source : http://www.chroniquesdugrandjeu.com/2017/01/goebbels-peut-aller-se-coucher.html
Le boiteux d'Hitler doit se retourner dans sa tombe en voyant le degré de perversion propagandiste de nos bonnes démocraties occidentales depuis 25 ans. L'élève a dépassé - que dis-je ! - écrasé le maître. Certes, cela avait déjà commencé auparavant ("incident" du Golfe du Tonkin etc.) mais le niveau atteint depuis dépasse l'imagination.
Le mot "démocratie" n'est pas anodin ici, car le mensonge en est malheureusement constitutif, du moins en politique étrangère. Lorsqu'un gouvernement démocratique souhaite déclencher une guerre, il doit "travailler" son opinion publique afin de la convaincre du bien-fondé de la chose. Un dictateur n'a pas de ces délicates attentions : il n'a pas d'opinion publique ! Deux-trois petits mensonges pour la forme et c'est emballé. La démocratie, elle, n'a pas cette chance, la pauvre ; ce n'est qu'après une patiente campagne de lobotomisation des esprits et une surenchère dans l'émotion et l'horreur (fabriquées de toute pièce tant qu'à faire) que le public finira par plier. Aussi ne doit-on pas être surpris de l'intoxication orwelienne à laquelle nous assistons depuis un quart de siècle.
Au commencement était le Verbe... et le Koweït. La légendaire affaire des bébés-couveuse reste dans toutes les mémoires :
Les faux bébés koweïtiens
Montage. Pour faire accepter la guerre du Golfe, on invente un massacre de nouveau-nés.
"Je m'appelle Nayirah et je suis une jeune Koweïtienne. J'ai vu les soldats irakiens entrer avec leurs armes dans la maternité de l'hôpital de Koweit City. Ils ont arraché les bébés des couveuses, les ont emportés et les ont laissés mourir sur le sol froid." Les représentants du Comité des droits de l'homme du Congrès américain écoutent ce témoignage terrible dans un silence religieux. L'assistance est médusée devant cette barbarie gratuite de la soldatesque irakienne qui a envahi le Koweït le 2 août 1990. Nul ne demande, ce 10 octobre, à enquêter sur l'identité du témoin. Elle semble si sincère et si bouleversée, et on leur a expliqué qu'il était nécessaire de protéger sa famille restée au Koweït.
Les représentants américains ignorent donc que sous le pseudonyme de Nayirah se cache la propre fille de l'ambassadeur du Koweït aux Etats-Unis et qu'elle participe à la machination montée par le Koweït et les Etats-Unis pour faire accepter à l'opinion publique américaine et mondiale une future intervention militaire. Elle aura lieu en janvier 1991. Pour Washington, il ne suffit pas d'obliger le dictateur irakien à retirer ses troupes du Koweït, il faut casser l'Irak, ce pays trop peuplé, trop riche de ses hydrocarbures, à l'armée nombreuse et qui, dix ans auparavant, a eu des velléités de se doter de l'arme nucléaire. Inadmissible.
Le Koweït, soutenu par le Pentagone et la CIA, a fait appel à une agence de relations publiques, Hill and Knowlton, pour préparer les esprits à l'indispensable guerre. Coût du contrat : 10 millions de dollars. Quelques semaines plus tard, le très respecté quotidien The New York Times, le premier, rapportera des informations en provenance de l'ambassade américaine au Koweït. Un article explique que, dans un télégramme envoyé au Département d'Etat, l'ambassadeur américain a cité les noms de deux médecins et d'une infirmière qui ont vu des soldats irakiens tuer des prématurés dans un hôpital de Koweit City.
Mal absolu. D'autres témoignages suivront jusqu'à la réunion du Conseil de sécurité des Nations unies, le 29 novembre 1990. Les membres permanents du Conseil doivent voter une résolution autorisant un éventuel recours à la force militaire en Irak. Ils entendent eux aussi des témoins d'exactions irakiennes, dont un chirurgien qui affirme avoir enterré lui-même une dizaine de nouveau-nés jetés hors de leur couveuse par les soldats. Son témoignage de première main n'est pas mis en doute. D'ailleurs, le président George Bush lui-même n'a-t-il pas fait état, à deux reprises, lors de ses interventions télévisées, de l'affaire des bébés koweïtiens ?
Lorsque Amnesty International et l'Observatoire des droits de l'homme au Moyen-Orient mettront ces affirmations en doute, faute d'avoir trouvé des témoins fiables pour les corroborer, nul ne les écoutera. Les opinions publiques sont convaincues que Saddam Hussein est le mal absolu et que son armée est coupable de toutes les barbaries. L'opération de désinformation a pleinement réussi.
Pour un coup d'essai, ce fut un coup de maître. Outre le déjà affligeant New York Times, notons que nous retrouvons dans cette invraisemblable intox des thèmes bien familiers et actuels : témoignages de "docteurs", érection de l'ennemi en monstre absolu (le "boucher de Damas")...
Passent quelques années au cours desquelles les propagandistes de l'empire reprennent sans doute leur souffle pour repartir de plus belle avec le génocide inventé du Kosovo :
« Quand on connaîtra toute la vérité, je crois qu’elle sera plus dure que tout ce qu’on peut supporter. » Signée Joshka Fischer, ministre allemand des affaires étrangères, cette prophétie lui permit d’imaginer en Yougoslavie une guerre « ethnique du type des années 30 et 40 » (Le Monde, 10 avril 1999). Rudolf Scharping, son homologue de la défense, préféra parler carrément de « génocide » (Le Monde, 3 avril), alors même que le président Clinton n’évoquait qu’une intention de ce type : « des efforts délibérés, systématiques de génocide » (cité par l’hebdomadaire The New Statesmen, 15 novembre). Quand M. Anthony Blair leur emboîta le pas, il ajouta deux adjectifs : « Je vous le promets maintenant, Milosevic et son génocide racial hideux sera défait » (cité par The Guardian, 28 octobre 1999). Ce fut donc « au service du droit, (…) au nom de la liberté et de la justice »(Lionel Jospin, Le Monde, 27 mars) que, pendant soixante dix-huit jours, l’OTAN bombarda la Yougoslavie.
Dans la plupart des grands médias, chacun - à de rares exceptions près - allait broder sur ces thèmes. M. Zaki Laïdi évoque « l’établissement d’une nouvelle liste de Schindler » (Libération, 9 avril). Mme Françoise Giroud écrit : « M. Milosevic purifie. Chacun sa méthode, on doit manquer de chambres à gaz, en Serbie... » (Le Nouvel Observateur, 1er avril). Et quand, à rebours des traditions satiriques libertaires et pacifistes de son hebdomadaire, Philippe Val défend l’intervention de l’OTAN dans Charlie Hebdo (31 mars), il argumente : « Lisons un journal, en remplaçant « Kosovar » par « Juif ». Les troupes de Milosevic organisent des pogroms, détruisent les villages, assassinent les hommes, et contraignent à l’exode femmes et enfants juifs. Qu’est-ce qu’on fait, on intervient, ou pas ? Ah, je sens un flottement, même parmi les pacifistes. A part les équivalents de Céline, de Drieu La Rochelle et des communistes solidaires du pacte germano-soviétique, on décide fermement qu’on ne peut pas laisser faire ça. »
A l’époque, il est vrai, les nouvelles que les dirigeants occidentaux assurent avoir du Kosovo sont réellement terrifiantes. Un responsable de l’administration américaine confie au New York Times (4 avril) : « Il pourrait y avoir cinquante Srebrenica » (soit 350 000 morts). Un autre est cité par le journal télévisé d’ABC (18 avril) : « Des dizaines de milliers de jeunes hommes pourraient avoir été exécutés. » Le département d’Etat annonce le lendemain que 500 000 Kosovars albanais « sont manquants et l’on craint qu’ils n’aient été tués. » Un mois plus tard, M. William Cohen, ministre de la défense, parle de 100 000 disparus, précisant : « Ils pourraient avoir été assassinés »(CBS, « Face the Nation », 16 mai).
Ces chiffres sont promptement repris par la télévision française. Jean-Pierre Pernaut, par exemple, évoque de « 100 000 à 500 000 personnes qui auraient été tuées, mais tout ça est au conditionnel » (TF1, 20 avril). Le lendemain soir, la même chaîne annonce : « Selon l’OTAN, entre 100 000 et 500 000 hommes ont été portés disparus. On craint bien sûr qu’ils n’aient été exécutés par les Serbes(…) Bien évidemment, la preuve de l’accusation reste à faire ». La radio n’est pas en reste : sur France Inter, le journaliste accrédité auprès de l’OTAN répercute avec entrain des informations de l’Alliance selon lesquelles « des centaines de garçons serviraient de banque de sang vivantes, des milliers d’autres creuseraient des tombes ou des tranchées, les femmes seraient systématiquement violées »(20 avril, journal de 19 heures)...
Dans les tribunes d’intellectuels favorables à l’OTAN, l’indicatif va vite remplacer le conditionnel. Magistrat, secrétaire général de l’Institut des hautes études sur la justice, président du « comité Kosovo » et membre de la rédaction de la revueEsprit, Antoine Garapon déclare : « On ne peut pas mettre sur le même pied le probable millier de victimes serbes et les centaines de milliers de Kosovars massacrés » (Télérama, 23 juin). Il retarde déjà sur les discours officiels : la guerre gagnée, les estimations occidentales du nombre de morts albanais passent de six à cinq chiffres. Le 17 juin, le Foreign Office britannique déclare que « 10 000 personnes ont été tuées dans plus de 100 massacres » ; le 25, le président Clinton confirme le chiffre de 10 000 kosovars tués par les Serbes (cité par The Nation, 8 novembre). Nommé représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, M. Bernard Kouchner parlera, le 2 août, de 11 000 Kosovars exhumés des fosses communes - le Tribunal de La Haye démentira dans la journée. Même Le Monde diplomatique affirmera bien imprudemment à la « une » de son numéro d’août que « la moitié des 10 000 victimes présumées ont été exhumées ».
Or, neuf mois après l’entrée de la KFOR au Kosovo, rien, dans les conclusions des envoyés du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) comme des autres organisations internationales, n’est venu étayer l’accusation de « génocide ». Sauf à banaliser ce terme, en en faisant le simple synonyme de « massacre ».
(...)
Deux mois plus tard, John Laughland confirme dans The Spectator (20 novembre) : « Même si l’on estime que tous [les 2018 cadavres retrouvés par le TPIY] sont des Albanais assassinés pour des raisons ethniques, c’est un cinquième du nombre avancé par le Foreign Office en juin ; un cinquantième du nombre avancé par William Cohen en mai ; et un deux cent cinquantième du nombre suggéré par le département d’Etat en avril. Et pourtant même cette appréciation n’est pas justifiée. Premièrement, dans la grande majorité des cas, les corps étaient enterrés dans des tombes individuelles et non collectives. Deuxièmement, le Tribunal ne dit pas quel est l’âge et le sexe des victimes, sans parler de leur nationalité. Les causes de mort violente étaient nombreuses dans la province : plus de 100 Serbes et Albanais ont été tués lors d’attaques terroristes par l’UCK albanaise depuis le début de son insurrection en 1998 ; 426 soldats serbes et 114 policiers du ministère serbe de l’intérieur ont été tués pendant la guerre ; l’UCK, qui avait des dizaines de milliers d’hommes armés, a aussi subi des pertes, comme l’attestaient, dans les villes du Kosovo, les faire-part annonçant leur mort au combat ; et enfin plus de 200 personnes sont mortes depuis la guerre en marchant sur des bombes à fragmentation de l’OTAN qui n’avaient pas encore explosé. »
Mme Del Ponte, le procureur du TPIY, poursuit John Laughland, « insiste sur le fait que le chiffre [de 2 108] n’est pas un décompte définitif des victimes ni même un recensement complet des morts. (…) En fait, elle implique que le nombre final de cadavres pourrait être plus élevé lorsque les exhumations sur les « lieux de crimes » restants reprendront au printemps. Paul Risley [le porte-parole de Mme Del Ponte] explique que les exhumations ont été reportées « parce que le sol est gelé ». Or, il n’y a pas eu de gel au Kosovo et le sol n’est pas gelé : le jour où cet article était écrit (15 novembre), il pleuvait fortement sur la province et la température était de 10 degrés. On peut soupçonner l’arrivée de l’hiver de servir de prétexte pour repousser de plusieurs mois la question embarrassante du faible nombre de cadavres, dans l’espoir que les gens oublient. »
Le 22 novembre 1999, l’hebdomadaire américain Newsweek publie à son tour un article intitulé « Mathématiques macabres : le décompte des atrocités diminue ». On y lit : « En avril dernier, le département d’Etat américain disait que 500 000 Albanais ethniques avaient disparu au Kosovo et craignait qu’ils ne soient morts. Un mois plus tard, le secrétaire à la défense William Cohen affirmait à un journaliste de télévision que « près de 100 000 hommes en âge de porter les armes » avaient disparu. « Ils pourraient avoir été assassinés », disait-il. Après la fin de la guerre (…), l’OTAN a produit une estimation beaucoup plus basse du nombre d’Albanais tués par les Serbes : juste 10 000. Maintenant il apparaît que même ce chiffre, malgré quelques véritables atrocités commises par les Serbes, pourrait être un peu trop élevé. »
Les journalistes Daniel Pearl et Robert Block enquêtent à leur tour à Trpeca. Publié le 31 décembre à la « une » du Wall Street Journal, leur article choque - au point que le quotidien se rattrapera, le lendemain, avec un éditorial embarrassé justifiant malgré tout la guerre de l’OTAN. « A la fin de l’été, écrivent les reporters, des histoires d’installation de crémation comparable à celles des nazis étaient si répandues que les enquêteurs envoyèrent une équipe de trois gendarmes spéléologues français rechercher des cadavres dans la mine. Ils n’en ont trouvé aucun. Une autre équipe a analysé les cendres dans le fourneau. Elle n’a trouvé aucune dent ni autre signe de corps brûlés. Au Kosovo, au printemps dernier, les forces yougoslaves ont fait des choses atroces. Elles ont expulsé des centaines de milliers de Kosovars albanais, brûlant des maisons et se livrant à des exécutions sommaires. (…) Mais d’autres allégations - meurtres de masse indiscriminés, camps de viols, mutilation des morts - n’ont pas été confirmées(…). Des militants kosovars albanais, des organisations humanitaires, l’OTAN et les médias se sont alimentés les uns les autres pour donner crédibilité aux rumeurs de génocide. »
Pour expliquer une telle distance entre information et réalité, Pearl et Block insistent sur le rôle joué par l’UCK. « Un ancien correspondant de radio, Qemail Aliu, (…) et cinq autres journalistes se cachaient avec l’UCK dans les montagnes centrales du Kosovo, utilisant des téléphones portables pour s’informer auprès des commandants régionaux de la guérilla. Les émissions de radio étaient juste assez puissantes pour atteindre (…) Pristina, où un correspondant traduisait en anglais les reportages pour le site Internet de Kosova Press, l’agence de l’UCK. Quand le campement de la guérilla avait de l’électricité, M. Aliu écoutait les briefings de l’OTAN à la télévision. « Souvent, nous avons vu Jamie Shea parler à propos du nombre de morts, et c’étaient les chiffres donnés par Kosova Press », dit-il. »
Pour décrire ce qu’ils qualifient d’« obsession des tombes collectives », Pearl et Block donnent l’exemple de Ljubenic, un pauvre village de deux cents maisons à l’ouest du Kosovo. « Le 9 juillet, sur la base d’un « rapport d’opération » des Italiens, le major néerlandais Jan Joosten mentionne, durant un briefing de presse à Pristina, la découverte d’une tombe de masse où pourraient se trouver 350 corps. Les journalistes, explique-t-il, « ont commencé à faire leurs bagages pour partir à Ljubenic avant même la fin du briefing ». Le lendemain, à Londres, l’Independent proclamait : « La plus grande fosse commune contient 350 victimes ». (…) En fait, les enquêteurs ne trouvèrent aucun cadavre dans le champ. » Sur les affiches imprimées par l’UCK en guise de mémorial figurent soixante-cinq noms.
La presse allemande, elle aussi, a su prendre du recul. Le 10 janvier dernier, dans le Spiegel, Erich Follath constate au terme d’une longue enquête : « Pour remporter des succès sur le front de la propagande, les dirigeants démocrates de l’Ouest ont de temps en temps eu recours à des moyens douteux. Le ministre allemand de la défense se fait particulièrement remarquer par son utilisation inconsidérée de nouvelles sensationnelles. » Et de raconter comment « début avril, Scharping parle d’"indications à prendre au sérieux sur des camps de concentration au Kosovo ". Que le stade de Pristina ait été transformé en camp de concentration avec 100 000 hommes, voilà qui, d’emblée, ne paraît pas digne de foi aux experts. Des images prises par des drones allemands de surveillance réfutent d’ailleurs rapidement les affirmations de propagande du chef UCK Thaci.» Le même ministre recommence en exhibant, le 27 avril, « une nouvelle preuve des atrocités commises par les Serbes : les images d’un massacre de Kosovars. Il s’avère rapidement que l’agence de presse Reuters a déjà publié, trois mois auparavant des photos aussi horribles de ce massacre commis dans le village de Rugovo (…) Selon Reuters, les morts n’étaient pas des civils, mais des combattants de l’UCK, tués pour venger la mort d’un officier serbe. » Démenti, M. Scharping continuera néanmoins « à présenter comme des faits les récits horribles des victimes : les assassins « jouent au football avec des têtes coupées, dépècent des cadavres, arrachent les fœtus des femmes enceintes tuées et les font griller. » »
(...)
Comparaison valorisante avec un passé médiatique lamentable, soupçon infamant sur les intentions des analystes critiques : le terrain ainsi déblayé, l’autosatisfaction pouvait s’épanouir. Particulièrement suspectée dans le passé, la télévision fut la première propagandiste de sa propre excellence. Le présentateur du journal de France 2 s’esbaudit : « Depuis le début du conflit, il existe un grand choix de prudence et de modestie de la part de la presse française, et notamment chez nous. Il y a une attitude de vigilance à l’égard de toutes les sources d’informations. Nous avons un traitement radicalement différent de celui de la guerre du Golfe » (L’Humanité, 5 mai). Le directeur de l’information de TF1 fit chorus : « Les images du faux charnier en Roumanie, relayées par toutes les télévisions en 1989, ont créé une prise de conscience sur la puissance du média audiovisuel. Désormais, nous indiquons systématiquement dans quelles conditions nous obtenons les images, avec un effort permanent de rigueur et d’explication(...) La couverture du conflit est plus resserrée, mais plus sobre et plus rigoureuse. »
Le ton ainsi donné, chaque média tressa ses propres louanges. Le Point : « Nous avons évité les erreurs des conflits précédents, il n’y a eu ni désinformation, ni naïveté spectaculaire dans le suivi du Kosovo. La vigilance vis-à-vis des informations fournies par l’OTAN a été constante. » L’Express : « On a envoyé beaucoup de reporters sur place. On a essayé de donner une information précise, vérifiée, et de jouer notre rôle en fournissant l’analyse et la mise en perspective du conflit. » LCI : « Aujourd’hui, on sait prendre du recul. Par rapport à Jamie Shea, le porte-parole de l’OTAN, on relativise. On met tout en doute, puisqu’on ne peut rien prouver, on s’en tient à l’émotion des récits. » RTL : « On a appris deux choses : pas de glose pour occuper l’antenne sans informations et un soin extrême dans la façon dont on répercute ces informations en donnant précisément leur source. » Le Monde : « Ayant en mémoire les pièges dans lesquels étaient tombés certains médias lors de la guerre du Golfe, la rédaction se méfiait de la communication officielle (...) Montrer, expliquer, débattre : malgré quelques hésitations inévitables face à ce genre d’événement, Le Monde a largement rempli son contrat. » Le Journal du dimanche : « Echaudés par la guerre du Golfe, les médias français peuvent être cités en exemple, qui font - pour les deux camps - la traque à la désinformation. » La Tribune : « Nos médias ont bien raison d’être d’une prudence de lynx face à toutes les entreprises de désinformation. »
Franz-Olivier Giesbert eut beau dénoncer dans un éditorial le « bourrage de crane otanien » (Le Figaro Magazine, 17 avril) et Marianne fustiger à plusieurs reprises une « otanisation » de l’information, le consensus autocélébrateur devint à ce point contagieux qu’il déteignit sur quelques-uns des rares périodiques hostiles à la guerre. L’hebdomadaire Politis concéda imprudemment : « On est loin cette fois de l’unanimisme patriotard de la guerre du Golfe, et des confrères tenant micro sous le nez d’experts militaires en uniforme » (1er avril.) L’Humanité embraya : « Exit la guerre grand spectacle, le règne de l’information en continu synonyme de directs creux, les dérives journalistiques répétées. Les journalistes rendent compte de la guerre du Kosovo de manière beaucoup plus précautionneuse que lors du conflit irakien » (8 avril).
« Précautionneuse », le terme est assurément trop fort. Même si, pour être efficace, la manipulation doit tenir compte de la conscience de la manipulation et emprunter d’autres recours que les ruses éventées du passé. Avec une candeur presque émouvante, le correspondant de France Inter à Bruxelles auprès de l’OTAN expliqua ainsi : « Je pense n’avoir jamais été manipulé ou alors je l’étais tellement bien que je ne m’en suis pas rendu compte. (…) En gros, mentir ne sert à rien car tôt ou tard, tout se sait (…) Je n’ai pas perçu autre chose que des erreurs [de l’OTAN] qui ont été, loyalement je pense, corrigées. Et aussi, certains scrupules qui ne pouvaient que les desservir, c’est-à-dire, après chaque frappe sur une cible autre que celle qui était souhaitée, le temps nécessaire à l’enquête militaire et technique interne. Pour dire : « Hé bien oui, c’est bien nous qui avons démoli tel hôpital ou tel pont au moment où un convoi de chemin de fer s’engageait sur ce pont » » (Conférence, Press Club de France, Paris, 28 juin 1999.)
Dans ce dernier cas d’espèce, on sait à présent que l’OTAN a accéléré le film des images du train s’engageant sur le pont pour pouvoir prétexter la « bavure ». Et on sait aussi comment l’organisation atlantique manipulait la presse : « Pour les bavures, nous avions une tactique assez efficace, explique un général de l’OTAN. Le plus souvent, nous connaissions les causes et les conséquences exactes de ces erreurs. Mais pour anesthésier les opinions, nous disions que nous menions une enquête, que les hypothèses étaient multiples. Nous ne révélions la vérité que quinze jours plus tard, quand elle n’intéressait plus personne. L’opinion, ça se travaille comme le reste » (Le Nouvel Observateur, 1er juillet 1999).
A la fin de la guerre, Bruxelles pouvait donc se déclarer satisfait. M. Shea avoua même : « Beaucoup de journalistes sont venus me dire ces jours-ci qu’ils avaient apprécié les efforts que nous avions faits pour les informer » (LCI, 15 juin 1999). A Washington, on n’avait pas davantage eu motif à se plaindre. Pour M. Richard Holbrooke, l’un des architectes de la politique américaine dans les Balkans : « La couverture médiatique du New York Times, du Washington Post, de NBC, CBS ABC, CNN et des magazines a été extraordinaire et exemplaire » (Cité par Znet, 27 mai.)
On avait déjà entendu un de ces adjectifs enthousiastes lors de la guerre du Golfe. Le 26 mars 1991, sur CNN, M. Marlin Fitzwater, alors porte-parole de la Maison Blanche, n’avait-il pas reconnu : « Le président Bush trouve que la couverture médiatique de ce conflit est extraordinaire » ?
Grotesque lyrisme droit-de-l'hommiste ("l'humanité s'est effondrée à Alep") , mensonges éhontés, auto-congratulation de la presse, dénigrement inquisitorial des voix discordantes etc. Toute ressemblance avec des faits existants serait purement fortuite, n'est-ce pas...
Ce blog a suffisamment documenté la crasse désinformation de la journaloperie sur l'Ukraine ou la Syrie pour y revenir en détail. La dernière en date ne manque toutefois pas de sel : il s'agit pour les médias d'ignorer purement et simplement le blocage et l'empoisonnement de l'eau potable par les rebelles "modérés", mettant en danger les cinq millions d'habitants de Damas. Ce qui frise la tentative de crime contre l'humanité est tout simplement passé sous silence. L'ONU n'est pourtant pas amusée...
Sur une note plus légère quoique tout aussi imbécile, le Washington Post, torchon propagandiste s'il en est, est revenu sur ses accusations contre des hackers russes qui auraient piraté une compagnie électrique américaine (!) Ah non, finalement, c'était pas eux, sorry. Mais si, entre-temps, cette absurdité a pu convaincre quelques lecteurs de l'inénarrable "danger russe", c'est toujours bon à prendre...
Les cons osant tout comme dirait Audiard, ce sont ces mêmes médias qui hurlent au complotisme des "fake news", à la "propagande russe" et s'étonnent de ce que la confiance du public atteigne un plus bas historique. Comprennent-ils au moins ce qui se passe ? Pas sûr...
Si les retournements de veste de Time à propos de Trump sont pathétiquement amusants,
le système en décapilotade avancée semble vouloir doubler la mise dans un ultime effort. En Allemagne, le dernier journal indépendant est dans l'oeil du cyclone et Merkel commence à montrer certaines tendances führerines... En France, la médiatitude est trop saoudisée/américanisée/bruxellisée/les-trois-en-même-temps pour espérer une quelconque remise en question et, il y a quelques billets de cela, un fidèle lecteur avait d'ailleurs retranscrit l'hallucinée profession de foi auto-satisfaite d'un journaliste radio quasiment persuadé d'être en mission pour le Bien. Indécrottable...
Plus inquiétantes sont les nouvelles provenant d'outre-Atlantique. En digne successeur de Bush Jr, Obama a signé fin décembre le National Defense Authorization Act (NDAA) qui, comme son nom ne l'indique pas, concerne également la guerre de l'information. A été subrepticement inclus dans le NDAA le Countering Disinformation and Propaganda Act. Quand on connaît la fidélité toute relative du système impérial pour la vérité et l'information - on en a vu quelques exemples plus haut -, il y a de quoi s'inquiéter.
Naissance du Ministère de la Vérité ou, sous son petit nom orwellien, Miniver ? Après tout, Goebbels avait bien son Propagandaministerium...
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