samedi 25 février 2017

Antipresse n°65 : Leur nom est légion par Slobodan Despot / Antipress n°65 : their name is legion by Slobodan Despot

N° 65 | 26.2.2017

Exergue

Aimer, c’est aider ! Si l’ANTIPRESSE vous plaît, songez à lui faire un don !

Dans ce numéro

  • Slobodan Despot ne se limite pas à la «critique de l’information».
  • Pascal Vandenberghe revisite deux auteurs slaves vertigineux.
  • Fernand Le Pic rappelle sur quoi est bâtie la fameuse muraille mexicaine du président Trump.

Nouveauté

Les choses s’emballent et le délire déferle en cataracte! Dès ce numéro, la Main courante introduit les brèves audio de Slobodan Despot, commentaires sur le vif des nouvelles les plus intéressantes (ou ahurissantes) vues ou entendues dans les médias. Vos réactions à ce nouveau service seront les bienvenues!

Agenda

Dans le cadre de la Semaine de la femme 2017 organisée par l’Association de Clages et présidée par Lusila Despot, à la Vidondée de Riddes (6–12 mars), nous signalons entre autres deux soirées exceptionnelles. Les frères Teofilović chantent a capella, avec une coordination et une poésie étonnantes, des chants traditionnels serbes qui remontent parfois à la nuit des temps. Mercredi 8 et jeudi 9 mars à 20h, entrée CHF 25.. Cela étant, tout le programme de la semaine vaut le détour!

NOUVELLEAKS par Slobodan Despot

LEUR NOM EST LÉGION

Le cœur du Système, II.
[Jésus] lui disait : “Esprit impur, sors de cet homme.” Et il lui demanda : “Quel est ton nom?” Et il répondit: “Mon nom est Légion, car nous sommes nombreux”.» (Marc 5:8,9)
Il y a quelque chose d’insuffisant, d’insatisfaisant et de superficiel dans la manière dont on critique la propagande des médias de grand chemin et peut-être plus encore dans la manière dont on y répond.
Cette même observation, on peut l’étendre également à la révolte contre le système politique qui s’organise de plus en plus ouvertement au détriment du bien commun alors qu’il est élu et financé par la communauté des citoyens.
Peut-on penser sérieusement que les dégâts infligés par des médias partiaux seront corrigés par des médias vertueux? Misera-t-on sur une neutralisation de leur penchant «progressiste-globaliste» par la poussée contraire (conservatrice et nationaliste ou local-patriotique) des «altermédias»? Ou alors, par un décret de régulation universelle, imposera-t-on un équilibrage quantitatif des thèses et des partis pris au sein de chaque pôle d’information financé peu ou prou par l’État? Un coup à droite, un coup à gauche, une tribune «lobby homo» pour une tribune «lobby des familles»?
C’est dérisoire, on le voit bien. Mais que proposer d’autre, en l’état?
De la même manière, par quoi remplacera-t-on le cartel de partis clonés les uns sur les autres — malgré les divergences de façade — qui pratiquent tous la même cuisine avec plus ou moins de sel et qui prétendent représenter et guider les peuples d’Europe depuis la dernière guerre? Balancera-t-on l’influence néfaste d’un parti d’apparatchiks globalistes par un parti d’apparatchiks identitaires? Même s’il apparaît de plus en plus clair que l’ensemble de la classe politique européenne est composé d’hologrammes et de drones humains pilotés d’outre-Atlantique ou d’on ne sait quelle stratosphère, que va-t-on bien pouvoir faire d’elle? La retourner, par l’entrisme, la corruption ou la subversion? Mais qui financera un si vaste chantier quand tout l’argent est justement de l’autre côté? La renverser pacifiquement? Mais elle tient toutes les clefs du système législatif et juridique qu’elle a elle-même tricoté pour son propre confort. La renverser par la force? Mais elle détient le monopole de la coercition face à des populations vaccinées contre tout recours à la force légitime par plus d’un demi-siècle d’éducation ciblée.
Enfin, et même si le Système actuel, profondément terré dans l’entre-soi, devait être remplacé, qui nous dit que son remplaçant serait plus équitable et plus respectueux du bien commun? A titre d’exemple: si le Ministère de l’information actuellement revendiqué par Le Monde devait tomber aux mains des protagonistes de la «réinformation», l’information résultante serait-elle plus honnête et plus équilibrée?

Derrière l’information, la formation

Si nous poussons plus loin le questionnement: avons-nous vraiment besoin d’une information de masse? Dans quelle mesure nous informe-t-elle vraiment? Un ami m’a fait part d’une expérience faite avec des jeunes étudiants aspirant à des fonctions de cadres dans la société actuelle. Ces jeunes réputés instruits ne consommaient pas vraiment les médias «de référence», mais ils étaient constamment «en réseau» et «sur les réseaux», et s’estimaient donc informés à la minute. Lorsque le conférencier leur a demandé de résumer une seule nouvelle apprise le même jour, ils en ont été incapables. Leur «information» consiste en un brouhaha quasi subliminal où des mots-clefs et des thèses simples martelés à l’infini leur infusent des comportements et des attitudes sans les armer du moindre argument susceptible de les justifier. Mais à quoi bon les arguments, quand la masse (de mots, de voix, de chiffres) décide de tout?
On croit que le système d’information n’a pour but que de diffuser des informations et qu’il dysfonctionne lorsque ces informations entrent violemment en collision avec la réalité vécue. Et puis l’on constate, pantois, que le démenti du réel ne change rien au fonctionnement du système.
On serait moins surpris si l’on revenait au sens même du mot. L’information n’est autre que la formation du dedans. Le façonnage de notre univers mental. Cela n’a un rapport avec la vérité des faits que si le pouvoir qui nous façonne a le culte de la vérité des faits. Aucun pouvoir ne l’a eu, celui d’aujourd’hui moins encore que les précédents. C’est pourquoi le système ne manque pas de pare-feux, y compris et surtout d’ordre philosophique: qu’est-ce que la réalité? Qu’est-ce que la vérité? Et un fait, comment le définit-on?
Sitôt que vous entrez sur ce terrain, vous voilà perdus. Vous êtes seul avec votre bon sens, la culture que vous avez pu accumuler et les syllogismes candidement produits par votre logique innée. Bref: votre éducation ancestrale, familiale et spontanée qui, elle, a le culte de la vérité des faits. (Car 2 et 2 ne font 4 que pour les petites gens.) En face: une batterie de spécialistes, d’experts, de professeurs, de consultants, de communicants répétant les mêmes phrases, ou peu s’en faut. Et derrière eux: des millions de pages de thèses, de rapports, de mémoires, des milliers d’années de séminaires, de formations et de colloques servant de caution à des thèses simplettes dont un enfant saisirait la fausseté. Face à cette armada parlant d’une même voix, le bon sens solitaire n’a aucune chance. L’adversaire a pensé à tout, il a tout organisé. Il a mis en doute les fondements mêmes de la vérité intellectuelle, de la vérité «objective», et discrédité les lois de la logique. En sorte que n’importe quelle sornette, fût-elle totalement absurde, puisse lui servir de malleus maleficarum (marteau des sorcières) pour peu qu’elle émane des lieux du pouvoir.
Par exemple, dans l’actualité récente: comment tant de gens réputés intelligents et instruits peuvent-ils vouloir imposer aux Syriens ou aux Ukrainiens ces mêmes terroristes, ces mêmes nazis qu’ils prétendent combattre chez eux? Ou alors, comment peuvent-ils, au nom du civisme et de la démocratie, favoriser en Europe l’expansion d’une religion politique impliquant un modèle social totalement incompatible avec ces mêmes valeurs?
Un esprit enfantin, mais logique, ne le pourrait pas. Eux le peuvent. Ils ont déployé, depuis plus d’un siècle, le fleuron de l’esprit rationnel et de la pensée objective dans le but de mettre à bas la rationalité et l’objectivité. Cette même rationalité, cette même objectivité, qui permettaient à un Montaigne, un Pascal ou à un Pierre Beyle de résister au Système de leur temps et de préserver leur personnalité. Or la cohérence intellectuelle, de l’aube du XXe siècle à nos jours, a conduit tant de brillants esprits à la clinique psychiatrique ou, carrément, à la folie par l’isolation. Car le système s’est armé et s’est dévoyé plus vite que les individus.

Seuls face à l’Ordre

Le système d’information, de même que la comédie politique, ne sont que les émanations ostensibles d’une structure cachée, comme les champignons poussent sur le réseau souterrain du mycélium. Cette structure est invisible pour les hommes comme la mer l’est pour les poissons. Elle constitue l’Ordre même, la loi selon laquelle nous vivons et que l’immense majorité ne songera jamais à transgresser, car elle n’en est même pas consciente.
L’Ordre traditionnel s’appuyait sur la religion, le pouvoir politique et le pouvoir guerrier. L’Ordre moderne repose sur le pouvoir politique, le système d’information, l’économie et la formation. La formation a remplacé la religion comme productrice des dogmes fondamentaux servant à la fois d’orientation et d’alibis aux pouvoirs temporels. La politique, l’information et l’économie elle-même sont tributaires des dogmes de la formation. La formation, autrement dit le système académique, est en réalité le pouvoir suprême, même s’il se prostitue volontiers aux trois autres.
Le système académique américain est en première ligne dans la guerre menée par des minorités agissantes contre le nouveau président élu, dont le péché tient primordialement à des délits verbaux contre des dogmes de nature religieuse. Ceux-là mêmes qu’édicte — en matière de races, de sexes, etc. — le système académique et que les autres pouvoirs sont tenus d’intégrer, sous peine de… malleus maleficarum. De l’autre côté, l’adversaire du président élu, Hillary Clinton, jouissait d’un appui ferme des milieux académiques malgré ses colossales compromissions, car elle en était elle-même issue en tant qu’avocate.
Par ailleurs, le «tireur de ficelles» le plus influent et le plus agissant dans le monde contemporain, George Soros, n’a pas construit son modèle d’influence sur l’argent. Au contraire: ses milliards ne sont que le nerf de la guerre. Ce qu’il met au premier plan, jusque dans l’appellation de son organe central, l’Open Society Foundation, est un concept académique: la «société ouverte». On ne saurait tenir les pères de cette idée — Bergson et Popper — pour responsables des manœuvres et des complots auxquels l’implantation de la «société ouverte» a servi de couverture. Là n’est pas le propos. Le propos, c’est que cette idée-là fournissait le meilleur cadre pour l’instauration d’un gouvernement financier planétaire («…réformes économiques, sociales et légales favorisant l’implantation de l’économie libre de marché»). Exactement comme la noble mission d’évangéliser les païens a servi, au temps des Conquêtes, d’alibi pour un accaparement économique d’une envergure encore jamais vue dans l’histoire.
(On oublie trop aisément que l’expansion mondialiste et l’idéologie correspondante sont nées au XVe siècle: heureusement que Pierre Legendre est là pour nous le rappeler!)

La cape d’invisibilité

Il est amusant de voir l’opiniâtreté myope avec laquelle certains milieux combattent les «idées de la franc-maçonnerie» — autrement dit le projet d’une humanité sans frontières gouvernée par une élite éclairée — quand ces mêmes idées, dans leur version publique, règnent sans concurrence dans l’ensemble des universités du monde occidental et au-delà! Et donc, par effet de cascade, dans l’ensemble des systèmes de formation. Les mêmes «réacs» renient-ils leurs diplômes d’études supérieures et ceux de leurs enfants? Et comment pensent-ils revenir à des sociétés «fermées» (nationales, ethniques, tribales, etc.) fondées sur des «traditions» quand leur progéniture est mise en garde contre le «repli» et les «préjugés» à chaque jour qu’elle passe en formation, de l’école primaire à l’université? Leur projet est voué à l’échec parce qu’ils ne perçoivent pas le cadre global de leur politique, sa note de base.
Le grand avantage de la religion académique sur les religions classiques tient justement dans son invisibilité. Grâce à son arrière-plan scientiste, elle n’apparaît pas comme une institution idéologique, mais comme une traduction transparente des lois objectives de la nature. Son prestige est immense et son impersonnalité lui assure l’adhesion des médiocres et des conformistes. Le grand C. S. Lewis avait très bien identifié ce tour de passe-passe dans son essai sur L’Abolition de l’Homme. Il l’a sublimement illustré dans Au-delà de la planète silencieuse, son roman de S. F. sur une Terre «bâillonnée» par la secte scientiste. Mais pour l’immense majorité des modernes, les dogmes de la religion académique sont aussi imperceptibles qui le bourdon d’un raga indien pour une oreille distraite. Quand on confond un ordre politique et intellectuel avec l’ordre du monde lui-même, celui qui pense autrement apparaît comme une monstruosité de la nature. On peut l’éliminer sans état d’âme, au même titre qu’une nuisance. Cette assurance de l’esprit adossé aux «lois objectives» explique, entre autres, l’inhumanité absolue du système marxiste soviétique.
Que pèsent les partis pris du système d’information ou de la classe politique face à ce conditionnement fondamental? Ils ne sont que la cerise sur le gâteau. C’est l’ensemble d’une vision du monde qu’il s’agit de reconstruire, repenser le monde selon notre «évidence» comme aurait dit Albert Caraco, et décomposer en petits rouages chacun de nos concepts, au risque du blasphème et du reniement complet. Qui en aura le courage et la force d’âme?

CANNIBALE LECTEUR de Pascal Vandenberghe

DES AUTEURS RADIEUX

Deux écrivains, deux livres traversent de part en part les propos de Vladimir Dimitrijević dans le livre d’entretiens menés avec lui par Gérard Conio, Béni soit l’exil! Propos d’un éditeur engagé (Éditions des Syrtes/L’Âge d’Homme), qui paraîtra début mars, et dont Antipresse rendra compte largement dans son prochain numéro.
Deux auteurs et deux livres: Alexandre Zinoviev (1922–2006) pour Les hauteurs béantes (L’Âge d’Homme, première édition 1977) et Stanisław Ignacy Witkiewicz (1885–1939) pour L’inassouvissement (L’Âge d’Homme, première édition 1970).
Je laisserai au lecteur de Béni soit l’exil! le soin de comprendre les raisons qui ont amené Vladimir Dimitrijević à les considérer comme particulièrement importants et significatifs dans sa conception de son métier d’éditeur. Ces deux livres sont quoi qu’il en soit des monuments de la littérature mondiale, mais aujourd’hui quasi oubliés.
Philosophe, écrivain, logicien et caricaturiste, c’est avec Les Hauteurs béantes, jugées «antisoviétique», que Zinoviev se voit retirer titres scientifiques et décorations militaires en 1976 avant d’être exilé avec femme et enfant à Munich, où il obtiendra la nationalité allemande.
Dans le portrait de Zinoviev que dressa Georges Nivat dans Le Temps quelques jours après sa disparition, en mai 2006, il écrivait que «la lecture en manuscrit de ses Hauteurs béantes fut pour [lui] un choc presque hallucinatoire: jamais je n’avais vu texte aussi maléfique, ensorcelant, qui vous broyait comme le ferait une vis sans fin: les mots devenaient étau.» Hallucinatoire, voilà le mot! Et Dimitrijević présentait ce livre (paru, donc en 1977) comme «le premier livre du XXIe siècle». Et de fait, de par sa construction et son style il est d’une grande modernité pour l’époque.
Entre roman et essai, ce livre décrit pour la première fois la réalité de la vie quotidienne dans le régime soviétique à travers des personnages types. Caustique et ironique, plus efficace que nombre de livres de «dissidents» ou d’essais d’une approche plus politique, de par l’absence d’idéologie qui y prévaut, ce livre revêt un caractère unique pour comprendre le régime de l’intérieur.
Après la chute du régime soviétique, Zinoviev concentra ses attaques sur le totalitarisme qu’engendraient l’Occident et la mondialisation, les jugeant responsables de la chute de l’Union soviétique, qui d’après lui ne se serait pas effondrée d’elle-même mais poussée à la chute par ses derniers dirigeants, Gorbatchev et Eltsine. Cette position «paradoxale» de soutien post-mortem au régime lui vaudra que ses dernières œuvres seront passées sous silence en Occident.
Dramaturge, philosophe, pamphlétaire, peintre, photographe et romancier polonais, Stanisław Ignacy Witkiewicz ne fut largement connu qu’une vingtaine d’années après sa mort (il se suicida en 1939), grâce notamment au metteur en scène polonais Tadeusz Kantor qui donna vie à nombre de ses pièces.
L’inassouvissement (publié en Pologne en 1930) a un certain nombre de points communs avec Les Hauteurs béantes: roman-essai, gigantesque fourre-tout psychologique et philosophique, mais aussi intrigue politico-sociale et satire féroce, envoûtant, il s’agit de ce qu’on appelle un «roman total». Et prophétique, lorsqu’il écrit, s’adressant aux hommes du futur que nous sommes: «Vous êtes au pouvoir d’une machine qui vous échappe des mains et qui grandit comme un être vivant, qui mène une vie autonome et doit finir par vous dévorer.» Voilà ce qui lie intérieurement ces deux auteurs par ailleurs si éloignés tant par la vie que par l’esthétique et le style: l’anticonformisme absolu et l’héroïsme solitaire de deux consciences pures face à la folie de masse, que seul son caractère massif (justement) parvient à faire passer pour la norme.
À l’instar de L’homme sans qualités de Robert Musil ou encore de la Recherche du temps perdu de Marcel Proust, par exemple, ces deux œuvres ressortissent de la catégorie des «grands récits» ou des «romans univers», comme il ne s’en écrit que quelques-uns dans le siècle. Avec une force et une puissance qui ne laissent pas le lecteur indemne. Mais n’est-ce pas à cela que l’on reconnaît les chefs-d’œuvre?

ENFUMAGES par Fernand Le Pic

LA GRANDE MURAILLE DU PRÉSIDENT

«Il y aura un mur entre les États-Unis et le Mexique et ce sont les mexicains qui le paieront.»
Donald Trump n’a jamais varié dans sa promesse et l’a tenue dès sa première semaine de présidence, par un décret du 25 janvier 2017 enjoignant toutes les administrations concernées de se mettre au travail pour lui proposer la meilleure solution de construction de son «Mur».
Une décision imparable en droit pour la bonne raison qu’elle repose sur une loi imposant cette construction, déjà votée par le congrès en 2006, et à laquelle des grands noms démocrates s’étaient ralliés, comme l’ancien astronaute Bill Nelson (Floride), Debbie Stabenow (Michigan), Ron Wyden (Oregon) et Dianne Feinstein (Californie): «Nous devons nous battre à la frontière. Il ne fait aucun doute que la frontière est une passoire», avait-elle déclaré à l’époque. Mais le projet avorta faute de volonté politique, au-delà des quelques centaines de kilomètres construits de manière disparate.
Aujourd’hui c’est ce même parti démocrate qui dénonce «un mur de la haine», selon les termes du sénateur du New Jersey Robert Menendez, lançant cette comparaison éculée avec un nouveau mur de Berlin. En essayant d’approfondir un peu la question on découvre pourtant sans peine ce qui donne autant d’assurance à Trump dans ses certitudes de faire financer ce mur par les Mexicains.
Il y a bien sûr l’ALENA, ce fameux traité voulu par Bush père en 1992 et entré en vigueur sous Bill Clinton en 1994. Ce marché commun a effectivement créé un déficit commercial de plus 60 milliards de dollars au détriment des États-Unis, même si dans le même temps, les exportations américaines vers le Mexique passaient tout de même de 43 à 236 milliards de dollars. On sait que le secteur automobile est clairement dans le viseur de Trump, puisque désormais 1 voiture sur 5 de la zone ALENA est fabriquée au Mexique grâce à ses très bas coûts de main-d’œuvre. Tout le monde a en mémoire l’annulation par Ford d’un investissement de 1,6 milliard de dollars pour construire une usine dans l’État mexicain de San Luis Potosi (nord), après la menace de Donald Trump de taxer les constructeurs à 35 % sur leurs produits fabriqués au Mexique.
Bien sûr que le solde pour l’emploi américain dans ce secteur automobile est très négatif: Mais il ne faut pas non plus oublier qu’une sortie de l’ALENA fragiliserait aussi plusieurs millions d’emplois américains, notamment dans l’agriculture. Par exemple, qu’en sera-t-il de la production de soja qui a quintuplé ses exportations vers le Mexique depuis 1994?
Les chiffres de l’économie légale ne suffisent donc pas à justifier intégralement cette certitude de Trump, qui n’est pas du genre à bluffer sur ce sujet. En revanche, du côté de l’économie illégale les choses deviennent beaucoup plus claires. On y retrouve les immigrants clandestins et les cartels de la drogue.
Tout le monde sait que les immigrants ont été protégés au maximum par Obama et qu’Hillary Clinton s’apprêtait à amplifier cette providence. Ce qu’on sait moins c’est que le Mexique les aide le plus officiellement du monde à traverser la frontière sans papier. Il existe par exemple un «Instituto de los Mexicanos en el Exterior (IME)» une agence gouvernementale du ministère des affaires extérieures, entièrement dédiée à aider les clandestins mexicains vivant aux États-Unis, avec même un numéro d’appel gratuit.
Ce même ministère est allé jusqu’à publier un livret de 32 pages intitulé «Guide pour le migrant mexicain», expliquant aux migrants comment échapper à l’application des lois américaines et profiter notamment des fameuses «sanctuary cities». Mais on y donne aussi des conseils très pratiques comme: «marcher pendant les périodes où la chaleur n’est pas aussi intense» ou «éviter les vêtements épais car ils augmentent votre poids quand ils sont mouillés, ce qui rend difficile de nager ou de flotter»…
C’est d’ailleurs cette politique que le président Enrique Peña Nieto a très ouvertement confirmée en réponse au projet du nouveau président américain, appelant les 50 consulats mexicains ouverts au États-Unis (oui 50!) à se transformer «en véritables défenseurs des droits de migrants», en clair: à venir en aide à ses compatriotes clandestins. La première raison qui pousse les politiciens mexicains à encourager leur établissement “el Norte” c’est avant tout une manne de 25 milliards de dollars par an que les millions de Mexicains vivant aux États-Unis expédient à leurs familles restées au Mexique.
Trump pourrait justement choisir de payer sa muraille en créant une taxe spéciale sur les envois de ces «remesas », ces transferts de fonds au Mexique. Ce serait indolore pour la plupart des Américains et aurait l’avantage supplémentaire de décourager de nombreux clandestins mexicains à rester aux États-Unis.
Mais le 45e président des États-Unis a visé une autre catégorie de population nommément: «Les organisations criminelles transnationales [qui] exploitent des réseaux sophistiqués de trafic de drogue et d’êtres humains et des opérations de contrebande des deux côtés de la frontière méridionale».
Il sait parfaitement que le Mexique connaît une vraie guerre civile, qui continue de faire rage, presque en silence: au moins 200’000 morts entre 2006 et 2016 et au moins 28’000 disparus officiels. Déjà autant que celle d’Algérie, qui pourtant faisait les gros titres entre 1991 et 2002. La guerre du Mexique, dissimulée sous le nom trop facile de «guerre des Cartels» donne aussi l’impression d’une hoqueteuse série de règlements de comptes.
Il n’en est rien, c’est une vraie guerre civile qui se déroule à la frontière sud des États-Unis, avec de vraies milices suréquipées, qui se battent entre elles et avec les forces régulières de l’État. Parfaitement entraînées aux techniques de terreur, les soldats des ducs de la drogue combattent salement, très salement, à un niveau de barbarie qui n’a rien à envier aux pires pratiques de l’État islamique: décapitations, démembrements, mises en scène de tortures inimaginables. A croire que les uns et les autres ont reçu une même formation. Justement, l’une des pires de ces brigades armées du Mexique, Los Zetas, considérée par les Américains comme «le cartel technologiquement le plus avancé, le plus sophistiqué, le plus efficace, le plus violent, le plus impitoyable et le plus dangereux qui opère au Mexique», est tout simplement composé d’anciens membres d’un corps d’élite des commandos de l’armée régulière, qui désertèrent en bloc dans les années 1990 et qui furent formés… par les États-Unis. Une formation incluant notamment le déploiement rapide, la surveillance et l’intimidation.
En 2013, Obama félicitait le président mexicain pour avoir arrêté un chef de Los zêtas (Miguel Angel Trevino Morales). Il ajouta qu’il soutenait le gouvernement mexicain dans cette guerre civile mais “d’une manière qui respecte la souveraineté du Mexique”, évitant soigneusement d’ailleurs d’évoquer une extradition de Morales, alors qu’elle était demandée de longue date par la justice américaine. On sait qu’en réalité les américains n’ont pu que jouer les cartels de leur choix contre les autres. Wikileaks révéla notamment le double jeu américain avec le cartel Sinaloa, maître du jeu sur la côte pacifique et dont le trafic de drogue s’étend jusqu’à Chicago, dont il contrôle 80% du marché.
Au total, les cartels mexicains génèrent au moins 40 milliards de dollars par an de revenus aux États-Unis qu’ils blanchissent par divers moyens. Et c’est là qu’un autre cartel mérite une attention particulière, celui de Juarez, du nom cette villes frontière mythique séparée d’el Paso (Texas) par le Rio Bravo. Il aurait financé, via la société écran Monex, des milliers de cartes bancaires destinées au blanchiment principalement via les clandestins. Sauf qu’elles furent distribuées directement par le Partido Revolucionario Institucional (PRI) à l’occasion de la campagne présidentielle mexicaine de 2012, gagnée justement par son candidat Enrique Peña Nieto. De là à dire que le cartel Juarez a financé la campagne du président vainqueur, certains font le pas, comme Carmen Aristegui.
D’autant qu’en 2013, le même cartel recroise encore la route du président mexicain, cette fois dans l’allocation d’un marché public frauduleux autour d’un projet qui lui tient à cœur: «la croisade nationale contre la faim» (Cruzada Nacional Contra el Hambre). Deux sociétés Conclave et Prodasa ont empoché 25 millions de dollars par ce biais. A leur tête un membre du cartel de Juarez: Rodolfo David Avila Cordero, surnommé «El Consul», en raison de ses liens avec les hauts dirigeants du Mexique. Il s’était fait arrêté 8 ans plus tôt pour blanchiment.
En bloquant le passage terrestre le plus important d’un trafic qui voit passer plusieurs centaines de tonnes cocaïne par an, de l’héroïne dont la progression a doublé depuis 2013, sans compter moultes drogues de synthèse, Trump veut non seulement stopper la marée de l’immigration clandestine, mais aussi interférer directement dans les flux de cash des cartels de la drogue mexicains.
Entre une taxe sur la vingtaine de milliard des «remesas », et une saisie adéquate de la quarantaine de milliards générée par le trafic de drogue, Trump a effectivement des chances de financer son mur tôt au tard. Un total de 60 milliards de dollars très symbolique puisqu’il correspond au déficit créé par l’ALENA. Mais un symbole qu’autant Enrique Peña Nieto que son ami Barack Obama ont su décrypter. C’est à se demander si lors de la visite très discrète qu’a rendue Miguel Aleman Valesco, ancien membre du comité directeur du Parti de la révolution institutionnelle (PRI) et ancien gouverneur de la plaque tournante des cartels qu’est Veraver Cruz, à Obama à la Maison blanche le 19 novembre 2016, en compagnie de leur ami commun intime, le milliardaire Libano-mexicain Carlos Slim, ce sujet n’a pas été abordé?

Main courante

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DÉSINFORMATION | Qui a inventé un acte terroriste en Suède? (Audio)

CENSURE | Le commissariat politique de Google

AUTOCENSURE | La peur mauvaise conseillère

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Pain de méninges

De la sainteté

«Les saints, pourrait-on supposer, se créent eux-mêmes, pour ainsi dire. Ils vivent d’une vie spontanée. Ils sont capables d’une parole ou d’une action surprenantes. Ils se tiennent en dehors de l’intrigue et ne dépendent pas d’elle. Mais nous, il faut nous pousser dans tous les sens. Nous avons l’entêtement de la non-existence. Nous sommes inextricablement liés à l’intrigue et, dans sa lassitude, Dieu nous place de force, çà et là, selon sa volonté, personnages dénués de poésie, de libre arbitre, dont la seule importance est que parfois, à quelque endroit, nous aidons à meubler la scène sur laquelle bouge et parle un personnage vivant, et que nous donnons peut-être aux saints, de cette manière, l’occasion d’exercer leur libre arbitre.» 
— Graham Greene, La fin d’une liaison.

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