Source : https://amisdelaterre40.fr/spip.php?article1040
mercredi 30 avril 2025
popularité : 57%

Antonio Turiel, l’expert qui a alerté sur les risques de black out en Espagne. Le scientifique exclut l’utilité des centrales nucléaires pour faire face aux pannes de courant et promeut l’utilisation des énergies renouvelables, mais celles-ci doivent disposer de toutes les garanties nécessaires pour assurer un système stable.
"Il est très triste qu’une personne ne soit écoutée que lorsque se produisent les catastrophes qu’elle essayait de prévenir, car je n’ai pas de boule de cristal et je signalais des risques qui pouvaient être évités. Ce qui est triste, c’est qu’ils n’aient pas été évités, c’est très triste qu’ils se produisent". Cette déclaration marquée d’un certain défaitisme émane d’Antonio Turiel, éminent écrivain scientifique et chercheur à l’Institut des sciences de la mer du CSIC de Barcelone. Il vient de publier un livre intitulé "Le futur de l’Europe : comment décroitre pour une ré-industrialisation urgente" (Edition Destono 2024)
L’été dernier, il a prévenu, comme de nombreux autres scientifiques, que les températures élevées en Méditerranée pourraient entraîner des dépressions isolées à niveau élevé (DANA en espagnol) très dangereuses, comme cela s’est finalement produit à Valence. Il n’est pas le seul, mais Turiel met aussi en garde depuis un certain temps contre le risque de défaillance du réseau en raison du rôle accru des énergies photovoltaïque et éolienne, qui apporte de l’instabilité face aux fluctuations météorologiques. On ne sait pas encore très bien ce qui s’est passé, mais la panne s’est produite, et bien que de nombreux experts aient dit à maintes reprises qu’elle ne pouvait pas se produire, il a insisté sur l’instabilité du système. Et il maintient sa position.
"Ce qui s’est passé est un problème d’instabilité du système. Le système est instable et toute perturbation peut le faire tomber, et c’est ce qui s’est passé hier. Il faut penser que la panne survient au moment où la production photovoltaïque est maximale. Ce qui manque, et c’est ce que je dis depuis toutes ces années, c’est qu’il faut installer plus de systèmes de stabilisation dans le réseau, mais cela coûte de l’argent et cela n’a pas été fait", ajoute-t-il.
Mais il nuance : "Ce n’est pas tant le modèle renouvelable, ce serait une simplification stupide du problème. Il s’agit d’un problème de planification et de mise en place de systèmes de stabilisation pour éviter que de telles choses ne se produisent. C’est la conséquence d’un modèle sauvage."
Le rôle des énergies renouvelables dans le "black-out zéro" — comme les experts appellent les scénarios de black-out total — a entraîné une certaine désinformation, le Parti populaire [la droite espagnole et tout comme bien sûr l’extrême droite qui nie les changements climatiques et luttent contre les énergies renouvelables] défendant fermement l’énergie nucléaire dans ses déclarations. Mais le problème ne réside pas dans l’utilisation de sources d’énergie propres, mais dans leur mise en œuvre sans toutes les garanties nécessaires. Que s’est-il passé ce lundi à 12h33 ? Pour Turiel "On peut éviter cela avec des systèmes de stabilisation, mais ils sont coûteux et les grandes entreprises ont fait l’économie de ces mesures."
Maximiser les profits aux dépends de la qualité du service
La maximisation des profits, et non les énergies renouvelables, a été le principal problème qui a rendu le système vulnérable aux urgences nationales comme celle de cette semaine. Et tout comme "ils ne peuvent pas vous vendre une voiture sans freins", Turiel souligne que les sources d’énergie propres "devraient être nécessairement équipées de systèmes de stabilisation".
Cependant, la mise en œuvre de ces systèmes n’était pas la seule chose qui aurait pu être faite. "Une façon de compenser le problème aurait été de maintenir les centrales à gaz à cycle combiné en arrêt à chaud afin qu’elles puissent réagir rapidement et compenser les baisses", a déclaré le responsable du CSIC.
Turiel admet que, compte tenu d’un déclin aussi rapide, un arrêt à chaud n’aurait peut-être pas pu compenser, mais souligne qu’ "une demi-heure avant la panne, il y avait des signes très clairs d’instabilité dans le système". Il aurait alors été temps d’activer les centrales électriques, mais cela n’a pas eu lieu. Pourquoi ? "Parce que le prix de gros de l’électricité était nul, et même s’ils étaient rémunérés pour le gaz qu’ils consommaient, cela ne leur rapportait pas suffisamment de profit, ils ont donc préféré couper complètement leur production d’électricité. À mon avis, cela relève de l’irresponsabilité criminelle de la part des grandes compagnies électriques. Je ne comprends pas comment elles ont pu faire cela", a critiqué l’expert.
Le faux argument du nucléaire
Le leader du Parti populaire, Alberto Núñez Feijóo, n’a pas tardé à exiger que le gouvernement "rectifie" sa politique nucléaire et prolonge la durée de vie des centrales [Toute similitude avec des politiciens français pro-nucléaire est fortuite]. La présidente d’Estrémadure, María Guardiola, s’est jointe à sa demande. Ses déclarations interviennent à un moment où Almaraz, la plus ancienne centrale nucléaire d’Espagne située à Cáceres, connaît ses derniers jours. Selon le Plan national intégré pour l’énergie et le climat du gouvernement, l’un de ses réacteurs devrait fermer en 2027 et le second en 2028, jusqu’à ce que la centrale soit complètement démantelée.
Cependant, Turiel souligne que "l’énergie nucléaire a très mal réagi face à cette situation car elle est très peu flexible et ne s’adapte pas aux changements". En fait, lorsque la chute soudaine des gigawatts s’est produite, leurs systèmes de protection "se sont déclenchés et les ont mis en arrêt d’urgence". "L’énergie nucléaire ne résout pas du tout le problème car elle est tout aussi inflexible que les énergies renouvelables sans systèmes de stabilisation", insiste-t-il.
Pour Turiel, il y a deux possibilités pour expliquer ce qui s’est passé hier. "L’une que je considère comme plus éloignée, mais pas impossible, et l’autre que je crois plus possible. La plus éloignée est qu’il y ait vraiment eu une cyber-attaque et que les pirates aient connecté massivement tous les onduleurs des panneaux photovoltaïques, parce que ces éléments sont contrôlés à distance et disposent d’un logiciel, et qu’il serait alors possible de les éteindre tous en même temps. Mais je pense que la réalité est plus prosaïque et que ce qui s’est passé, c’est simplement un phénomène que la physique appelle résonance non linéaire et les instabilités du réseau à un moment donné, c’est comme s’ils avaient tous pris la mauvaise direction en même temps. Bien sûr, vous avez un système qui oscille avec un grand nombre de petits oscillateurs et, à un moment donné, ils peuvent entrer en résonance et tous osciller du même côté en même temps. Je pense que c’est ce qui s’est passé ici. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de stabilisation. C’est un avertissement, un avertissement que nous devons mieux faire les choses".
Enfin, Turiel pointe également du doigt la Commission européenne elle-même, "parce qu’en fin de compte, elle essaie d’imposer un modèle qui nécessite un peu plus de réflexion. Je suis essentiellement un vulgarisateur, mais il y a beaucoup de techniciens qui disent cela en privé, et qui ne sont pas écoutés".
Quel est le modèle que l’Union européenne promeut ?
"Le modèle qui est promu est un modèle très instable, qui est finalement une conséquence du modèle que l’Union européenne pousse, un modèle dans lequel on impose massivement le photovoltaïque et l’éolien sans l’accompagner d’une régulation en termes de stabilisation", explique-t-il.
Pour le scientifique, l’instabilité est présente dans une grande partie de l’Europe. "L’Allemagne a beaucoup de problèmes de stabilité qu’elle compense en vidant les réservoirs de la Suède et de la Norvège. Il y a quelques mois, la Norvège a déclaré qu’elle allait couper sa connexion avec le continent parce qu’elle en a assez de voir ses réservoirs se vider." Même la France, qui est beaucoup plus dépendante de l’énergie nucléaire, connaît des problèmes. "Ils ont un très gros problème parce que nous manquons d’uranium", explique-t-il.
Repenser le système
La solution proposée par Turiel est convaincante et rarement entendue aujourd’hui. "Nous devons repenser le système électrique. Je pense que le système électrique devrait être public, parce que ce qui arrivé, c’est ce qui se passe quand tu essayes de faire du commerce avec un service essentiel."
Article composé à partir de deux articles, un paru dans Publico le 30 avril 2025 de Ardhik Arriclucera (https://www.publico.es/sociedad/m-ambiente/antonio-turiel-experto-predijo-apagon-irresponsabilidad-criminal-parte-grandes-companias.html) et l’autre paru le 29 avril 2025 dans El Independiente de Rafael Ordóñez
(https://www.elindependiente.com/futuro/2025/04/29/antonio-turiel-predijo-la-dana-y-el-apagon-hay-que-estabilizar-la-red-pero-cuesta-dinero-y-no-se-ha-hecho/)
Pour celles et ceux qui voudraient poursuivre un peu avec Antonio Turiel
voici un lien vers un entretien très décapant et dérangeant sur la
transition énergétique, l’approvisionnement en minéraux, hydrogène, etc…
L’entretien peut être sous-titré en français. Un grand bonhomme qui ne
craint pas de dire que dans le système capitaliste, certaines remarques
sont tabous, ni de parler de néo-colonialisme et qui n’hésite pas non
plus à remettre en question pas mal d’idées reçues. Lien :
https://www.youtube.com/watch?v=N2DFA-EX91A
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire