mercredi 29 janvier 2014

Brisons le silence sur ce qui se passe en Espagne / Let us break the silence on what takes place in Spain

Astrid Menasanch Tobieson, dramaturge 10/01/2014

Sous couvert de l’inattaquable excuse de la sécurité, le gouvernement de Mariano Rajoy considère préventivement le manifestant comme dangereux. Il est ainsi automatiquement regardé comme une menace à la loi grâce au nouveau projet législatif de « Sécurité citoyenne »adopté par le conseil des ministres le 29 novembre dernier.

Des policiers arrêtent des manifestants lors d’un défilé contre la réforme du droit à l’avortement, le 20 décembre 2013 à Madrid (Andres Kudacki/AP/SIPA)
Metteur en scène et dramaturge, Astrid Menasanch Tobieson travaille entre la Suède et l’Espagne. Elle est membre du groupe de théâtre Sta ! Gerillan. La lettre ci-dessous était initialement adressée aux journalistes suédois et a été publiée le 19 décembre. Avec l’autorisation de l’auteure, la traductrice a pu la retranscrire en français.
Mathilde Rambourg

La lettre d’Astrid Menasanch Tobieson

Bouleversée, je vous écris sous le coup de l’indignation. L’Espagne, dans peu de temps, empruntera le chemin qui mène d’une démocratie ouverte à ce qui risque de devenir une démocratie fasciste et autoritaire.
Je vous écris après les événements qui se sont produits dans le quartier de Kärrtorp à Stockholm (où un groupe néonazi ultraviolent a attaqué une manifestation antirasciste il y a quelques jours).
Je vous écris à propos de qui se trame en Espagne. Je crois en tout cas que la Suède et l’Espagne se ressemblent en un point : l’avancée du fascisme devant l’indifférence de la société. Le 19 novembre, le gouvernement espagnol a approuvé un projet de loi dont le but est d’en finir avec les manifestations et les contestations au régime actuel. La méthode est classique : instaurer le silence grâce à la répression.
AVORTEMENT NON, SÉCURITÉ CITOYENNE OUI ?
Le 29 novembre dernier, le Conseil des ministres du gouvernement conservateur espagnol a approuvé le projet de loi « Sécurité citoyenne » qui réforme le code pénal. Le texte, qui réduit les droits et libertés civiles (mais pas celle de faire l’apologie du franquisme) est unanimement rejeté par les mouvements sociaux, les syndicats, l’opposition, les organisations professionnelles comme celles des juges pour la démocratie, l’association unifiée des gardes civils ou la fédération des journalistes d’Espagne.
Alors que le Parti socialiste espagnol a demandé à ses alliés européens de se mobiliser contrele projet de loi réduisant les droits d’accès des femmes à l’avortement, certains se demandent pourquoi il n’a pas entrepris la même démarche sur la loi « Sécurité citoyenne ». Blandine Grosjean
Je vous demande maintenant de l’aide, je vous demande d’informer. Le samedi 14 décembre à Madrid s’est déroulé une des 6 000 manifestationsqui se sont organisées cette année en Espagne. Je le répète : une des 6 000.
Ces dernières années, le réseau de protection sociale a été ébranlé : privatisation des théâtres, tentatives de privatiser les hôpitaux, droit du travail ébranlé et transformé depuis sa base, licenciements innombrables, familles chassées de leur domicile, éducation civique suspendue dans les écoles, etc. Et afin de clore une longue liste, le vendredi 20 décembre, le gouvernement a approuvé la réforme du droit à l’avortement.
Ce que l’on a désigné comme une crise économique est, depuis le début, avant tout une crise démocratique. La couverture médiatique en Suède et en France sur la situation en Espagne a été très faible, et son analyse d’un point de vue social, inexistante.
La manifestation qui s’est tenue au pied du Congrès de Madrid le samedi 14 décembre, avait pour but de protester contre une nouvelle proposition de loi : la « ley de Seguridad Ciudadana », loi de Sécurité citoyenne.

Un groupe Facebook : 30 000 euros

Cette loi, qui contient 55 articles et punit autant d’actes différents, prévoit des amendes pour le manifestant, allant de 100 à 600 000 euros. Les infractions ?
  • Pour commencer, toutes les manifestations non-déclarées et prenant place devant le Congrès ou autre édifice appartenant à l’Etat – comme celle qui s’est déroulée samedi 14 à Madrid – seront interdites et la sanction ira jusqu’à 30 000 euros par participant. Cela sera le cas lorsque plusieurs personnes seront considérées comme un groupe.
  • L’interdiction des manifestations non-déclarées s’appliquera également auxréseaux sociaux. Se rassembler en tant que groupe sur Internet, autour d’une opinion, sera sanctionné de 30 000 euros. Créer un groupe, sur les réseaux sociaux ou dans un lieu public, autour de symboles ou de drapeaux, sera interdit : 30 000 euros d’amende.
  • Si dans une manifestation, un citoyen manifeste avec une capuche ou avec le visage couvert : 30 000 euros d’amende.

Capture d’écran du Huffington Post espagnol qui montre huit photos prises en 2013, qui ne pourront être diffusées en 2014 (Huffingtonpost.es)
  • Refuser de décliner son identité devant un policier : 30 000 euros.
  • Empêcher un policier de remplir sa fonction : 30 000 euros, ce qui, dans la pratique, signifie que les sit-in comme ceux qui initièrent le mouvement du 15-M en Espagne [ « Les Indignés », ndlr], seront strictement interdits.
  • Déshonorer le drapeau espagnol : 30 000 euros [en France, cet acte est passible de 1 500 euros d’amende, ndlr].
  • Réaliser un dessin satirique, prenant pour sujet, par exemple, un politique, sera interdit.
  • Utiliser des pancartes critiquant la nation espagnole : 30 000 euros.
  • Filmer ou photographier un policier en service : 30 000 euros.
NOTE DE LA TRADUCTRICE
Les dénonciations faites par des policiers bénéficient de la présomption de véracité. Par conséquent, c’est celui qui fait l’objet de l’accusation qui devra démontrer la non-véracité de ce qui est avancé par les agents. Le système d’accusation fonctionnait ainsi également sous la dictature franquiste.
Selon l’écrivain Javier Marias, c’est une négation de la justice : cela revient à condamner directement l’accusé car il sera incapable de démontrer qu’il n’a pas pas commis l’acte dont on l’accuse puisque l’on part de la base que si, il l’a fait. Il sera d’autant plus difficile à l’accusé d’apporter des preuves à cause de la loi qui interdit de photographier ou de filmer des agents de l’ordre.
Et la liste n’est pas exhaustive. Dans tous les cas, le témoignage d’un policier ou d’un agent de sécurité sera suffisant pour infliger une amende au citoyen.
D’aucuns peuvent par conséquent se demander : l’Espagne fait-elle face à un mouvement de manifestations violentes ? Eh bien non. Le chef de la police Ignacio Casido a déclaré que ces 6 000 manifestations sont jusqu’à ce jour le mouvement le plus pacifique de l’histoire de l’Espagne.
Il n’y a pas si longtemps, l’Espagne était encore une dictature. Il n’y a pas si longtemps non plus que la guerre civile a eu lieu. Tous les débats sont politiques. Informer d’un événement est un acte politique. Ne pas le faire est un acte politique. Le silence est, au plus haut point, un acte politique. Le choix de garder le silence se fige dans la mémoire des générations. Cette loi néofasciste qui va être votée n’est pas sans lien avec la montée des fascismes en Europe. Cela nous concerne tous.
Je m’adresse à tous les journalistes, aux éditorialistes en France. Vous qui détenez l’espace médiatique. Je vous demande sincèrement de briser le silence vis-à-vis du régime qui est en train de s’imposer en Espagne.
Je vous demande de commencer à informer. Je vous demande de soutenir la liberté d’expression avec vos articles et vos apports au débat, je vous demande d’y apporter des analyses rigoureuses et profondes. Informez ! Informez sur tout !


Source : http://rue89.nouvelobs.com/2014/01/10/brisons-silence-passe-espagne-248918

dimanche 19 janvier 2014

Dieudonné... à l'épicentre d'un malaise profond / Dieudonné, in the epicenter of a deep malaise


Emission "Ce soir ou jamais" présentée par Frédéric Taddeï et diffusée le 8 mars 2010 sur France 3. "Jusqu'où va la liberté de choquer ?" avec Dieudonné, Bruno Gaccio, Thierry Levy




La position de Jonathan-Simon Sellem, 

Dieudonné, et le sol va s’ouvrir sous tes pieds… – Par Jonathan-Simon Sellem
Publié le : 7 janvier 2014
Salut Dieudonné !
Je t’écris ce soir depuis les bureaux du Mossad… Enfin, de JSSNews… Enfin, tu sais ! Tu en parles mieux que moi, de JSSNews, dans tes vidéos. Ou sur scène.
Tu as appris à nous connaître en 2010. A l’époque, JSSNews avait été l’initiateur d’une grande campagne à ton encontre. Après avoir dénoncé la présence du logo du Hezbollah sur les affiches de tes spectacles, nous avions organisé un premier boycott de la FNAC. Il y avait eu plusieurs manifestations dans ce réseau « culturel » pour dénoncer les ventes des billets pour tes apparitions politico-comiques.
dieudo_sellem
Dieudonné M’Bala M’Bala (G) / Jonathan-Simon Sellem (D)
Touché, mais pas coulé, tu as continué à foncer sur l’autoroute de la haine. Au fil de tes spectacles, de tes interviews, de tes visites en Iran, de tes alliances politiques et de tes amitiés, tu n’as cessé de montrer à ceux qui t’aimaient encore que, dans la réalité factuelle et politique, tu soutenais les mêmes engagements racistes que sur scène. En fait, tes spectacles ne sont que des méthodes pour faire passer ta haine politique avec « humour ».
Car, disons-le, rire des juifs, j’en suis le premier. Et quand Coluche le faisait, ça faisait marrer. Et quand Le Luron le faisait, ça faisait aussi marrer. Mais avec toi, cela ne passe plus.
On aurait pu te pardonner ton fameux « sketch » chez Fogiel. Mais pour cela, il aurait fallu être drôle. Mais comment veux-tu que nous puissions rire de tes spectacles, quand tes déclarations publiques sont toutes aussi puantes ?
Tu fais monter sur scène Faurisson « pour rigoler » d’un côté, et de l’autre, tu parles de « pornographie mémorielle ». Tu prends une posture de clochard pour réclamer de l’argent à tes supporters et de l’autre côté, tu es millionnaire. Tu dénonces ce que tu perçois comme un « shoah business » alors que tes premiers financiers, l’Iran par exemple, ou une grande partie de tes fans, te financent uniquement pour que tu continues à profiter de ton propre « business de la Shoah », celui de la négation et de la conspiration.
Pendant des années, JSSNews, « l’organe de propagande de la communauté juive » selon tes propres mots, était le seul média à te défier. Une des raisons est, je crois, la suivante : un Juif en France ne peut pas aussi bien se défendre qu’un Juif en Israël peut t’attaquer. En d’autres termes, tes fans, parmi lesquelles des racailles puantes de haine, des incultes, des membres de l’extrême droite, des ados perdus pour la République, des fils d’immigrés pour qui l’ascenseur social n’a pas fonctionné et qui voient en les Juifs la raison de leurs problèmes, représentent un vrai danger physique pour les amoureux de la République. Et parmi eux, on compte des terroristes comme Carlos, des assassins comme Fofana, des petites frappes comme celles du GUD… Des gens violents, haineux. Des gens qui ne portent pas en eux les valeurs qui animent les juifs de France, dont l’union Républicaine !
Il y a quelques semaines, nous avons lancé la chasse aux nazillons. Nous avons permis aux pompiers, policiers, gendarmes, militaires, de nettoyer les casernes de certains éléments à l’idéologie dangereuse. Nous avons permis à des parents d’une petite commune de France à ne plus s’inquiéter de l’éducation donnée par un de tes fans à leurs bambins. Des dizaines de personnes ont été sanctionnées pour ton salut nazi déguisé. Au moins 32 « quenelliers » ont été licenciés. Et il y en aura d’autres dans les prochains jours.
Il y a aussi eu l’échange de mails entre ta femme et Alain Soral, un échange que nous étions les premiers à publier. Pour la première fois, certains de tes fans comprenaient qu’en fait, « Dieudo qui dénonce le système, est en fait un système à lui tout seul ». En gros, la quenelle, tu l’enfonces dans l’anus de ceux qui te donnent de l’argent alors que tu en as, que tu ne payes pas tes impôts, que tu ne payes pas tes condamnations, que ton compte SACEM est vidé régulièrement par tes soins et que… régulièrement on peut te croiser vers République, à Paris, dans un bureau de Western Union. Il paraît que ton fils, celui qui gère ta société de lubrifiant au Cameroun, est à la tête de comptes bancaires dont le crédit dépasse le PIB d’un petit Etat d’Afrique.
Puis il y a eu le hacker. Si JSSNews n’a absolument aucun lien avec lui, il n’en demeure pas moins que nous avons été le déclic. Il s’est attaqué à toi car nous lui avons montré que tu n’étais pas invincible. Il a publié les noms et les photos de tes supporters au salut nazi déguisé devant des synagogues et des lieux de recueillement. A son tour, il a été le déclic pour un grand nombre de gens.
Je ne reviendrai pas ici sur les affaires Haziza et Cohen. Mais je me demande encore pourquoi personne n’avait, jusqu’à la semaine dernière, mentionné que dans ton dernier spectacle, tu demandes « pardon » à Hitler. Une rigolade ça aussi ?
Aujourd’hui, alors que le fisc s’intéresse enfin à tes finances, alors que la justice s’intéresse enfin à tes plaidoyers haineux, alors que le gouvernement, les préfets et les maires ne veulent plus te laisser débiter ta haine à l’état brut, JSSNews ne peut que se féliciter d’avoir permis tout cela. Et il en va de même avec les informations concernant le réel propriétaire de ton théâtre. Sais-tu seulement que l’argent de ton loyer sert, en autre, à financer des organisations juives et sionistes ?
Et le sol va s’ouvrir sous tes pieds.
Et le château de haine que tu construisais va s’écrouler, emportant avec lui la masse puante de tes supporters acharnés.  
Ces mêmes supporters qui dénonçaient les caricatures de Charlie Hebdo, ceux-là même qui y ont mis des bombes, parlent aujourd’hui de « liberté d’expression » pour te défendre. Mais cela ne peut plus tenir. La liberté vaut beaucoup trop cher pour qu’elle soit souillée par un saltimbanque raciste.
Si « la quenelle ne t’appartient plus », la lutte contre l’idéologie de Dieudonné ne nous appartient plus non plus. JSSNews balance. Et on va balancer encore des dizaines d’informations que nous avons sur ton compte. Dieudonné, la justice française va te faire payer ta haine et tes dérives antisémites. Tu ne seras jamais un martyr. Tu ne seras pas un héros. Ton nom sera maudit dans l’histoire, par l’histoire. Tu es le mal. La haine. Que Diable tes parents ont-ils fait, eux qui t’aimaient tant, pour accoucher d’un monstre ? 
Dieudo, je ne te salue pas. Mais sache qu’après l’arbre, je continuerai à débroussailler la forêt.
Jonathan-Simon Sellem – JSSNews 
Source : http://jssnews.com/2014/01/07/dieudonne-et-le-sol-va-souvrir-sous-tes-pieds-par-jonathan-simon-sellem/

La position d'Alain Gabon, 

Polémique Dieudonné : Valls a-t-il coulé le PS sans s’en rendre compte ?

Valls se met à la quenellePour faire monter puis éclater « l’affaire Dieudonné », Valls semble avoir été inspiré par la stratégie Sarkozy pour les voiles intégraux, niqabs et burqas. Le discours de Valls le 24 août à La Rochelle, suivi de la fameuse circulaire du lundi 6 janvier est l’équivalent (en accéléré et à son échelle) du discours de Versailles du 22 juin 2009, suivi de la loi du 10 octobre 2010 contre la dissimulation du visage, mieux connue comme « la loi anti-burqa ». On se souvient de ce théâtral discours historique de juin 2009 où Sarkozy fit pour la première fois du voile intégral un problème national alors que, jusque-là, tout le monde s’en contrefichait royalement, au point que pas un Français sur 100 ne connaissait même le mot « burqa », et que toute la presse dut se mettre avec force graphiques à expliquer la différence avec le hijab, le niqab et plus.
Même chose pour Dieudonné avant la campagne de Valls. On peut difficilement dire que l’homme-à-abattre figurait sur la liste des priorités des Français avec le chômage, la précarité, l’absence de croissance, le pouvoir d’achat, l’insécurité, etc. Avant l’hystérie médiatico-politique de début janvier où Valls en fit littéralement l’Ennemi Public Numéro 1, combien de Français se levaient le matin (ou se couchaient le soir) en se prenant la tête sur Dieudonné ??? Sans aucune évidence scientifique, risquons cependant : essentiellement aucun, hors bien sûr le CRIF et la LICRA. Comme Sarkozy avec ses niqabs, c’est Valls (et le lobby juif dont il fut l’agent objectif) qui fit exploser l’affaire nationalement fin 2013-début 2014, comme par hasard au moment des vœux présidentiels et des bilans gouvernementaux, notre petit nerveux aux oreilles décollées pensant peut-être que Dieudonné serait le bouc émissaire idéal, en tous cas une cible facile.
Pas de chance, l’homme, soutenu par des centaines de milliers voire des millions de fans (facteur que Valls, qui connaît si mal la France et les Français, sous-estima radicalement) s’avère coriace à digérer, encore plus à éliminer. La preuve, « Dieudo » fait plus que jamais salle comble à chaque spectacle, alors que le ministre qui déclarait tous les jours vouloir l’enterrer une bonne fois pour toutes, est lui en chute libre dans les sondages.
Présentée dans un manichéisme binaire pour simplets lobotomisés comme la Lutte (qu’il voudrait épique) du Bien (lui) contre le Mal, avec bien évidemment, comme dans le cas précédent des femmes voilées, un basané dans le rôle du Mal, la médiatisation toute entière de l’affaire fit donc du métisse Dieudonné la nouvelle incarnation du Monstre, le « nouvel Hitler ». Voir les discours du CRIF qui, dans sa paranoïa hystérique, ne cesse de comparer l’humoriste au Troisième Reich et d’évoquer les années 30, la Seconde guerre, « les 6 millions », les enfants assassinés et déportés, « nos grands-parents gazés et brûlés dans les camps de la mort »comme le matraqua Roger Cuckierman sur France Info. Bref, l’artillerie lourde de l’habituelle rhétorique d’intimidation — Seconde Guerre, Shoah, camps de la mort, rafles d’enfants, etc. —, les Grosses Bertha auxquelles on doit toujours s’attendre dès que ces groupuscules de pression apparaissent à l’horizon. Quel que soit d’ailleurs le sujet, on sait qu’avec le CRIF ou la LICRA, on aura droit à Hitler et aux camps de la mort, et que ce n’est qu’une question de secondes.
Attention, Cukierman ou Jacubowicz est au micro… 5, 4, 3, 2, 1… « C’EST AUSCHWITZ QUI RECOMMENCE !!!!! LA SHOAH ! LA SHOAH ! » (Et quiconque n’hurle pas la même chose en sautant hystériquement sur son siège est bien évidemment un antisémite, ou suspecté de l’être.)
Dieudonné dénonçait cela, cette instrumentalisation cynique et moralement abjecte, répugnante de l’Holocauste par laquelle on utilise la mort de ses propres ancêtres à des fins rhétoriques d’intimidation intellectuelle ou de coercition, comme de la « pornographie mémorielle », et il fut condamné pour antisémitisme pour avoir utilisé cette expression. Ce qui est proprement aberrant, totalement impensable dans des pays où la liberté de parole et de pensée est une chose sérieuse (comme les États-Unis où je vis), et en dit long sur notre « justice » et les régressions des libertés en France.
Lorsque l’on vit encore en 39-45 quasiment 70 ans après la fin de la guerre et que l’on voudrait que le reste de la nation y vive aussi dans l’obsession permanente des crimes passées, alors que le reste des Français, eux, veulent aller de l’avant et ont bien d’autres chats à souhaiter, pas étonnant que l’on hallucine des Hitlers et des « saluts nazis » partout.
À cet égard, notre lobby ultra-communautariste mais néanmoins micro-minoritaire (1% maximum même dans le cas improbable où il représenterait la totalité des juifs de France) ne déçut pas, nous ressortant du 39-45 en-veux-tu-en-voilà , Auschwitz, Vichy, les chambres à gaz, les rafles, Anne Frank, etc. à longueur d’interviewes, dans une stratégie (prévisible) d’amalgame de type staliniste visant à associer Dieudonné à ces horreurs historiques. Allez savoir comment, vu que l’homme est né en 1966 et métisse camerounais, il a au mieux fort peu à voir avec les crimes de la Seconde Guerre Mondiale !
Pressé lui aussi de rejoindre la meute et venir hurler avec les loups pour cracher sa bile haineuse avec le reste de sa caste, l’ex-journaleux Philippe Tesson déclara en direct sur Radio Classique, et sans peur du ridicule, que « le génocide juif est au cœur de cette affaire » (ben voyons), ajoutant : « La mort de Dieudonné par un peloton d’exécution me réjouirait au plus haut point ! » avant d’appeler carrément au meurtre non sans avoir préalablement déshumanisé l’ennemi à abattre dans la plus parfaite tradition intellectuelle nazie : « C’est une bête immonde, alors on le supprime. »
Est-il besoin de mentionner que rien de tout cela et bien pire ne gêne en quelque manière notre ministre de l’Intérieur, en charge entre autre chose de la sécurité physique des personnes, dont l’humoriste ?

L’Opération Dieudo : intox’ et écran de fumée

Dieudonné devait permettre à Valls et Hollande d’éclipser les débats sur le désastre du PS, qui, les Français le savent, a échoué sur absolument tous les sujets qui préoccupent les Français (et comme dit plus haut, « Dieudonné » n’était certainement pas sur leur liste) : chômage, pouvoir d’achat, croissance, éducation, précarité, sécurité, etc. L’échec est total, rien ne le rachète, et pire, il porte sur les problèmes contre lesquels Hollande s’était engagé comme priorités absolues.
Souvenons-nous ici d’un épisode tout récent, apparemment déjà oublié mais fort révélateur : à savoir, comment l’affaire Dieudonné éclipsa totalement des médias et des débats les dramatiques déclarations du Général Soubelet, numéro 3 de la gendarmerie, et le bilan absolument désastreux et catastrophique qu’il dressait de la politique Valls/Taubira, dont l’apparition de formes nouvelles d’insécurité qui frappent le monde rural et périurbain, c’est-à-dire une bonne partie de la France. Voir un extrait de ses déclarations ici.
Valls ne pouvait pas ignorer que cela aussi se pointait à l’horizon immédiat de ce début d’année. Sans Dieudonné pour occuper les médias, il ne fait aucun doute que cette affaire-là lui aurait méchamment éclaté à la figure, générant de longs débats pendant plusieurs jours voire plusieurs semaines et démontrant statistiques à l’appui que le ministre de l’Intérieur Valls, certes, aime rouler des mécaniques devant les média (le syndrome Sarkozy, encore) mais est en fait, dans son travail, dans ses responsabilités premières, un raté et un gros nullard.
Cependant, tel un don du ciel (sans jeu de mot), « l’affaire Dieudonné », qu’il fit donc lui-même mousser autant que possible dans la période où justement la France commençait à écouter Soubelet, arriva à point nommé pour chasser cet embarrassant Général des média. Tout comme cet autre fait, également miraculeux, d’avoir le descendant du Capitaine Dreyfus en personne (!) catapulté juge et qui plus est juge unique, dans une affaire d’accusations d’antisémitisme. Valls s’est avéré totalement incapable d’éliminer le grand banditisme(le petit aussi, d’ailleurs), mais il est décidément l’homme des coïncidences inouïes.
Dans ce contexte d’échec gouvernemental tous azimuts, Valls et Hollande (le bilan économique du grand mou à l’Élysée étant encore pire que celui du petit nerveux à l’intérieur) pensaient sans doute que Dieudonné, un homme seul (plus facile que 20 000 Roms, le chômage ou l’insécurité rurale, ça), constituerait un bouc émissaire et  écran de fumée idéal. Et toujours comme par hasard, un homme qui se trouvait déjà depuis 2002 dans la ligne de mire de ses amis du lobby communautariste juif et sioniste dont on le sait maintenant si proche, y compris personnellement à travers sa femme, ainsi qu’ il s’en vanta.
Comme quoi un jour où s’en prend au « communautarisme » (Valls n’a souvent que ce mot-épouvantail à la bouche pour mieux se présenter comme un « Républicain universaliste »), et le lendemain, on l’encourage. De plus — redoublement de l’hypocrisie et du double-discours de ce Ministre-Janus — il semble pour lui y avoir en France une différence entre les « mauvais » communautarismes (bien évidemment, les musulmans, les « islamistes » et autres « salafistes » honnis) et les bons (celui du CRIF et de bobonne avec leur politique de soutien à un état-voyou colonisateur par les armes et la violence pure de terres qui ne lui appartiennent pas).
Grâce à la complicité des médias et à l’atmosphère de terreur que la si peu Sainte Trinité médias/partis politiques/lobbys fait régner sur quiconque ne participe pas au lynchage public et refuse d’hurler avec la meute de chacals ou de bêler comme des veaux « DIEUDONNE ANTISEMITE !!! DIEUDONNE ANTISEMITE !!! » (par trouille de se voir taxer soi-même d’antisémite, voir Stéphane Guillon, Nicolas Bedos et le reste des journaleux, politicards, et « comiques » consensuels), l’ « Opération Dieudo » (opération d’intox’ et de diversion) a apparemment pris pendant quelques semaines. Mais la poudre aux yeux s’est déjà dispersée, sans doute plus rapidement que l’illusionniste Valls ne l’espérait, et les communiqués alarmés des hommes et femmes de lois sur le sujetdont Jack Lang, le montrent.

Illusion médiatique et faux unanimisme de façade

Autre signe, observons avec amusement la spectaculaire volée de bois vert que Valls est en train de se ramasser non-stop sur sa propre page Facebook, y compris de la part des jeunes de la France multiculturaliste black-blanche-beurre verte jaune ou bleue (à savoir une part importante de l’électorat traditionnel de la gauche) qui trouvent absolument insupportable cette entreprise de censure, qu’ils aiment ou pas Dieudonné, d’ailleurs (voir ici et ).
À cette manifestation de colère sacrée, on se dit que sur cette affaire, le chaînon manquant PS-UMP vient en réalité de faire perdre à son parti le vote d’une bonne partie de la jeunesse libertaire de gauche. Et également celui de pas mal de moins jeunes.
La plus grosse de toutes les quenelles sauce Dieudo’ que le gouvernement Hollande risque de recevoir à cause de leur hystérique de ministre (qui a toujours l’air de suer la haine quel que soit le sujet abordé ou la personne à qui il parle), elle leur sera envoyée dans les urnes lors des prochaines élections. Et si l’on en juge les 2, parfois 3 millions de hits des vidéos de la Dieudosphère, ce sera par centaines de milliers.
Personnage arrogant, élitiste, hautain, égocentré, dévoré par son ambition présidentielle personnelle, souvent condescendant avec les « gens du peuple » (voir ici), lui-même suspect de racisme depuis cette vidéo, un mégalomane qui dégage de la hargne en permanence et combine égo surdimensionné, vacuité d’un discours langue de bois, et médiocrité intellectuelle évidente (le verbe haut, le sourcil éternellement froncé et le visage grave servent à masquer l’absence de substance et l’échec de l’action), Valls connaît en fait mal la France et les Français. Car dans ce pays, on n’aime rien de moins que la censure.
Surtout les jeunes générations post-68 nées et élevées dans un environnement social de plus en plus libéral-libertaire voire permissif. Et dans cette atmosphère culturelle, les apprentis-censeurs (on ne dira pas ici les descendants des Joseph Goebbels) ne font pas recette, en tous cas pas longtemps. Ceux qui sous couvert de lutte contre l’antisémitisme s’attaquent à nos libertés fondamentales en profitant des émotions (qu’ils surchauffent eux-mêmes) pour mettre insidieusement en place une Police de la Pensée, un gouvernement des corps et des consciences aux relents de plus en plus nettement totalitaires, ceux-là, les Français les « dégomment » vite, sans regret ni état d’âme, par le bulletin de vote. Comme il se vérifiera bientôt.
« Premier Flic de France », Valls devrait apprendre à mieux lire son terrain. La fausse unanimité de façade, le groupthink orwellien (conformisme de la bien-pensance commune) que la caste médiatico-politique s’était désespérément efforcée de créer s’effrite déjà. De nombreuses voix,surtout parmi nos hommes et femmes de loi, dénoncent vigoureusement son action (celle du Conseil d’État également) et expliquent comment Valls fait sauter les garde-fous et ouvre la voie à une dramatique régression liberticide, à un tournant dangereux pour notre civilisation libérale et notre état de droit.
Au-delà de la profession juridique, il n’a pas été suffisamment dit que malgré une campagne tous azimuts de propagande comme on en avait rarement vue depuis un moment, c’est une faible majorité de Français (52% au mieux, une minorité dans d’autres sondages) qui s’est prononcée pour l’interdiction des spectacles, quasiment la moitié restant contre. Et encore, ces sondages ne portent que sur Dieudonné et uniquement sur le spectacle « Le Mur ».
Cette réponse, déjà faible, est donc en plus hautement circonstanciée et limitée à un artiste et un spectacle sur lequel la désinformation et les mensonges furent grands. De même, il est bien connu que si l’on sonde les gens à chaud, lorsqu’ils sont au summum de l’émotion, après les avoir soi-même chauffés à blanc et soumis à un matraquage hallucinant, diabolisant et même déshumanisant pendant des semaines la personne sur laquelle porte le sondage (vieille tactique propagandiste de construction d’une fausse « opinion publique » déjà bien analysée par Pierre Bourdieu dans un célèbre article de 1972), les réponses ont évidemment toutes les chances d’être négatives. Mais refaisons ce même sondage dans 6 mois, lorsque Dieudonné ne sera plus l’objet d’un acharnement médiatique inégalé, et on verra le résultat. Bien sûr, ce sondage-là n’aura pas lieu. Il n’en reste pas moins que malgré cette campagne aberrante de tous contre un, la caste politico-médiatique qui avait pourtant jeté la totalité de ses forces dans l’affaire, appareils d’État et grands médias inclus, et ce pendant des semaines, n’aura réussi à convaincre qu’une faible majorité dans le meilleur des cas, sur un humoriste et un spectacle particulier, et pour un court moment. Car le vent tourne déjà.
Sur le front gestuel, elle n’a pas du tout réussi à convaincre les Français que les « quenelles » étaient des « saluts nazis », ce qu’elles ne sont aucunement (il suffit d’écouter et de connaître un peu les fans) sauf peut-être pour quelques âmes perdues. Pire pour Valls, les sondages dont on dispose suggèrent que la majorité est restée contre les interdictions de ce geste y compris dans les cas où il est commis sur des « lieux symboliques » (les lieux de mémoire de la Shoah). Même dans ces cas extrêmes où le geste peut être interprétée comme une insulte directe aux morts et survivants du génocide (mais cela resteraient à prouver car affirmation n’est pas démonstration), les Français restent en grande majorité contre l’interdiction.
Avec un peu de recul, on mesure donc l’ampleur qui sépare de la réalité ce faux unanimisme de façade dans les grands médias, où tout le monde semble être pro-Valls et anti-Dieudonné (une autre des multiples tromperies auxquelles on a eu droit). Comme quoi, la France médiatique est très loin d’être le pays réel.

Retour du boomerang

Enfin, les sondages de popularité gouvernementale confirment que depuis l’affaire Dieudonné, Valls est en net décrochage, moins 6 points selon Ifop, moins 7 selon Ipsos, les Français lui reprochant d’en faire trop et de mettre en danger les libertés fondamentales. Il n’est donc pas étonnant de le voir maintenant, lui et les médias-cireurs-de-pompes, dé-médiatiser l’affaire et cesser soudainement d’en parler après en avoir fait son cheval de bataille. Là encore, l’affaire s’avère être pour lui un flop en terme de com’, et la réalité est l’exact contraire de l’illusion unanimiste projetée par les médias qui en ont fait un de leurs chouchous.
Au bout du compte, il ne fait guère de doute que les agissements de Valls, dont le cynisme est si choquant, les supercheries si visibles, et le danger qu’il représente pour la démocratie et la République de plus en plus évident, auront un prix politique.
Tout content de son succès momentané (en fait limité à l’interdiction du spectacle « Le Mur ») et de la gloriette à 2 balles dont les médias à sa botte le gratifient en continu (le courageux Frédéric Taddéï restant l’exception), notre petit matamore ne s’en rend sans doute pas compte (trop autocentré et pas assez intelligent ou connecté au pays réel pour cela), mais tel un benêt qui se tire une balle dans le pied, il vient très probablement de contribuer à la future défaite électorale de son propre parti en révélant ses tendance autocratiques et le danger qu’il représente pour les libertés républicaines fondamentales, et en faisant perdre au PS, au bas mot, des centaines de milliers de voix de la très libertaire jeunesse black-blanche-beurre.
Valls a gagné une petite bataille (à 1 000 contre 1, quel courage), que les médias glorifient et héroïsent dans une propagande insensée assortie d’un culte de la personnalité digne d’un État-Pravda, mais il aura perdu la guerre. Il sera bientôt de retour sur les bancs de l’opposition avec le reste de sa caste énarchique élitiste et hautaine, alors que Dieudonné continuera à jouer devant des salles pleines à craquer.
> Alain Gabon, Professeur des Universités aux États-Unis, dirige le programme de français à Virginia Wesleyan College (université affiliée à l’Église méthodiste de John Wesley et située à Virginia Beach sur la côte est), où il est Maître de Conférences titulaire d’une Chaire en Études Françaises.
Source : http://www.ndf.fr/poing-de-vue/21-01-2014/dieudonne-valls-t-il-coule-le-ps-sans-sen-rendre-compte

La position de Bruno Coppens, en chanson


http://www.rtbf.be/video/detail_on-n-est-pas-rentre-15-1-2014-bruno-coppens-chante-on-t-appelle-quenelle?id=1886255

La position de la ligue des droits de l'homme





La position de Frédéric Taddeï, animateur de l'émission "Ce soir ou jamais"



La position de Jean Bricmont et de Philippe Moureau


La position de Desproges 



La position de Coluche


La position de Bedos Junior




La position de Finkielkraut et Plantu



La position du principal intéressé





Et enfin, la position de Voltaire


« Je ne suis pas d’accord avec votre opinion, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez l’exprimer ».

vendredi 17 janvier 2014

: David Graeber : « La façon la plus simple de désobéir à la finance, c’est de refuser de payer les dettes » / David Graeber: " the simplest way to break the finance, it is to refuse to pay the debts "


PAR 

La dette ? Une construction sociale, fondatrice d’un pouvoir arbitraire, estime David Graeber, anthropologue et économiste états-unien, considéré par le New York Times comme l’un des intellectuels les plus influents actuellement. Les pays pauvres et les personnes endettées sont aujourd’hui enchainés aux systèmes de crédit. Piégés dans des relations basées sur la violence, les inégalités et justifiées par la morale, décrit l’auteur, dans un ouvrage qui retrace 5000 ans d’histoire de la dette. « Rembourser ses dettes » est devenu un dogme, impossible à contester. Et si, malgré tout, on décidait d’effacer l’ardoise ? Avec le mouvement Occupy Wall Street, David Graeber lance des actions de désobéissance civile pour démontrer l’absurdité du système capitaliste actuel. Entretien.


Basta ! : A quel moment dans l’histoire le crédit est-il apparu ? Qu’est-ce qu’une dette ?
David Graeber [1] : La dette est une promesse, qui a été pervertie par les mathématiques et la violence. On nous a raconté une histoire : « Il était une fois des gens qui utilisaient le troc. Voyant que cela ne marchait pas très bien, ils ont créé la monnaie. Et l’argent nous a amené le crédit. » Du troc au crédit, une sorte de ligne droite nous amènerait donc à la situation actuelle. Si on regarde plus attentivement l’histoire, cela s’est passé bien différemment ! Le crédit a d’abord été créé. La monnaie physique est apparue quelques milliers d’années plus tard. Cela permet de poser les questions différemment : comment sommes-nous passés d’un système où les gens disaient « je vous dois une vache », à un système où l’on peut mesurer la valeur exacte d’une dette ? Ou l’on peut assurer, formule mathématique à l’appui, que « 340 poulets sont équivalents à cinq vaches » ? Comment une promesse, une obligation de remboursement, est devenue une « dette » ? Comment l’idée que nous devons une faveur a-t-elle été quantifiée ?
En quoi quantifier une dette est-elle un problème ?
Quantifiable, la dette devient froide, impersonnelle et surtout transférable : l’identité du créancier n’a pas vraiment d’importance. Si je promets de vous rencontrer à cinq heures demain, vous ne pouvez pas donner cette promesse à quelqu’un d’autre. Parce que la dette est impersonnelle, parce qu’elle peut être exigible par des mécanismes impersonnels, elle peut être transférée à une autre personne. Sans ces mécanismes, la dette est quelque chose de très différent. C’est une promesse qui repose sur la confiance. Et une promesse, ce n’est pas la négation de la liberté, au contraire, c’est l’essence de la liberté ! Être libre, c’est justement avoir la capacité de faire des promesses. Les esclaves ne peuvent pas en faire, ils ne peuvent pas prendre d’engagements auprès d’autres personnes, car ils ne sont pas sûrs de pouvoir les tenir. Être libre, c’est pouvoir s’engager auprès d’autrui.
Au contraire, le « remboursement de la dette » est devenu un dogme moral...
La dette a été transformée en une question d’arithmétique impersonnelle, en l’essence même de l’obligation morale. C’est ce processus que nous devons défaire. Il est fascinant aussi de voir le lien entre la notion de dette et le vocabulaire religieux, de constater comment les premières religions débutent avec le langage de la dette : votre vie est une dette que vous devez à Dieu. La Bible par exemple commence avec le rachat des péchés... Devenue dogme moral, la dette justifie les dominations les plus terribles. On ne peut comprendre ce qu’elle représente aujourd’hui sans un détour par cette longue histoire de la dette comme justification morale de relations de pouvoir inégales. Le langage de la dette permet de justifier une relation de pouvoir arbitraire. Et il est très difficile d’argumenter face à un pouvoir arbitraire sans adopter le même langage.
Vous citez l’exemple de la mafia...
Parler de dette devient un moyen pour décrire des relations inégales. Les mafieux ont compris cela : ils utilisent souvent le terme de dette, même si ce qu’ils font est en réalité de l’extorsion. Quand ils annulent ou reportent certaines dettes, cela passe pour de la générosité ! C’est comme les armées qui font payer un tribut aux vaincus : une taxe en échange des vies épargnées. Avec le langage de la dette, on dirait que ce sont les victimes qui sont à blâmer. Dans de nombreuses langues, dette, culpabilité et péché sont le même mot ou ont la même racine.
La monnaie, qui permet de quantifier précisément la valeur d’une dette, apparaît d’ailleurs dans les situations de violence potentielle. L’argent est aussi né du besoin de financer les guerres. La monnaie a été inventée pour permettre aux États de payer des armées professionnelles. Dans l’Empire romain, la monnaie apparait exactement là où stationnent les légions. De la même façon, le système bancaire actuel a été créé pour financer la guerre. Violence et quantification sont intimement liés. Cela transforme les rapports humains : un système qui réduit le monde à des chiffres ne peut être maintenu que par les armes.
Il y a aussi une inversion : le créancier semble être devenu la victime. L’austérité et la souffrance sociale sont alors considérées comme un sacrifice nécessaire, dicté par la morale…
Absolument. Cela permet par exemple de comprendre ce qui se joue en Europe aujourd’hui. L’Europe est-elle une communauté de partenaires égaux ? Ou y a-t-il une relation de pouvoir entre entités inégales ? Est-ce que tout peut être renégocié ? Quand une dette est établie entre égaux, elle est toujours traitée comme une promesse. Nous renégocions des promesses tout le temps, car les situations changent : si je vous promets de vous voir demain à cinq heures, si ma mère meurt, je ne suis pas obligé de tenir ma promesse.
Les gens riches peuvent être incroyablement compréhensifs concernant la dette des autres riches : les banques états-uniennes Goldman Sachs et Lehman Brothers peuvent se concurrencer, mais quand quelque chose menace leur position générale de classe, soudain elles peuvent oublier toutes les dettes contractées si elles le veulent. C’est ce qui s’est passé en 2008. Des trillions de dollars de dettes ont disparu, parce que cela arrangeait les puissants. De la même façon des gens pauvres vont être très compréhensifs les uns envers les autres. Les prêts que l’on fait à des proches sont finalement souvent des cadeaux. C’est lorsqu’il y a des structures d’inégalités, que soudain la dette devient une obligation morale absolue. La dette envers les riches est la seule à être vraiment « sacrée ». Comment se fait-il que Madagascar soit en difficulté quand il doit de l’argent aux États-Unis, mais que lorsque ce sont les États-Unis qui doivent de l’argent au Japon, c’est le Japon qui est en difficulté ? Le fait notamment que les États-Unis ont une puissante armée change le rapport de force...
Aujourd’hui, on a l’impression que la dette a remplacé les droits : les droits à la formation ou au logement se sont transformés en droit au crédit ?
Certains utilisent leur maison pour financer leur vie en contractant de plus en plus de prêts hypothécaires. Leurs maisons deviennent des distributeurs de billets. Les micro-crédits pour faire face aux problèmes de la vie se multiplient, en substitution de ce qui était auparavant assuré par l’État-providence, qui donnait des garanties sociales et politiques. Aujourd’hui, le capitalisme ne peut plus offrir un bon « deal » à tout le monde. On sort de l’idée que chacun pourrait posséder un bout du capitalisme : aux États-Unis, chacun était censé pouvoir investir dans les entreprises, qui en fait exploitent chacun. Comme si la liberté consistait à posséder une part de notre propre exploitation.
Puis les banquiers ont transformé la dette en produits bancaires, échangeables comme de la monnaie...
C’est incroyable ! Il y a six ans, même des gens très intelligents disaient : « Que ces gens sont brillants, ils ont créé de l’argent à partir de rien ». Ou plutôt avec des algorithmes tellement complexes, que seuls des astrophysiciens pouvaient les comprendre. Mais cette incroyable sophistication s’est révélée être une escroquerie ! J’ai eu récemment des entretiens avec de nombreux astrophysiciens, qui m’ont affirmé que ces chiffres ne veulent rien dire. Tout ce travail semble très sophistiqué, mais en fait il ne l’est pas. Une classe de personnes a réussi à convaincre tout le monde qu’ils étaient les seuls à pouvoir comprendre. Ils ont menti et les gens les ont cru. Soudain, un pan de l’économie a été détruit, et on a vu qu’eux-mêmes ne comprenaient pas leurs instruments financiers.
Pourquoi cette crise n’a-t-elle pas changé notre rapport à la dette ?
A cause d’un profond déficit intellectuel. Leur travail idéologique a été tellement efficace que tout le monde est convaincu que le système économique actuel est le seul possible. Nous ne savons pas quoi faire d’autre. Alors nous posons un morceau de scotch sur le problème, prétendant que rien ne s’est passé. Où cela nous mènera-t-il ? A une nouvelle panne. Nous entrons désormais dans une nouvelle étape : celle du jeu défensif. Comme la plupart des justifications intellectuelles du capitalisme s’effondrent, ses promoteurs attaquent aujourd’hui toutes les alternatives possibles. En Grande-Bretagne, après la crise financière, la première chose qu’ont voulu faire les responsables économiques a été de réformer le système scolaire, pour le rendre plus compétitif. En réalité, le rendre plus semblable au système financier ! Pourquoi ? Sans doute parce que l’enseignement supérieur est un des seuls espaces où d’autres idées, d’autres valeurs, peuvent émerger. D’où la nécessité de couper court à toute alternative avant qu’elle ne puisse émerger. Ce système éducatif fonctionnait pourtant très bien jusqu’à présent, alors que le système financier a failli de manière spectaculaire. Il serait donc plus pertinent de rendre le système financier semblable au système éducatif, et non l’inverse !
Aujourd’hui, aux États-Unis, des gens sont emprisonnés pour incapacité à rembourser leurs dettes. Vous citez l’exemple d’un homme condamné à la prison en 2010 dans l’État de l’Illinois pour une durée illimitée, tant qu’il n’aura pas réussi à rembourser 300 dollars...
Aux États-Unis, des gens sont emprisonnés parce qu’ils n’ont pas réussi à payer les frais de citation en justice. Alors qu’il est presque impossible de poursuivre des banques pour des saisies illégales ! Les banques peuvent toujours aller voir la police pour leur demander de vous arrêter pour défaut de paiement, même si tout le monde sait qu’il s’agit d’une saisie illégale. Pouvoir financier et pouvoir politique sont en train de fusionner. Police, collecteurs d’impôts, les personnes qui vous expulsent de vos maisons, opèrent directement dans l’intérêt des institutions financières. Peu importe votre revenu, un robot signe votre expulsion et la police vous fait sortir de votre maison.
Aux États-Unis, tout le monde croyait faire partie de la classe moyenne. Ce n’est pas vraiment une catégorie économique, plutôt une catégorie sociale et politique : on peut considérer que font partie de la classe moyenne les citoyens qui se sentent plus en sécurité quand ils voient un policier, que l’inverse. Et par extension, avec toutes les autres institutions, banques, écoles... Aujourd’hui, moins de la moitié des Américains considèrent qu’ils font partie de la classe moyenne, contre les trois quarts auparavant. Si vous êtes pauvres, vous supposez que le système est contre vous. Si vous êtes riches, vous avez tendance à croire que le système est avec vous. Jusqu’à présent aucun banquier n’a été mis en prison pour des actes illégaux durant la crise financière. Et des centaines de manifestants ont été arrêtés pour avoir tenté d’attirer l’attention sur ces faits.
La dette provoque toujours contestation et désordre dans les sociétés, écrivez-vous. Et depuis 5000 ans, les insurrections populaires commencent très souvent par la destruction des registres de dette...
La dette semble être le plus puissant des langages moraux jamais créés pour justifier les inégalités et les rendre « morales ». Mais quand tout explose, c’est avec une grande intensité ! L’historien britannique Moisis Finley défendait l’argument que dans le monde antique, il n’y avait qu’une seule demande révolutionnaire : abolir les dettes, et ensuite redistribuer les terres. De la décolonisation de l’Inde à l’Amérique latine, les mouvements d’abolition des dettes semblent partout une priorité. Lors de révolutions paysannes, une des premières actions des insurgés est de trouver les registres de dettes pour les brûler. Puis les registres de propriété des terres. La raison ? La dette, c’est pire que si vous dites à quelqu’un qu’il est inférieur, esclave, intouchable. Car cela signifie : « Nous ne sommes pas fondamentalement différents, vous devriez être mon égal, mais nous avons conclu un contrat d’affaires et vous avez perdu. » C’est un échec moral. Et cela peut engendrer encore plus de colère. Il y a quelque chose de profondément insultant, dégradant avec la dette, qui peut provoquer des réactions très violentes.
Vous réclamez un jubilé, c’est-à-dire un effacement des dettes – dettes souveraines des États mais aussi dettes individuelles. Quel impact économique cela aurait-il aujourd’hui ?
Je laisse les détails techniques aux économistes... Cela supposerait notamment de revenir à un système public pour les pensions de retraite. Les précédentes annulations de dettes n’ont jamais concerné toutes les dettes. Mais certains types de dettes, comme les dettes de consommation ou la dette souveraine des États, pourraient être effacées sans réels effets sociaux. La question n’est pas de savoir si l’annulation de dette va avoir lieu ou pas : les gens qui connaissent bien la situation admettent que cela va évidemment arriver. La Grèce, par exemple, ne pourra jamais rembourser sa dette souveraine, elle sera progressivement effacée. Soit avec de l’inflation – une manière d’effacer la dette qui a des effets délétères – soit par des formes d’annulation directe. Est-ce que cela arrivera « par en bas », sous la pression des mouvements sociaux, ou « par en haut », par une action des dirigeants pour tenter de préserver le système ? Et comment vont-ils habiller cela ? Il est important de le faire de manière explicite, plutôt que de prétendre à un simple « rachat » de la dette. Le plus simple serait de dire qu’une partie de la dette est impayable, que l’État ne garantit plus le paiement, la collecte de cette dette. Car pour une grande part, cette dette existe uniquement parce qu’elle est garantie par l’État.
L’effacement de la dette des États, c’est la banqueroute. Les experts du FMI ou de la Banque mondiale seront-ils un jour d’accord avec cette option ?
Le FMI annule actuellement des dettes en Afrique. Les experts savent que la situation actuelle n’est pas viable. Ils sont conscients que pour préserver le capitalisme financier et la viabilité à long terme du système, quelque chose de radical doit avoir lieu. J’ai été surpris de voir que des rapports du FMI se réfèrent à mon livre. Même au sein de ces institutions, des gens proposent des solutions très radicales.
Est-ce que l’annulation de dettes signifie la chute du capitalisme ?
Pas nécessairement. L’annulation de dettes peut aussi être un moyen de préserver le capitalisme. Mais à long terme, nous allons vers un système post-capitaliste. Cela peut paraître effrayant, puisque le capitalisme a gagné la guerre idéologique, et que les gens sont convaincus que rien d’autre ne peut exister que cette forme précise de capitalisme financier. Il va pourtant falloir inventer autre chose, sinon dans 20 ou 30 ans, la planète sera inhabitable. Je pense que le capitalisme ne sera plus là dans 50 ans, mais je crains que ce qui arrive ensuite soit encore pire. Nous devons construire quelque chose de mieux.
Dans le cadre du mouvement Occupy Wall Street, vous êtes l’un des initiateurs de la campagne Rolling Jubilee. Quels sont ses objectifs et son impact ?
C’est un moyen de montrer à quel point ce système est ridicule. Aux États-Unis, des « collecteurs » achètent de la dette, à 3% ou 5% du montant de la dette initiale, et vont ensuite tenter de recouvrer la totalité de l’argent en faisant payer les personnes endettées. Avec la campagne Rolling Jubilee, nous faisons comme ces collecteurs de dette : nous achetons collectivement nous-mêmes de la dette – ce qui est parfaitement légal – et ensuite, au lieu d’exiger leur remboursement, nous effaçons ces dettes ! Quand nous atteindrons un niveau où cela commence à avoir un effet réel sur l’économie, ils trouveront sans doute un moyen de rendre ça illégal. Mais pour le moment, c’est un bon moyen de mettre en évidence l’absurdité du système (sur cette campagne, lire notre aticle « Strike debt » : un plan de sauvetage du peuple par le peuple). En complément, nous développons le projet « Drom », Debt resistors operation manuel, qui fournit des conseils légaux et pratiques aux personnes endettées.
La façon la plus simple de désobéir à la finance, c’est de refuser de payer les dettes. Pour lancer un mouvement de désobéissance civile contre le capitalisme, on peut commencer par là. Sauf que les gens le font déjà ! Un Américain sur sept est poursuivi par un collecteur de dettes. 20 % au moins des prêts étudiants sont en situation de défaut. Si vous ajoutez les prêts hypothécaires, sur les 80 % de la population qui sont endettés aux États-Unis, entre un quart et un tiers sont déjà en situation de défaut de paiement ! Des millions d’Américains font déjà de la désobéissance civile par rapport à la dette. Le problème est que personne ne veut en parler. Personne ne sait que tout le monde le fait ! Comment réunir tous ces gens isolés ? Comment organiser un mouvement social si tout le monde a honte de ne pas réussir à rembourser ses dettes ? À chaque fois que vous refusez de payer une dette médicale, une dette « odieuse » créée par la collusion entre gouvernement et financiers – qui piège les gens dans des dettes que vous n’avez d’autre choix que de subir – vous pouvez dépenser votre argent pour quelque chose de socialement important. Nous voulons encourager les « coming-out » sur cette résistance au système. Fédérer cette armée invisible de gens qui font défaut, qui sont déjà sur le terrain de bataille, s’opposant au capitalisme par une résistance passive.
Propos recueillis par Agnès Rousseaux
Photos : CC A. Golden (Une) et CC Gonzalo

David Graeber, Dette, 5000 ans d’histoire, Editions Les liens qui libèrent, 2013, 620 pages.

Notes

[1Docteur en anthropologie, économiste, ancien professeur à l’Université de Yale, David Graeber est actuellement professeur à la London School of Economics. Il est selon le New York Times l’un des intellectuels les plus influents actuellement. Et est l’un des initiateurs du mouvement Occupy Wall Street.


Source : http://www.bastamag.net/David-Graeber-La-forme-la-plus