samedi 28 mars 2020

La crise du coronavirus vue par le média Antipresse : voir au-delà de l'épidémie



ANTIPRESSE 226 | 29.3.2020

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Voir au-delà de l’épidémie. Lettre aux lecteurs et amis de l’Antipresse



Ramenons les choses à leur juste mesure. Un tremblement de terre d’où vous êtes sorti indemne restera moins profondément gravé dans votre souvenir qu’une mauvaise chute dans l’escalier qui vous a estropié. Nous pouvons nous faire contaminer par la fièvre collective en lisant les nouvelles de l’épidémie, c’est en définitive notre destin personnel, et celui de notre famille et de nos proches, qui nous préoccupe vraiment.
Cette épidémie, au jour où je parle, aurait contaminé un demi-million de personnes et fait 26’000 morts dans le monde, dont 200 en Suisse. Dans ce même pays, en 2017, une vague de grippe a causé, les six premières semaines de l’année, près de 1500 décès supplémentaires chez les personnes de plus de 65 ans par rapport aux chiffres normalement attendus à cette époque de l’année. Je cite des chiffres du gouvernement.
Ce n’est pas pour minimiser ce qui nous arrive, c’est pour le replacer dans un cadre rationnel et ne pas céder à l’envie de malheur. De toute façon, je l’ai dit, tout ce qui nous frappe dans notre propre vie et notre sécurité a la dimension d’un cataclysme, qu’il s’agisse d’une pandémie ou d’un drame familial. Des gens qui me sont proches ont été contaminés. Certains luttent avec leurs dernières énergies pour s’en sortir, pour d’autres c’est une grosse grippe.
Mais tout le monde est accroché aux nouvelles, alarmantes, approximatives, contradictoires. On essaie de deviner son propre sort dans des statistiques. Autant le chercher dans le marc de café.
Protégeons-nous comme il se doit, ne laissons aucune précaution de côté mais n’oublions pas que la meilleure armure n’a jamais empêché personne de mourir au combat. C’est la loi de la lutte et c’est la loi de la vie. Cette société s’effondre sous nos yeux pour avoir voulu l’oublier.
Ancrons-nous donc dans notre fragilité et essayons de garder les yeux grands ouverts. Nous sortirons de cette épidémie tôt ou tard. Si la mortalité du virus ne grimpe pas en flèche, l’immobilisation forcée des sociétés devra être levée avant la fin de l’alerte, parce que les dégâts du confinement, économiques, psychologiques, humains, dépasseront les risques de la contagion. Il va bien falloir sortir à l’air libre.
A ce moment-là, sans doute, nous remettrons en marche notre cerveau. Nous essaierons de comprendre ce qui s’est produit. Nous verrons un millier de choses qui dans la panique actuelle nous échappent — même des choses positives. Nous demanderons des comptes.
Car pendant que nous guettons les chiffres et attendons les thérapies miracles, les affaires continuent, et bien plus fort qu’avant. Sous couvert d’état d’urgence, on adopte des mesures qui ne seront pas levées avec le confinement. Au contraire: qui vont définir le monde où nous vivrons demain.
En France et ailleurs, on adapte les lois sur le travail à la situation de crise… sans aucune intention de revenir en arrière. En Allemagne, on a fermé les frontières pour tout le monde, sauf pour les migrants. Pourquoi? Sont-ils moins contagieux? En Suisse, en Autriche, partout, on vous propose de troquer votre liberté contre de l’hygiène, on trouve formidable de recopier le système de contrôle social chinois, absolu et totalitaire, fait pour une civilisation qui n’a rien à voir avec la nôtre, qui ignore l’autonomie de l’individu. En Orient, le divorce entre les États-Unis et la Chine est devenu agressif et irréversible. En Europe, ces mêmes États-Unis profitent de manœuvres militaires qu’ils n’ont pas annulées à cause du virus pour renucléariser l’Europe avec des armes tactiques tournées vers la Russie. En Russie, justement, on officialise l’autocratie. Partout, c’est déjà très visible, le citoyen est en train de se faire déposséder de ses droits et de ses avoirs au profit de l’État tout puissant ou des multinationales. Ou plutôt, d’une alliance des deux.
A l’issue de cette crise, des millions de gens vont se trouver dans la rue, des entreprises seront par terre et d’autres, comme Amazon, auront prospéré comme jamais de leur vie. Pourquoi la pandémie ne serait-elle une opportunité que pour les puissants et pas pour nous, pas pour les gens ordinaires?
Si nous devons saisir cette opportunité, ou au moins défendre ce qui est à nous, ce n’est pas après la crise que nous pouvons le faire. C’est maintenant, tout de suite. C’est le moment de nous demander comment nous avons pu nous laisser gouverner par des gens d’une telle incompétence, d’une telle lâcheté, d’une telle indécision. C’est le moment de nous demander comment il se fait que les systèmes de santé les plus sophistiqués, les plus coûteux au monde se soient effondrés en quelques jours devant cette épidémie, alors que des pays bien moins riches ont pu réagir et au moins se procurer les moyens de base, pourquoi les courbes de contagion grimpent en flèche dans les pays les plus développés et les plus aseptisés. C’est le moment de comprendre pourquoi la malheureuse Italie a été secourue par la Chine, Cuba et la Russie alors que ses voisins de l’UE n’auront pas bougé le petit doigt. C’est le moment de s’interroger pourquoi les neuf dixièmes des morts du virus dans le monde se situent dans l’Occident ultralibéral. C’est le moment d’admettre que les sociétés contaminées par l’ultralibéralisme n’en réchapperont pas.
A l’issue de cette crise, l’Union européenne n’existera plus sinon comme une survivance administrative d’un autre temps, à la fois oppressante et superflue. L’État de droit ne sera plus que du passé. C’est maintenant qu’il nous faut réfléchir comment nous allons protéger nos libertés et nos biens dans ce monde-là, non une fois qu’on nous aura dépouillés de tout.
Nous devons aujourd’hui, tout à la fois, nous ancrer dans le présent et nous projeter dans l’avenir, de toutes nos forces. Nous devons penser comme des auteurs de science-fiction. Les romanciers auront vu plus juste que tous les administrateurs et tous les analystes. Nous comprendrons très vite qu’il faut investir non seulement notre cerveau, mais encore notre cœur, notre âme et toute notre vie dans la compréhension de ce qui nous arrive. Parce que le prix de la survie, demain, risque d’être plus coûteux que la vie elle-même.
Vous voulez rester des individus libres, des citoyens, plutôt que de devenir une masse obéissante et manipulée? Nous aussi. Sortons de cette hypnose! Lisons ensemble, réfléchissons ensemble, restons critiques et mal élevés. Les masques qu’on nous fait porter ne doivent pas devenir des bâillons! Le grand poète Pouchkine, mis en quarantaine pendant trois mois à cause du choléra (qui était autrement plus meurtrier), n’a pas passé ses journées à feuilleter la chronique des décès ni à attendre le traitement qui sauve. Il en a profité pour produire des dizaines d’œuvres. Ce fut la période la plus fertile de sa courte vie. Et c’est le meilleur moyen de faire du miel avec la sueur de l’angoisse et de l’amertume.
L’Antipresse a été créée à cause de la crise des médias et pour les temps de crise. Ce n’est pas maintenant que nous allons bêler comme des moutons. A l’heure même où le système médiatique fondé sur la publicité s’effondre, la soif d’information et d’explication du public n’a jamais été aussi grande — et la confiance dans les médias transformés en porte-parole du pouvoir ne survivra pas à la peur qu’ils diffusent.
Nous invitons tous nos lecteurs à diffuser nos textes et nos dossiers, à faire connaître notre travail autour d’eux, à poster chaque article qui les a frappés sur les réseaux sociaux et à lever leur fronde contre tous les écrans de Big Brother. Nous sommes là pour leur servir les cailloux!
Slobodan Despot
PS — Les meilleurs moyens de nous soutenir dans notre développement:
4) …et avant toutes choses, nous faire découvrir en envoyant la présente lettre à tous vos amis!

Suggestions de lecture

Ce numéro de l’Antipresse est ouvert à tous. Nous vous proposons l’un des meilleurs remèdes au confinement et à la psychose: de bonnes lectures! Un itinéraire à travers les dossiers de l’Antipresse d’abord, deux ou trois «Lisez-moi ça!» — nos nouveaux billets de prescription littéraire —, enfin notre choix de 45 chefs-d’œuvre incontournables de la littérature mondiale qui n’emmerdent pas trop la jeunesse.

1) Explorez l’Antipresse (articles en libre accès)

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3) Lisez-moi ça!

Les suggestions de la semaine sont intégrées au blog et à la rubrique Turbulences, à la fin de la lettre.

LE BRUIT DU TEMPS par Slobodan Despot

LE JOURNAL DE CORONAFOIRUS

Lettres de Suisse à propos de contagions, d’illusions et d’un monde qui est déjà devenu du passé.
Familles en promenade. Vaud, printemps 2020. (c) Slobodan Despot  Familles en promenade. Vaud, printemps 2020. (c) Slobodan Despot
20.3.2020. Vendredi.
Ce n’est que lorsque les autorités cantonales eurent proclamé des mesures de contrainte que nous avons compris qu’il se passait vraiment quelque chose. Jusque-là, nous nous contentions d’observer et de commenter les malheurs des autres, comme d’habitude. Souvent les Suisses aiment relativiser les folies du monde avec leur sagesse furtive, la sagesse d’un peuple qui s’est faufilé à travers toutes les turbulences du torrent de l’histoire comme une loutre. Ils se barricadent derrière leur prospérité préservée avec une fierté un peu irréfléchie, comme un boxeur qui étale son dentier pour montrer qu’il n’y manque rien.
La Chine? Evidemment! Ces foules à perte de vue. Ces élevages monstrueux. Qu’est-ce qu’ils ne boufferaient pas, ces gens-là? Des chiens, des sauterelles, des chauves-souris… L’Italie? Ben voyons! L’Italie qui ne cesse de se couvrir de baci et de boire dans un même verre. Ce pays où la corruption fait même crouler les ponts, alors les hôpitaux, vous imaginez…
Pendant qu’on les claquemure dans leurs maisons, nous sirotons le café sur les terrasses et nous commentons. Vient le tour de la France. Ah, ces Français! Eternellement en guerre avec eux-mêmes, avec leurs querelles politiques, leurs banlieues en feu, leurs Gilets jaunes, leurs déficits chroniques…
Et puis soudain, pouf!, voici que le virus couronné s’invite en Suisse. Les Suisses étaient tellement convaincus d’être tombés dans le désinfectant quand ils étaient petits — comme Obélix dans la potion magique — que cette irruption les a terrassés avant même les premiers symptômes.
Moi-même, je ne comprenais pas ce qui se passait ici jusqu’au 10 mars, lorsque Svetlana, mon amie belgradoise, m’a écrit qu’elle ne viendrait pas nous voir le lendemain. Comment ça? Simple: les vols de et vers la Suisse sont annulés. La Serbie vient d’imposer la quarantaine aux voyageurs débarquant de Suisse.
Holà! Ai-je bien lu? Depuis quand la Serbie met-elle l’Occident sous quarantaine? N’est-ce pas le contraire qui est écrit dans le scénario, que c’est l’Occident qui se protège de la Serbie par les quarantaines, les blocus et les visas?
Soudain, ce jour-là, une pointe de nostalgie m’a traversé le cœur. Quand reverrais-je la Serbie? Je devais y aller justement cet hiver, mais j’ai sans cesse repoussé le voyage à cause de ce menu treillis de démarches, de vagues culpabilités et de microcontraintes helvétiques qui finit par vous clouer au sol comme Gulliver au pays de Liliput.
J’aurais encore pu sauter dans ma voiture et avaler les 1500 kilomètres d’un trait, en contournant l’Italie. Mais que sait où j’aurais pu rester confiné?
Je ne suis pas de ces hypocondriaques qui courent chaque hiver se faire vacciner contre la grippe. La grippe est une loterie et le vaccin, une gouttelette de poison assurée. En 2009, alors que le monde grelottait devant la grippe porcine, mes éditions ont publié H1N1, la pandémie de la peur de Bernard Dugué. Sur les 38 titres à traiter le sujet en cette rentrée-là, le pharmacologue français était le seul à dédramatiser, en pronostiquant des dégâts comparables à ceux d’une grippe saisonnière. Il avait raison. Ces jours-ci, un tel sang-froid nous vaudrait lynchage.
Evidemment, ce n’est jamais la même épidémie. Le COVID–19 est de toute évidence plus dangereux. Mais je ne vois toujours pas de motifs pour la psychose. Dans bien des situations extrêmes — naufrages, enlèvements, catastrophes naturelles — la psychose est plus dévastatrice que la menace concrète. Les pandémies sont précédées d’une onde de peur comme l’éclair précède la détonation.
En Suisse, à partir du moment où la menace a été officiellement attestée, le ciel léger des Alpes s’est instantanément transformé en couvercle de plomb. Avant même que nous ayons commencé à tousser.

Carte blanche à l’irrésolution

A Verbier, l’on plane toujours… (<a href="https://pixabay.com/users/berntsonlars-6093878/?utm_source=link-attribution&amp;utm_medium=referral&amp;utm_campaign=image&amp;utm_content=2582355">berntsonlars</a> sur <a href="https://pixabay.com/?utm_source=link-attribution&amp;utm_medium=referral&amp;utm_campaign=image&amp;utm_content=2582355">Pixabay</a>) A Verbier, l’on plane toujours… (berntsonlars sur Pixabay)
23.3.2020. Lundi.
Le canton du Valais est une vallée de Shangri-La au cœur des Alpes, au cœur de l’Europe, au cœur du monde. Depuis les sources du Rhône au lac Léman, une plaine juste assez large, des coteaux fertiles, de l’eau de glaciers — et donc de l’électricité — à profusion, du soleil comme en Italie, des vignobles partout. (Des pistes de ski aussi, mais ce sera bientôt un atout trop marginal pour le mentionner dans les flyers. D’ailleurs plus personne ne pensera au ski.)
Mieux encore: on n’entre en Valais que par un seul point autoroutier, le défilé de Saint-Maurice, et quelques cols. Avec 150 policiers postés aux bons endroits, le canton est verrouillé. Autant dire, la panic room idéale pour grossiums prévoyants, qui en cas de pépin pourront toujours poser leur GulfStream sur le bel aéroport ex-militaire de Sion.
C’est justement de ces migrants-là, semble-t-il, qu’est venu le problème. Alors que le Coronavirus envahissait les rives vaudoises du lac Léman, le Valais était relativement à l’abri. Mais voici que soudain l’épidémie s’est déclarée dans un cul-de-sac montagneux adulé par l’élite financière. A Verbier, le repli précipité des pauvres riches du Lac vers leurs résidences secondaires a créé un foyer d’infection.
Une médecin s’est alarmée: qu’attend le gouvernement pour mettre le foyer identifié sous quarantaine? A quoi la ministre cantonale de la Maladie, Mme Waeber-Kalbermatten, a répondu avec la résolution foudroyante qu’on lui connaît et par une formule qui est à calligraphier à l’entrée du Pavillon de l’Incorporelle Irresponsabilité (il doit sans doute y en avoir un, à la Cité interdite): Ben, faut voir. De toute façon, y a que le gouvernement fédéral à Berne qui puisse prononcer des quarantaines…
Parce que Berne, aujourd’hui, si un canton en cas de force majeure lui réclamait une quarantaine locale, refuserait de la lui accorder?
En attendant, le gouvernement, dont certains membres se pavanaient encore au début de la crise sur des pistes pour protéger le business de leurs électeurs influents, n’a pas pris non plus les décisions qu’il pouvait prendre. Ce matin, au téléphone, mon vieux copain Roger me faisait part de son amertume: «Tu comprends, ils verbalisent les jeunes qui s’assemblent à plus que cinq, mais ils laissent ouverts les chantiers où vingt ou trente types se frottent sans cesse…»
Je ne dis pas que la quarantaine est la bonne décision, ni qu’elle est mauvaise. Je n’en sais rien! Je relève seulement cette fâcheuse impression de bricolage. Les autorités navigueraient-elles à vue? Comme c’est bizarre! Elles ne nous avaient pas habitués à ça.
Mais non, ce n’est qu’une illusion d’optique. Leurs décisions sont parfaites. La preuve, c’est que ni le législatif ni la presse n’y trouvent rien à redire. Au contraire! Leur silence vaut plébiscite, et leurs paroles, laudation. Samedi dernier, le Nouvelliste, notre Pravda locale, lançait un éditorial pinochesque où il nous était intimé d’obéir, de nous taire et de ne surtout penser à rien. Grâce au CoV, on aura donc lu ça en Suisse! Seul parmi les journalistes à s’en alarmer de cette carte blanche délivrée à l’incompétence, Pascal Décaillet résumait bien le problème: «régime de crise, crise du régime».

Page 312, ou la soif d’аpocalypse

La fameuse page 312 de Sylvia Browne… La fameuse page 312 de Sylvia Browne…
24.03.2020. Mardi.
Depuis quelques jours, le net-village global se passionne pour les prophéties de Sylvia Browne. En 2008, la médium américaine publiait un livre sur la fin des temps où elle livre une description stupéfiante du fléau actuel:
«Vers 2020, une maladie ressemblant à une grave pneumonie se répandra à travers le monde, s’attaquant aux poumons et aux bronches et résistant à tous les traitements connus. Encore plus stupéfiante que la maladie elle-même sera sa soudaine disparition et sa réapparition 10 ans plus tard, avant de disparaître pour de bon aussi rapidement qu’elle était apparue.»
Un peu plus haut, sur la même page 312 (217 dans la version française), elle décrit aussi une saleté qui a tous les charmes de l’Ebola:
«Une infection bactérienne ressemblant à la maladie «dévoreuse de chair» d’il y a quelques années arrivera en 2010, transmise par des acariens presque microscopiques importés de manière indétectable sur des oiseaux exotiques. Les médicaments et antibiotiques connus seront totalement inefficaces contre cette maladie fongique extrêmement contagieuse, et ses victimes seront mises en quarantaine jusqu’à ce qu’on découvre que la bactérie peut être détruite par une combinaison de courants électriques et de chaleur extrême.»
Peu importe si, pour le reste, le livre regorge de prédictions farfelues. Certains sont aussitôt allés déterrer le best-seller de Dean Koontz, Les yeux des ténèbres publié en la lointaine année 1981, où paraît un un virus sciemment nommé Wuhan–400 par anticipation rétroactive — virus foudroyant, meurtrier à 100% et développé dans un laboratoire de la ville pour servir d’«arme parfaite» à la conquête chinoise du monde.
(A voir ce qui se passe en Europe, il suffit d’une léthalité et d’une virulence bien moindres pour mettre l’ennemi de l’Empire du Milieu à genoux!)
En France, on n’a même pas besoin de chercher aussi loin. Dans Le nouveau rapport de la CIA. Comment sera le monde en 2025, ouvrage dirigé par Alexandre Adler chez Robert Laffont en 2009, le fléau est décrit de manière beaucoup plus concrète:
«L’apparition d’une nouvelle maladie respiratoire humaine virulente, extrêmement contagieuse, pour laquelle il n’existe pas de traitement adéquat, pourrait déclencher une pandémie mondiale. Si une telle maladie apparaît, d’ici à 2025, des tensions et des conflits internes ou transfrontaliers ne manqueront pas d’éclater. En effet, les nations s’efforceront alors - avec des capacités insuffisantes - de contrôler les mouvements des populations cherchant à éviter l’infection ou de préserver leur accès aux ressources naturelles.»
Parmi les «candidats» au rôle d’ennemi n° 1 de l’humanité, on trouve la souche H5N1 de la grippe aviaire, mais également le Coronavirus. Et comme chez Koontz, la géolocalisation est activée:
«Si une maladie pandémique se déclare, ce sera sans doute dans une zone à forte densité de population, de grande proximité entre humains et animaux, comme il en existe en Chine et dans le Sud-Est asiatique où les populations vivent au contact du bétail. »
Je m’arrête là, les lecteurs complèteront en masse. Tout nous pousse à penser que le Coronavirus actuel, qui ressemble à s’y méprendre à une mine magnétique de la Première guerre mondiale, «flotte» dans les airs depuis des décennies, n’attendant que l’occasion d’accomplir sa tâche. Qu’est-ce à dire?
C’est là qu’est le grand dilemme. Les uns invoquent la colère divine et les signes avant-coureurs du Jugement. Les fondamentalistes américains ont déjà passé la vision de saint Jean au crible de l’épidémiologie et établi sans aucun doute possible que le quatrième cavalier de l’apocalypse sur son cheval blême répond au sympathique surnom de COVID–19. Les philatélistes de la Conspiration universelle pointent du doigt les pouvoirs invisibles et le «gouvernement mondial» en jubilant: «Héhé! Vous voyez? Tout se déroule selon le plan établi.» A leurs yeux, la Madame Soleil américaine n’a sans doute rien d’un médium: c’est juste une initiée qui balance des bombes par vindicte personnelle ou sur instructions — à bon entendeur! Derrière tout ça, bien entendu, il y a la CIA. Et derrière la CIA… je préfère ne pas vous le dire au téléphone!
Quand je me sens las de toutes ces supputations, j’allume Netflix et… je fixe le menu bouche bée comme un migrant chez Bocuse. Annihilation. Stranger Things. Pandemic. 3%. Crimson Rivers (Les Rivières pourpres, cocorico!).
Quelle destination choisir chez cette agence de voyages spécialisée dans le trekking aux enfers? On pourrait décrire la plus vaste usine de folklore contemporain comme une seule mégasérie avec une flopée de sous-épisodes mais une trame simple et limpide: En un temps de maléfices incompréhensibles et de destructions de masse causées par la mégalomanie technologique, les nantis se barricadent dans leurs forteresses et se protègent férocement des masses ensauvagées tandis que quelques cœurs purs risquent leur vie pour venir en aide aux plus faibles.
Que nous dit cette jolie fable, un peu gnangnan sur la fin? Que le Coronavirus, en quelque sorte, a littéralement jailli de l’imagination collective de même que dans le roman de Kōji Suzuki (et le film de Gore Verbinski) Le Cercle, la fillette morte jaillit de l’écran TV pour entraîner le spectateur aux enfers. Une telle «soif d’apocalypse» serait capable de transformer une tasse de camomille en arme de destruction massive.
  • Le journal de pandémie de Slobodan Despot, sous le titre général de «Coronafoirus» paraîtra également dès la semaine prochaine sur le site du magazine Marianne.

ENFUMAGES par Eric Werner

LA LIBERTÉ, MALGRÉ LES URGENCES!

Les sociétés européennes se trouvent aujourd’hui confrontées à de tels défis qu’il peut apparaître étrange, pour ne pas dire inactuel, de s’interroger sur ce que devient aujourd’hui la liberté en Europe. Ce n’est à coup sûr pas une priorité. Et pourtant c’est ce qu’on va essayer ici de faire malgré le couvre-feu matériel et mental imposé par la lutte contre le Coronavirus.
Les ailes de la libération. Graffiti du Mur de Berlin. Photo <a href="https://pixabay.com/users/wal_172619-12138562/?utm_source=link-attribution&amp;utm_medium=referral&amp;utm_campaign=image&amp;utm_content=4686909">wal_172619</a> de <a href="https://pixabay.com/?utm_source=link-attribution&amp;utm_medium=referral&amp;utm_campaign=image&amp;utm_content=4686909">Pixabay</a> Les ailes de la libération. Graffiti du Mur de Berlin. Photo wal_172619 de Pixabay
Il est beaucoup aujourd’hui question de «dérive autoritaire» en Europe. C’est évidemment un euphémisme. La vraie question, en fait, qui se pose (au-delà même de celle consistant à se demander si nous sommes encore en démocratie) est celle de l’État de droit. Que subsiste-t-il aujourd’hui encore dans nos pays de l’État de droit?
Je dis «nos pays», car la question ne se pose pas seulement dans certains d’entre eux à l’exclusion d’autres hypothétiquement mieux favorisés, mais peu ou prou partout. Un pays comme la France est évidemment en première ligne. Il serait fastidieux de dresser la liste de toutes les atteintes à l’État de droit survenues en France au cours de la période récente, en lien ou non avec l’épisode des Gilets jaunes. Ces atteintes sont graves et n’ont pas leur équivalent ailleurs. Mais il ne faut pas se faire d’illusions. On est certainement légitimé à insister sur la singularité française. Mais, d’une part, cette singularité n’est que relative, et d’autre part la France ne fait que précéder les autres pays dans une évolution d’ensemble n’épargnant, en fait, aucun pays. Elle a simplement une longueur d’avance.
Le problème doit donc être abordé à l’échelle du continent dans son ensemble. On admettra sans peine par exemple que les violences policières constatées ces derniers mois en France n’ont pas leur équivalent en Suisse. Mais divers scandales survenus récemment à Genève, ville frontalière, montrent que la Suisse n’est pas a priori à l’abri de tels débordements(1). D’autres exemples pourraient être cités, notamment un, il y a deux ans, dans le canton de Berne. L’affaire avait débouché dans une interpellation au Grand Conseil bernois. Les violences policières sont encore en Suisse l’exception. Mais il ne faut pas dire qu’elles n’existent pas.
Par ailleurs, les violences policières n’épuisent pas le problème. Ainsi, toujours en Suisse, le Parlement s’apprête à adopter un projet de loi sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme, projet de loi entérinant le principe selon lequel de telles mesures pourraient être prises en dehors de tout contrôle judiciaire. Il ne faut pas idéaliser la justice, ni bien sûr non plus surestimer son aptitude à protéger les libertés fondamentales (la violence judiciaire n’est pas un vain mot, elle n’a souvent rien à envier à la violence policière proprement dite), mais le contrôle judiciaire n’en est pas moins préférable à pas de contrôle du tout. Un tel contrôle ne garantit assurément pas en lui-même la survie des libertés fondamentales, mais peut en revanche, dans une certaine mesure au moins, la favoriser. Alors qu’avec sa suppression une telle survie devient hautement improbable, pour ne pas dire désespérée.

Le modèle français

La Suisse se borne ici à suivre l’exemple français, puisqu’en 2017 déjà le Parlement français avait décidé de transférer dans le droit ordinaire certaines dispositions de l’état d’urgence, au nombre desquelles, justement, l’abolition du contrôle judiciaire sur les actes des autorités en lien avec la lutte contre le «terrorisme». On met ici le mot «terrorisme» entre guillemets, car les autorités françaises ont tendance à user et abuser de cette notion en en donnant une interprétation très extensive. On est très vite aujourd’hui en France traité de «terroriste».
On pourrait aussi parler des atteintes croissantes à la liberté de parole et de critique, qui font qu’il devient de plus en plus risqué aujourd’hui d’aborder certains sujets jugés sensibles. Il n’y a pas encore à l’heure actuelle en Suisse de loi Avia, mais il est évident qu’un jour ou l’autre il y en aura une, car on voit mal la Suisse ne pas s’aligner sur ce qui se fait ailleurs en ce domaine. Ce ne sera au reste pas très compliqué. Il suffira de compléter l’article 261 bis du Code pénal, par simple adjonction d’un ou deux alinéas, comme cela vient de se faire pour la pénalisation de l’homophobie. Il faut en tenir compte quand on dit que la liberté d’expression est aujourd’hui mieux garantie en Suisse qu’en France. C’est certainement vrai en soi, mais encore une fois, c’est le mouvement d’ensemble qui compte.
Et ainsi de suite. En France toujours, un décret du 20 février dernier légalise le fichage généralisé des individus, au travers d’une nouvelle application numérique dénommée GendNotes. Les gendarmes sont encouragés désormais à collecter des données à caractère personnel (y compris celles relatives aux opinions philosophiques et politiques). Ils l’ont naturellement toujours fait dans le passé, mais c’est maintenant légalisé. On peut bien, si l’on y tient, parler ici de «dérive autoritaire», mais chacun admettra qu’il s’agit de tout autre chose. On assiste en fait à la mise en place d’un régime de type orwellien inaugurant une nouvelle espèce de totalitarisme. La généralisation à tous les coins de rue de la reconnaissance faciale s’inscrit également dans ce contexte.
Insistons au passage sur le fait qu’avec l’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), les choses se font en quelque sorte toutes seules. C’est une opportunité qui s’offre à l’État, et celui-ci, tout naturellement, en profite.

L’humain rapetissé

On est dès lors amené à se poser cette question: comment se fait-il que personne ne réagisse? En fait, ne se révolte? Car, effectivement, les gens ne révoltent pas. On pourrait dire que la non-révolte est chose normale: plus normale, en tout cas, que la révolte. On ne se révolte qu’exceptionnellement. Les gens ne se rendent pas non plus toujours compte à quels risques ils s’exposent en ne se révoltant pas. Ou quand ils s’en rendent compte, il est déjà trop tard. Ils cèdent également volontiers à la peur. Etc. Tout cela étant admis, on n’en reste pas moins surpris de la passivité et de l’absence de réaction des citoyens. Ils donnent l’impression d’être comme tétanisés. Il y a certes eu l’épisode des Gilets jaunes. Mais leurs revendications étaient d’ordre surtout économique.
C’est un sujet complexe, on ne va bien sûr pas ici en faire le tour, juste développer une ou deux remarques. On s’inspirera ici du dernier livre d’Emmanuel Todd, Les Luttes de classes en France au XXIe siècle(2), qui aborde le problème sous l’angle anthropologique. Prenant le contre-pied d’une thématique aujourd’hui ressassée, celle de «l’homme augmenté», Todd dit que l’homme contemporain est au contraire extrêmement «diminué». L’individu n’est pas devenu aujourd’hui «plus grand», comme on le prétend parfois, mais au contraire «plus petit». Todd se réfère à certains travaux récents sur la dépression et la fatigue mentale des individus à notre époque. Il insiste également sur le fait que les dernières décennies ont été marquées par un double effondrement religieux et moral, double effondrement qui n’est évidemment pas resté sans effet sur la psyché individuelle. L’ancienne religion s’est effondrée, et avec elle l’ensemble des croyances et points de repère qui contribuaient jusqu’à une date encore récente à «encadrer» l’individu et par là même à le renforcer, à lui donner confiance en lui-même: on pense en particulier au cadre national. L’individu est aujourd’hui très largement abandonné à lui-même. Et donc, tout naturellement, tend à «s’affaisser», à se rapetisser.
C’est un début de réponse. La fatigue, en elle-même, n’est pas nécessairement incompatible avec la révolte, il y a des gens fatigués qui pourtant se révoltent. Mais ce n’est pas le cas le plus fréquent. Ce que la fatigue nourrit plutôt, c’est le renoncement, la passivité. Mais on pourrait dire autre chose encore. Qu’ils soient ou non fatigués, les gens, en règle générale, se révoltent quand ils ont faim. Encore une fois, il faut citer les Gilets jaunes. Or être privé de liberté, ce n’est pas exactement mourir de faim. La liberté n’est pas un bien matériel, mais immatériel. On croise ici Dostoïevski et sa légende du Grand Inquisiteur. Le Christ dit au Grand inquisiteur: l’homme ne vit pas seulement de pain. Soit, mais la plupart de nos contemporains sont aujourd’hui sincèrement convaincus du contraire: l’homme ne vit que de pain. Pourquoi dès lors le fait d’être privé de liberté les conduiraient-il à se révolter?
On retrouve ici l’effondrement religieux. Avec raison, Emmanuel Todd, met la fatigue en lien avec l’effondrement religieux. L’effondrement religieux conduit à la fatigue, qui elle-même conduit à la non-révolte. Sauf que ce passage par la fatigue n’est que facultatif. La non-révolte se laisse aussi penser comme un produit direct de l’effondrement religieux.
NOTES
  1. Voir Slobodan Despot: « L’affaire Simon Brandt, un “signal faible” — mais assourdissant! », Antipresse 219 | 09/02/2020.
  2. Seuil, 2020. Cf. en particulier le chapitre V (pp. 127–153).

Passager clandestin

MICHEL DE ROUGEMONT: ENTRE ÉPIDÉMIOLOGIE ET CLIMATOLOGIE, IL N’Y A PAS PHOTO

Notre «désinvité» scientifique, aux positions argumentées et nettes quant aux prophètes climatiques, s’est retrouvé aux prises avec la prolifération des virologues et autres spécialistes de l’épidémie. Dans cette tribune très libre, il explique pourquoi, à ses yeux, ils valent tout de même mieux que les précédents.

Épidémiologues: 1 – Climatologues: 0

Disons-le tout de go : je préfère les épidémiologues aux climatologues. N’ayant pas d’autre match à regarder à la télé je me joue celui-ci en toute partialité et mauvaise foi, c’est mon bon droit.
Cette préférence est paradoxale car les premiers nous obligent vraiment à des précautions et à des sacrifices que je n’aurais jamais pu imaginer ; il y a de quoi les haïr. Le tabac fait certainement bien plus de victimes chaque année que cette épidémie qui se dénouera bientôt et s’il fallait obéir à des ordres similairement liberticides, les fumeurs constituant 25% de la population se révolteraient violemment. Les deuxièmes sont restés bien inoffensifs et ont seulement tenté, à l’aide de volumineux rapports indigestes et de grand-messes annuelles, de faire croire à des consensus bidons et autres blablas de convenance moralisatrice, sans trop de succès si l’on mesure les réticences des gouvernements à s’engager dans des mesures vraiment contraignantes malgré des discours empreints de solennité.
Les premiers parlent sans cesse d’incertitudes et se gardent bien de faire des pronostics, même à court terme; les seconds n’ont plus aucun doute, pour le reste du siècle. Eh bien oui, j’accorde ma confiance à l’expert qui est conscient de ce qu’il ne sait pas et qui n’a aucune honte à l’expliquer alors que la prétentieuse arrogance du sachant climatique me rebute.
On parle aux uns de modèles épidémiologiques, tout de suite ils les relativisent et expriment même une critique acerbe à l’endroit d’un groupe de l’Imperial College de Londres présentant de manière tonitruante des projections issues de modèles et de scénarios complexes et assurément faux ; voilà ce qui se passe lorsque la comm prime sur la réserve prudente du vrai scientifique. Les autres se sont tellement amourachés de leurs modèles pourtant incomplets, simplificateurs et invalides qu’ils les utilisent pour simuler des scénarios les plus improbables et pour vendre leurs salades en rédigeant des résumés pour décideurs dénués de vraie expertise.
Malgré toutes les incertitudes, les premiers osent discuter des alternatives, même très impopulaires, et sont prêts à changer de stratégie au fur et à mesure de l’évolution de l’épidémie. C’est en connaissance de cause que mentent les Diafoirus climatiques lorsqu’ils taisent l’inconnu et préfèrent asséner des jugements péremptoires sur la likeliness d’une catastrophe à venir dans une centaine d’années ; on les préférerait idiots, ils sont malfaisants.
Il est vrai que des épidémies, l’histoire en compte beaucoup, ce qui permet aux experts d’aiguiser leur jugement en opérant d’honnêtes critiques de manœuvre une fois le calme revenu. Alors même que la prochaine fois sera encore différente, il sera possible de faire mieux, ou en tous cas moins mal qu’auparavant. Pour le climat, une seule expérience est en route dans notre système solaire, ce qui rend l’expertise très ténue mais ce qui ne semble pas déranger le climatologue pour lequel le coté scientifique de la question serait clos — et donc toute critique non avenue. Pourquoi alors continuer de financer la climatologie puisque tout est si bien sous contrôle ? Et puis, pour opérer une critique de la manœuvre, il faudra attendre si longtemps que nous aurons tous le nez sec, et nos descendants pourront se moquer de nos erreurs avant de commettre les leurs à leur tour.
Gérer des crises face à d’immenses incertitudes demande humilité et courage à la fois, c’est compris, respectable et respecté, même empreint de grosses erreurs qui, toujours, ne seront constatées qu’après coup. Créer une crise climatique à partir d’éléments plus qu’incertains et construits à cet effet, c’est faire de la fumée pour faire croire au feu, c’est irresponsable et ça mérite le mépris.
Le 26 mars 2020.

À propos de l’auteur:
Michel de Rougemont (michel.de.rougemont@mr-int.ch,www.mr-int.ch), Ingénieur chimiste, Dr sc tech, est consultant indépendant. Par ses activités dans la chimie fine et l’agriculture, il est confronté, sans les craindre, à maints défis liés à la sûreté des gens et l’environnement.
Son essai intitulé Réarmer la raison. De l’écologie raisonnée à la politique raisonnable est en vente en ligne sur Amazon.Il a aussi publié un essai critique, Entre hystérie et négligence climatique. Il anime un blog, un site sur le climat (<climate.mr.int.ch>) et un autre site sur le contrôle biologique en agriculture.
Il n’a aucun conflit d’intérêts en rapport avec le sujet de cet article.


Ses autres contributions:

Turbulences

LISEZ-MOI ÇA! • «Le Chat» de Georges Simenon

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Ce qu’il apporte
Au début des années soixante, à Paris, près de la prison de la Santé (un hasard?), un couple de vieux se retrouve confiné dans la maison d’une impasse (autre hasard?) vouée à la démolition.
Émile, veuf, est un ancien ouvrier bon vivant, à l’abri du besoin grâce à une retraite convenable. Marguerite, veuve également, froide et sèche, est issue d’une lignée bourgeoise ruinée. Ils se sont remariés sur le tard, et surtout sur un malentendu, puisqu’ils forment un couple très mal assorti.
Peu à peu la rancœur prend la place des illusions perdues, puis l’aigreur du quotidien conduit à la haine. Un jour, Émile retrouve son fidèle chat empoisonné au fond de la cave. Il décide alors de se venger de Marguerite…
Avec des phrases limpides, courtes, mais tranchantes comme un scalpel, Simenon explore la dépendance des êtres les uns envers les autres, et leur nécessité de se faire souffrir l’autre plutôt d’endurer la solitude.
Ce qu’il en reste
Une terrible odeur de moisi, de renfermé (au sens propre comme au sens figuré). L’odeur des oignons, aussi: non seulement parce qu’Émile les aime, mais surtout parce qu’il sait que Marguerite déteste les sentir rissoler dans la cuisine…
A qui l’administrer?
Évidemment, ce roman ne respire pas la gaîté: la maladie et la mort rôdent à toutes les pages! Il est à déconseiller à ceux qui souhaitent «_se changer les idées_» ou «se divertir». Par contre tous les lecteurs (un peu masochistes) qui entendent profiter de cette période très particulière pour approfondir la notion de liberté y trouveront un passionnant sujet de réflexion: l’homme construit-il sa propre prison?
Georges Simenon, Le Chat, 1967 (Presses de la Cité et Le livre de Poche). Une suggestion d’Olivier Griette.

ITALIE • Vous avez dit «Solidarité»?

Premier pays européen à être frappé de plein fouet par le coronavirus, l’Italie a vite compris: inutile de compter sur la solidarité des États de l’Union. Les masques offerts par la Chine ont été interceptés par la Tchéquie, pourtant un État frère. Même la grande sœur germaine, peu touchée jusqu’à présent, n’a pas tendu la main. Et rien à attendre de sa grande voisine la France, autre cigale de la fable, dont les futiles couturiers mettront du temps à se reconvertir pour produire quelque chose d’utile comme des masques. Seule proposition concrète venue de Bruxelles: la Banque centrale européenne serait prête à acheter au Trésor italien jusqu’à 750 milliards d’euros en obligations — ce qui lui coûtera un peu de papier et quelques clics bancaires — et permettre à l’économie de la péninsule de survivre à la crise en évitant autant que possible la banqueroute. Mais peut-on étouffer le virus sous une avalanche de papiers valeurs et en bricolant des masques à coups de billets de 10 euros?
Le président du Conseil Conte n’avait donc d’autre choix que de céder aux chants de sirène de son copain Poutine et accepter son offre d’aide humanitaire, même si cela équivalait à laisser des soldats russes mettre pied dans la botte. Difficulté: un autre pays frère, la Pologne, n’entendait pas laisser les avions militaires de son fieffé voisin de l’Est pénétrer dans son espace aérien et menacer le rempart de l’OTAN. Son acte de solidarité a donc consisté à interdire de survol son territoire et à prévenir qu’une cinquième colonne volante ne vienne menacer sa sécurité et celle de la grande Alliance atlantique.
C’était mal connaître la détermination de la puissance démoniaque russe à jouer un double jeu et — sous couvert d’aide humanitaire — percer une brèche dans le front de l’OTAN. Quitte à faire un grand détour en mettant le cap sur la mer Noire et en contournant les Balkans, les neuf Ilyouchine géants bourrés de matériel médical ont fini par se poser sur une base militaire près de Rome et débarquer une centaine de combattants en combinaisons étanches. Les rues de Bergame ont pu enfin être désinfectées et les hôpitaux de Lombardie prendre un deuxième souffle.
Sur les réseaux sociaux, on a pu lire que l’Italie était à nouveau occupée, 76 ans après Monte Cassino.
J.-M. Bovy/26.03.2020

LISEZ-MOI ÇA! • «Fabricants d’intox» de Christian Harbulot

Le printemps est une excellente période pour détoxifier l’organisme. Pourquoi ne pas compléter votre cure par une détox de votre perception de l’actualité? Voici mon conseil santé. Il s’agit d’un traitement simple dont la posologie est constituée d’une dose à prendre d’une traite que l’on laissera agir les temps de boire une infusion de thé vert. Ses effets devraient immédiatement vous être bénéfiques. Toutefois, si vous tenez à vos certitudes évitez cette potion ou interrompez le traitement en cas d’addiction trop forte à l’enfumage vaporisé par la presse de grand chemin.
A tous, gardez-vous en santé et prenez soin de vos proches!
PS — Surtout ne perdez pas le sens de l’histoire et souvenez-vous: «Les temps sont durs, vive le MOU»(1).
HARBULOT, Christian: Fabricants d’intox — La guerre mondialisée des propagandes. Lemieux éditeur, Paris. 2016, 162 p. ISBN 978–2–37344–048–5. Suggestion de Luc Monnier.
NOTE
  1. MOU — Mouvement Ondulatoire Universel créer par Pierre Dac (humoriste et grand résistant).

COVID_19 • Sainte Corona, protectrice contre les épidémies

Depuis quelques semaines, une sainte du IIe siècle redevient d’actualité. Son nom en occident sainte Corona, fait que de nombreux fidèles demandent son intercession dans leur lutte spirituelle contre la pandémie du Coronavirus. Compagne de martyre de saint Victor, ses reliques se trouvent à Anzu en Italie, et en Autriche et en Bavière où des églises lui furent consacrées. Dans ces pays, elle fut particulièrement invoquée lors d’épidémies. De là vient le regain d’intérêt pour son intercession. Quant à sa vénération actuelle, elle s’explique aussi par la parétymologie(1) Son chef ainsi que celui de saint Victor se trouvaient jadis dans la cathédrale de Dijon, jusqu’à la Révolution Française. Par les actes impies des révolutionnaires, premiers bolcheviques de l’histoire européenne, les reliques des saints disparurent.
En Syrie, vers le fin du IIe siècle (circa 170 A.D.), les saints Victor et Corona (Stéphanie, ou Stéphanide d’après le grec; Quelquefois nommée Couronne en français) furent martyrisés à Damas, sous le règne d’Antonin. Saint Victor, né en Italie, chrétien lui-même refusa de persécuter les chrétiens, fut arrêté et fut lourdement torturé pour refuser de renoncer à sa foi, on lui coupa les doigts, on lui arracha les yeux et il fut finalement décapité. Sainte Corona, chrétienne elle aussi et épouse d’un soldat ami de Victor, impressionnée par le grand courage de Victor cria à haute voix son admiration pour le soldat du Christ et déclara qu’elle voyait deux couronnes préparées, une pour lui et une pour elle-même. Elle fut également martyrisée. Les bourreaux l’attachèrent par les pieds à deux palmiers qui avaient été courbés; lorsqu’ils furent relâchés, elle fut déchirée.
Les martyrs Victor et Corona sont fêtés le 11/24 novembre dans l’Eglise orthodoxe.
  • Claude Lopez-Ginisty d’après diverses sources.
NOTES
  1. NOTE: Cf. l’extrait de l’interview accordée au site RELIGIOSCOPE lors de la parution du livre de Claude Lopez-Ginisty, Le Secours des Saints, Dictionnaire des intercessions orthodoxes, Éditions Xenia, 2007.
Religioscope — Quelles sont les raisons qui conduisent à associer à l’intercession d’un saint particulier un soulagement par rapport à un type de problème spécifique? Nous pouvons supposer que cela est généralement lié à des circonstances ou expériences de la vie du personnage…
Claude Lopez-Ginisty — Il est difficile de répondre d’une manière tranchée. Quelquefois c’est effectivement quelque chose dans la vie ou le type de martyre subi par le saint qui déterminent son intercession, mais tous les céphalophores (ceux qui eurent la tête tranchée) ne sont pas invoqués pour les maux de tête. Quelquefois c’est la parétymologie (qui voudrait établir un lien entre le nom du saint et l’intercession qui le concerne), mais elle n’est pas non plus déterminante… Ainsi saint Blaise de Sébaste est invoqué traditionnellement dans le monde pour les maux de gorge, en Allemagne, parce que son nom est proche du mot qui signifie vessie, il est invoqué pour les maladies qui affectent cet organe. Dans la tradition populaire slave, le prophète Nahum est invoqué pour ouvrir l’esprit… parce que na oum signifie pour l’esprit dans ces langues.
Il est fort probable que pour la plupart des intercessions, quelqu’un a d’abord fait appel à un saint pour un «problème» particulier, et qu’ayant été exaucé, il en ait répandu la nouvelle et qu’ainsi de proche en proche, le saint ait été «spécialisé»!!! Mais la miséricorde de Dieu est grande et le lien que l’on peut avoir avec les saints n’est pas un lien artificiel ou intellectuel, il est une relation vraie. Les amitiés des saints sont fortes et fidèles et leur fréquentation nous apprend que l’on peut leur demander d’intercéder pour tous nos maux… Les saints savaient sur terre que le Christ était présent dans chacun de leurs frères, ils les aimaient de l’Amour que le Christ leur avait à eux-mêmes manifesté. Auprès du Christ, ils témoignent encore de leur amour pour Lui en poursuivant leur œuvre sur terre. «Tous les pères qui se sont endormis avant nous nous soutiennent par leur prière. Ils ont le souci du salut des hommes et aident par leur intercession auprès de Dieu», dit Origène.

LISEZ-MOI ÇA! • «Le règne de la quantité et les signes des temps» de René Guénon

Ce qu’il apporte
René Guénon est le principal penseur de la «Tradition», une pensée résolument antimoderniste. Ce livre est l’une de ses dernières œuvres, et en même temps un inventaire concret des dérives de la civilisation matérialiste: L’uniformité contre l’unité, l’illusion des statistiques, la haine du secret, la dégénérescence de la monnaie, la solidification du monde, la mythologie scientifique et la vulgarisation, la fin des métiers, etc. Il annonce l’avènement d’une pseudo-spiritualité vulgaire, ancrée dans les bas-fonds du psychisme, et un triomphe temporaire de la parodie et de l’antitradition en tant qu’aspects du projet satanique. C’est un ouvrage d’une vaste érudition qui a influencé des esprits bien au-delà des cercles ésotériques qui vénèrent son auteur.
Ce qu’il en reste
Si l’on n’est pas rebuté par son langage suranné et ses postulats spirituels, Le règne de la quantité permet de comprendre, parfois des décennies à l’avance, nombre de processus «dégénératifs» et déshumanisants de la société industrielle. Il propose une autre approche de l’«abolition de l’homme» prophétisée par C. S. Lewis. En le lisant, on commence à mettre des noms sur «ce qui cloche dans le monde».
A qui l’administrer
Aux lecteurs instruits et curieux avec des penchants métaphysiques. Aux férus d’ésotérisme et de philosophie. Aux déçus de la civilisation industrielle.
René Guénon, Le règne de la quantité et les signes des temps (Gallimard 2015). Suggestion de Slobodan Despot

COVID_19 • L’Occident paiera le prix le plus cher

Dans son rapport hebdomadaire du 28 mars sur la situation globale en rapport avec le COVID_19, le général Dominique Delawarde relève des chiffres parlants qui en disent long sur la maladie systémique des sociétés occidentales: sur les 23 976 décès enregistrés dans le monde depuis le début de l’épidémie, 17’715 (soit 74%) l’ont été «dans les pays occidentaux (US, UE, OTAN)». Et la proportion s’aggrave:
«2 425 des 2 694 décès d’hier (90%) sont « US, UE, OTAN ». C’est ce camp qui paiera le prix le plus fort tant sur le plan humain que sur le plan économique (récession inévitable, crise économique possible)
Delawarde en profite pour recadrer la pandémie dans le contexte de la mortalité générale des épidémies… et des grippes.
«L’Organisation Mondiale de la Santé nous apprend que, chaque année, la grippe saisonnière est responsable de 5 millions de cas «graves» qui entraînent entre 280 000 et 600 000 décès. Le Covid–19 n’a, à ce jour, affecté que 600 000 personnes dont seulement 60 000 cas graves qui se sont traduits par 26 000 décès.
Bien sûr, la pandémie n’est pas terminée, mais nous avons l’exemple de l’Asie de l’Est qui est en passe de sortir de l’épidémie et pour laquelle les pertes humaines ont été dérisoires: exemple ? En Chine 3200 décès du Covid–19 contre 82 500 à 94 000 décès liés à la grippe saisonnière lors d’une année «normale».
Bien sûr, l’Occident, peut être trop sûr de lui, mal préparé, mal équipé, mal dirigé, a tardé à réagir et va finir, tous pays cumulés, par payer de 30 à 50 fois plus cher que la Chine. Mais 50 x 3200 = 160 000 décès. Nous devrions rester en dessous des pertes d’une année normale de grippe saisonnière au niveau planétaire. D’autant que la grippe saisonnière n’a quasiment pas frappé dans l’hiver 2019- 2020 (72 décès en France contre 8 100 durant l’hiver 2018–2019).
Ce qui devrait inquiéter le public, ce n’est pas tant le bilan humain qui sera proche d’une année «normale», c’est le devenir économique et social d’un occident couvert de dettes, divisé et fragilisé de toute part. Là sera le vrai problème à résoudre qui nous affectera tous dans la durée.»

COVID_19 • Couvre-feu et masques en Syrie

Trêve respectée en Syrie après une escalade verbale et militaire entre Erdogan, qui soutient militairement les djihadistes de la province d’Idlib, et les Russes, qui aident Bachar à reconquérir le nord-ouest du pays, occupé par les Turcs. Les deux chefs d’État sont globalement parvenus à un accord et les attaques ont cessé depuis le 12 mars; le cessez-le-feu tient. Les patrouilles conjointes ont débuté sans nouvel incident le long de l’autoroute M4 le 15 mars, artère vitale qui relie Damas à Alep. Alors que le coronavirus frappe la Syrie depuis quelques jours, les écoles et universités sont fermées et la population est appelée à un confinement moins pesant qu’en Europe. Malgré un blocus qui frappe durement la population, et contrairement à toute attente, les Syriens se protègent déjà avec des masques et du gel hydroalcoolique. La ville de Damas dispose même de kits de dépistage. Le gouvernement n’a pas encore publié de chiffres concernant l’épidémie.
Alors que les grandes villes syriennes (Damas, Homs, Alep) commençaient à revivre et à s’animer, le gouvernement syrien vient d’annoncer un couvre-feu pour lutter contre le coronavirus. Une telle mesure n’avait pas été prise depuis le coup d’État de 1963.

Pain de méninges

La contagion ne date pas d’hier

Que ce virus ait été créé par l’homme, ou qu’il ait vraiment été avalé avec une chauve-souris, il montre les deux faces de notre perdition. Nous sommes contaminés depuis belle lurette. N’avons-nous pas grandi, nous, nos enfants et nos petits-enfants, en des temps où ce que dit un sportif ou un acteur à propos des choses importantes compte plus que ce que dit un docteur ès-sciences qui sait de quoi il s’agit, ou un virologue qui n’a pas pu élaborer un vaccin parce qu’il était payé comme un chauffeur de poids lourd? C’était une civilisation qui, croyait-on, pouvait tout faire, et maintenant nous sommes témoins de ce qu’elle ne peut rien. Le virus est arrivé en premier lieu comme un philosophe à œillères qui nous a longtemps embrouillé la vue: nous n’étions même pas conscients de notre effondrement à cause de ses mirages. N’importe quel sportif qui a fait une montagne de fric était plus important qu’un savant, un virologue, un oncologue. Tous ceux qui ont amassé des fortunes colossales sont devenus les meilleurs philosophes, les meilleurs économistes, ils connaissaient l’histoire mieux que les historiens, chaque putain sur les chaînes de grand public savait mieux comment organiser la vie familiale que les gens tranquilles et honnêtes.
Dans un monde où la réalité est une profanation et le spectacle sacré, où les savants n’ont plus leur place, nous serons punis de mort, car nous n’avons pas eu la force de comprendre assez tôt que la richesse ne peut pas tout procurer, alors que nous avons cru à ce mensonge. Au diable tout leur fric, ils n’ont même pas la réponse au tout petit COVID.
— Emir Kusturica

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