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Pour aller plus loin:
Sur les suicides dans la police:
            Comment remédier aux suicides dans la police ? France Culture, 4 juillet 2014
           Enquête sur les suicides dans la police française, Alain Hamon, J. Pradel, RTL, 8 octobre 2015
Discussions autour de la manifestation policière du mercredi 18 mai sur questions.nuitdebout.fr:
Sur l’Etat et le monopole de la violence légitime:
Max WEBER, Le savant et le politique, conférences prononcées entre 1917 et 1919
. traduction, notes et préface de Catherine Colliot-Thélène, La Découverte, 2003
. traduction de Julien Freund, introduction de Raymond Aron, plon, 1959, réédition 10/18, 2002
Walter BENJAMIN, Critique de la violence, trad. Nicole Casanova, Payot, 2012
George SOREL, réflexions sur la violence (1908), Entremonde,  2013.    Gratuitement sur Wikisource.org
source : http://www.cercledesvolontaires.fr/2016/05/17/26632-republique-peuple-police-convergence-revolutionnaire/

jeudi 5 mai 2016

Cher Frédéric Lordon, bienvenue sur la liste noire de vos nouveaux amis « antifas » ! / Dear Frédéric Lordon, welcome to the blacklist of your new friends "antifas" !

Cher Frédéric Lordon, bienvenue sur la liste noire de vos nouveaux amis « antifas » !

Lordon antifa fasciste
Un « antifasciste » trop zélé face à son pire ennemi
Suite aux déclarations de Frédéric Lordon concernant l’éviction d’Alain Finkielkraut de la place de la République, justifiant implicitement la violence « antifasciste » en général au nom du combat politique, nous avons eu à cœur de lui signaler que son nom était inscrit, aux côtés de ceux duCercle des Volontaires, de Fakir, de François Ruffin, et de bien d’autres organismes et acteurs proposant des alternatives au fonctionnement politique actuel de la France, sur une liste noire diffusée par le site « antifasciste » Les Enragés. Nous souhaitons ainsi lui faire prendre conscience avec bienveillance et en toute sympathie, d’un effet pervers inévitable : la violence qu’il cautionne pour les autres pourrait à tout moment se retourner contre lui-même. C’est aussi une occasion de le renseigner, si besoin en était, sur la nature réelle de cet « antifascisme » dont la litanie s’accorde dans une pénétrante harmonie avec les intérêts prégnants de « l’oligarchie néolibérale intégrée », selon ses propres termes. 
Cher Frédéric,
Lors de la conférence « Nuit debout l’étape d’après » ayant eu lieu le mercredi 20 Avril 2016 à la Bourse du travail à Paris, vous avez eu le mérite de déterminer des objectifs clairs, à même de fédérer des citoyens venus de tous les horizons politiques de notre belle Nation (oups, un premier gros mot !) :
« Interdire les banques d’activité spéculative, neutraliser le pouvoir actionnarial, dégommer les traités assassins, les traités européens et le TAFTA, voilà un objectif. »
Seulement, cet ennemi-là n’était peut-être pas assez immédiat, trop ambitieux pour l’heure, et la foule présente avait besoin de chair fraîche à se mettre sous la dent. Les banquiers de La Défense sont bien loin de la place de la République, et leurs buildings de verre trop protégés pour des âmes aussi vertueuses que celles de vos auditeurs d’alors. On court moins de risques à repeindre les distributeurs avoisinant le quartier général de la Nuit Debout. Plutôt que de réfléchir aux moyens permettant d’accomplir les nobles objectifs fédérateurs énoncés plus haut, emporté par la foule en délire qui buvait chacune de vos paroles, il vous a fallu désigner un adversaire intermédiaire à la mesure de leurs faibles ambitions. En attendant le Grand Soir où tous ces jeunes gens iraient occuper les sièges de Total et la Société Généraleà la défense, tout près des quartiers populaires de Nanterre, vous avez désigné un ennemi plus accessible aux occupants des beaux quartiers de la place de la République :
 « le citoyennisme intransitif qui débat pour débattre mais ne tranche rien, ne décide rien et surtout ne clive rien. Une sorte de rêve démocratique cotonneux et inoffensif (…) Le démocratisme all-inclusive »,
avez-vous dit, ne manquant pas de faire rire la jeune assemblée pendue à vos lèvres. Vous me rappeliez alors ce cherAlain Finkielkraut, source de tous vos bons mots, parodiant Tocqueville lorsqu’il demandait à Jean-Claude Michéa dans le cadre de son émission de France Culture Répliques du 2 juin 2012, si en lieu et place des dévoiements contemporains du « libéralisme », la source des problèmes de notre société n’était pas plutôt le déploiement de la « démocratie généralisée » (24:06/52:20). Ce à quoi Michéa lui opposa la conception de la démocratie de George Orwell, dont vous brocardez pour votre part avec sarcasme la « faiblesse conceptuelle », la « négligence théorique » ou le « flou » de la pensée. Paradoxalement, en voulant sauver Nuit Debout contre Finkielkraut, vous rejoigniez Finkielkraut dans la division des forces convergeant dans la lutte contre le néolibéralisme, au nom d’une critique se voulant radicale de l’espérance  dans une démocratie réelle à venir. Vous interdisez de donner les moyens concrets de la réaliser. Vous êtes « de gauche » avant d’être « démocrate », et si le peuple, lui, dans sa grande majorité, ne partage pas votre vision de la société, qu’à cela ne tienne ! Quand le peuple vote mal, il faut changer de peuple, disait Bertolt Brechtavec ironie. Par ce refus de dialoguer avec « l’ennemi », vous et Finkielkraut vous rejoignez dans l’adhésion à ce propos sans ironie, et dans la division des forces qui devraient converger dans la lutte pour la souveraineté nationale et populaire.
« la souveraineté s’assimile à la démocratie (…) c’est-à-dire le droit de délibérer et de décider de toutes les matières qui intéressent les politiques publiques tout le temps »,
avez-vous déclaré un jour avec raison à l’antenne de France Inter. Seulement, votre captation de la volonté de démocratie par le seul trône vertueux de « la gauche » moralisante exclut dans les faits la plus large majorité du peuple de ce « droit de décider ». Durant votre discours concernant l’après Nuit Debout, vous avez espéré ce jour glorieux où les médias se retourneront enfin contre vous, signe que vous serez parvenu à faire du mouvement autre chose que ce « rêve cotonneux et inoffensif » que vous dénoncez chez les partisans du « démocratisme ». « Il ne faudra pas redouter ce moment », disiez vous, « ce sera même un assez bon signe, le signe que nous commençons vraiment à les embêter ». Et vous avez touché là à un point chatouilleux du traitement médiatique de la Nuit Debout :
« A-t-on jamais vu mouvement sérieux de contestation de l’ordre social célébré d’un bout à l’autre par les médias organiques de l’ordre social ? »
En un sens, vous avez répondu vous-même à la question, lorsque vous en avez profité pour vous féliciter du travail du « service accueil sérénité » faisant « méthodiquement la chasse aux infiltrations » sur la place de la République. Vous avez justifié ces louanges par le procès que les médias feraient aux sympathisants du mouvement « de devenir rouge-bruns », si cette « chasse » permanente venait à perdre de sa vigueur. Par cette peur que les médias vous traitent de rouge-brun, Monsieur Lordon, c’est-à-dire qu’à terme, ils ne vous accueillent plus sur le plateau de France Inter pour parler de souveraineté, vous avez vous-même restreint le cadre de Nuit Debout à l’intérieur du cadre moral établi par ce jugement potentiel des médias sur vos intentions, ce jugement qui vous fait si peur et qui au final, détermine et conditionne les limites de toutes vos actions, comme vous l’avouez par cette justification :
« on comprend très bien que l’on ne va pas porter les revendications de refaire le cadre auprès des gardiens du cadre. On les chasse, et puis on le refait politiquement »,
avez-vous également déclaré à juste titre, précisant « que le cadre était fait précisément pour cela », c’est-à-dire, pour neutraliser toute action visant à aller dans le sens de la réalisation des revendications.
« S’il n’y a plus d’alternative dans le cadre, il y a toujours l’alternative de refaire le cadre, mais ça c’est de la politique, ce n’est plus exactement du revendicatif »,
avez-vous dit. Et nous ne pouvons que vous donner raison sur ce point Monsieur Lordon, en vous invitant à tenir compte de vos propres déclarations pour la cohérence interne de votre discours. Vous le dites vous-même, le cadre vous interdit de vous associer avec des souverainistes « de droite », ou tout bonnement, avec des souverainistes qui refusent de se cantonner à votre idée de « la gauche ». Le cadre vous refuse le droit de dire que le clivage entre la gauche et la droite est caduc, et que le véritable débat politique se joue désormais entre souverainistes d’un côté, et mondialistes de l’autre. Si vous le dites, il vous traitera également de « rouge-brun », et vous rangera aux côtés de tous ceux que vous disqualifiez d’office, par peur d’y être associé. Il vous rangera aux côtés d’Etienne Chouard, dont vous avez longtemps fait les louanges, avant de le jeter aux ordures avec un mépris propre à la caste universitaire, bien qu’il vous ait lui-même défendu lorsque vous avez subi les attaques absurdes d’un premier groupe « antifasciste », courant 2013. Vous l’avez jeté de peur d’être associé aux personnes avec qui il s’autorise de discuter franchement. Contrairement à vous, il refuse de s’interdire ce dialogue. C’est à dire que précisément, il s’autorise à sortir du « cadre ». C’est pour cela qu’il est ostracisé, et vous le savez, et en réalité, vous êtes mort de peur à l’idée d’être associé à cette courageuse et réelle sortie du cadre.
Mais détendez-vous Monsieur Lordon. Malgré tous vos efforts pour demeurer dans le cadre que vous dénoncez, le cadre, lui, vous rejette déjà peu à peu. Oh, pas par la plume des « chefferies éditocratiques » que vous dénoncez avec raison comme les gourous malfaisants de « la secte de l’oligarchie néolibérale intégrée », non, Monsieur Lordon. Le cadre mondialiste vous rejette par son « extrême-gauche », celle avec laquelle vous pensez pouvoir faire convergence contre les souverainistes qui refusent de s’enfermer dans votre idée de la gauche.
Ainsi, l’inénarrable site « antifasciste » Les Enragés, a fait de vous et de votre camarade François Ruffin, les ambassadeurs d’un dangereux « social-chauvinisme », qui ourdirait un dangereux complot fasciste par l’intermédiaire de Nuit Debout. L’un des arguments avancés étant que « la chasse aux infiltrations » que vous décrivez serait en réalité trop complaisante ! Il y a une justice quelque part entre le ciel et la terre, puisque vous êtes cité dans cet article en compagnie d’Etienne Chouard en personne, celui-là même que vous traitiez de « boulet » pour la réalisation de projet d’une constituante il y a encore quelques mois, alors que des accusations aussi absurdes que celles lancées par Les Enragéscontre vous, il s’en prend dans la figure depuis des années. Vous êtes cité dans cette liste qu’on imagine non exhaustive en compagnie d’autres dangereux fascistes, j’ai nommé (tenez-vous bien) Gérard FilochePierre CarlesPierre Rabhi,Hervé KempfCyril DionEric HazanJohn Paul LepersFranck Lepage, ainsi que les dangereux comédiens Greg Tabibian et Franck Brusset… et des organes objectivement fascistes tels AttacAcrimedArrêt sur imagesle comptoir, les éditions La FabriqueKaizen, le mouvement BDSEuropalestineLa Revue du Mauss, Le Monde Diplomatique et même la CNT !!! Sans oublier, bien entendu, vos humbles serviteurs du Cercle des Volontaires.
Les références « intellectuelles » des Enragés en disent long sur leur programme. La revue Ni Patrie Ni Frontières est citée. Ni patrie ni frontières, ce pourrait être la devise de George Soros et de Warren Buffet. Une alliance objective entre mondialistes capitalistes et mondialistes « anticapitalistes » en somme. L’arme la plus puissante de « l’oligarchie néolibérale intégrée », vous le savez, c’est la dérégulation complète de la circulation des capitaux, des marchandises, mais aussi des personnes. Vous ne pouvez pas critiquer frontalement cette dernière, qui se manifeste par l’immigration massive légale et clandestine favorisant le dumping social exigé par les patrons des multinationales, fournissant une main d’œuvre docile et bon marché. Vous ne le pouvez pas, parce que vous savez que les « antifascistes » veillent, et qu’ils sont prêts, à tout moment, à vous accuser de racisme et à vous expulser vous aussi manu militari, si seulement vous osiez évoquer le sujet. C’est bien dommage, car vous aviez si bien décrit par le passé la mission dont la gauche est dépositaire, à savoir ne pas se laisser déposséder par le Front National des sujets d’importance, ne pas se laisser tétaniser par la menace de se faire traiter de « fasciste ».
Au lieu d’appréhender cette question complexe devant cette assemblée, comme vous l’aviez si bien fait ci-dessus, et de créer une brèche réellement révolutionnaire (la critique à gauche, non pas des immigrés, comme les antiracistes PS et antifascistes essaient de le faire croire, mais du système néolibéral qui organise structurellement cette immigration), vous vous aplatissez désormais devant ce chantage au fascisme en traitant d’ « identitaire » quiconque s’aventurerait à se poser ne serait-ce qu’en lui-même cette question. Contrairement à ce que vous pensez, vous n’êtes absolument pas en opposition frontale avec Finkielkraut sur ce sujet, puisqu’il a de longue date accompagné la progression de l’antiracisme institutionnel (il est toujours aujourd’hui membre du comité d’honneur de la LICRA). Vous critiquez
« les structures du néolibéralisme qui ont précisément pour effet et peut-être même pour projet de frapper d’impossibilité toutes ces revendications »
mais par ce chantage à la menace « identitaire », vous vous constituez vous-même en agent des structures du néolibéralisme, en agent de neutralisation des possibilités réelles du changement, et vous ne vous rapprochez de l’orthodoxie de votre clientèle du moment qu’au prix fort de l’éloignement de la réalité du monde des travailleurs, que vous n’avez, semble-t-il, jamais côtoyé de l’intérieur. Vous vous rendez, vous et tous ceux qui vous suivent, inoffensifs par ce chantage symétrique au chantage à l’antisémitisme de Finkielkraut. En politique comme en sciences sociales, les mots sont importants. Si vous vouliez viser le chantage à l’antisémitisme de Finkielkraut, il aurait fallu dire « communautaire », et non « identitaire ». Mais vous ne le pouvez pas, car la politique communautariste est un des ingrédients majeurs du succès électoral de la Gauche dans certaines banlieues ostracisées. « Identitaire » et « communautaire » sont loin d’être synonymes. Le réduction à « l’identitaire » que vous effectuez vise justement toutes les critiques du communautarisme, insinuant que l’essence de ces critiques serait intrinsèquement raciste.
La question demeure : en définissant toutes les tentatives de résistance citoyenne et souverainiste au mondialisme comme « fascistes », les « antifascistes » en question ont-ils conscience de servir les intérêts du capital ? Plus grave encore, lorsque vous définissez le « citoyennisme » comme ennemi de la Nuit Debout dans vos discours, avez-vous conscience de faire un appel du pied à ce type d’ « antifascisme », et éventuellement de cautionner les violences physiques dont ses propagateurs pourraient être les auteurs, notamment à votre encontre, vous le « chauvin-socialiste » ? Vous qui tenez tant à « sortir du cadre », pourquoi vous enfermer dans la peur de cette accusation « rouge-brune » où tentent de vous enfermer les « chefferies éditocrates néolibérales » sur votre « droite », comme les antifascistes de cette sorte sur votre « gauche » ? Vous êtes trop intelligent pour ne pas comprendre que de telles condamnations ne visent qu’à neutraliser toute véritable entreprise de souveraineté populaire et nationale.
On sent bien que devant l’ampleur de la tâche essentielle que vous déterminez (interdire les banques d’activité spéculatives, neutraliser le pouvoir actionnarial, dégommer les traités assassins, les traités européens et le TAFTA), vous sentez votre auditoire attentif, mais impuissant. Aussi est-il plus facile de s’en prendre à l’ « unanimisme démocratique ». « Il faut mettre des grains de sable partout », dites-vous, en donnant un exemple édifiant : « débouler dans la nuit des débats d’Anne Hidalgo ». La perspective est moins ambitieuse que celle de prendre La Défense à l’assaut des banques d’activités spéculatives. Des grains de sable, vous en voulez « partout », sauf à Nuit Debout.
Laissez-moi vous dire une ou deux choses concernant la « menace fasciste » qui terrorise les « antifas » des Enragés, et que vous redoutez de voir se propager place de la République. Il est signifiant, concernant cette question, que vous ayezactivement participé à la mise en place d’un « cordon sanitaire » à gauche, en compagnie notamment de Philippe Corcuff et de votre camarade du Monde Diplomatique Serge Halimi, visant à isoler Jean-Claude Michéa, qui critiquait pour sa part dans un entretien accordé à la Revue Ballast le 4 février 2015
« cet « antifascisme » abstrait et purement instrumental sous lequel, depuis 1984, la gauche moderne ne cesse de dissimuler sa conversion définitive au libéralisme. Bernard-Henri Lévy l’avait d’ailleurs reconnu lui-même lorsqu’il écrivait, à l’époque, que « le seul débat de notre temps [autrement dit, le seul qui puisse être encore médiatiquement autorisé] doit être celui du fascisme et de l’antifascisme ».
Il définissait par ailleurs dans cet entretien « le désastreux naufrage intellectuel de la gauche occidentale moderne » par
« son incapacité croissante à admettre que la liberté d’expression c’est d’abord et toujours, selon la formule deRosa Luxemburg, la liberté de celui qui pense autrement. »
Ce qui circonscrit une grande partie des problèmes que posent vos positions récentes. Écoutez donc ce qui est peut-être la meilleure leçon à tirer d’un ministre en terme de politique intérieure dans l’histoire récente du « socialisme » français :
« Pendant toutes les années du mitterrandisme, nous n’avons jamais été face à une menace fasciste, et donc tout antifascisme n’était que du théâtre. Nous avons été face à un parti, le Front National, qui était un parti d’extrême droite, un parti populiste, aussi, à sa façon, mais nous n’avons jamais été dans une situation de menace fasciste, et même pas face à un parti fasciste ».
https://www.youtube.com/watch?v=xY3jUuFBWIM
Ces mots sont d’un homme qui est bien placé pour témoigner, puisqu’ils ont été prononcés par Lionel Jospin dans l’émission Répliques de ce cher Finkielkraut (encore lui, décidément), le 29 septembre 2007. Comme disait ma grand-mère (référence ô combien réactionnaire et fascisante) les vieilles recettes font les meilleures soupes, et la soupe socialiste « antifasciste » des années Hollande n’a rien à envier aux potages mitterrandiens. Vous qui vous êtes spécialisé dans le commentaire philosophique de la dimension politique du concept de souveraineté, vous devez certainement vous souvenir de cette leçon inspirée d’une devise du sénat romain, que soufflait Machiavel à l’oreille de son Prince (pas le chanteur, l’autre…) : divide et impera, divise et tu régneras.
« Nous ne sommes pas amis avec tout le monde et nous n’apportons pas la paix », déclarez-vous.
Soit, reste à savoir à qui vous voulez faire la guerre et avec qui vous voulez la mener. Si vous décidez de la mener contre les souverainistes qui refusent de plier au chantage du monopole moral de « la gauche », avec la clique de cette sorte  « d’antifascistes » qui vous soupçonnera toujours d’être un « social-chauviniste » à la solde d’une cinquième colonne néonazie, libre à vous. Libre à vous de vous acharner comme dans la tragédie de Shakespeare (dont nous fêtons le 400è anniversaire) Hamlet, à vous confronter à des fantômes. Mais ne vous étonnez pas de trouver, hors des mouvements sociaux, peu de soutien dans le peuple, qui se fiche de vos guerres de chapelle, et dont la réalité diverge des petits cénacles de profs et de retraités remplissant les chaises des conférences d’ATTAC et de des Amis du Monde Diplomatique (qui font par ailleurs un excellent travail pédagogique qu’il n’est pas ici question de remettre en question). Vous ne pouvez pas reprocher au peuple de refuser d’adopter les œillères de la mafia syndicale de gauche qui l’a si souvent trahi et qui le trahit encore quotidiennement de manière éhontée. Comment votre camarade François Ruffin, si bien informé, dont nous ne doutons pas de la bonne foi, peut-il voir dans une « jonction » avec ces organisations syndicales un aboutissement de la convergence des luttes de la Nuit Debout ?
voir cette courte vidéo : 

http://www.dailymotion.com/video/x45bpp5_la-demande-tres-particuliere-de-la-cgt-et-de-fo-au-gouvernement_news
Le dépassement du « clivage gauche droite » est consommé depuis des lustres du côté de l’oligarchie. Énormément de Français, pour qui ce clivage n’a plus de sens, sont prêts à s’engager dans les luttes concrètes que vous proposez contre les banques d’activité spéculative, le pouvoir actionnarial, les traités assassins, les traités européens et le TAFTA. Ne gâchez pas ce potentiel par goût de l’entre-soi, pour le simple confort de conserver cette « remarquable homogénéité sociologique » que vous dénonciez avec justesse dans les manifestations de soutien à Charlie Hebdo.
L’idée la plus belle, la plus puissante et la plus intelligente qui ait émergé de la Nuit Debout, c’est celle d’une pratique vivante et permanente de la convergence des luttes. C’est elle qui fait peur à tous les esprits binaires, des « antifascistes » au Parti Socialiste, que l’idée de réconciliation véritable contrarie. Ne gâchez pas le potentiel de cette belle idée en vous trompant (volontairement ?) d’ennemi par facilité. Il est plus facile de légitimer le lynchage d’un homme seul avec sa femme depuis votre chaire, que d’aller occuper les vraies places du pouvoir. Vous pouvez me répondre qu’il n’est pas seul, qu’il a tous les médias (nous compris à en croire certains qui ne nous ont pas demandé notre avis…) derrière lui ; rien n’y fait, je ne marche pas. L’expulsion de Finkielkraut est un épiphénomène, et il n’y a pas de quoi vous en galvaniser. C’est une victoire ni pour lui ni pour vous. Elle piétine un peu plus les fondements de cette décence commune défendue par Orwell et Michéa qui suscite tant de sarcasmes de votre part, voilà tout.
Si vous voulez commencer à « vraiment embêter » les tenants de l’oligarchie, prônez une alliance de tous les souverainistes luttant pour le développement des conditions de possibilité d’une démocratie réelle et d’un retour à la souveraineté nationale. Vous verrez qu’effectivement, vous serez défini comme « rouge-brun », qu’effectivement, vous ne serez plus accueilli avec tant de mansuétude dans les studios de Radio France ou de France Télévisions, et quel’Express ne vous dira plus merci. Vous cherchez le signe qui vous dira que vous commencez vraiment à les embêter ? Tel sera ce signe. Tant que ce n’est pas le cas, ne vous étonnez pas que Monsieur Ruffin soit invité sur le plateau deLaurent Ruquier (en attendant ce jour, nous nous réjouissons que son discours puisse être médiatisé), et que la Nuit Debout fasse la Une de toute la grande presse capitaliste. Quand l’extrême gauche internationaliste et les éditocrates néolibéraux s’accorderont pour vous traiter de « fasciste », ce sera le signe qu’effectivement, vous commencez à inquiéter sérieusement « une ou deux personnes », comme vous en avez la légitime ambition. Mais cette vérité aura un prix Monsieur Lordon, et ce jour-là, ne vous étonnez pas de vous faire expulser manu militari des places publiques, avec autrement plus de violence qu’Alain Finkielkraut.
Dans l’espérance d’une convergence des luttes à venir assez judicieuse pour que ce qui nous unit demeure plus fort que ce qui nous divise,
Galil Agar.
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Pour aller plus loin :
Un excellent article de Frédéric Lordon lui-même, ironisant sur la chasse aux « conspirationnistes » (spécialité « antifasciste ») et sur le concept de complot : « Conspirationnisme : la paille et la poutre », 24 août 2012, La pompe à phynance, les blogs du « Diplo ».
Une synthèse assez drôle de cet article en images : https://www.youtube.com/watch?v=uJnAhGGdCjI
Tous les antifascistes ne sont pas à mettre dans le même panier ! Certains ont conscience que l’hystérie des membres les plus « zélés » de certaines de leurs branches desservent leur cause et servent le pouvoir en place, qu’ils entendent combattre. Avant de faire « la chasse aux infiltrations » dans toutes les strates de la société, ces antifascistes raisonnés balaient devant leur propre porte. Ils ont conscience que la mouvance antifasciste est elle-même noyautée par des agents provocateurs cherchant à les discréditer. Le CVIPMA, Comité de Vigilance contre les Infiltrations Policières dans le Mouvement Antifasciste, a longtemps effectué ce travail de manière remarquable. Le CVIPMA définit ainsi l’antifa légitime :
« L’antifa légitime est d’abord indépendant des idéologies et de leurs relais médiatiques. Il se méfie des abus de langage, des amalgames. Il combat le fascisme quand il se présente, et il combat les autres idéologies meurtrières et aliénantes pour ce qu’elles sont. Pas pour régler des comptes, pas pour servir l’ordre dominant à une époque donnée. C’est une posture critique et lucide, qui sait se garder des slogans et mythes de ceux qui se réapproprient l’antifascisme. Afin que ce combat ne dérive pas vers des objectifs de reproduction de l’ordre dominant, ni ceux de le réémergence d’idéologies aussi meurtrières qui appartiennent au passé. Ses principaux ennemis sont d’abord les faux antifas. Parce que le fascisme ne peut être combattu si on les laisse dénaturer cette cause. »
Deux articles très critiques sur les débouchés de la Nuit Debout d’Eric Verhaeghe, sur le site d’inspiration libérale Contrepoints.org :  « La nuit debout n’aime toujours pas les prolos », « Congrès de la CGT, Nuit Debout : la culture de la contestation sociale ».
Sur la Gauche et le protectionnisme en France : François Ruffin, Leur grande trouillejournal intime de mes « pulsions protectionnistes », Les Liens qui Libèrent, 2011.
Sur la souveraineté et la démocratie : Frédéric Lordon, La Malfaçon : monnaie européenne et souveraineté démocratique, Paris, Les liens qui libèrent,‎ 2014.
Sur le scepticisme exprimé par Lordon vis-à-vis du concept de « Common decency » de George Orwell réhabilité par Michéa : « Misère de la décence ordinaire ? », par Florian Gulli, mouvements.info.
Une critique sévère d’Imperium, l’un des derniers ouvrages de Lordon, par Philippe Corcuff, « libertaire » également critique envers Michéa, accusant Lordon de « confusionnisme » : « En finir avec le « Lordon roi ? » Les intellos et la démocratie », rue89.nouvelobs.com.
Autre critique très sévère d’Imperium : « Lordon ou le symptôme de la dégénérescence de la pensée critique », par René Berthier, militant du groupe Gaston Leval de la Fédération Anarchiste.

De l'exclusion : réponse à Frédéric Lordon


par Jean Bricmont 
source : https://francais.rt.com/opinions/19941-de-exclusion-reponse-frederic-lordon

© Elliott VERDIERSource: AFP
L’essayiste belge Jean Bricmont, s'interroge sur le mouvement Nuit Debout et les propos de Frédéric Lordon qui a justifié l'expulsion d'Alain Finkielkraut par les organisateurs du mouvement.

En général, j'aime bien les travaux de François Ruffin, de Frédéric Lordon, le journal Fakir et le film Merci Patron. Je connais moins le mouvement Nuit Debout, mais il a au moins le mérite d'exister. On peut le traiter de «bobo» si on veut, mais il vaut mieux que les gens se rassemblent et discutent plutôt que de rester isolés derrière leur ordinateur.
Mais apprécier un mouvement ne veut pas dire s'abstenir de toute critique. Les propos, volontairement provocateurs, de Frédéric Lordon lors d'une assemblée générale organisée par le journal Fakir à la Bourse du travail le 20 avril 2016 ont suscité les cris d'orfraie des bien pensants.
Le problème dans le cas de Finkielkraut est que la place de la République, même «occupée» par Nuit Debout, reste un lieu public et Finkielkraut a le droit de s'y rendre, tout autant que Marine Le Pen ou son père d'ailleurs
En effet, dans son discours, Frédéric Lordon a justifié l'expulsion de la Place de la République de l'intellectuel Alain Finkielkraut, survenue quelques jours plus tôt, et qui avait déchaîné l'indignation des «chefferies médiatiques»  comme les appelle Lordon. L'argument de Lordon est qu'un mouvement social n'est pas là pour débattre avec tout le monde, sans jamais prendre de position.
En principe il a raison. Le problème dans le cas de Finkielkraut est que la place de la République, même «occupée» par Nuit Debout, reste un lieu public et Finkielkraut a le droit de s'y rendre, tout autant que Marine Le Pen ou son père d'ailleurs. Son expulsion est par conséquent illégale. Un mouvement social peut décider qu'il est nécessaire de violer la loi, mais, si on le fait, il faut réfléchir aux conséquences en termes tactiques et non pas raisonner uniquement au niveau «des principes».
Dans le cas de Finkielkraut, il était évident que son expulsion («épuration» comme il dit) allait provoquer une tempête médiatique contre le mouvement Nuit Debout. Il aurait été bien plus efficace tactiquement de lui demander de venir expliquer de façon contradictoire le traitement infligé par son cher Etat d'Israël aux Palestiniens ou en quoi un voile qui est porté par des millions de femmes dans le monde et l'a été dans le temps même en France, y compris par des femmes chrétiennes et juives, pose un tel problème à la «République».
Mais cela aurait supposé un degré de discipline auto-imposée qui est totalement irréalisable dans le cadre d'un mouvement spontané comme Nuit Debout au sein duquel Finkielkraut suscite une haine aussi profonde que compréhensible.
Plutôt que de justifier son expulsion il aurait mieux valu la considérer comme erreur tactique, regrettable mais inévitable.
Il est paradoxal de s'inquiéter d'accusations possibles de «rouge-brunisme» de la part de ces médias que l'on méprise par ailleurs (à juste titre) et en particulier lorsqu'ils accusent le mouvement d'intolérance dans l'affaire Finkielkraut
Mais il y a un  problème bien plus sérieux dans ce que propose Frédéric Lordon, et qui n'a évidemment pas attiré l'attention des médias : c'est lorsqu'il parle de  la «chasse aux infiltrations» dans Nuit Debout faite «méthodiquement» par  le «service Accueil et Sérénité». Il souligne que «les médias seraient les premiers à nous faire le procès de devenir rouge-brun» si cette chasse n'était pas faite.
Tout d'abord, il est paradoxal de s'inquiéter d'accusations possibles de «rouge-brunisme» de la part de ces médias que l'on méprise par ailleurs (à juste titre) et en particulier lorsqu'ils accusent le mouvement d'intolérance dans l'affaire Finkielkraut. Pourquoi faudrait-il subitement obéir à leurs injonctions lorsqu'il s'agit de faire la chasse aux rouges-bruns ?
C'est l'exemple typique de la révolution qui dévore ses enfants, sauf qu'ici il n'y a pas de révolution
Ensuite, de quelle chasse parle-t-on au juste ? Les vraies infiltrations dans les mouvements politiques ne sont pas faites par les gens qui en sont des critiques explicites (par exemple, les militants d'Egalité et Réconciliation par rapport à Nuit Debout) mais par ceux qui proclament en être les plus ardents défenseurs. Les mouvements de résistance n'ont évidemment jamais été infiltrés par des gens qui se réclamaient du fascisme mais bien de l'antifascisme.
Ce qui nous amène à la question de savoir qui est exclu aujourd'hui des mouvements populaires et ce que veut dire aujourd'hui l'antifascisme. Etienne Chouard, défenseur du tirage au sort, a dit qu'il n'irait pas à Nuit Debout pour éviter d'y être attaqué pas les «antifas». Sylvain Baron, militant souverainiste, lui, y a été et a été attaqué à plusieurs reprises par les mêmes.
Ce qui se passe est une forme subtile de maccarthisme, mais au lieu d’attaquer tout ce qui est suspect de communisme, on attaque tout ce qui est suspect de fascisme ou d’antisémitisme
Plus généralement, on ne compte plus les conférences supprimées, les invités désinvités à la dernière minute et même les attaques physiques dues à la «lutte contre le fascisme». Des sites internet sont consacrés à cette lutte imaginaire et à la diffamation de tous les militants souverainistes, pacifistes ou anti-impérialistes (comme par exemple le Belge Michel Collon). La papesse de l'antifascisme, Ornella Guyet, va même dans son délire de pureté idéologique jusqu'à reprocher à Lordon et à Ruffin de ne pas faire assez le ménage autour d'eux.
C'est l'exemple typique de la révolution qui dévore ses enfants, sauf qu'ici il n'y a pas de révolution. Ce qui se passe est une forme subtile de maccarthisme, mais au lieu d’attaquer tout ce qui est suspect de communisme, on attaque tout ce qui est suspect de fascisme ou d’antisémitisme ; du coup, une partie de la gauche, qui ne réfléchit pas plus loin que le bout de son nez, applaudit et participe à cette chasse aux sorcières.
Une fois que l’on prend conscience du fait que le problème principal n’est pas l’infiltration du mouvement social par des «fascistes» mais bien l’utilisation de l’accusation de fascisme ou d’être d’extrême-droite 
Je ne reproche pas à Lordon et à Ruffin de tomber dans ce travers, dont ils sont parfois eux-mêmes victimes, mais les propos de Lordon cités ci-dessus suggèrent que sa façon de réagir n’est pas optimale. Une fois que l’on prend conscience du fait que le problème principal n’est pas l’infiltration du mouvement social par des «fascistes» (phénomène qui existe peut-être mais est très marginal) mais bien l’utilisation de l’accusation de fascisme ou d’être d’extrême-droite par des gens qui ne se soucient nullement de fournir des preuves de ce qu’ils avancent, ni de débattre de façon contradictoire avec leurs adversaires, et dont les motivations profondes sont pour le moins obscures, il faudrait accepter trois règles avant d’exclure des gens de mouvement sociaux actuels ou futurs au nom de la «lutte contre le fascisme» :
-que les accusations soient bien définies (le souverainisme est-il fasciste ? De Gaulle ou le PCF de son époque étaient-ils fascistes ?).
-qu’elles soient fondées sur des écrits et pas des on-dits ou des ragots.
-que les individus accusés puissent se défendre (par exemple, en replaçant leurs propos dans leur contexte).
Oublier ces règles élémentaires, qui ne sont jamais que celles d’une justice équitable, c’est ouvrir toutes grandes les portes à l’auto-destruction du mouvement par les vrais «infiltrés», à savoir des gens qui sèment la division en poussant chacun à accuser son voisin de manquer de pureté idéologique ou de vigilance politique. Il est d’ailleurs piquant de voir qu’une gauche soi-disant anarchiste, qui professe un anticommunisme virulent, reproduit dans sa pratique les pires travers du stalinisme.
L’attaque contre Livingstone ainsi que les attaques répétées contre un soi-disant antisémitisme qui sévirait dans le parti travailliste a évidemment pour but de renverser Corbyn
Pour se convaincre de la gravité du problème, il suffit de voir ce qui se passe outre-Manche : l’ancien maire de Londres, Ken Livingstone, un des principaux personnages de la gauche du parti travailliste a été exclu de son parti pour «antisémitisme», simplement parce qu’il a rappelé l’accord dit «de transfert» passé entre les Nazis et certains dirigeants sionistes en 1933 et qui visait à transférer des juifs allemands vers la Palestine. Que cet accord ait existé n’est pas contesté et on voit mal pourquoi rappeler une vérité historique serait antisémite. L’attaque contre Livingstone ainsi que les attaques répétées contre un soi-disant antisémitisme qui sévirait dans le parti travailliste a évidemment pour but de renverser Corbyn, le nouveau et populaire leader du parti, bien trop à gauche pour certains.
Si le mouvement Nuit Debout veut réussir, il devra s’adresser à des couches bien plus larges de la population que celles auxquelles il s’adresse aujourd’hui
Si la direction du parti travailliste commet une erreur, ce n’est pas de laisser des antisémites dans le parti mais plutôt de se laisser diviser et détruire de l’intérieur par des fausses accusations d’antisémitisme.
Par ailleurs, si le mouvement Nuit Debout veut réussir, il devra s’adresser à des couches bien plus larges de la population que celles auxquelles il s’adresse aujourd’hui, même si on y ajoute les syndicats et les «banlieues». Et pour cela, il faudra faire preuve d’un maximum d’ouverture d’esprit et d’aptitude au débat contradictoire, ce qui est l’exact opposé de l’esprit de chasse aux sorcières «antifasciste» qui empoisonne les mouvements actuels. Ce sont les semeurs de zizanie qui devraient être la cible principale de la «chasse aux infiltrations» chère à Frédéric Lordon.

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