Transition verte et numérique : c’est un des points clés du « Pacte Vert européen » du 11 décembre dernier, amené à être la boussole de l’UE pour la sortie de crise « COVID 19 »
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Ce qui frappe dans la Comm’ des institutions européennes, c’est l’association récurrente des vocables « vert et numérique », comme si les deux projets étaient interchangeables. Une rhétorique largement intégrée par la classe politique dans son ensemble. Un abus de langage, qui permet de dissiper du débat public le coût écologique et sanitaire de l’essor du numérique.
Or, l’utopie technologique conduit à une cécité politique lourde de conséquence. Le réacteur de la transition numérique, c’est le recours à la 5G. Actuellement, c’est la Chine qui mène la danse. Un retard que l’UE entend bien rattraper. Dans sa Communication « Une nouvelle stratégie industrielle pour l’Europe » du 10 mars dernier, la Commission européenne donne le ton : « L’Europe doit investir dans la 5G, un catalyseur majeur des futurs services numériques si elle veut être à l’avant-garde des réseaux 6G ».
Afficher sans complexe cet objectif est de facto un bras d’honneur à tous les scientifiques de tous bords (médecins, physiciens, astronomes, météorologues...) qui l’ont mise en garde contre ses effets potentiellement graves sur la santé et l’environnement, en initiant l’Appel international contre la 5G. Leur requête : un moratoire sur son déploiement, en raison des risques sur la santé humaine. Mais pas seulement.
Ce collectif scientifique nous renseigne que la 5G occasionnerait des dommages graves aux bactéries et aux insectes. Une assertion qui aurait dû sonner comme un coup de tonnerre. Or, il n’en est rien. Sommes-nous à ce point déconnectés de la nature pour ne pas prendre la mesure de cet avertissement et des risques en cascade pour l’humanité ? Selon le dernier rapport de l’IPBES (mai 2019), environ 1 million d’espèces animales et végétales sont aujourd’hui menacées d’extinction. Un tiers de la population mondiale d’oiseaux a déjà disparu. Or, ils ont besoin, au minimum, de protéines carnées durant la période de nourrissage des oisillons. Un apport protéinique généralement fourni par les insectes. Si la 5G signe l’arrêt de mort des insectes, elle condamne également les oiseaux. Mais aussi, les grenouilles, les crapauds, les chauve-souris, etc., exclusivement insectivores. Et de fil en aiguille, l’homme. Car sa sécurité alimentaire en dépend. Selon la FAO, 75% de l’alimentation mondiale dépend des insectes et autres pollinisateurs, tels quel les oiseaux et les chauve-souris. Leur déclin représente aujourd’hui une menace grave pour la sécurité alimentaire. Après les pesticides, la 5G va-t-elle leur donner le coup de grâce ? En clair, évacuer des débats publics la question de l’impact de la 5G sur la biodiversité est irresponsable, voire criminel.
En outre, par leur « numérico-mania », l’UE est ses Etats membres commettent trois fautes graves.
En premier lieu, ils font preuve d’une forme de parti pris à l’égard de la communauté scientifique. Il y a les scientifiques qu’on écoute et ceux qu’on n’écoute pas. Ceux qu’on porte au pinacle et ceux qu’on discrédite. Plus que jamais, la science « super star » est devenue un enjeu idéologique. En jouant le jeu de la 5G, les instances politiques donnent gain de cause aux propos lénifiants de l’industrie (et des études scientifiques qui s’y rattachent), selon lesquels la 5G est certifiée sans danger. Une posture pour le moins contestable, sachant que les collusions d’intérêt entre l’industrie et la science sont légions, dans un contexte de sous-financement chronique de la recherche publique et indépendante. Dès lors que l’UE ambitionne d’être le porte-étendard international du climat et de la biodiversité, on est en droit d’attendre qu’elle redouble de vigilance dans ses arbitrages.
En deuxième lieu, sa fascination pour la 5G la conduit à bafouer le principe de précaution, pourtant coulé dans le marbre dans les Traités européens. Que sait-on de l’impact de la 5G sur le Vivant ? A la question écrite qui lui a été posée sur le sujet, la Commission européenne a répondu qu’une telle étude d’impact n’était « pas considérée comme nécessaire, les avis scientifiques précédents sur la 2G, la 3G ou la 4G n’ayant pas conclu à des risques sanitaires justifiant de réviser les limites d’exposition fixées en 1999 »(1) . Un positionnement pour le moins surprenant quand on sait que dans son rapport 2018, le Comité scientifique des risques sanitaires émergents et nouveaux (SCHEER en anglais pour Scientific Committee on Health, Environmental and Emerging Risks), qui est l’un des comités scientifiques indépendants mis en place par la Commission pour la conseiller, estimait que les effets de la 5G sur la santé et l’environnement n’étaient pas connus et peu étudiés (2) .
Quant aux effets de celle-ci sur la vie sauvage, il lui attribuait un risque élevé. Une analyse dont les conclusions corroborent celles du rapport officiel sur la 5G réalisé à la demande des autorités suisses (3) , qui attire notre attention sur les risques possibles sur les insectes et la biodiversité. Fait significatif : il recommande également de réaliser de toute urgence les études manquantes, notamment sur les effets sanitaires ou environnementaux des ondes millimétriques. Enfin, dans son rapport intermédiaire sur la 5G (4) (octobre 2019), l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement (Anses) ne dit pas autre chose : il existe un manque important, voire une absence de données scientifiques relatives aux effets biologiques et sanitaires potentiels sur la 5G. Autrement dit, l’état des connaissances scientifique est lacunaire. Il incombe donc de multiplier les études, dans un souci de défense de l’intérêt général.
La Commission prétend fonder ses propositions législatives sur la science. Elle fait de la lutte contre le changement climatique l’épine dorsale de son Pacte Vert européen, en précisant que « toutes les actions et politiques de l’UE devront contribuer à atteindre les objectifs du pacte ». Quant à son serment vert « ne pas nuire », elle en fait un principe phare qui doit, à ses yeux, compléter le « principe de précaution » ainsi que le « principe du pollueur-payeur » des Traités européens. Pour autant, elle entend poursuivre son projet de déploiement de la 5G, sans étude d’impact environnemental ou sanitaire dédié. Et ce, alors qu’elle est investie du rôle de gardienne des Traités européens !
En troisième lieu, à vouloir imposer coûte que coûte la 5G, les instances politiques en Europe s’enfoncent dans leurs incohérences. Quel est le sens d’échafauder une nouvelle stratégie européenne sur la biodiversité, où il est question de transformer au moins 30% des terres et des mers européennes en zones protégées, si la 5G représente une menace majeure pour la biodiversité, à commencer par les premiers maillons de la chaîne alimentaire ?
Autre incongruité : la Commission veut rendre les villes plus vertes pour atténuer l’effet du réchauffement climatique. Or, il ressort d’un rapport officiel sur « l’impact de la 5G sur les arbres », commandité par les autorités britanniques (5) , que les feuilles d’arbres absorbent 90% des ondes millimétriques de la 5G. Autrement dit, les arbres nuisent à son efficacité dans le milieu urbain. Doit-on s’attendre à ce que de nouvelles variétés d’arbres soient créées, formatées aux exigences de l’industrie pour faciliter la bonne propagation des ondes ? Ce qui reviendrait à faire fi du principe élémentaire selon lequel la préservation de la biodiversité va de pair avec la promotion des essences indigènes. Car c’est ensemble que la faune et la flore ont co-évolué au fil du temps, créant entre elle une étroite interdépendance.
Certes, le Pacte Vert européen est un catalogue d’intentions qui regroupe une série de propositions louables sur le climat et l’environnement. Mais il n’est pas un Traité de paix avec la nature. Il tente de faire la quadrature du cercle en juxtaposant les logiques économique, sociale et environnementale dans un tiercé gagnant, en présumant de leur compatibilité automatique. Or, proposer simultanément l’augmentation des surfaces protégées dédiées à la biodiversité, tout en prônant le déploiement du réseau 5G sur le continent est un non-sens écologique. L’approche de la protection de la biodiversité « en silo » est une rustine sur un rafiot qui part à la dérive. Pour preuve : la retentissante étude allemande, révélant la disparation de 80% des insectes volants en Europe ces trente dernières années, a été conduite... dans les zones protégées.
Les coûts de la perte de la biodiversité se matérialisent. C’est une des leçons majeures à tirer de la crise sanitaire actuelle. À l’heure où la Commission européenne promet de faire de sa stratégie globale pour la biodiversité à l’horizon 2030 un élément central du plan de relance de l’UE, on est plus que jamais en droit d’attendre de nos autorités politiques qu’elles procèdent préalablement à une étude d’impact de la 5G, y compris sur les écosystèmes, plutôt que de gérer, après coup, les effets néfastes liés à la dissémination de technologies potentiellement dangereuses sur la santé humaine et l’environnement.
L’erreur serait de croire que l’Homo Digitalus puisse vivre en « apesanteur », déconnecté des écosystèmes. La biodiversité, c’est l’assurance-vie pour l’humanité. Politiques, agissez en conséquence !
Inès Trépant
Politologue et Autrice « Biodiversité : quand les politiques européennes menacent le Vivant. Connaître la nature pour mieux légiférer », Éditions Yves Michel (2017)
(2) Statement on emerging health and environmental issues (2018), Scientific Committee on Health, Environemental and Emerginf Risks, 20 décembre 2018
(3) Téléphonie mobile et rayonnement : le rapport du groupe de travail suisse
(4) Exposition de la population aux champs électromagnétiques liée au déploiement de la technologie de communication "5G" et effets sanitaires associés.
(5) Les effets de l’environnement naturel et bâti sur les ondes radio millimétriques : le rapport britannique sur les arbres et la 5G (2018)
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