18/02/2022
Le désaccord entre les présidents américain et ukrainien et la prudence de l’Allemagne et de la France semblent indiquer que seuls les États-Unis et le Royaume-Uni souhaitent une guerre avec la Russie, rapporte Joe Lauria.
Source : Consortium News, Joe Lauria
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
L’appel téléphonique entre le président américain Joe Biden et le président ukrainien Volodymyr Zelensky jeudi ne se serait pas « bien passé », selon un haut fonctionnaire ukrainien.
Ce responsable a déclaré que Zelensky a exhorté Biden à « calmer le jeu » sur la situation en Ukraine et que les services de renseignement ukrainiens ne voyaient pas la menace russe de la même manière que les États-Unis, selon un rapport de CNN. La situation est « dangereuse mais ambiguë », a déclaré Zelensky à Biden, et « il n’est pas certain qu’une attaque aura lieu. »
Lors d’une conférence de presse vendredi, Zelensky a déclaré : « Ils continuent à soutenir ce thème, ce sujet, et ils le rendent aussi aigu et brûlant que possible. À mon avis, c’est une erreur. » Il a ajouté : « Si vous ne regardez que les satellites, vous verrez l’augmentation des troupes et vous ne pourrez pas évaluer s’il s’agit d’une menace d’attaque ou d’une simple rotation. »
Zelensky a également parlé de la reprise des pourparlers diplomatiques à Paris au format Normandie avec l’Allemagne et la France dans lesquels les accords de Minsk doivent être mis en œuvre. Les accords de 2015 mettraient fin à la guerre entre Kiev et deux provinces orientales séparatistes qui se sont opposées au coup d’État de 2014 soutenu par les États-Unis. Ce dernier a renversé un président démocratiquement élu qui penchait vers Moscou. Les provinces seraient dotées d’une autonomie par rapport à Kiev. Zelensky a déclaré qu’il espérait que le cessez-le-feu dans l’est tiendrait.
C’est presque l’exact opposé de ce que les États-Unis et leurs médias fidèles claironnent tous les jours. Au cours de l’appel, Biden a fait monter la température en affirmant de manière décisive qu’une invasion russe de l’Ukraine était imminente. « Biden a averti son homologue ukrainien qu’une attaque russe pourrait être imminente, en disant qu’une invasion était maintenant pratiquement certaine, une fois que le sol aurait gelé plus tard en février, selon le fonctionnaire », indique CNN.
La fièvre de la guerre s’est clairement emparée de Washington. Emily Horne, une porte-parole du Conseil de sécurité nationale américain, « a contesté la description de l’appel par le haut responsable ukrainien », selon la chaîne. « Des sources anonymes « laissent échapper » des faussetés, aurait-elle déclaré. Le président Biden a dit qu’il y a une possibilité précise que les Russes envahissent l’Ukraine en février. Il l’a dit publiquement et nous avons lancé des avertissements à ce sujet depuis des mois. Les rapports sur quoi que ce soit de plus ou de différent sont complètement faux. » C’était avant que Zelensky ne répète les mêmes sentiments vendredi.
Mais Zelensky n’est pas le premier dirigeant ukrainien à nier l’existence d’une menace sérieuse de la part de Moscou. Le New York Times a rapporté mardi :
« Le ministre ukrainien de la Défense a affirmé qu’il n’y avait eu aucun changement dans les forces russes par rapport au renforcement du printemps ; le chef du conseil de sécurité nationale a accusé certains pays occidentaux et certains médias d’exagérer le danger à des fins géopolitiques ; et le porte-parole du ministère des Affaires étrangères a critiqué les États-Unis et la Grande-Bretagne pour avoir retiré les familles des diplomates de leurs ambassades à Kiev, affirmant qu’ils avaient agi prématurément. »
Le discours de Washington, relayé par les médias privés américains, est que l’Amérique comprend mieux l’Ukraine que les responsables ukrainiens. Selon les « analystes », si les Ukrainiens repoussent l’hystérie des États-Unis, c’est pour « maintenir la stabilité des marchés ukrainiens, prévenir la panique et éviter de provoquer Moscou, tandis que d’autres l’attribuent à l’acceptation forcée par le pays du fait que le conflit avec la Russie fait partie de l’existence quotidienne de l’Ukraine », comme le rapporte le Times.
Il est impossible que ce soit parce qu’il n’y a pas de menace que les Américains prétendent qu’elle existe.
La fièvre de la guerre obscurcit l’esprit de l’État de sécurité nationale américain et de ses médias fidèles. Et, comme toujours, les fabricants d’armes comme Lockheed Martin et General Dynamics en profitent.
La réponse furieuse de la porte-parole du NSC révèle la façon dont le Washington officiel réagit aux doutes sur l’hystérie guerrière, même s’ils viennent du président du pays supposé être visé.
Des doutes européens aussi
L’Ukraine n’est pas le seul pays qui n’est pas aussi enthousiaste pour la guerre que l’Amérique. L’Allemagne a refusé d’envoyer ses armes à l’Ukraine. « Les livraisons d’armes ne seraient pas utiles en ce moment – c’est le consensus au sein du gouvernement », a déclaré la semaine dernière la ministre allemande de la Défense, Christine Lambrecht.
Samedi dernier, le vice-amiral Kay-Achim Schönbach, chef de la Marine allemande, a démissionné après avoir déclaré que les discussions sur une invasion russe de l’Ukraine étaient « absurdes » et que la Russie cherchait simplement à obtenir le « respect » de ses préoccupations en matière de sécurité en Europe. Les entreprises allemandes, qui entretiennent d’importants liens commerciaux avec la Russie, ont longtemps fait la sourde oreille aux pressions exercées par Washington pour qu’elles imposent des sanctions à leur partenaire commercial.
La position de l’Allemagne a effrayé les Atlantistes les plus farouches, comme le groupe de réflexion Carnegie Europe, qui a déclaré hier : « Si Berlin n’adopte pas une position plus audacieuse et sans ambiguïté à l’égard de la Russie, elle sapera les efforts de dissuasion de l’Occident. »
Jeudi, le département d’État américain a pris une mesure extraordinairement audacieuse en dictant à l’Allemagne que les États-Unis fermeraient le gazoduc Nord Stream 2 reliant la Russie à l’Allemagne – un projet commercial qui n’a rien à voir avec les États-Unis – en cas d’invasion de la Russie.
« Je veux être très clair : si la Russie envahit l’Ukraine d’une manière ou d’une autre, Nord Stream 2 sera arrêté », a déclaré Ned Price, porte-parole du département d’État américain, à NPR. Mais même la BBC s’est exprimée : « Des questions demeurent quant à savoir si les États-Unis auraient le pouvoir d’annuler le projet ». Ce n’est pas une coïncidence si les États-Unis ont déclaré cette semaine qu’ils organisaient des expéditions de gaz naturel liquéfié beaucoup plus coûteuses, en provenance des États-Unis et d’autres parties du monde, si une guerre amenait la Russie à fermer ses gazoducs vers l’Europe.
Pour leurs efforts de sape de la Russie et même pour de purs intérêts commerciaux, les États-Unis semblent vouloir, voire supplier, la Russie d’attaquer.
La France aussi
Dans un discours devant le Parlement européen la semaine dernière, le président français Emmanuel Macron a semblé montrer à la Russie le genre de respect dont parlait Schönbach. Il a déclaré :
« L’Europe doit construire un ordre de sécurité collective sur son continent. La sécurité de notre continent passe par un renforcement stratégique de notre Europe comme puissance de paix, puissance d’équilibre, notamment dans son dialogue avec la Russie. Ce dialogue, je le prône depuis plusieurs années. Il n’est pas facultatif, car notre histoire et notre géographie sont têtues, tant pour nous que pour la Russie. Pour la sécurité de notre continent, qui est indivisible. Nous avons besoin de ce dialogue… Ce que nous devons construire, c’est un ordre européen fondé sur des principes et des règles auxquels nous nous sommes engagés, et que nous avons établi non pas contre ou sans la Russie, mais avec la Russie. »
Malgré les propos de Macron, la France a accepté d’envoyer un contingent de ses soldats de l’OTAN en Europe de l’Est, tout comme le Danemark, l’Espagne et les Pays-Bas.
Comme c’est souvent le cas, l’Europe est tiraillée entre ses propres intérêts et ceux dictés par Washington, d’où une politique ambiguë. Il y a peu d’exemples ou l’Europe risque l’ire de l’Amérique, même pour son propre bénéfice.
Refuser de coopérer avec les États-Unis sur l’Ukraine serait le signe d’une défiance européenne à l’égard des États-Unis, comme Charles de Gaulle retirant la France de l’OTAN en 1966 pour préserver l’indépendance française.
La dernière fois que les gouvernements européens ont rompu avec Washington sur une question majeure a été l’invasion de l’Irak par les États-Unis en 2003. La France et l’Allemagne ont alors rejoint la Russie au Conseil de sécurité de l’ONU pour bloquer l’autorisation de la guerre (bien que la Grande-Bretagne l’ait soutenue). Mais la France et l’Allemagne ont ensuite voté pour une résolution plusieurs mois plus tard qui, pour l’essentiel, approuvait l’invasion.
Seul Londres
La désaccord de l’amiral allemand et du président français à l’égard de la position américaine montre bien que la propagande de guerre qui est agitée quotidiennement autour de l’Ukraine est une affaire essentiellement anglo-saxonne.
La Grande-Bretagne a commencé à jouer un rôle croissant avec les États-Unis dans la préparation de ses populations à la guerre, ce qui n’est pas sans rappeler la préparation de l’invasion de l’Irak par les États-Unis et le Royaume-Uni en 2003.
Samedi dernier, le Foreign Office britannique, sans fournir la moindre preuve, a déclaré que la Russie prévoyait « d’installer un dirigeant pro-russe à Kiev alors qu’elle envisage d’envahir et d’occuper l’Ukraine ». Cette semaine, le Premier ministre Boris Johnson a déclaré qu’une invasion deviendrait « une affaire douloureuse, violente et sanglante » pour la Russie.
Le peuple ukrainien a déjà installé un dirigeant pro-russe par les urnes, Viktor Yanukovych. Il a été renversé par un véritable coup d’État soutenu par les États-Unis en Ukraine en 2014, ce qui a conduit à la crise actuelle.
La preuve du coup d’État de Kiev a été apportée par la fuite d’un appel téléphonique entre Victoria Nuland, alors secrétaire d’État adjointe aux Affaires européennes et eurasiennes, et l’ambassadeur américain en Ukraine, dans lequel ils discutaient de l’identité du nouveau dirigeant ukrainien, quelques semaines avant le coup d’État.
La Grande-Bretagne va plus loin, en alertant sur le fait que l’impasse ukrainienne peut conduire à une guerre mondiale. Liz Truss, la ministre britannique des Affaires étrangères, s’est rendue jusqu’en Australie pour faire craindre que la Chine ne se joigne à la guerre en attaquant Taïwan si la Russie « envahissait » l’Ukraine.
Une interview qu’elle a donnée au Sydney Morning Herald, sous le titre : « Les agresseurs travaillent ensemble : La ministre britannique Truss avertit que la Chine pourrait suivre la Russie dans la guerre », commence ainsi :
« La Chine pourrait profiter d’une invasion russe en Ukraine pour lancer sa propre agression dans la région indo-pacifique, a averti la ministre britannique des Affaires étrangères, Liz Truss. Je ne pense pas que nous puissions l’exclure, a déclaré Mme Truss. La Russie travaille plus étroitement avec la Chine qu’elle ne l’a jamais fait. Les agresseurs travaillent de concert et je pense qu’il incombe à des pays comme les nôtres de travailler ensemble. »
Les États-Unis et la Grande-Bretagne tentent de sauver une nation qui dit ne pas avoir besoin d’être sauvée pour le moment. Et il n’y a que Washington et Londres qui ont entièrement monté cette histoire de guerre et sont prêts à intimider toute personne responsable qui la conteste.
Joe Lauria est rédacteur en chef de Consortium News. Il a été correspondant à l’ONU pour le Wall Street Journal, le Boston Globe et de nombreux autres journaux. Il a été journaliste d’investigation pour le Sunday Times de Londres et a commencé sa carrière professionnelle comme pigiste pour le New York Times. On peut le joindre à l’adresse joelauria@consortiumnews.com et le suivre sur Twitter @unjoe.
Source : Consortium News, Joe Lauria, 28-01-2022
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Source : https://www.les-crises.fr/ukraine-une-guerre-dont-seules-l-amerique-et-la-grande-bretagne-ont-envie/
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