Antoine Peillon nous parle de Christophe Dettinger, sanctionné politique... mais aussi de Jérôme Rodrigues qui a été visé car il devenait extrêmement populaire : "J'apporte des témoignages du monde sécuritaire et policier, qui me disent : Jérôme Rodrigues, qui a perdu l'oeil à la Bastille, a été pointé. Il y a au sein de la police, des gens très spécialisés dans le renseignement, qui visent des efficacités comme un commando de services spéciaux."
Informations évoquées dans l'interview :
Maintien de l’ordre : la lettre de Grimaud, le télégramme de Cazeneuve
30 AVR. 2016 PAR EDWY PLENEL BLOG : LES CARNETS LIBRES D'EDWY PLENEL
Indifférent aux nombreux témoignages sur les violences policières, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve a transmis aux préfets un télégramme de fermeté face aux manifestations sociales et aux rassemblements des « Nuit Debout ». Le comparer avec la lettre individuelle envoyée, en Mai-68, à tous les policiers par le préfet de police de Paris Maurice Grimaud, c’est prendre la mesure de la déliquescence de l’État sous cette République finissante.
Depuis la mort en 2014 de Rémi Fraisse, tué à Sivens par une grenade offensive alors qu’il s’avançait les bras levés, inoffensif et pacifique, face aux forces de gendarmerie, nous savons que l’actuel tenant du ministère de l’intérieur tombera de préférence du côté d’un ordre injuste plutôt qu’il ne sera sensible aux injustices qui sont cause de désordres. Son trop long silence alors, ses mots manquants ou dérisoires, tardifs et pauvres, ses excuses absentes resteront comme la marque d’un pouvoir qui, sans états d’âme aucun, tourna le dos à la jeunesse dont il avait prétendu faire sa promesse, durant la campagne présidentielle de 2012.
Confronté depuis plus d’un mois à un mouvement social inédit, associant manifestations régulières et rassemblements quotidiens, ce même pouvoir, en son expression policière, confirme son penchant répressif, plus prompt à libérer la force qu’à la retenir. Alors que les témoignages, documentés par de nombreuses vidéos (un dernier exemple ici sur Mediapart), attestent de la disproportion de violence entre les ripostes des forces dites de l’ordre et les comportements des manifestants, dont l’immense majorité est pacifique ; alors qu’un abîme sépare ces manifestants, massivement inexpérimentés et désarmés, d’unités professionnelles aux équipements protecteurs et aux armes dangereuses, potentiellement létales selon leur usage ; alors qu’à Rennes, un jeune étudiant vient de perdre un œil, sans doute sous un tir de LBD (lanceur de balle de défense) ; bref, alors que la question de l’usage disproportionné et illégitime de la force par des policiers et des gendarmes est publiquement posée, le ministre de l’intérieur a adressé, samedi 30 avril, un télégramme à tous les préfets dont « les violences qui se développent en marge des manifestations revendicatives, voire des rassemblements “Nuit Debout” » sont le seul objet.
Chacun-e peut en juger puisque son texte intégral est disponible ici : Le télégramme de Bernard Cazeneuve aux préfets (pdf, 1.1 MB). Tout au plus y trouve-t-on un vague rappel, car sans précisions pratiques, de l’« usage proportionné et légitime de la force », suivi de l’évocation, sans aucun exemple concret, des « règles de déontologie qui s’imposent » aux forces de police et de gendarmerie. Pour le reste, ce ne sont que consignes de fermeté qui font peser sur les organisateurs des manifestations ou des rassemblements toute la responsabilité de leur déroulement pacifique, comme si l’attitude des forces dites de l’ordre, leur positionnement et leur comportement, n’y avait pas aussi sa part.
Le message principal de ce télégramme, qu’entendront parfaitement ces administrations hiérarchisées et verticales, par nécessité autant que par culture, est celui de la répression puisque Bernard Cazeneuve insiste sur les « instructions relatives à l’interpellation des individus violents ou auteurs d’infractions », soulignant, avec fierté, qu’il y en eut 214 pour la seule journée du 28 avril et près de mille – 961 précisément – « depuis le début des manifestations ». Nul doute que la « culture du chiffre » policière et gendarmique sera au rendez-vous de cette consigne, d’autant plus que c’est aussi l’un des héritages sarkozystes que n’aura pas remis en cause le hollandisme vallsien.
Les rassemblements « Nuit Debout » et les manifestations « #LoiTravailNonMerci » étant appelés à durer face à l’entêtement du pouvoir, la question du maintien de l’ordre va devenir un enjeu en soi – d’information, de droit, de justice, de solidarité, de convergence, etc. Et ceci d’autant plus que le pouvoir risque fort de parier sur les violences, leur exacerbation provocatrice, leur exploitation médiatique, voire leur manipulation politicienne, afin de faire diversion pour gagner un peu de survie dans la profonde crise de légitimité qui le mine et le divise.
Dans ce contexte, il n’est pas inutile, il est même instructif de comparer le télégramme de Bernard Cazeneuve en 2012 à la lettre de Maurice Grimaud en 1968. Préfet de police de Paris sous le règne du général de Gaulle, fondateur de la Cinquième République, ce fonctionnaire et intellectuel de gauche avait succédé en 1966, à ce poste, au sinistre Maurice Papon dont le nom reste associé aussi bien à Vichy qu’à la guerre d’Algérie, aux déportations antisémites comme aux répressions coloniales. Responsable du maintien de l’ordre à Paris durant le mois de mai 1968, Maurice Grimaud (1913-2009, sa biographie est ici) sut, par ses consignes écrites aux unités comme par sa présence physique sur le terrain, éviter le pire alors même que les premières manifestations étudiantes étaient autrement déterminées qu’elles ne le sont aujourd’hui, se traduisant par une « nuit des barricades ».
Relire, à quarante-huit ans de distance, la lettre que Maurice Grimaud adressa, le 29 mai 1968 – soit après un petit mois de manifestations –, individuellement, à chaque policier, c’est prendre la mesure de la déliquescence de l’État sous cette Cinquième République aujourd’hui finissante. Quand il y avait, hier, de la hauteur, sinon de la grandeur, cette force de refuser l’usage inutile de la force, il n’y a plus, aujourd’hui, au sommet de l’État, que cette peur des faibles dont l’amour de la force est l’expression la plus triviale et la moins courageuse. Maurice Grimaud ne donne pas des consignes, il parle à des hommes. Il n’est pas au-dessus d’eux, mais dans la même « Maison », de plain-pied. Il leur parle métier, de façon précise, concrète et illustrée, et non pas chiffre ou résultat, de façon abstraite et désincarnée. Surtout, il s’adresse à leur conscience, faisant le pari du citoyen sous l’uniforme, évoquant avec le mot « réputation » l’image qu’ils ont d’eux-mêmes et, au-delà, du bien commun.
Voici le texte intégral de cette lettre de Maurice Grimaud que les #NuitDeboutPartout feraient bien de reprendre largement et, pourquoi pas, de diffuser sous forme de tracts auprès des forces dites de l’ordre, en ce jour de Fête internationale des travailleurs, 1er mai 2016, devenu 62 mars dans le nouveau calendrier de l’improbable sursaut qui, aujourd’hui, nous réveille. On en retiendra notamment cette injonction : « Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même. »
« Je m’adresse aujourd’hui à toute la Maison : aux gardiens comme aux gradés, aux officiers comme aux patrons, et je veux leur parler d’un sujet que nous n’avons pas le droit de passer sous silence : c’est celui des excès dans l’emploi de la force.
« Si nous ne nous expliquons pas très clairement et très franchement sur ce point, nous gagnerons peut-être la bataille sur ce point, nous gagnerons peut-être la bataille dans la rue, mais nous perdrons quelque chose de beaucoup plus précieux et à quoi vous tenez comme moi : c’est notre réputation.
« Je sais, pour en avoir parlé avec beaucoup d’entre vous, que, dans votre immense majorité, vous condamnez certaines méthodes. Je sais aussi, et vous le savez avec moi, que des faits se sont produits que personne ne peut accepter. Bien entendu, il est déplorable que, trop souvent, la presse fasse le procès de la police en citant ces faits séparés de leur contexte et ne dise pas, dans le même temps, tout ce que la même police a subi d’outrages et de coups en gardant son calme et en faisant simplement son devoir.
« Je suis allé toutes les fois que je l’ai pu au chevet de nos blessés, et c’est en témoin que je pourrais dire la sauvagerie de certaines agressions qui vont du pavé lancé de plein fouet sur une troupe immobile, jusqu’au jet de produits chimiques destinés à aveugler ou à brûler gravement. Tout cela est tristement vrai et chacun de nous en a eu connaissance.
« C’est pour cela que je comprends que lorsque des hommes ainsi assaillis pendant de longs moments reçoivent l’ordre de dégager la rue, leur action soit souvent violente. Mais là où nous devons bien être tous d’accord, c’est que, passé le choc inévitable du contact avec des manifestants agressifs qu’il s’agit de repousser, les hommes d’ordre que vous êtes doivent aussitôt reprendre toute leur maîtrise.
« Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. Il est encore plus grave de frapper des manifestants après arrestation et lorsqu’ils sont conduits dans des locaux de police pour y être interrogés. Je sais que ce que je dis là sera mal interprété par certains, mais je sais que j’ai raison et qu’au fond de vous-mêmes vous le reconnaissez.
« Si je parle ainsi, c’est parce que je suis solidaire de vous. Je l’ai dit déjà et je le répèterai : tout ce que fait la police parisienne me concerne et je ne me séparerai pas d’elle dans les responsabilités. C’est pour cela qu’il faut que nous soyons également tous solidaires dans l’application des directives que je rappelle aujourd’hui et dont dépend, j’en suis convaincu, l’avenir de la préfecture de police.
« Dites-vous bien et répétez-le autour de vous : toutes les fois qu’une violence illégitime est commise contre un manifestant, ce sont des dizaines de ses camarades qui souhaitent le venger. Cette escalade n’a pas de limites. Dites-vous aussi que lorsque vous donnez la preuve de votre sang-froid et de votre courage, ceux qui sont en face de vous sont obligés de vous admirer même s’ils ne le disent pas.
« Nous nous souviendrons, pour terminer, qu’être policier n’est pas un métier comme les autres ; quand on l’a choisi, on en a accepté les dures exigences mais aussi la grandeur.
« Je sais les épreuves que connaissent beaucoup d’entre vous. Je sais votre amertume devant les réflexions désobligeantes ou les brimades qui s’adressent à vous ou à votre famille, mais la seule façon de redresser cet état d’esprit déplorable d’une partie de la population, c’est de vous montrer constamment sous votre vrai visage et de faire une guerre impitoyable à tous ceux, heureusement très peu nombreux, qui par leurs actes inconsidérés accréditeraient précisément cette image déplaisante que l’on cherche à donner de nous.
« Je vous redis toute ma confiance et toute mon admiration pour vous avoir vus à l’œuvre pendant vingt-cinq journées exceptionnelles, et je sais que les hommes de cœur que vous êtes me soutiendront totalement dans ce que j’entreprends et qui n’a d’autre but que de défendre la police dans son honneur et devant la nation. »
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Source : https://blogs.mediapart.fr/edwy-plenel/blog/300416/maintien-de-l-ordre-la-lettre-de-grimaud-le-telegramme-de-cazeneuve
Emmanuel Macron, Narcisse du grand débat
Le Président a assuré "le show" comme si la politique n’était que fiction, se montrant incapable d'être attentif au vécu de ses concitoyens.
Elodie Mielczareck Sémiologue, spécialisée dans le langage et bodylanguage, conseil aux dirigeants, auteure de "La stratégie du caméléon"
Après les analyses journalistiques ”à chaud” de l’allocution présidentielle de jeudi dernier, supposée être une réponse à la crise des Gilets Jaunes, sous la forme d’un “résumé” du Grand débat, prenons le temps de revenir sur la dimension sémiologique -forme et fond réunis- de cette prestation. En effet, la performance d’Emmanuel Macron s’assimile davantage à une cure psychanalytique qu’à un programme présidentiel. De là à répondre à la question que certains se posent “Emmanuel Macron est-il malade?”, il n’y a qu’un pas…
I- Emmanuel Macron moins président qu’athlète de la langue française, réussit une performance parfaitement soignée et contrôlée. Qualifiée de “grand oral” par les chaînes d’informations en continu, la prise de parole du Président est spectaculaire par différents aspects:
- la performance : pendant plus de deux heures, Emmanuel Macron va prendre la parole, sans jamais se perdre dans le fil des ses pensées, en ne butant que deux fois sur les mots, en gardant l’aspect d’un discours rationnel et logique. L’épreuve est réussie avec brio pour tous les aspects qui renvoient à ce que l’on appelle communément “l’art oratoire” (élocution, mémoire, rhétorique, maniement de la langue française, etc.) Emmanuel Macron apparaît moins en président qu’en athlète de la langue, sur-entraîné et de haut niveau.
- la mise en scène: seul derrière un pupitre designé pour l’occasion, d’une blancheur immaculée en résonance avec la netteté des murs et des dorures simplifiées et présentes à l’arrière-plan, Emmanuel Macron focalise toutes les attentions. Rien n’est venu parasiter la mise en scène magistrale et jupitérienne de cette prise de parole: pas un zozotement, pas une seule micro-démangeaison, pas un seul gros plan sur un quelconque défaut. Tout a été parfaitement soigné et contrôlé. A l’extrême. Et c’est ce soin particulièrement porté à l’image et aux mots qui ont attiré notre attention.
Autrement dit, cette perfection n’est-elle pas un “masque”, un ”écran”, voire un “miroir aux alouettes”? Derrière cet idéal d’élégance et de perfectionnisme, n’y a-t-il pas autre chose qui se donne à voir?
II- Emmanuel Macron en psychanalyse: notre Président souffre-t-il d’un narcissisme maladif?
Voici les 5 principales dimensions psychanalytiques que j’aimerais développer: la présence de “mots-fétiches”, la sur-représentation des tournures syntaxiques “je veux”, “je souhaite”, l’absence de tournures empathiques, l’attention extrême portée aux questions journalistiques, l’absence de rationalité derrière la logique apparente.
1- la présence de “mots-fétiches”: ce sont les mots les plus répétés du discours. Le lexique de la “proactivité” est le plus présent: “changement”, “relancer”, “rebâtir”, “solutions”, “ambition”, “plus vite”, “nouvel acte”, “inédit”, “avancer”, sont les items les plus récurrents. Je cite François Noudelmann dans Le Génie du mensonge: “Insister, répéter, marteler sont des gestes langagiers suspects qui révèlent une inquiétude inverse à l’assurance exposée par l’énonciateur. Freud observait que nous répétons ce que nous n’arrivons pas à dire une bonne fois pour toutes.” Une manière d’expliquer sans doute le décorum rétrograde de chaque prise de parole présidentielle dont la dimension hiérarchique est ostentatoire. La marche lente et solitaire vers la pyramide du Louvre, l’incarnation jupitérienne, et la mise en scène spectaculaire en sont quelques expressions visuelles. Une “politique à papa” désuète en même temps que le langage verbal du changement “ensemble, c’est notre projet”. Freud nous rappelle que les Chinois vénèrent le pied féminin pour mieux le mutiler et le rabaisser. Dès lors, ne paraît-il pas illusoire d’espérer le grand renouveau tant promis pendant la campagne présidentielle?
2- La sur-représentation des tournures syntaxiques “je veux”, “je souhaite” qui ponctue le discours plus qu’elle ne propose une réalisation concrète. Le linguiste Alain Rey, disait avec humour à propos de Nicolas Sarkozy, “même le Roi dit Nous voulons”. Peut-être parce qu’il est Sarkozy en mieux, Emmanuel Macron se positionne en maître des tournures de phrases égocentrées. Dès lors ce grand oral n’est pas une réponse mais un monologue, construit autour de la glorification de celui qui l’énonce. Prenons, par exemple, cette phrase illustratrice: “La fierté qui est la mienne de voir nos concitoyens participer aux débats (...) j’ai moi-même beaucoup appris.” Cela n’est pas “nos concitoyens peuvent-être fiers d’avoir participé”, c’est de manière plus subtile et maquillée un “je suis fier que nos concitoyens…”. Le sentiment de fierté n’est donc plus attribué aux concitoyens mais devient le fait de la démarche présidentielle. Ce type d’arrangements syntaxiques est trop important dans l’allocution présidentielle pour être le fruit du hasard. Par ailleurs la gestuelle conquérante est venue appuyer le discours égotique: gestes en hauteur, amples, occupant tout l’espace. La démonstration de force d’un Macron jupitérien est-elle l’indice que le “changement” tant répété dans le discours (et demandé aux “gaulois réfractaires”) est inversement proportionnel à la remise en cause de celui qui prend parole? Une parole qui ne saurait être remise en cause avec des tournures inondées par un présent ”à valeur de vérité générale”: “C’est la fin de l’esprit de division (…). C’est la volonté de vivre ensemble profondément, résolument” sont les derniers mots qui concluent le discours. La tournure C’EST+PRESENT+VALEURS ABSTRAITES empêche cognitivement toute opposition critique.
3- L’absence de tournures empathiques: photographie négative du point 2, l’inflation du discours égotique traduit en creux une incapacité projective et empathique (faire sienne les émotions des autres). Les “nous” sont très peu présents, les “vous” sont absents. Concernant les “remontées” du grand débat collectif, voici les phrases prononcées: “après avoir beaucoup écouté et réfléchi je veux dire où je me situe (…) je ne retiendrai pas cette option... je ne crois pas (…) je le crois (…) quand je regarde (…) je ne la retiendrai pas (cette option) (…) et je sais une chose (…) moi je veux bien (…) Je veux/je souhaite (…) moi je suis persuadé”. L’autre est ainsi nié dans le discours. Par ailleurs nous notons que la phrase “je considère les Gilets Jaunes” est prononcé à 2h17 sur un discours dont la durée est de 2h24. Une autre dimension étonnante est le rejet quasi-systématique de certaines responsabilités sur des causes extérieures. Les déformations de phrases proviennent “du monde dans lequel on vit”, la crise que nous traversons est celle que “nombre de démocraties dans le monde traversent”, les erreurs d’interprétations sont causées par les récepteurs. Concernant la métaphore de la cordée, Emmanuel Macron affirme: “Je suis forcé d’être lucide, je n’ai pas été compris, cette image n’a pas été comprise mais je l’assume (...) c’est ça que j’ai voulu dire, tout le contraire de ce qui a été compris.” Un manque d’empathie structurel que trahissent les phrases suivantes: “On a découvert avec étonnement il faut bien le dire (…) celles et ceux qui (…) ces portraits chinois que je viens d’évoquer... ces cas concrets se sont exprimés à nous (…) Il y a comme des plis de la société qui se sont révélés (…) des angles-morts.” Emmanuel Macron est un Président dans la “découverte” et la “révélation” sur les conditions de vie d’une partie de ses concitoyens. Le projet d’Emmanuel Macron pour y remédier est clairement énoncé: “Redonner une espérance (…) redonner l’art d’être français.” Un projet tout à la fois abstrait et spirituel. Marcel Archard n’a-t-il pas écrit: “L’espérance est un de ces remèdes qui ne guérissent pas mais qui permettent de souffrir plus longtemps”? Les seules inflexions émotionnelles observées (hésitations, voix ralentie, retour émotionnel) concernent l’affaire Benalla… Autrement dit, les émotions apparaissent uniquement et seulement lorsque le Président est concerné.
4- L’attention extrême portée aux journalistes. Le temps des échanges montre une dynamique comportementale différente, bien que complémentaire à la posture narcissique démontrée ci-dessus. Si Emmanuel Macron déclare ne pas être “celui qui cherche à plaire”, son attitude corporelle raconte l’inverse: focalisation extrême du regard sur celui ou celle qui lui pose la question (comme oubliant tout le reste autour de lui), sourires de séduction et de connivence répétés, Emmanuel Macron aime porter attention à celui ou celle qui s’intéresse à lui. S’épanchant parfois, souriant toujours (même lorsque la question est désagréable). Les items corporels de séduction sont nombreux.
5- L’absence de rationalité derrière la logique apparente. Fait étonnant: Emmanuel Macron reconnu pour être brillant, notamment dans sa connaissance des chiffres et de l’économie, nous livre une vision paradoxale de la situation française: “Au fond, aujourd’hui, je pourrais vous dire qu’on est au plein emploi avec beaucoup de chômage”. Sans avoir fait d’économie, il est avéré que les termes “plein emploi” et “beaucoup de chômage” sont antinomiques: est-ce l’une des forces de la rhétorique “en même temps” qui sans trouver de troisième voie, réunit comme par magie des opposés? Si le tour paraît osé, Emmanuel Macron se défend en affirmant que l’économie est subjective: “Le chiffre du plein emploi, c’est les économistes qui le fixent, ce n’est pas un taux. Je pense que le chiffre de 7% est tout à fait atteignable”. Pour plus d’informations, je vous invite à lire cet article d’Atlantico. Par ailleurs, nous notons un usage particulier des “il faut”, souvent symptomatiques d’une incantation qui ne se réalise pas: “il faut lever les ambiguïtés”, “il faut être concret et pragmatique” sont répétés comme pour conjurer un discours qui peine à incarner ces valeurs.
III - Emmanuel Macron est-il malade? La symbolique inconsciente de l’allocution présidentielle
A la question Emmanuel Macron est-il malade? Deux réponses semblent se dessiner. La première se situe au plan physique. Bien que ce soit le premier Président de la République à ne pas donner accès à ses bilans de santé, que le maquillage serve à camoufler des traits tirés, la performance athlétique à laquelle nous avons assisté laisse présager une “forme olympique”, bien que surhumaine: pas une seule inflexion de voix, pas une seule baisse d’attention, pas un seul relâchement. L’intervention présidentielle ne fait pas dans le contraste, tout est haut et impérieux dans la diction d’Emmanuel Macron, du début à la fin.
Le second plan relève davantage du niveau psychique. Emmanuel Macron ne montre-t-il pas des signes de troubles de la personnalité? En mettant de côté les structures sociales et politiques qui favorisent l’émergence et l’élection de personnalités narcissiques, l’accumulation des 5 points précédents devrait sérieusement nous interroger. Si la plastique de notre président, l’esthétique de la mise en scène et la forme performante ont de quoi séduire tout un chacun, la dimension personnelle et l’aspect relationnel posent question. Outre un turn-over impressionnant dans les équipes des cabinets ministériels et chez les ministres eux-mêmes, l’incapacité à fédérer et à créer une certaine confiance n’est-elle pas un frein à l’action présidentielle? Autrement dit, l’absence de qualités disons “managériales” n’entraîne-t-elle pas un coût financier et humain? Kenneth Arrow a eu le Prix Nobel en 1972 justement pour avoir montré l’impact des relations de défiance. L’absence de confiance entre les individus nous coûte plusieurs points de PIB chaque année. Particulièrement en France. Dans leur ouvrage La Société de défiance ou comment le modèle français s’auto-détruit, Cahuc et Algan, tous deux économistes, expliquent le très mauvais classement de la France (le pire des pays de l’OCDE) sur la confiance des individus entre eux, mais également envers les institutions.
Enfin, la faille narcissique d’Emmanuel Macron se lit à travers les images et le décorum choisi. Bien que parfaitement minimaliste, la décoration laisse échapper certains symboles pertinents. Les cercles dorés présents sur les murs de la salle viennent former une auréole autour de la tête présidentielle. Une “aura” qui accentue la dimension narcissique de “l’Elu”. Par ailleurs, cette forme est répétée dans l’ensemble de la pièce (voir photo ci-dessus) comme autant de portraits “vidés” d’une généalogie qui n’existent pas/plus.
Faut-il y voir le fantasme d’une monarchie absente? Ou bien la volonté inconsciente d’apparaître comme le premier d’une lignée instituée symboliquement (Emmanuel Macron n’a pas d’enfants)? Le problème posé ne trouve pas tant ses réponses dans ces interprétations qui peuvent être multipliées à l’infini, que dans la sur-représentation pour le moins étonnante d’un “paraître” travaillé parfaitement et à l’excès, acmé d’une théâtralisation dans laquelle le regard des spectateurs vient se noyer, pour assister passivement à l’incarnation présidentielle. Une incarnation désincarnée pourrait-on dire puisqu’il y manque les marques de la vie réelle: les émotions, l’authenticité, l’échange, une place pour l’autre, pour le dire rapidement.
S’il est un personnage de la littérature dont “l’épaisseur” renvoie au concept psychanalytique de Narcisse, c’est bien celui de Dorian Gray. Tout comme ce personnage de roman, prêt à tout pour garder la jeunesse et la beauté, Emmanuel Macron nous offre son portrait, encerclé d’un ruban doré. Dit autrement, il assure “le show” en oubliant que la politique n’est pas qu’une fiction. Le Grand Débat est ainsi pour Emmanuel Macron une véritable psychanalyse, un “je” qui se répète et se raconte sous la forme d’un monologue narcissique superfétatoire, davantage qu’une attention portée aux vécus de ses concitoyens.
Source : https://www.huffingtonpost.fr/entry/emmanuel-macron-est-il-malade_fr_5cc6ad76e4b0fd8e35be9a4a
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