jeudi 10 mars 2022

Notes sur les mondes autour de l’Ukraine

 

• La guerre de l’Ukraine est le premier champ de bataille où, malgré l’importance extraordinaires de la bataille, le principal facteur de cette bataille est, comme jamais auparavant, le “bataille de la Communication”. • C’est aussi la démonstration que cette “bataille”, spécialement pour ceux qui l’ont entrepris d’une façon écrasante et semblent par conséquent la dominer, est loin, très loin, de donner la victoire à ceux-là qui justement le domine. • C’est le facteur-Janus : jamais, encore une fois jamais, la communication n’a montré autant qu’elle est ontologiquement un acteur-Janus qui peut faire s’effondrer ceux-là qui l’ont déclenchée et semblent la dominer. • C’est là le point essentiel de cette “guerre de l’Ukraine”, parce qu’il intervient, non seulement en Ukraine, mais autour de l’Ukraine, dans le formidable affrontement entre ce qui se résume avec une brutalité et une clarté sans égales, à un antagonisme entre deux forces globales, dans lesquelles nous devons identifier le Système et l’antiSystème agissant en réaction. • Ce pourquoi nous pouvons dire qu’il s’agit absolument de notre Grande Crise.

10 mars 2022 (09H45) – Il nous est apparu assez rapidement qu’il y avait effectivement une “bataille de la communication” à côté de ce que l’événement impliquait d’antagonisme opérationnel... “Assez rapidement”, peut-être même dans la minute où les premiers chars russes se sont ébranlés, “peut-être même dans la minute” où Poutine commença son discours du 22 février, puis au terme, après nombre de “peut-être même dans la minute”, pour arriver à ce “peut-être même dans la minute” où commença l’attaque du 11-septembre, en notre début de siècle.

Aussitôt, nous sommes tentés de reproduire cette citation maintes fois signalée, du début de l’essai final dans le livre ‘Chroniques de l’ébranlement’ (PhG, éditions Mols, 2003), mais en la réduisant au strict aspect de la communication :

« D'abord, il y a ceci : en même temps que nous subissions cet événement d'une force et d'une ampleur extrêmes [l’attaque du 11-septembre], nous observions [à la télévision et en temps réel] cet événement en train de s'accomplir et, plus encore, nous nous observions les uns les autres en train d'observer cet événement. L'histoire se fait, soudain dans un déroulement explosif et brutal, nous la regardons se faire et nous nous regardons en train de la regarder se faire... »

C’est bien ce que nous voulons dire : “peut-être même dans la minute” où le premier avion frappa la tour de Manhattan, il nous est apparu, consciemment ou (plutôt) inconsciemment, que cet événement, dont la puissance nous était communiquée instantanément par la puissance de la communication, que nous nous trouvions confrontés à deux perceptions dont la seconde devait être le fruit de l’effet-Janus de la communication.

 Ce phénomène des deux perceptions contraires, très vite concrétisés par la complexité et le désordre d’une multitude de faits opérationnels avec leur lot d’évidences, d’affirmations, de tromperies, de manipulations, n’a jamais été aussi instantané, lumineux et catégorique que dans cette “guerre de l’Ukraine”. Aussitôt, deux fronts s’établirent : celui de la guerre, celui de l’interprétation de la guerre. La bataille entre deux adversaires fut aussitôt doublée de la bataille entre deux “vérités”, notre tâche étant d’en faire sortir une “vérité-de-situation”.

Il doit être dit ici que nous sommes nous-mêmes engagés dans cette bataille pour la vérité-de-situation, et même nous la percevons clairement surtout parce que nous sommes arcboutés sur notre référence fondamentale, – Système contre antiSystème et ‘Delenda Est Systema’, – qui est bien au-delà, et au-dessus, du champ de la bataille. Nos lecteurs ont certainement deviné où cette vérité-de-situation pour nous se trouve. Mais nous ne voulons en aucun cas en faire état ici : notre sujet n’est pas de déterminer ce qui l’est déjà pour nous, mais bien d’observer comment cette bataille (grossièrement “entre deux ‘vérités’”) peut être réglée ; car cette bataille ne concerne pas une victoire et une défaite, mais bien une réconciliation, si cela est seulement possible, de deux perceptions sur la seule vérité-de-situation.

Le désordre : simulacre et vérité-de-situation

Aujourd’hui, nous en arrivons à une somme astronomique de perceptions d’événements, infiniment plus nombreuses que les événements observables puisqu’allant jusqu’à ce que nombre d’entre eux (l’écrasante majorité) sont fabriqués, imaginés, devinés, malaxés, distordus, etc., et sur lesquels s’affrontent en gros deux perceptions antagonistes. Il ne s’agit donc nullement de la seule propagande, mais aussi et surtout, en plus et bien au-delà de la propagande (d’une autre nature, d’une substance et d’essence différentes), il s’agit de simulacres, de narrative, engageant non pas une tromperie et une interprétation sur des faits donnés sur l’existence desquels s’accordent les deux perceptions, mais bien l’affirmation de deux mondes opérationnels différents parsemés d’événements différents.

Un exemple de l’amoncellement de ce phénomène nous est donnée par cet extrait d’un texte (d’hier 9 mars) d’un observateur indien, monsieur Subratim Barman, dont on ne doit pas cacher qu’il a sa vérité-de-situation, mais qui énumère ici un certain nombre de constituant de ce phénomène. Cette énumération est dans son chef une accusation tout à fait fondée, mais n’en retenez que l’accumulation, la complexité, le désordre en un mot :

« Il y a des clips d'un jeu vidéo qui revendique 22 millions de vues, censés représenter un avion russe abattu, une explosion de gaz à Tianjin, en Chine, qui passe pour une frappe aérienne russe sur des infrastructures civiles. Un clip télévisé d'une manifestation autrichienne d'art de rue contre le changement climatique est présenté comme étant celui de civils morts dans des sacs mortuaires, tués par l'artillerie russe effrénée et aveugle. Des images d'une femme en bandages sur les couvertures de magazines européens, qui s'avèrent être truquées car la femme n'est ni blessée ni une civile mais un membre des services de sécurité ukrainiens, payé pour se déguiser en acteur de crise. Sur Twitter, nous voyons le visage d'un homme dont CNN a montré qu'il était déjà mort en Syrie et maintenant de nouveau à Kiev... »

Et notre observateur de poursuivre, – disons, pour résumer ce qui fait que la perception publique de cette ‘Ukrisis’ est, dans nombre de pays de notre connaissance (voyez, nous ne donnons pas de précision pour n’être pas accusés de la distorsion tragique de partialité dont notre vie intellectuelle est si parfaitement exempte), – que cette situation est une catastrophe sans précédent de la perception :

« Avant que RT ne soit retiré du système de la communication au Royaume-Uni et dans les pays de l'Union européenne, vous pouviez regarder ses émissions et penser que la Fédération de Russie était en train de gagner cette intervention. Passez deux chaînes plus loin à CNN et vous penserez que la Fédération elle-même est détruite et que les forces armées ukrainiennes sont à quelques kilomètres des portes de Moscou, avec le président Poutine en fuite... »

Quelques grands thèmes du jour

On s’arrête à quelques grands thèmes, autant d’exemples par ailleurs évidents pour tous les gens sérieux, sur ces distorsion, cette dyslexie dans la lecture des nouvelle, cette schizophrénie jusqu’alors dissimulée sous les masques covidiens, ce désordre sans nom de la perception

• D’un côté, les tambours de la Résistance, voire de la contre-attaque victorieuse continuent à rouler. On engage des mercenaires qui se prennent pour les Brigades Internationales de Malraux à Hemingway, quoique parfois avec un salaire conséquent venus de leurs employeurs anglo-saxons du type SMP/ESSD, tel ‘Akademi’ qui soulève bien moins de critique morale dans nos chaumières que le Groupe Wagner russe. On ne compte plus les vidéos ad hoc à la gloire de l’Ukraine, tournées live ou en studio, peut-être bien à Hollywood mais certes pas à Bollywood où la popularité de la cause ukrainienne n’est pas évidente. Les pertes russes sont nombreuses, – chasseurs de combat abattus dans des dogfights ou brillent les pilotes ukrainiens, généraux capturés ou tués, soldats russes dont le moral tressaille ; Zelenski est salué dans les plus improbables publications par rapport à l’argument développé, comme un véritable Cyrano de Bergerac de la Résistance à cause du panache (aux dernières nouvelles, on tenterait péniblement de se rattraper), etc... Tout cela, question de perception, certes.

A côté de cela, et tout au contraire, sonnent les rumeurs de négociations, voire d’un accord possible qui passerait par les concessions imperturbablement réclamées par les Russes. Il y a beaucoup de sources à cet égard et l’on s’attachera à l’une précisément, qui nous est habituelle, qui est encore celle d’un citoyen indien, M.K. Bhadrakumar. (Dans un texte plus récent, Bhadrakumar confirme le revirement de Zelenski.)

« Contrairement aux prédictions des médias occidentaux, l'opération spéciale de la Russie en Ukraine entre dans une phase finale réussie sur le plan politique et diplomatique beaucoup plus tôt qu'on ne l'aurait pensé.

» Une lecture attentive des résultats du troisième cycle de pourparlers de paix en Biélorussie la nuit dernière montre que les négociateurs ukrainiens ont demandé un peu plus de temps pour apporter une réponse complète aux conditions russes de cessez-le-feu.

» L'Ukraine a fait part de sa volonté d'être un pays neutre, excluant toute adhésion à l'OTAN. Les principaux points d'achoppement se résument à : a) la reconnaissance de la Crimée comme faisant partie de la Russie ; et b) la souveraineté de Lougansk et de Donetsk.

» Ce sont des exigences non négociables. Mais elles constituent une pilule amère à avaler pour les dirigeants ukrainiens. La position de l'Ukraine est que ces demandes sont “pratiquement” impossibles.

» Mais, comme l'a déclaré à RT Vladimir Medinsky, chef de l'équipe russe, “à mon avis, il y a une grande différence entre impossible et ‘pratiquement impossible’... J'espère que nous finirons par trouver une solution.”

» La partie russe se sent encouragée, bien que les discussions d'hier n'aient donné aucun résultat tangible. Ils ne sont pas pressés de se lancer dans des offensives militaires majeures. »

• Un autre grand thème est l’isolement de la Russie face à la “quasi”- unanimité du reste du monde. La chose fut claironnée avec la « condamnation massive » de la Russie, par la majorité de l’Assemblée Générale de l’ONU. On oublia en général que les votes de condamnation étaient offerts en deux options : condamnation simple et condamnation + sanctions, le décompte réduisant alors considérablement la massivité de la chose en offrant le choix entre le symbole (de communication, nullement religieux) et l’action.

Depuis, des actes très concrets sont venus tempérer ce jugement global pour en autoriser un autre, – d’une perception l’autre, – notamment pour ce qui est de la position diplomatique des USA. C’est ce que montre un texte de ‘ZeroHedge.com’ qui, il faut le préciser, observe depuis le début de la crise une position pas tout à fait tranchée, mais en général critique des actions russes en Ukraine, – au travers de ses propres textes comme de ceux de l’extérieur qu’il reprend. Dans le texte cité, ‘ZeroHedge.com’ montre involontairement ce qu’il faut penser de certains votes de condamnation (symbolique, sans sanctions), puisque le Brésil a voté la condamnation sans sanctions à l’ONU :

« D’abord, le président brésilien Jair Bolsonaro a refusé de condamner l'invasion russe en Ukraine. Puis, l'Inde a fait de même, – le gouvernement Modi tentant de trouver un équilibre entre ses liens historiques avec Moscou et son partenariat stratégique avec Washington.

» Aujourd'hui, les dirigeants saoudiens et émiratis refusent de répondre aux appels de M. Biden, alors que le président américain tente de contenir la flambée des prix du pétrole, selon le Wall Street Journal, qui ajoute que les monarchies du Golfe Persique ont fait savoir “qu'elles ne contribueront pas à atténuer la flambée des prix du pétrole si Washington ne les soutient pas au Yémen et ailleurs”.

» “On s'attendait à un appel téléphonique, mais il n'a pas eu lieu”, a déclaré un responsable américain au sujet d'une discussion prévue entre Biden et le prince héritier saoudien Mohammed bin Salman. “Cela faisait partie de l'ouverture du robinet [du pétrole saoudien]”.

» Selon des responsables du Moyen-Orient et des États-Unis, le cheikh Mohammed bin Zayed al Nahyan des Émirats arabes unis a également refusé de parler à Biden ces dernières semaines.

» Pourtant, le prince Mohammed et le cheikh Mohammed ont tous deux pris des appels téléphoniques du président russe Vladimir Poutine après avoir refusé de parler à Biden, selon le WSJ. Ils ont également parlé avec le président ukrainien Volodymyr Zelenski. »

Qui veut des MiG-29 polonais ? On solde !

Là-dessus, nous mentionnerions un autre chapitre de cette étrange aventure, où toutes les perceptions se heurtent et s’entrechoquent. Il y a d’abord l’immense mais très-résistible appel à venir au secours des Ukrainiens, par tous les moyens, mais en général surtout par celui du transfert de diverses quincailleries militaires, cela permettant à l’industrie de l’armement de “faire le job” (fournir des bénéfices aux actionnaires). Depuis plusieurs jours, lorsqu’on sent qu’il faut passer encore plus à la vitesse supérieure, on parle d’avions de combat à transférer aux Ukrainiens, sans trop s’inquiéter de savoir sur quelles bases (les Russes les ayant toutes neutralisées), dans quelles conditions (les Russes dominant totalement l’espace aérien), etc. Finalement, on finit par se dire, – “on” ? Pour nous, essentiellement les Polonais poussés par la fraction américaniste qui leur est acquise, – qu’il serait bien de transférer des MiG-29 que les pilotes ukrainiens connaissent bien.

Le secrétaire d’État Blinken leur donne “le feu vert” et les Polonais commencent alors à sérieusement réfléchir à ce que serait, selon la Russie, un “acte de guerre” (de la Pologne seule ? De l’OTAN ?). Ils se tournent vers l’OTAN et tombent sur un Stoltenberg aussi muet qu’une carpe et aussi plat qu’une limande : l’OTAN ne prend aucun risque. Ils proposent alors, les Polonais, sous l’argument qu’ils n’ont pas l’infrastructure nécessaire pour cette sorte d’aventure, de transférer (“tout frais payés”, disent-ils !) les MiG-29 aux USA, exactement sur la base de Ramstein, en Allemagne, d’où pourraient être lancés les vols.

La riposte du Pentagone est foudroyante et dévastatrice, ce qui implique, d’abord qu’il y a une absence forte d’autorité centrale dans l’administration Biden où chacun fait à peu près ce qu’il veut ; surtout qu’il y a une aussi forte différence de perception entre le département d’État et le Pentagone... Bref, voici ce que dit le Pentagone, et cela est certes sévère pour les Polonais, mais surtout pour le département d’État qui a laissé passer cela...

« Quelques mots vifs et un rejet rapide de la part du Pentagone mardi soir : La perspective de voir des avions de combat “à la disposition du gouvernement des États-Unis d'Amérique” quitter une base des États-Unis et de l'OTAN en Allemagne pour pénétrer dans un espace aérien contesté par la Russie au sujet de l'Ukraine “suscite de graves inquiétudes pour l'ensemble de l'alliance de l'OTAN”, a déclaré John Kirby, porte-parole du Pentagone, au sujet de l'annonce polonaise qui a pris l'administration Biden par surprise.

» Kirby a décrit comme suit le point de vue du Pentagone sur la déclaration faite par la Pologne, plus tôt dans la journée, selon laquelle elle enverrait tous ses jets MiG-29 de fabrication russe à la base aérienne de Ramstein, en Allemagne, afin que les États-Unis puissent les transférer plus loin en Ukraine :

» “Il n'est tout simplement pas clair pour nous qu'il y ait une justification substantielle pour cela”, a-t-il ajouté, soulignant que la proposition “montre juste certaines des complexités que cette question présente”.

» “Nous continuerons à consulter la Pologne et nos autres alliés de l'OTAN sur cette question et les difficiles défis logistiques qu'elle présente, mais nous ne pensons pas que la proposition de la Pologne soit défendable”. »

... Ce même département d’État aussitôt mis en mode hyper-‘damage control’ avec une Victoria Nuland qui était prévue en audition au Congrès, et qui vient soi-disant en ayant appris la nouvelle sur le parcours vers le Congrès ; et la voilà aussitôt au charbon pour dédouaner son ministère sur ordre de Blinker, en affirmant sa complète “surprise”, – ce dont nous nous permettrons de douter, dans tous les cas pour son compte personnel...

Enchaînement : autorisation aux Polonais du département d’État sur pression du clan Nuland, manœuvre de défausse des Polonais (transmission de la “patate chaude”), réaction furieuse du Pentagone, rétropédalage en catastrophe de Nuland :

« Ce niveau d'énorme contradiction entre alliés sur un développement aussi important est juste un peu gênant et même embarrassant. L'administration Biden affirme avoir été complètement "surprise" par la déclaration de la Pologne, il y a quelques heures, selon laquelle elle enverrait tous ses jets MiG-29 de fabrication russe à la base aérienne de Ramstein, en Allemagne, afin que les États-Unis puissent les transférer à l'Ukraine.

» Bien que ce plan éventuel ait été envisagé pendant plusieurs jours, il ne semble pas que la Maison Blanche ait été informée de la décision finale de Varsovie avant que l'annonce ne soit déclarée comme une "affaire conclue" sur le site Internet du ministère polonais des affaires étrangères. Apparemment, pour Washington, il n'y avait pas d'accord conclu du tout.

»  La décision de la Pologne de mettre tous ses jets MIG-29 à la disposition des États-Unis n'a pas fait l'objet d'une consultation préalable avec Washington", a déclaré mardi Victoria Nuland, sous-secrétaire du département d'État, à la suite de la déclaration de la Pologne. Et encore :

» “À ma connaissance, nous n'avons pas été préalablement consultés sur le fait qu'ils prévoyaient de nous donner ces avions", a-t-elle déclaré lors d'une audition de la commission des affaires étrangères du Sénat. "J'ai hâte, une fois cette audition terminée, de retourner à mon bureau et de voir comment nous allons répondre à cette proposition de leur part de nous donner ces avions", a-t-elle ajouté.

» Voici comment l'échange a commencé :

» “J'étais dans une réunion où j'aurais dû entendre parler de cela juste avant de venir [à une audition au Sénat], donc je pense que c'était en fait un geste surprise de la part des Polonais", a déclaré la sous-secrétaire d'État aux affaires politiques Victoria Nuland aux législateurs américains.

» Interrogée par un sénateur sur la question de savoir si les responsables américains s'étaient coordonnés à l'avance avec la Pologne avant que Varsovie ne fasse son annonce, Nuland a répondu : “Pas à ma connaissance”. »

Une sorte d’“alternative du diable” 

Poursuivons le cas des MiG-29 polonais qui est exemplaire d’irresponsabilité et d’imbrications destructrices dans le système de gouvernement et d’“hégémonie” de l’américanisme, mais sur le plan de la perception :

• Qu’est-ce qui a poussé Blinken à donner son “feu vert” à une telle initiative d’un État “normalement vassal”, pouvant déclencher un conflit avec la Russie impliquant nécessairement l’OTAN ?

• Il s’agit d’une décision irresponsable (même si l’influence d’une Nuland y a poussé) dont on ne voit la cause que dans une perception erronée : d’une part des réactions d’une Russie supposée blessée, sur la défensive et effrayée ; d’autre part de la valeur du totem ukrainien  de la Résistance et de la conviction que toutes les consignes de Washington seront exécutées au doigt et à l’œil par Zelenski supposé en position d’une grande autorité (churchillienne, rien que ça).

• Qu’est-ce qui a poussé la Pologne à l’habile manœuvre de transférer les MiG-29 aux USA, sinon une perception complètement différente de celle de Blinken de la réalité de la situation tactique ?

• Qu’est-ce qui a poussé le Pentagone à réagir aussi furieusement, jusqu’à exposer en public la catastrophique gestion crisique de l’administration Bident (du département d’État, et des relations avec les pays vassaux), sinon une perception complètement différente de celle de Blinken de la réalité de la situation stratégique ?

Le cas est encore très réduit et appuyée sur de nombreuses interférences bureaucratiques propres à Washington, qui ne relèvent pas toutes nécessairement de différences de perceptions. L’exemple de l’ONU est plus significatif pour ce que nous voulons montrer. Le résultat du vote a été un simple exercice cosmétique de maquillage avec cette bizarre division, mise en place pour attirer le vote de condamnation comme on attire le chaland, entre les votes de condamnation avec l’acte des sanctions et la symbolique de condamnation sans  sanctions (une sorte de “minimum syndical” d’un monde où les pressions US sont toujours importantes, avec un vote pour être quitte de cette pressions plutôt qu’exprimer un sentiment concernant Poutine et l’Ukraine).

Les accrochages avec Washington qui ont suivi (Arabie Saoudite) et vont se poursuivre montrent alors une formidable différence de perception entre un cas et l’autre, notamment sur la situation de puissance triomphante et bienfaisante (pour les ukrainiens) que se sont attribués comme d’habitude les USA, et que ne perçoivent absolument plus (différence de perception) des deux tiers aux trois-quarts de l’humanité. Le camp du bloc-BAO, qui clame que la Russie est complètement isolée, est perçue par les “dissidents” du vote, y compris les adeptes du vote symbolique pour la condamnation seulement, comme lui-même complètement isolé.

Or, les perceptions produisant les convictions, essentiellement du côté du bloc-BAO, ont été et sont essentiellement entretenues dans leur paroxysme actuel par la formidable offensive de la communication, – si même ils n’ont été créées par elle à partir d’une diabolisation de Poutine et de la Russie devenue depuis des années une sorte de ‘business as usual’ de la communication, sorte de pavlovisation de la pensée.

Le paradoxe est là et bien là : ceux qui sont le plus touchés, et de très loin, par l’offensive sont ceux qui l’ont déclenchée et la poursuivent pour que le monde entier, y compris la Russie elle-même, se soumettent à cette perception. Ils sont entretenus, renforcés, emprisonnés dans cette croyance. Il n’y a plus de place dans leurs intellects, ni pour une âme ni pour un esprit critique, tant la communication est forte, bruyante, torrentueuse, – et certes non, en ne parlant évidemment pas des inexistantes nuances nécessaires du contenu mais de la brutalité de la force & de la forme, du déferlement quantitatif...

La question essentielle est alors de savoir comment l’on pourrait revenir à une sorte de “normalité”, à une situation commune aux acteurs, même si cette communauté est là pour permettre l’affrontement des idées et des convictions, – mais au moins qu’on se retrouve sur le même terrain. Nous répétons ce jugement vu plus haut, dans ce cas en italique, comme une citation, pour le mieux mettre en évidence : il ne s’agit pas de propagande qui est la manipulation d’une chose commune à tous, qu’on peut libérer de l’illusion ainsi créée en cessant la manipulation, en “manipulant la manipulation” dans un sens vertueux. Il s’agit de tout autre chose, il s’agit d’une véritable dystopie :

« Il ne s’agit donc nullement de la seule propagande, mais aussi et surtout, en plus et bien au-delà de la propagande (d’une autre nature, d’une substance et d’essence différentes), il s’agit de simulacres, de narrative, engageant non pas une tromperie et une interprétation sur des faits donnés sur l’existence desquels s’accordent les deux perceptions, mais bien l’affirmation de deux mondes opérationnels différents parsemés d’événements différents. »

On trouve, épars et pourtant déjà significatifs, des interventions qui vont dans ce sens, qui posent non pas un problème moral comme ceux que l’on goûte avec délice dans les salons, mais un problème d’équilibre psychologique selon la question de la perception, – c’est-à-dire une question avec la menace sous-jacente de la folie. Voici par exemple une observation d’un lecteur (‘Cesare’, le 9 mars 2022, dans les commentaires du texte du jour de ‘TheMoonofAlabama’ mentionnant l’évolution de Zelenski qu’on a vue plus haut) :

« Que diable fera l'Occident lorsque la guerre sera terminée et qu’il se sera déjà engagé dans une longue guerre économique ? Comment se calmer après avoir comparé la Russie à l'Allemagne nazie en 1939 ? Comment faire pour ne pas reconnaître la Crimée russe alors que l'Ukraine le [ferait] elle-même ? »

En effet, la position que nous avons épousée, – nous parlons de la foule des ‘antipoutiniens’, dont l’immense majorité de nos dirigeants et de nos élites font chaleureusement partie, comme la Lune, – est ancrée dans une conviction quasiment religieuse, zélée, presque tremblante d’émotions. Ce ne sont pas des moutons (y compris élites et dirigeants) qui ont été endormis comme nombre d’observateurs soi-disant antiSystème et armés d’une pensée non pas complotiste mais qui complot contre soi-même pour le plaisir de la dialectique d’une juste raison-subvertie, ce sont des croisés dont la vie intellectuelle a été mise au service de cette conviction de fer.

On craindrait presque d’aller jusqu’à dire, comme possibilité clinique, qu’il s’agit d’une sorte d’“alternative du diable” : c’est poursuivre dans cette voie envers et contre tout, ou c’est devenir fou.

Source : https://www.dedefensa.org/article/notes-sur-les-mondes-autour-de-lukraine

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