jeudi 27 septembre 2018

Lithium by Nirvana - cover by Morgan James


Toute ma gratitude à cette magnifique artiste :-)




Featuring Melissa Musique, Melodie Ray & Melany Watson Guitar by Doug Wamble

mercredi 26 septembre 2018

La «crise des migrants» et le poids des structures / The " crisis of the migrants " and the weight of the structures


La «crise des migrants» et le poids des structures  © Jon Nazca Source: Reuters
Illustration : Un migrant à Malaga

Alors que la crise migratoire est toujours l'objet de vives dissensions au sein de l'Union européenne, Bruno Guigue en décortique les mécanismes et dénonce l'hypocrisie des partisans de l'accueil des migrants comme celle de ses opposants.
Ce qu’il est convenu d’appeler «la crise des migrants» est un phénomène à multiples facettes, mais il est rarement étudié en profondeur. Le commentaire dominant décrit les flux de population et les dilemmes qu’ils entraînent, mais on se garde bien d’indiquer la puissance des mécanismes qui les produisent. On préfère commenter la conjoncture plutôt qu’analyser les structures. Comme s’il fallait enfouir sa tête dans le sable, le rapport de causalité entre pauvreté et migration est le parent pauvre d’une couverture médiatique de la crise qui privilégie les querelles franco-françaises entre «mondialistes» et «populistes». Si l’on prend la peine de s’y attarder, pourtant, on voit que cette crise résulte d’un état du monde dont les pays riches sont bénéficiaires, qu’elle est l’effet visible de l’échange inégal et qu’on n’y comprend rien si l’on ignore le poids des structures.

Pour commencer l’analyse, on peut partir d’un paradoxe : curieusement, ceux qui s’indignent de «l’invasion migratoire» sur le sol français ne voient aucun inconvénient à ce que la France soit présente militairement dans onze pays africains et que ses entreprises y fassent la pluie et le beau temps. Cette attitude a quelque chose de fascinant, parce qu’elle traduit une vision du monde où certains jouissent de privilèges dont on se demande s’ils sont déterminés par la race, le climat ou la latitude. Les relations entre la France et ses anciennes colonies africaines, en effet, n’ont rien d’une collaboration idyllique entre des nations souveraines, et l’histoire coloniale a tissé un réseau de dépendances dont les Africains se seraient volontiers passés si on leur avait demandé leur avis avant de les coloniser.
Parce qu’elles relèvent des structures, ces dépendances multiples, contrairement à une certaine doxa néocoloniale, s’exercent toujours au présent. Leur principal effet est de vider de sa substance l’indépendance nationale chèrement acquise lors des combats de la décolonisation. Un pays dont le PIB est inférieur au chiffre d’affaires d’une entreprise française, par exemple, jouit d’une souveraineté nominale, et non d’une souveraineté réelle. Et lorsqu'il faut négocier un contrat d’exploitation minière, l’ancienne métropole exerce une influence exorbitante sur les décisions politiques locales. La France défend ses intérêts, dira-t-on, et c’est bien naturel. Mais la question se pose de savoir si l’influence française est respectueuse des intérêts de ses partenaires. Edouard Philippe en sait quelque chose. Le contrat entre le consortium nucléaire Areva et le gouvernement du Niger a été signé alors qu’il était responsable des relations publiques du groupe. Jugé scandaleusement léonin – au profit d’Areva –, cet accord fut dénoncé par de nombreuses organisations nigériennes et il contribua à l’effervescence qui conduisit à une nouvelle révolte touareg en 2012 dans toute la région sahélienne.
En théorie, la présence militaire française était censée juguler la terreur. Dans les faits, elle a progressé au même rythme, l’une justifiant l’autre
Cette révolte provoqua la décomposition du pouvoir malien jusqu’à un coup d’Etat militaire qui fut le prélude à l’intervention militaire de la France dans le cadre de l’opération Serval, en janvier 2013. Depuis cette date, la présence militaire française au Sahel a généré deux effets pervers : le discrédit de gouvernements locaux incapables d’assurer la sécurité des populations et la croissance exponentielle des attentats terroristes dans toute la région. En théorie, la présence militaire française était censée juguler la terreur. Dans les faits, elle a progressé au même rythme, l’une justifiant l’autre. C’est pourquoi de nombreux Africains se demandent, à juste titre, si l’intervention de la France n’est pas le problème au lieu d’être la solution, et si la terreur n’est pas un alibi justifiant une présence armée qui coïncide étrangement avec de solides intérêts miniers.
Bref, les discours officiels ont beau répéter qu’on n’est plus au temps des colonies, il y a davantage de militaires français en Afrique en 2018 qu’au lendemain des indépendances en 1960. Ce retour à une situation quasi-coloniale passe comme une lettre à la poste dans l’Hexagone. Sa coïncidence avec la crise des migrants a pourtant de quoi laisser perplexe, d’autant qu’elle s’accompagne d’une singulière corrélation que personne n’a relevée : les pays d’Afrique aujourd’hui les plus pauvres sont ceux où l’armée française est la plus présente. Actuellement, la France mène des opérations militaires dans quatre pays africains : le Mali, le Niger, le Tchad et la République centrafricaine. Or trois de ces pays ont l’indice de développement humain (IDH) le plus faible du continent. Il s’élève à 0,352 pour la Centrafrique, 0,353 pour le Niger et 0,396 pour le Tchad. Quant au Mali, avec 0,442, son IDH est supérieur à celui des pays précités, mais il est largement inférieur à celui de la plupart des pays africains.
Les pays africains de l’aire francophone qui ne parviennent pas à décoller, manifestement, sont le terrain de jeu d’une puissance néo-coloniale qui les maintient dans la dépendance et corrompt leurs dirigeants pour en exploiter les ressources minières
On rappellera que l’indice du développement humain est un indice synthétique combinant le PIB par habitant, le taux de scolarisation et l’espérance de vie. Inventé pour l’ONU par l’économiste indien Amartya Sen, il permet de mesurer le niveau de développement global d’un pays. A titre d’exemple, l’IDH le plus élevé du continent africain est celui de l’Algérie (0,745), pays qui a conquis sa souveraineté de haute lutte en affrontant l’armée française durant la guerre de libération (1954-1962). A l’opposé, le pays ayant l’IDH le plus faible (0,352) est la République centrafricaine, où l’armée française est omniprésente. Même si la corrélation est frappante, la présence des troupes françaises n’explique pas la pauvreté. Mais les pays africains de l’aire francophone qui ne parviennent pas à décoller, manifestement, sont le terrain de jeu d’une puissance néo-coloniale qui les maintient dans la dépendance et corrompt leurs dirigeants pour en exploiter les ressources minières. La présence militaire française est à la fois le symbole de cette dépendance et l’instrument de sa perpétuation.
Prétendre que les troupes françaises stationnent dans les pays du Sahel pour des motifs chevaleresques – «sauver la démocratie» ou «endiguer l’obscurantisme» – est parfaitement risible
Les adversaires de l’accueil des migrants en France – et en Europe – soulignent que ces demandeurs d’asile n’ont rien de réfugiés politiques et qu’ils fuient la misère. Ce n’est pas faux, mais il faut ajouter que la politique des pays européens – dont la France – n’est pas étrangère à cette misère. On sait depuis les travaux du regretté Samir Amin combien les mécanismes de l’échange inégal forgés sous la colonisation ont été cyniquement perpétués au lendemain des indépendances. Qu’il s’agisse de l’extraversion de l’économie des pays du sud – vouée à la mono-exportation de matières premières ou de denrées agricoles – ou de la soumission des Etats au joug impitoyable de la dette publique – dénoncée avec justesse par Thomas Sankara – , ces mécanismes mortifères n’ont pas disparu. Au contraire, ils se sont amplifiés et raffinés avec le temps. Pour le monde développé – et pour la France qui a préservé en Afrique son «pré carré» –, la Côte d’Ivoire est un réservoir de cacao et le Niger un réservoir d’uranium. Le prix de ces marchandises est fixé par les rapports de force internationaux – les fameuses «lois du marché» –, et non par la philanthropie des puissances occidentales, encore moins par les autorités des deux Etats concernés.
Prétendre que les troupes françaises stationnent dans les pays du Sahel pour des motifs chevaleresques – «sauver la démocratie» ou «endiguer l’obscurantisme» – est parfaitement risible. Les dirigeants français se soucient fort peu du sort des milliers d’enfants africains contraints de travailler dans les plantations de cacao pour des planteurs pris à la gorge par des négociants qui imposent, à leur tour, les tarifs exigés par les trois multinationales qui se partagent le marché mondial du chocolat. Ils ne s’inquiètent pas davantage des équilibres fragiles de la société sahélienne où l’exploitation éhontée des gisements d’uranium sur des territoires utilisés par les Touaregs a jeté les ferments de la guerre civile, sans parler des effets catastrophiques de la destruction délibérée de l’État libyen. Les structures de l’échange inégal pèsent sur les populations africaines comme une damnation et les poussent à l’exil pour échapper à la misère. Et c’est en refusant de voir cette réalité aveuglante, en ignorant ce poids des structures héritées de l’ère coloniale, qu’on s’interdit de comprendre les ressorts économiques de la crise des migrants.
En France, ceux qui s’affligent de cet exode massif portent eux-mêmes la responsabilité de l’ingérence qui en est la cause
Le drame, c’est que ces ressorts économiques, hélas, ne sont pas les seuls. Non seulement les pays du sud subissent les termes de l’échange inégal, mais ils font les frais de l’ingérence étrangère. Le cas le plus flagrant est la Syrie, où une guerre par procuration est orchestrée par les puissances occidentales alliées aux pétromonarchies du Golfe. Avant la guerre, la Syrie était un pays autosuffisant sur le plan alimentaire et en voie d’industrialisation, avec une population éduquée et bénéficiant d’un système de santé moderne. La «stratégie du chaos» y a importé des hordes de mercenaires dont le gouvernement syrien, au bout de huit ans de guerre (2011-2018), parvient à peine à se débarrasser. Destinée à abattre un Etat qui refusait d’obéir, l’intervention impérialiste a condamné à l’exil cinq millions de personnes. En France, ceux qui s’affligent de cet exode massif portent eux-mêmes la responsabilité de l’ingérence qui en est la cause. Avec des variantes, bien entendu : à droite, on s’indigne de l’invasion migratoire ; à gauche, on fait vibrer la corde humanitaire.
Mais la Syrie n’est pas un cas isolé. Les pays où menace la famine sont ceux d’où proviennent la plupart des réfugiés. Or la faim n’est pas une fatalité qui pèserait sur des contrées abandonnées des dieux. Dressée par l’ONU, la liste des pays où la situation alimentaire est la plus critique parle d’elle-même : le Yémen, le Nigéria, le Sud-Soudan. Dans ces pays, c’est l’intervention étrangère qui a provoqué le chaos. La guerre civile et le terrorisme y ont ruiné les structures étatiques, banalisant une violence endémique et provoquant l’exode des populations. Au Yémen, l’agression saoudienne sponsorisée par l’Occident a fait 10 000 morts depuis mars 2015. Elle a déclenché une monstrueuse épidémie de choléra et elle menace de famine 8 millions de personnes. Ce désastre humanitaire sans précédent n’a rien d’une catastrophe naturelle : comme le drame syrien, c’est une co-production des puissances occidentales et des pétromonarchies du Golfe.
L’embargo, c’est l’arme des riches contre les pauvres, l’instrument cynique des pays développés qui interdisent aux autres de se développer à leur tour en les coupant des circuits commerciaux et financiers internationaux
Au Nigéria, la situation chaotique dans laquelle est plongé le nord-est du pays gangrène toute la région. Des millions de personnes, fuyant les violences du groupe Boko Haram, s’entassent dans des camps de réfugiés. Alimenté par la propagande saoudienne, le terrorisme défie cet Etat, le plus peuplé du continent, qui comptera 440 millions d’habitants en 2050. Depuis la calamiteuse destruction de la Libye par l’OTAN, l’Afrique sub-saharienne - incluant le Mali, le Niger, le Tchad et la République centrafricaine - est le terrain de chasse préféré des djihadistes. Au Sud-Soudan, la proclamation de l’indépendance, en 2011, a débouché sur une guerre civile où deux camps rivaux se disputent le contrôle des richesses énergétiques. Cet Etat sécessionniste enclavé, coupé du Nord auquel l’opposa une interminable guerre civile, est le fruit de la stratégie américaine dans la région. Cette création artificielle visait à contrecarrer l’influence du Soudan, inscrit  par Washington sur la liste des «Etats voyous». Aujourd’hui, le Sud-Soudan est un champ de ruines : des dizaines de milliers de morts, trois millions de réfugiés, cinq millions de personnes qui souffrent de malnutrition.
Il suffit de regarder une carte pour voir que l’exode des miséreux de la planète est le fruit amer des politiques occidentales
Pour compléter ce sinistre tableau, il faudrait ajouter, bien entendu, le résultat catastrophique des invasions de la Somalie (1992), de l’Afghanistan (2001) et de l’Irak (2003) par les troupes de l’oncle Sam, avec leur moisson de massacres et de destructions à grande échelle au nom de la «démocratie» et des «droits l’homme». Il faudrait aussi dresser le bilan des embargos meurtriers décrétés par un Occident vassalisé par Washington contre des pays qui refusent de lui obéir, de Cuba à l’Irak, de la Syrie à l’Iran et au Vénézuéla. L’embargo, c’est l’arme des riches contre les pauvres, l’instrument cynique des pays développés qui interdisent aux autres de se développer à leur tour en les coupant des circuits commerciaux et financiers internationaux. Avec la destruction par voie militaire et la déstabilisation par la terreur importée, l’étranglement économique par l’embargo est la troisième arme figurant dans la panoplie de l’ingérence occidentale. Les milliers de Vénézuéliens qui fuient aujourd’hui leur pays agressé par les puissances occidentales avec la complicité de la bourgeoisie locale sont les dernières en date des victimes de cette guerre économique menée par les dirigeants des pays riches contre les populations des pays pauvres.
Il suffit de regarder une carte pour voir que l’exode des miséreux de la planète est le fruit amer des politiques occidentales. La «crise des migrants» dont se repaissent les médias est une co-production à laquelle participent trois séries d’acteurs : les prédateurs néo-coloniaux des pays d’accueil, les élites corrompues des pays d’origine et les mafias esclavagistes des pays de transit. Aucune explication mono-causale ne pourra exonérer les uns ou les autres de leur responsabilité. Mais tant que sévira l’échange inégal, le poids des structures contribuera à creuser l’écart entre les riches et les pauvres. On préfère généralement ignorer la partie immergée de l’iceberg, mais il serait temps de s’y intéresser. Les migrants sont les laissés-pour-compte d’un monde inégal, et la seule solution au problème est de faire en sorte qu’il le soit de moins en moins. La crise migratoire est un signal d’alarme. Elle rappelle l’urgence du développement pour des pays qui sont à la traîne parce qu’ils sont mal gouvernés, parce que les pays riches en pillent les ressources et parce qu’ils n’exercent qu’une souveraineté factice. La Chine, l’Inde, de nombreux pays d’Asie s’en sortent, au contraire, parce qu’ils ont rompu les chaînes de la dépendance.
En Europe, ni le rejet des migrants dont une certaine droite a fait son fonds de commerce, ni leur accueil à bras ouverts revendiqué par la gauche humanitaire ne constituent une solution au problème. L’idéologie identitaire et l’idéologie humanitaire sont les deux faces du dieu Janus, et elles expriment un aveuglement gémellaire. Elles se confortent mutuellement, nourrissant une surenchère stérile qui conduit tout le monde dans l’impasse. L’affrontement médiatique entre «mondialistes» et «populistes» est un théâtre d’ombres destiné à masquer les véritables enjeux de la crise et à occulter le poids des structures. Les identitaires ignorent les causes de l’inégalité du monde, tandis que les humanitaires ne voient pas qu’ils se contentent d’en gérer les effets. Or une addition de vues partielles permet rarement d’y voir clair, et il est vraiment urgent de dépasser cette fausse alternative.
 Le patronat allemand se réjouit de l’arrivée d’une main d’œuvre malléable qui constitue, selon la formule de Marx, «l’armée de réserve du capital»
Contre ce double aveuglement, il faut rappeler la formule de Spinoza : «Ni rire, ni pleurer, mais comprendre.» Pas plus que l’égoïsme, la compassion ne fait comprendre ce qui se déroule sous nos yeux. Stimulée par l’aiguillon de la misère, l’immigration de masse n’est dans l’intérêt de personne. Ce n’est ni une chance ni une calamité, mais un problème dont le Nord et le sud sont co-responsables, et qu’il faut affronter en cessant d’en ignorer les causes. La question du sauvetage des naufragés ne devrait même pas se poser, tant la réponse est évidente. Mais l’éthique de la responsabilité doit relayer l’éthique de la conviction. La meilleure chose qu’on puisse souhaiter à ceux qui traversent la Méditerranée en cédant au mirage occidental est de contribuer au développement de leur pays. On sait très bien quels intérêts sert le discours sans-frontiériste : ceux qui exigent l’accueil massif des migrants entendent bénéficier grassement de l’échange inégal avec les pays du sud. Le patronat allemand, pour ne citer que lui, se réjouit de l’arrivée d’une main d’œuvre malléable qui constitue, selon la formule de Marx, «l’armée de réserve du capital».
Non que la société idéale soit une société close et que la fermeture des frontières soit une solution au problème. Mais la souveraineté ne se monnaye pas. L’aspiration d’un Etat à conserver le contrôle de ses frontières est parfaitement légitime, et c’est d’ailleurs ce que font tous les Etats, sauf ceux de l’Union européenne qui ont accepté dans le cadre de «l’espace Schengen» de repousser ce contrôle aux frontières extérieures de l’Union –  contradiction aujourd’hui devenue explosive, et dont il n’est pas sûr que l’UE sorte indemne. On ne peut s’en tirer à bon compte en stigmatisant ceux qui, en Italie ou en Hongrie, ont décidé de restreindre l’accès au territoire national. Comme disait Aristote, «on ne va pas tout de même pas délibérer pour administrer les affaires des Scythes», ce peuple lointain à qui les Grecs auraient trouvé ridicule de vouloir imposer quoi que ce soit. Lorsqu’on est pour la souveraineté, il faut l’être jusqu’au bout, et admettre qu’un Etat décide de ses affaires à sa façon, même si ce n’est pas la nôtre. Que chacun assume ses responsabilités, et les vaches seront bien gardées. Ce n’est pas l’Italie qui a décidé de détruire la Libye, ni de soutenir les terroristes en Syrie. La crise des migrants est le miroir des turpitudes occidentales, mais il faut reconnaître que Paris, Londres et Washington se taillent la part du lion. «Nos guerres, leurs morts», dit-on, et ce n’est pas faux. «Nos guerres, leurs réfugiés», faudrait-il ajouter. Ou mieux encore : «Nos guerres, nos réfugiés», car c’est chez nous qu’ils viennent dans le vain espoir d’un avenir meilleur.

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

source : https://francais.rt.com/opinions/54120-crise-migrants-poids-structures-bruno-guigue

vendredi 21 septembre 2018

Plaidoyer de Jacques Nikonoff pour la démondialisation et le retour à la démocratie / Jacques Nikonoff's plea for the deglobalization and the return in the democracy

Intellectuel militant longtemps à gauche, passé par Wall Street, il s’engage maintenant pour la démondialisation et le Frexit. à la tête du Pardem, Jacques Nikonoff a d’ailleurs tenté de se présenter comme candidat à l’élection présidentielle en 2017. Voici son histoire. Un portrait de Jacques Nikonoff par Jean-Baptiste Mendes.





Jacques Nikonoff interview Jacques Sapir en 2016... un contenu toujours d'actualité. 


dimanche 9 septembre 2018

La paille et la poutre, Analyse de Jean Bricmont du rapport " Les manipulations de l'information, un défi pour nos démocraties" / The mote and the beam,Jean Bricmont's analysis of the report "The manipulations of the information, the challenge for our democracies"

Docteur en sciences et essayiste belge, Jean Bricmont est professeur à l’Université catholique de Louvain. Il est auteur et co-auteur de plusieurs ouvrages dont La république des censeurs, Impostures intellectuelles (avec Alan Sokal).

8 sept. 2018

Le plus gros de l'ingérence étrangère dans nos pays est d'origine américaine (image d'illustration).
L'essayiste Jean Bricmont analyse les ressorts du rapport qui accuse, entre autres, la Russie de manipulation de l'information. Selon lui, les auteurs du rapport véhiculent une vision du monde symptomatique du déclin de l'Occident.

Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ? (Evangile selon saint Luc, 6, 42)

Etant physicien et non spécialiste des sciences humaines, je ne suis pas habitué au niveau auquel peuvent s'abaisser certaines recherches dans ces domaines. Par conséquent, je suis tombé de ma chaise en lisant «Les manipulations de l'information, un défi pour nos démocraties», rapport rédigé par quatre experts du Centre d'analyse, de prévision et de stratégie du ministère des Affaires étrangères (CAPS) et de l'Institut de recherche stratégique de l'Ecole militaire (IRSEM), et présenté ce 4 septembre lors d'un colloque à l'Ecole militaire, en présence de la ministre des Armées Florence Parly.

Le rapport se veut académique et encyclopédique : on y parle de Foucault et Derrida, du relativisme, des pseudo-sciences, de l'opinion de Marc Bloch en 1921 sur les fausses nouvelles durant la Première Guerre mondiale, des analyses de Gérald Bronner et de Jacques Ellul ; on y trouve des mots russes comme dezinformatzia (p. 52) qui est supposé être l'origine du mot français «désinformation». On y parle de l'Indonésie, du Vietnam, de l'Amérique latine.

Ce n'est donc pas un document limité à la supposée ingérence russe dans les affaires françaises, même si le plat de résistance du texte est constitué par la «désinformation russe».

Mais comment faire un travail aussi apparemment exhaustif sur la désinformation en ne mentionnant nulle part :

- Les faux charniers de Timisoara en 1989 lors du reversement de Ceaucescu.

- L'affaire des bébés jetés hors des couveuses au Koweït lors de la première guerre du Golfe.

- L'affaire des armes de destruction massives en Irak, sauf de façon très marginale (p. 187).

- Les usages des armes chimiques en Syrie, qui sont systématiquement mises sur le dos du gouvernement syrien, alors que des experts américains en armements ont, au moins en 2013, catégoriquement réfuté ces assertions.

Les auteurs du rapport évaluent aussi la «désinformation» à l'aune de ce qu'eux considèrent comme des faits établis : l'annexion forcée de la Crimée par la Russie (que savent-ils des volontés de la population criméenne ?), ou l'agression russe en Ukraine (pourquoi la population russophone de l'est de l'Ukraine ne pourrait-elle pas s'opposer au gouvernement central, issu d'un coup d'Etat, et qui lui est manifestement hostile, comme l'a fait la population albano-kosovare face au gouvernement serbe ?).

Arriver à parler, comme les auteurs du rapport le font, de la «désinformation russe en Amérique latine», sans dire un mot de l'ingérence américaine qui est loin de se limiter à la désinformation (jamais entendu parler d'Arbenz, de Goulart, d'Allende, de l'invasion de la République dominicaine en 1965, du soutien aux «Contras» au Nicaragua sandiniste, du coup contre Chavez en 2002 ?) est un véritable tour de force idéologique.

Le plus gros de l'ingérence étrangère dans nos pays est d'origine américaine
Un autre sujet soigneusement évité par les auteurs du rapport, et qui est l'éternel éléphant dans la pièce que personne ne veut voir, c'est l'ingérence israélienne à travers les lobbies pro-israéliens qui, au moins aux Etats-Unis, est très bien documentée même si elle est totalement ignorée par les médias (à cause justement de la force de frappe de ces lobbies).

On pourrait penser aussi à la campagne de désinformation récente au Royaume-Uni menée contre le Labour Party et Jeremy Corbyn sous prétexte d'antisémitisme et qui est entièrement liée à leurs positions sur le conflit israélo-palestinien.

Et en France ? Comment expliquer l'influence d'un BHL ou d'un Kouchner, qui non seulement sont passionnément attachés à Israël, mais ont poussé la France à entrer en guerre avec la Libye, et indirectement avec la Syrie, sur la base d'une multitude de fausses nouvelles (dont le bombardement imminent à Benghazi) ? Ces guerres étaient manifestement en contradiction avec les intérêts de la France et ont engendré la crise des réfugiés qui déstabilise aujourd'hui toute l'Europe.

Ce que les auteurs du rapport semblent ne pas comprendre, c'est que le plus gros de l'ingérence étrangère dans nos pays est bien d'origine américaine. Mais elle se fait à travers une multitude de think tanks, de colloques, d'institut de «recherche», d'invitations dans les grandes universités américaines ; tout cela forme la vision du monde de nos élites, vision dans laquelle nous sommes entourés d'ennemis contre lesquels l'action militaire et politique des Etats-Unis, même à des milliers de kilomètres de leurs rives, est purement défensive. Quand on remarque que trois des quatre auteurs du rapport ont travaillé dans ces universités américaines ou à l'OTAN, on n'est pas étonné de cette incompréhension.

«L'honnêteté est la meilleure politique»

Quand on en arrive aux recommandations concrètes, les auteurs du rapport ne savent pas très bien sur quel pied danser : ils se méfient à juste titre de la censure et se rendent compte que, lorsque des médias dominants font des listes de sites fiables et non fiables, la méfiance qui existe à l'égard de ces médias tend à légitimer les sites déclarés par eux non fiables.

Ma grand-mère, qui me répétait souvent «l'honnêteté est la meilleure politique» avait trouvé, il y a longtemps, la solution à la crise de confiance dans les médias dominants, solution à laquelle les auteurs du rapport n'ont pas pensé. Mais la perte de crédibilité de la presse ne date pas d'hier. Elle a commencé aux Etats-Unis avec la guerre du Vietnam et n'a fait qu'empirer avec les guerres récentes. Espérer l'adoption d'une politique d'honnêteté des médias pour tout ce qui concerne l'international suppose un tel changement dans la vision du monde des journalistes que cela relève du vœu pieux. De plus, la crédibilité, c'est un peu comme la virginité : il est plus facile de la perdre que de la regagner.

Quand il s'agit de savoir qui utilise des armes chimiques, ou de ce qu'il en est de l'affaire Skripal ou du Russiagate, comment peut-on se faire une opinion si ce n'est en confrontant des points de vue différents ? Cela n'a rien de relativiste et ne signifie nullement que «tout se vaut», mais est la base même de l'attitude scientifique et de la philosophie des Lumières, dont se réclament les auteurs, mais qu'ils défendent très mal.

La vision du monde véhiculée par les auteurs du rapport est le symptôme d'un nouveau déclin de l'Occident, qui s'exprime par l'incapacité à l'auto-critique : toute allégation d'une ingérence occidentale ou toute mise en doute du récit médiatique dominant est supposé exprimer une «mentalité complotiste», mais les allégations concernant l'ingérence russe sont prises comme parole d'Evangile ; cependant, concernant justement l'Evangile, ils oublient un peu vite la phrase de saint Luc rappelée en exergue de cet article.

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

Source : https://francais.rt.com/opinions/53793-la-paille-et-la-poutre

lundi 3 septembre 2018

La «Mélenchon allemande» va lancer un mouvement de gauche opposé à l'immigration / " German Mélenchon " is going to launch a left movement opposed to the immigration


La «Mélenchon allemande» va lancer un mouvement de gauche opposé à l'immigration© Reinhard Krause Source: Reuters
Sahra Wagenknecht du parti de gauche allemand Die Linke lors d'un entretien avec Reuters à Berlin, en Allemagne, le 7 septembre 2017.

Pour lutter contre l'extrême droite, le leader du groupe de gauche radicale au Parlement allemand a trouvé un moyen original : investir son terrain idéologique. Elle lance ainsi un mouvement visant entre autres à durcir la politique migratoire.
Sahra Wagenknecht, la co-présidente du groupe parlementaire de la gauche radicale allemande vient de faire une annonce qui a de quoi surprendre. Pour réduire l’influence du parti de droite radicale Alternative für Deutschland (AfD), première force d’opposition au Bundestag, la femme politique, résolument de gauche, compte aller chasser sur les terres de l'AfD. Elle va à cet effet lancer le 4 septembre un mouvement pour tenter de rassembler sa famille politique, tout en durcissant les positions traditionnelles de cette dernière sur la question de l’asile. Son futur mouvement dénommé Aufstehen qui signifie «Debout» ou «Réveil» va donc tenter de mobiliser très à gauche, mais en changeant de cap sur le thème de la politique migratoire qui bouleverse le paysage politique allemand depuis 2015 avec l'arrivée de plus d'un million de migrants, facilitée par la chancelière Angela Merkel.

Outre les grands thèmes sociaux chers à sa famille politique, Sahra Wagenknecht veut en effet «mettre la pression» sur les partis de gauche pour qu’ils engagent une «autre politique migratoire», selon ses termes. Elle veut en finir avec la «bonne conscience de gauche sur la culture de l’accueil» et ces «responsables [politiques] vivant loin des familles modestes qui se battent pour défendre leur part du gâteau». «Une frontière ouverte à tous, c’est naïf. Ce n’est surtout pas une politique de gauche», insiste-t-elle. Les milliards dépensés par le gouvernement pour accueillir les demandeurs d’asile en 2015 «auraient pu aider beaucoup plus de nécessiteux en Allemagne», selon la dirigeante politique. «Plus de migrants économiques signifie plus de concurrence pour décrocher des jobs dans le secteur des bas salaires. Le nombre de logements sociaux n’est pas non plus illimité», estime-t-elle encore.

Sur l'euro et l'Union européenne, Sahra Wagenknecht n'a pas des positions moins tranchées : «La zone euro actuelle ne fonctionne pas, à cause de la politique menée par l’Allemagne. Quand un pays de cette taille pratique le dumping salarial et dope de manière artificielle ses exportations, les autres peuvent difficilement se défendre.»
Economiste âgée de 49 ans, née d’un père iranien et d’une mère allemande, Sahra Wagenknecht est une figure très médiatisée en Allemagne. Son mouvement, elle le veut rassembleur et de gauche, sur le modèle de La France insoumise ou du Podemos espagnol. Pour l'heure, si son poids électoral est bien moindre que celui de l'ancien candidat à la présidentielle Jean-Luc Mélenchon, les deux leaders ont pour point commun, outre des convergences idéologiques et stratégiques, d'être qualifiés de «populistes» par leurs adversaires ou encore d'avoir apporté leur soutien aux gouvernements de gauche d'Amérique latine. Néanmoins, ni La France insoumise, ni Podemos n'ont adopté des positions aussi dures sur la question de l'immigration.

Auteur: RT France

«Gauche populiste» ?


Le lancement de ce nouveau mouvement de gauche, prévu le 4 septembre, a été mal perçu, surtout chez les sociaux-démocrates dont le déclin se poursuit inexorablement depuis la reconduite de la «grande coalition» avec Angela Merkel à la tête de l'exécutif allemand. Thomas Oppermann, le président du groupe parlementaire SPD qui fait partie de la coalition au pouvoir accuse Sahra Wagenknecht de monter les pauvres et les réfugiés les uns contre les autres. Selon lui, l'ancienne vice-présidente de Die Linke «se met à rêver d’une gauche populiste en Allemagne». Son parti, le Parti social-démocrate (SPD) absent dans le débat sur la politique des réfugiés, se fait régulièrement dépasser par la droite radicale dans les sondages. Au sein même de Die Linke, la pilule Aufstehen passe mal. Ce mouvement constitue en effet une menace existentielle. «Un mouvement qui nous affaiblit n’est pas acceptable», a déploré Bernd Riexinger, chef du parti.

Source : https://francais.rt.com/international/53418-melenchon-allemande-va-lancer-mouvement-gauche-anti-immigration-sahra-wagenknecht

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