Par Rania Khalek, 17 novembre 2015
Benyamin Netanyahu a essayé d’exploiter les attentats de Paris à l’avantage d’Israël. (Ministère de la Défense américain/
Wikimedia Commons)
Depuis que des membres présumés de l’Etat Islamique ont tué près de 130 personnes dans une série d’attentats dans Paris vendredi, les dirigeants israéliens ont immédiatement utilisé le carnage pour justifier la violence envers les Palestiniens.
Parmi les plus extrêmes, Dov Lior, colon israélien et rabbin très connu, s’est réjoui des attentats qu’il considère être une punition juste pour l’Holocauste.
« Les méchants de l’Europe qui a du sang sur les mains le méritent pour ce qu’ils ont fait à notre peuple il y a 70 ans », a déclaré Lior.
Alors que les attaques étaient toujours en cours, le journaliste israélien Dan Margalit s’est moqué des victimes autour de la décision de l’Union Européenne d’étiqueter les produits des colonies israéliennes de Cisjordanie occupée.
Il a écrit sur Twitter : « Pour sauver des vies, nous devrions envoyer une aide médicale et de la nourriture des colonies aux victimes de la terreur arabe à Paris. Et nous devrions leur donner refuge et accès aux services de rééducation à Ariel », faisant référence à l’une des plus grandes colonies.
Pendant ce temps, quelques médias israéliens ont tenté de faire un faux lien entre les attentats de Paris et le mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions contre Israël mené par des Palestiniens.
Les dirigeants les plus influents en Israël, bien qu’ils soient de droite, n’ont pas accueilli les attentats comme Lior, ne se sont pas moqués des victimes et n’ont pas non plus rendu BDS responsable. Ils ont plutôt profité des attentats de Paris pour salir l’image des Palestiniens, comme ils le font presque toujours après de graves attentats dans des pays occidentaux.
Masquer la terreur coloniale
Depuis des dizaines d’années, Israël essaye de faire passer sa conquête coloniale pour une guerre contre le terrorisme islamique. En effet, la doctrine de la « guerre contre le terrorisme » est depuis longtemps utilisée par Israël pour justifier les atrocités commises contre les Palestiniens. Mais ce discours ne s’est vraiment ancré qu’après 2001.
En 2008, s’exprimant à l’Université Bar-Ilan, le premier ministre israélien Benyamin Netanyahu s’est vanté qu’Israël tirait avantage des attentats d’Al Qaïda du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center et le Pentagone. Il a fait croire qu’ils ont « fait pencher l’opinion publique américaine en notre faveur ».
Les dirigeants israéliens espèrent que les attentats de Paris auront le même effet.
Tout de suite après les attentats, Netanyahu, qui a supervisé le massacre de 551 enfants à Gaza pendant l’été 2014, a fait une déclaration condamnant le « le terrorisme islamique militant » qui « cible délibérément et systématiquement des civils » de Paris à Jérusalem.
« Comme je le dis depuis des années, le terrorisme islamique militant attaque nos sociétés parce qu’il veut détruire notre civilisation et nos valeurs », dit-il.
Faisant un lien là où il n’y en a pas, Netanyahu a dit plus tard à son gouvernement que le meurtre de deux colons en Cisjordanie occupée « seulement quelques heures » avant les attentats de Paris était semblable aux tueries en France.
Depuis le 1er octobre, l’armée israélienne a tué 80 Palestiniens, dont au moins 15 enfants, et des dizaines de personnes dans ce qu’Amnesty International a qualifié de « tendance nette » aux exécutions sommaires.
Au moins 12 Israéliens ont été tués par des Palestiniens pendant la même période, résultat prévisible de la violence coloniale croissante d’Israël.
Les dirigeants israéliens profiteront de chaque occasion pour faire oublier cette réalité en racontant dans le même temps que les Israéliens sont des victimes irréprochables terrorisées par les Palestiniens.
« En Israël, comme en France, le terrorisme est le terrorisme et ce qui le soutient, c’est l’islam radical et son désir de détruire ses victimes », a dit Netanyahu à son gouvernement. « Le temps est venu que les pays condamnent le terrorisme contre nous tout comme ils le condamnent partout ailleurs dans le monde ».
Il a poursuivi en déchargeant l’occupation militaire d’Israël de toute responsabilité dans l’émergence de la violence palestinienne, déclarant : « Nous devons nous en souvenir : nous ne sommes pas responsables du terrorisme dirigé contre nous, tout comme les Français ne sont pas responsables du terrorisme dirigé contre eux. Ce sont les terroristes qui sont responsables du terrorisme, pas les territoires ni les colonies ni quoi que ce soit d’autre. C’est le désir de nous détruire qui perpétue ce conflit et motive l’agression meurtrière contre nous ».
La brutalité d’Israël envers les Palestiniens, qui « ont la même intention meurtrière que ceux de Paris », est donc justifiée, affirme Netanyahu. « Grâce à notre politique ferme contre le terrorisme, le contrôle au sol, la présence dans les villages, la démolition des maisons des terroristes et les mesures préventives contre les infrastructures du terrorisme, et à la détermination des FDI [l’armée israélienne] et des services de sécurité dans la mise en œuvre de cette politique, nous réussissons très souvent à contrecarrer et à empêcher des catastrophes plus graves.»
Une troisième guerre mondiale bienvenue
Moshe Yaalon, le ministre de la défense israélien, imagine ouvertement que les attentats de Paris entraîneront une érosion des droits de l’homme en Europe.
« Aux Etats-Unis, jusqu’aux attentats du 11 septembre, la balance entre la sécurité et les droits de l’homme penchait en faveur des droits de l’homme sur la question, par exemple, de l’écoute des terroristes potentiels », a dit Yaalon dimanche à la radio de l’armée israélienne.
« En France et dans d’autres pays d’Europe, ce n’est pas encore arrivé », a-t-il ajouté. « Les pays qui luttent contre le terrorisme n’ont dans ce domaine pas d’autre alternative que de se tourner vers la sécurité. Je suppose que nous allons voir de nombreuses mesures [pour procéder à] des contrôles : contrôle des passeports, contrôle à l’entrée des lieux publics ».
Yaalon a exprimé son désir de voir l’Europe imiter Israël, déclarant : « Notre démocratie est expérimentée dans la lutte contre le terrorisme, nous y sommes habitués. Les démocraties occidentales européennes auront manifestement besoin de prendre de telles mesures elles aussi pour se défendre. »
De même, les dirigeants israéliens avaient bon espoir que la crise des réfugiés en Europe allait générer un glissement à droite qui s’inspire de la façon dont Israël traite les Palestiniens.
Mais une telle réponse ferait seulement le jeu de l’Etat Islamique, qui cherche à éliminer la « zone floue » de coexistence entre les musulmans et les non-musulmans dans les pays occidentaux en provoquant une réaction sévère et des mesures sécuritaires antimusulmanes. L’idée, exposée par l’Etat Islamique dans son journal officiel Dabiq, est qu’une répression croissante en Occident, alimentée par les attentats de l’Etat Islamique, contraindra les musulmans à « fuir la persécution des gouvernements et des citoyens en croisade. »
Lundi, Yaalon a doublé la mise de sa démagogie en définissant les attentats de Paris comme des événements d’une nouvelle guerre mondiale dans laquelle l’islam radical est l’ennemi de l’Occident éclairé.
« Nous y sommes déjà [une troisième guerre mondiale] depuis un moment, » a dit Yaalon à Israel radio. « Il y a ceux qui font la politique de l’autruche et essayent de la qualifier de problème social ou d’autre chose. Ce à quoi nous nous sommes confrontés, c’est l’islam djihadiste qui appelle à détruire la culture occidentale. »
L’Etat Islamique et Israël : des intérêts communs
Si quelqu’un connaît ce que vit la population de Paris en ce moment, ce ne sont pas les Israéliens mais bien la population du sud de Beyrouth, les réfugiés palestiniens du camp de Yarmouk à Damas, les Syriens, les Irakiens et encore beaucoup d’autres musulmans et Arabes qui représentent la majorité des victimes de l’Etat Islamique.
L’Etat Islamique a prouvé qu’il préférait de loin attaquer les ennemis d’Israël, comme le Hezbollah et le Hamas (qui ont tous les deux condamné les attentats de Paris), plutôt que d’attaquer Israël .
La veille des attentats de Paris, l’Etat Islamique a revendiqué un double attentat-suicide à Bourj al Barajneh, un quartier majoritairement chiite du sud de Beyrouth, qui a fait 43 morts et plus de 200 blessés.
Alors que les médias occidentaux ont compati à juste titre avec les victimes parisiennes de l’Etat islamique, le quartier résidentiel pris pour cible à Beyrouth a été réduit au statut de « fief du Hezbollah », terme qui légitime l’attaque de manière efficace en la présentant comme une attaque qui visait une cible militaire, et envoie comme message que les hommes, femmes et enfants qui y sont morts ont mérité leur sort.
Des Américains de droite ont même salué l’attentat de Beyrouth parce qu’ils le considèrent comme une perte pour le Hezbollah.
En fait, les seuls à tirer avantage des attentats de l’Etat Islamique semblent être les faucons de l’Etat Islamique et de l’Occident, dont les idéologies presque identiques de « choc des civilisations » se nourrissent l’une de l’autre dans ce qui constitue une relation symbiotique.
Les faucons, d’Israël aux Etats-Unis, ont besoin de l’Etat Islamique pour justifier encore davantage d’interventionnisme destructeur, celui-là même qui a engendré en premier lieu le culte fanatique de la mort. Et l’Etat Islamique a besoin de la droite occidentale militariste pour justifier sa propagande sur les croisés antimusulmans.
Pendant ce temps, Israël utilise aussi le droit de l’Europe à tirer parti du drame.
Le gouvernement hongrois, connu pour son intolérance cruelle envers les réfugiés, envisage sérieusement d’adopter les solutions israéliennes pour assurer sa propre pureté démographique.
Lundi, Netanyahu a rencontré Peter Szijjarto, le ministre des affaires étrangères hongrois, pour parler des « besoins de leurs nations respectives en matière de sécurité » qui, selon une déclaration du gouvernement israélien, comprenaient les « défis majeurs » posés par « la migration de masse du Moyen-Orient vers le cœur de l’Europe ».
Szijjarto a rendu cette migration responsable des attentats de Paris.
Traduction: EC pour l’Agence