Ceux-
et celles- de ma génération qui ont connu de beaux embrasements et
de belles et grandes figures, politiques et autres, en sont à devoir
constater que jamais, de leur vivant, ils n’auront eu sous les yeux
le spectacle absolument dégoûtant qu’offre la présente actualité
marquée par les scandales innommables dont sont maintenant
coutumiers tout ce qui compte comme représentants de tous bords nos
pantelantes et grotesques prétendues démocraties.
Scandales
d’argent, mensonges, travestissements de toute la réalité,
tripotage de chiffres, double langage et langue de bois, assaut
massif contre les libertés les plus élémentaires, acharnement à
l’encontre des pauvres d’ici et d’ailleurs, ces gens , en toute
impunité et même salués ici et là par la presse et ses hébétés
comme étant de braves et dévoués serviteurs de la chose publique
ne sont en réalité que les agents de la pire entreprise jamais
menée contre la liberté et les droits des citoyens. Et l’assaut
est universel, il n’y a pas de frontières, pas de limites ;
partout les gens et dans tous les aspects de leur vie sont assiégés
de mille perverses façons. Bien évidemment les gestionnaires et les
donneurs d’ordre excipent des dures nécessités des temps
économiques et financiers présents pour se dédouaner des mesures
qui sont décidées et appliquées dans qu’elles suscitent les
réactions auxquelles on pourrait pourtant s’attendre.
Il
est vrai aussi que la manière dont sont présentées les choses est
à la fois finement subtile et pernicieuse ; les communicateurs
gouvernementaux sont passés maîtres dans l’art désormais
consommé de dire tout et son contraire.
Par
chez nous par exemple et s’agissant du douloureux problème du
chômage, on en arrive un jour, en haut lieu, que la situation va en
s’améliorant, que l’on constate une baisse sensible du nombre de
demandeurs d’emploi et, le lendemain, on apprend par la presse que
les radiations et les exclusions sont en hausse constante, ceci
expliquant donc cela. Pour ce qui est des chômeurs de langue durée,
ils ne perdent rien pour attendre puisque les dernières innovations
nées dans les brillantes cervelles de quelques-un(e)s de nos
cher(e)s élu(e)s proposent ni plus ni moins que ces feignants soient
mis bénévolement au service des communes et d’autres CPAS afin de
prester de ces petits boulots hautement gratifiants comme les courses
des petites vieilles, le ramassage des crottes canines ou l’aide
aux mamans débordées par leur progéniture. Bien évidemment ces
extravagantes suggestions s’inscrivent dans le moment où
s’engagent les premières escarmouches de la campagne électorale
de l’an prochain et il s’agit, n’est-ce pas, d’un côté
comme de l’autre, de ratisser au plus large et de ne pas laisser
passer les occasions de racoler du côté du simplisme et de la
démagogie de caniveau. A ce jeu ignoble on voit combien la
concurrence est rude et à quel niveau d’ignominie on est prêt à
se hisser de la manière pseudo-gauche socialeuse à la droite
libérale en passant par ce parti humaniste qui a le culot d’encore
se présenter comme au centre de l’échiquier politique. Quant aux
prudentes et timides protestations du monde syndical devant les
assauts de plus en plus déterminés de la classe dirigeante à
l’encontre du monde du travail, des chômeurs et des pauvres en
général, elles n’étonneront pas plus que les positions des mêmes
appareils pour ce qui regarde la débâcle annoncée du système
économique et monétaire. Positions et analyses- les mêmes que
celles des responsables politiques de tous bords ou à peu près- qui
vient à l’encontre de toute forme de remise en cause de la
mortelle fuite en avant à laquelle nous condamnent les propriétaires
du monde.
Car,
on le voit bien et partout, la nécessaire et impérieuse prise de
conscience de ce qui est probablement le risque d’une véritable
descente aux enfers de l’ensemble de l’humanité, n’est encore
le fait que d’une poignée de savants qui, depuis des années,
publient dans une indifférence quasi générale, le bulletin de
santé d’une planète moribonde. De même que certains lanceurs
d’alertes dans la sphère politique et associative qui vaille que
vaille et pour autant qu’ils puissent avoir droit à une
place-souvent congrue-dans le colonnes des journaux, sur les ondes ou
dans la petite lucarne, tentent en vain jusqu’ici de montrer
combien les périls de toutes sortes montent de plus en plus
dangereusement. Pour le reste, les décideurs politiques de quelque
niveau de pouvoir que ce soit, en restent à fermer obstinément les
yeux ou, au mieux, à proposer de timides et burlesques mesurettes
dans les matières les moins susceptibles de heurter la sensibilité
de leurs électeurs potentiels, lesquels, pour le plus grand nombre,
ne se soucient de ces problèmes que de très loin. Une première
part parce qu’ils ont d’autres soucis, bien plus immédiats et
cruciaux, comme de se demander quoi se mettre dans l’estomac dès
la moitié du mois ou choisir entre le payement de leurs dettes de
chauffage ou d’électricité, entre une visite chez le médecin ou
des fringues de pauvre pour rhabiller le petit dernier pour la
rentrée des classes. L’autre part, qui est encore l’actuelle
majorité, bouffie de sa superbe et de son dédain, accrochée à ses
misérables privilèges qui lui permettent de continuer de vivre
semblablement- et seulement semblablement- aux riches, de s’offrir
des voitures 4X4, de courir les boutiques et profiter pleinement de
tous les plaisirs qu’offre cette société d’abondance, cette
part, donc, n’est pas prêtes à renoncer à ce qu’elle estime
lui être quasi naturellement dû. Les gens qui composent cette élite
de la consommation vulgaire se persuadent, évidemment, que rien de
fâcheux ne pourra jamais leur arriver et qu’il est bel et bon que
le monde continue d’aller comme il va et que, surtout, rien ne
change. Quant à ceux qui, de plus en plus, doivent se justifier en
tout, sont soumis aux vexations, aux humiliations d’organismes de
contrôle proprement kafkaïens et à l’opprobre qui s’abat sur
eux à longueur de colonnes de journaux, on comprendra que des choses
aussi saugrenues que la décroissance ou la simplicité volontaire ne
puissent avoir aucun écho dans ce qui leur tient lieu de conscience,
amoindrie, bafouée et bornée par le seul souci d’une survie de
jour en jour plus problématique.
Oui,
il y a comme une odeur. De décomposition d’ordures de toutes
sortes qui empestent l’atmosphère. Nous avons connu, nous qui
aurons bientôt septante ans, quelque chose qui avait à voir avec la
vie, avec, plus justement, le désir du vivre mieux, plus richement,
avec cette part d’insouciance joyeuse qui avait ses racines dans
une fraternité qui s’affichait sur les lieux du travail, dans les
rues et sur les places, dans un espace qui était encore public, d’où
les caméras de surveillance étaient absentes. Il y avait encore
dans l’air ce presque rien d’indéfinissable qui parfumait les
liens qui se nouaient dans ce qui était encore une société
d’hommes et de femmes qui pouvaient nommer et vivre la liberté et
entrer en rébellion quand elle était menacée. Elle est loin notre
jeunesse et elle se meurt à petit peu et à coup de matraques, notre
belle espérance. Elle pue la charogne, cette époque ; et c’est
à peine si nous avons encore la force de nous boucher les racines.
Jean-Pierre
L. Collignon
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