dimanche 30 avril 2017

Elections présidentielles françaises 2017 : trois articles fondamentaux à lire avant d'aller voter... ou non / French presidential elections 2017: three fundamental articles to read before going to vote ... or not

Vive la liberté d'expression, vive l'abstention

Les “huiteuristes du 7 mai”, par Olivier Berruyer
Depuis plusieurs années, j’ai l’habitude de partager régulièrement avec vous ma vision, surtout dans les moments de « flashs totalitaires », comme les appelle Todd, afin d’aider à libérer la parole.
Celui que nous traversons depuis une semaine est vraiment intense, avec une pression sociale de nature quasi-totalitaire visant à influencer très fortement la population. On découvre de sombres commissaires politiques autoproclamés qui viennent donner des leçons à tout le monde, qui s’enquièrent de savoir quel sera le vote d’untel ou untel, et qui distribuent bons points et excommunications symboliques. Tout cela ayant bien entendu un arrière-gout de déjà vu, qui rappelle par exemple l’hystérie des élections américaines d’il y a quelques mois. Autant dire que la capacité d’apprentissage de tout ce beau monde est proche du néant.
 « L’homme sage apprend de ses erreurs ; l’homme plus sage apprend des erreurs des autres » [Confucius]
Mais cette fois, de nombreuses voix s’élèvent, ce qui est assez réconfortant, dans un environnement, lui, de plus en plus inquiétant – où on voit qu’après avoir attenté à la Liberté d’expression, on s’attaque désormais à la Liberté d’information et, finalement, à la Liberté d’opinion.
Par conséquent, je ne vous dirai pas ce que je ferai le 7 mai – bien que ce ne soit pas très surprenant si vous êtes un fidèle du blog, tout simplement car il est capital à mon sens de rappeler que le vote est secret, et que ce point fondamental en Démocratie doit être protégé.
Ce « jappelisme » est une manifestation supplémentaire d’une hystérisation de la société qui, en plus d’être anti-républicaine au possible, inutile et consternante, empêche recul apaisé et débat rationnel.
Comme certains d’entre vous m’ont dit qu’ils avaient été obligés de mentir sur leur vote futur pour avoir la paix (sic.), je rappelle cette importante phrase de Roland Barthes :
« Le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire. » [Roland Barthes]

La fachoshère de gauche

Si notre pays a par le passé cruellement subi les méfaits de la « fachosphère » de droite, nous voyons un autre style de totalitarisme pointer son nez : celui de la « fachosphère de gauche » (FG). Elle a des caractéristiques assez paradoxales, ses actes étant en contradiction régulière avec les impératifs moraux qu’elle revendique.
Ainsi, drapée dans « les valeurs de la République » et « l’héritage de 1789 », la FG foule pourtant régulièrement aux pieds la devise de notre belle République :
La liberté, oh, la FG la vénère ! Mais pour elle, seulement. Il n’y a qu’à voir comment elle considère la liberté élémentaire en Démocratie de s’abstenir si aucun candidat ne convient, allant jusqu’à traiter en substance les abstentionnistes de fascistes qui s’ignorent. Et je ne parle même pas de la liberté de voter Marine Le Pen, bientôt passible chez ces « khmers roses » de quelques années de camps de rééducation idéologique. En témoigne la surabondance de point Godwin et autre insultes raffinées (dont j’ai proposé un petit échantillon sur mes réseaux sociaux). Les membres de la FG sont des personnes inquisitrices, qui sont toujours très très intéressées par ce que vous allez voter, et qui tentent toujours de vous imposer leur vision.
L’égalité, oh, la FG adore la citer dans ces discours ! Mais elle ne croit qu’en l‘égalité des membres de sa caste, une égalité de l’entre soi, voulant qu’ils puissent tous avoir le droit de mettre leurs enfants à Louis le Grand et Henri IV (j’imagine que c’est d’ailleurs pour ça qu’on a gardé le nom de rois pour le Graal de la fabrique des membres de la caste, histoire de les habituer à ne pas être trop républicains). Les « sans-dents » se contenteront de ces bahuts en ZEP à 10 nationalités par classe, où leurs enfants auront autant de chances d’intégrer une grande école que Cheminade d’atteindre l’Elysée. Bien sûr, cette inégalité sera justifiée sous couvert de “méritocratie”, car toute considération sociologique est pour eux un danger…
La fraternité ? Une belle valeur pour le coup, qui permettra qu’aucun membre de la caste ne connaisse trop de problèmes dans sa carrière. Une conception bien restrictive de cette notion qui à nouveau ne s’éloigne pas de l’entre soi qui leur est si cher. Pour les autres citoyens, ils auront droit au mépris dégoulinant ; la FG vomit le referendum, et on la sentirait même tentée de remettre en place le suffrage censitaire vu toute cette populace qui « vote mal » – car oui, la FG a inventé la notion de “mauvais vote” …en Démocratie. 

Le retour du nationalisme

Bien sûr, comme sa consœur la fachosphère de droite (FD), la FG est ultranationaliste. Mais comme elle doit se différencier de la précédente, et comme la France, c’est « so has been » (pour parler le globish de la FG), elle défendra le nationaliste européen. Faut-il qu’ils influencent fortement les médias, pour que les membres d’un tel groupement qui aspire à construire une nation à partir de peuples qui ne veulent pas en entendre parler, ne soit jamais taxés de nationalisme…
Pour construire son projet, la FG a aussi les yeux de Chimène pour l’Allemagne, et son peuple si soumis à ses élites. Comme elle a bien retenu que Bismarck a utilisé la guerre de 1870 pour construite la nation allemande à partir de Länder qui n’en voulaient pas, la FG est évidemment belliqueuse. Et elle fait donc tout, plus ou moins consciemment, pour accentuer les tensions, aujourd’hui contre la Russie, mais très probablement demain contre la Chine. On voit aussi leur violence dans les négociations du Brexit, pour punir l’Angleterre qui abandonne leur projet utopique au profit de sa Liberté, dans le respect de la volonté de son peuple – qui les renvoie à leur infamie lors du référendum de 2005. 

« Zemmour à la rentrée, Marine le premier mai »

Car au fond d’elle-même, la FG est raciste ; non pas comme la FD au sens de « race ethniques », mais clairement au sens de « races civilisationnelles » ou de « races religieuses ». Comme la plupart des régimes totalitaires, la FG est évidemment athée, et, évidemment, dans un athéisme de combat, intolérant avec les croyants (d’où une fréquente islamophobie qui ne dit pas son nom) – Torquemada affleure toujours rapidement sous le très fin vernis de tolérance proclamée. Les humanistes se demanderont où étaient tous ces moralisateurs quand Zemmour se répandait il y a 6 mois dans tous les médias contre les musulmans français ? Comme dit le dicton, « Zemmour à la rentrée, Marine le premier mai »…
Ces mêmes qui pendant des années ont contribué à façonner ce paysage politique rejeté avec violence par la plupart des français, ces mêmes qui, face aux inégalités et à la haine au quotidien restent inertes, insensibles et préfèrent s’occuper de maux imaginaires (allant du complotisme anti-Russe à la chasse à des dérisoires “Fake News”), ces mêmes qui ont attisé la colère des Français, qui redoublent à chaque instant de violence symbolique (Bourdieu), ce sont ceux-là qui décident finalement l’espace d’une semaine de se réveiller, et prétendent combattre « l’anti-républicanisme » en voulant imposer leur propre morale. 

Des valeurs secrètes…

Un test rapide pour débusquer la plupart des membres de la FG consiste à simplement demander leur position sur le Référendum d’initiative populaire ou, encore mieux, sur l’obligation de soumettre tout futur traité européen à référendum – leur réaction ne laisse en général que peu de doutes…
Ainsi, c’est pour toutes ces raisons qu’elle cite aussi souvent les « Valeurs de la République » en exemple, mais en se gardant bien de les définir – car on verrait alors à quel point elle ne les respecte pas…
Soulignons enfin que cette fachosphère de gauche est heureusement très limitée en nombre, qu’elle ne doit évidemment pas être confondue avec l’ensemble de « la gauche », pleine de gens de bonne volonté, mais qu’elle manipule ces derniers avec beaucoup d’impact, par sa posture de Statue du Commandeur de la morale, et par la violence de ses mots.

La crise de mai 2017

Il est évident que combattre le manque d’humanisme et le manque de fraternité est indispensable pour faire société.
Dans ces conditions le fait d’être confronté à deux projets dont des éléments attentent de manière manifeste à la fraternité et à l’humanisme génère un profond mal-être chez beaucoup d’électeurs.
Mais plutôt que de faire preuve d’empathie à leur égard, on aura donc vu en 2017 des « faiseurs d’opinion » insulter violemment de simples abstentionnistes pour leur choix de ne pas choisir, au nom de la protection de la Démocratie ! (Orwell est toujours d’actualité…)

La disparition de la raison

Pourtant, si la FG était vraiment sincère, il semble évident que sa première tâche devrait être de débattre calmement de la meilleure stratégie pour atteindre son but proclamé : battre Le Pen.
Mais on constate qu’en réalité son but est en fait de simplement se valoriser, en jouant à « plus anti-FN que moi tu meurs » ; ils ne se demandent ainsi jamais :
  • si certains comportements outranciers n’alimentent pas au contraire le vote FN en réaction ;
  • s’il est vraiment démocratique que de nombreux corps constitués, type syndicats, églises, etc. prennent une position politique ;
  • si le militantisme ravageur de beaucoup de journalistes à l’antenne n’agace pas fortement les indécis ;
  • s’il est sain dans leur optique que l’opposition à Macron soit véritablement incarnée par le seul FN.

D’ailleurs, on se souvient tous de cette démonstration irresponsable du mois dernier quand la FG a mené une campagne assez honteuse contre Mélenchon – invoquant tour à tour Cuba, la Syrie, le Venezuela, la Russie, l’Alliance bolivarienne – culminant à coup de « Programme de Mélenchon ≈ Programme de Le Pen ». Maintenant – comme c’est étonnant – les électeurs de Mélenchon hésitent à voter Macron…
Enfin, on méditera sur ce que cette FG aurait fait si on avait eu un second tour Mélenchon / Le Pen, et s’ils auraient vraiment préféré les immigrés à leur argent…

Les “huiteuristes du 7 mai”

Mais qu’importe à ces canards sans tête, qui ne savent que lancer des anathèmes et faire la morale.
D’ailleurs, l’abstentionnisme étant désormais à ce point honni, on peut se demander si le besoin pathologique de prouver sa pureté idéologique ne va pas culminer dans une course au « huiteurisme », c’est-à-dire à celui qui, le 7 mai, ira voter Macron le plus tôt possible, dès huit heures du matin… Et peut-être même en filmant son vote avec son smartphone, pour être sûr de ne subir aucune accusation de la police politique de la pensée.
Bien entendu, ces « belles âmes » continuent à n’apporter presqu’aucune réponse aux problèmes du pays, ne sachant apparemment qu’hurler de façon délirante au « fascisme » – banalisant honteusement le vrai fascisme. Pire, ils proposent d’aller encore plus loin dans ce qui alimente la désespérance sociale, donc la désespérance politique. Dès le 8 mai 2017, ils remiseront alors leur panoplie de Zorro, la rageant soigneusement pour le mois de mai 2022…
Pourtant, l’accueil chaleureux de Marine Le Pen par les salariés de Whirpool, à qui elle a proposé de taxer les produits qui reviennent après avoir été délocalisés pour verser plus de dividendes aux actionnaires, montre qu’il devrait y avoir en urgence un débat profond, sur le fond et la forme.
Car le chantage au pseudo-fascisme ne tiendra pas longtemps pas devant la souffrance sociale qui perdurera.

Macron s’en fout

Mais, au fond, Macron s’en fout.
Il l’a montré au soir du 1er tour. Le FN au second tour ? Non évoqué dans son discours. Le désarroi des électeurs perdants ? Qu’importe, il veut un vote d’adhésion. Les conseils de ses proches de ne pas aller faire la fête à la Rotonde ? Qu’importe !
L’avenir des salariés de Whirlpool : « Je ne suis pas venu vous dire que je pouvais sauver vos emplois. […] L’État n’est pas quelque chose qui produit des sèche-linge ». Comme s’il n’y avait pas aussi une démagogie méprisante à tenir ce genre de propos. Pourquoi a-t-il condamné le mot « anecdote » d’Attali, puisque son comportement confirme que les Whirpool sont bien une anecdote pour lui. Pourquoi faire de la politique si ce n’est pas pour aider ces gens ?
Et enfin le désarroi qui augmente de plus en plus chez les électeurs indécis ? Sa réponse consiste à bien indiquer qu’il ne bougera pas une virgule de son programme, et à insulter Mélenchonles Républicains et le Parti socialiste. C’est vraiment inédit comme stratégie de “rassemblement de second tour”…

Le refuge

Triste élection donc, où peut-être 60 ou 70 % des électeurs seront mécontents le 8 mai…
Mais, fidèle à sa vocation d’autodéfense intellectuelle, ce site se transforme en refuge d’idées et vous proposera une semaine de débats politiques apaisés, sans jugement, et respectueux du pluralisme, gage de Démocratie.
Nous diffuserons donc toute cette semaine des analyses divergentes intéressantes afin d’essayer de couvrir le spectre des opinions, et de vous permettre d’en débattre calmement, en commentaire, sans injures ou énervements (sous peine de modération).
Je précise qu’afin d’éviter les effets de bulle de filtrage, le titre et le début des billets repris n’indiquera pas la position de l’auteur.
Je vous incite donc à répondre en commentaire de façon argumentée ou de partager des témoignages, voire même à me proposer une vision rédigée pour publication. Signalez aussi les articles que vous jugerez utile de reprendre dans cette grande revue de presse.
J’en profite enfin pour lancer un appel à entraide, afin de m’aider à lire et sélectionner les meilleurs commentaires. Me contacter.
Ainsi, nous espérons que vous pourrez faire votre choix le 7 mai en toute liberté…
Démocratiquement vôtre.
Olivier Berruyer
source : https://www.les-crises.fr/refuge-les-huiteuristes-du-7-mai-par-olivier-berruyer/

LE GRAND DENOUEMENT
2 septembre 2015
Le joug idéologique et physique de la puissance impériale États-unienne, soutenu par l’idéologie utopique du néolibéralisme et du capitalisme mondialisé, se désagrège. Beaucoup, dont nombre de ceux évoluant au cœur de l’empire états-unien, reconnaissent que chaque promesse faite par les partisans du néolibéralisme est un mensonge. La richesse mondiale, au lieu d’être équitablement répartie comme l’ont promis les partisans du néolibéralisme, a été siphonnée entre les mains d’une élite oligarchique vorace, entraînant ainsi d’immenses inégalités économiques. Les travailleurs pauvres dont les syndicats et les droits ont été éliminés et dont les salaires stagnent ou baissent depuis 40 ans, ont été condamnés à la pauvreté chronique et au chômage, transformant leur vie en une crise interminable, source d’un stress permanent. La classe moyenne s’évapore. Des villes qui produisaient et offraient autrefois des emplois en usine se changent en villes fantômes. Les prisons sont surpeuplées. Les corporations ont orchestré la destruction des barrières commerciales, engrangeant ainsi plus de 2.1 billions de dollars en profits dans des banques offshores pour éviter de payer des taxes. Et l’ordre néolibéral, malgré sa promesse de construire et de répandre la démocratie, a éviscéré les systèmes démocratiques, les transformant en Léviathans corporatistes.
La démocratie, particulièrement aux États-Unis, est une farce, vomissant des démagogues d’extrême-droite comme Donald Trump, qui pourrait devenir le candidat républicain à la présidentielle, et peut-être même le président, ou d’insidieux et malhonnêtes larbins corporatistes comme Hillary Clinton, Barack Obama, et, s’il tient sa promesse de soutien au candidat démocrate, Bernie Sanders. Les étiquettes « libéral » et « conservateur » sont dépourvues de sens dans l’ordre néolibéral. Les élites politiques, républicaines ou démocrates, servent les intérêts des corporations et de l’empire. Elles sont des facilitatrices, tout comme la majorité des médias et des universitaires, de ce que le philosophe politique Sheldon Wolin appelle notre système de “totalitarisme inversé”.
En période de crise nationale et d’indignation publique, d’étranges et dangereux candidats émergent souvent. Ci-dessus, Donald Trump (à gauche), à droite, un épi de maïs (toute ressemblance est purement fortuite).
L’attraction exercée par Trump, comme celle de Radovan Karadzic, ou de Slobodan Milosevic, lors de l’éclatement de la Yougoslavie, s’explique par sa bouffonnerie, qui s’avère dangereuse, moquant la faillite totale de la charade politique. Elle expose la dissimulation, l’hypocrisie, la corruption légalisée. Nous percevons, à travers cela, une insidieuse — et pour beaucoup, rafraichissante — honnêteté. Les nazis utilisèrent cette tactique pour prendre le pouvoir lors de la république de Weimar. Les Nazis, même aux yeux de leurs opposants, avaient le courage de leurs convictions, quelle qu’ait pu être l’immondice de ces convictions. Ceux qui croient en quelque chose, aussi répugnante soit elle, se voient souvent respectés à contrecœur.
Ces forces néolibérales détruisent également rapidement les écosystèmes. La Terre n’a pas connu de perturbation climatique de cette envergure depuis 250 millions d’années et l’extinction permienne, qui a annihilé jusqu’à 90% de toutes les espèces. Un pourcentage que nous semblons déterminés à reproduire. Le réchauffement climatique est inarrêtable, avec la fonte rapide des calottes polaires et des glaciers, le niveau des mers s’élèvera d’au moins 3 mètres lors des prochaines décennies, noyant sous les eaux nombre de villes côtières majeures. Les méga-sécheresses laissent d’immenses parcelles de la Terre, dont des parties de l’Afrique et de l’Australie, la côte Ouest des USA et du Canada, le Sud-Ouest des USA, arides et en proie à d’incontrôlables feux de forêts. Nous avons perdu 7.2 millions d’acres à cause des nombreux incendies qui ont ravagé le pays cette année et les services forestiers ont d’ores et déjà dépensé 800 millions de dollars dans leurs luttes contre les incendies en Californie, à Washington, en Alaska et dans d’autres états. Le mot même de « sécheresse » fait partie de la supercherie, sous-entendant que tout cela est en quelque sorte réversible. Ça ne l’est pas.
Des migrants fuyant la violence et la famine régnant dans des pays comme la Syrie, l’Irak, l’Afghanistan, la Libye, et Érythrée, affluent en Europe. 200 000 migrants, sur les 300 000 ayant rejoint l’Europe cette année, ont atterri sur les côtes grecques. 2500 sont morts depuis le début de l’année en mer, sur des bateaux surpeuplés et délabrés ou à l’arrière de camions comme celui que l’on a découvert la semaine dernière en Autriche, qui contenait 71 corps, dont des enfants. C’est le plus important flux de réfugiés en Europe depuis la seconde guerre mondiale, une augmentation de 40 % depuis l’an dernier. Et le flot ne fera que croître. D’ici 2050, selon nombre de scientifiques, entre 50 et 200 millions de réfugiés climatiques auront fui vers le Nord, pour échapper aux zones rendues invivables par les températures croissantes, les sécheresses, les famines, les maladies, les inondations côtières et le chaos des états en faillite.
La désintégration physique, environnementale, sociale et politique s’exprime également à travers une poussée de violence nihiliste motivée par la rage. Des tireurs fous commettent des massacres dans des centres commerciaux, dans des cinémas, des églises et des écoles aux États-Unis, Boko Haram et l’État islamique, ou ISIS, sont en pleine frénésie meurtrière. Des attentats suicides sont méthodiquement perpétrés et entraînent des chaos meurtriers en Irak, en Afghanistan, en Arabie Saoudite, en Syrie, au Yémen, en Algérie, en Israël et dans les territoires palestiniens, en Iran, en Tunisie, au Liban, au Maroc, en Turquie, en Mauritanie, en Indonésie, au Sri Lanka, en Chine, au Nigeria, en Russie, en Inde et au Pakistan. Ils ont frappé les États-Unis le 11 septembre 2001 et en 2010 lorsqu’Andrew Joseph Stack III a détourné un petit avion dans un bâtiment d’Austin, au Texas, qui abritait des agents du fisc. Le fanatisme est alimenté par la détresse et le désespoir. Ce n’est pas le produit de la religion, bien que la religion devienne souvent le vernis sacré de la violence. Plus les gens seront désespérés, plus cette violence nihiliste se propagera.
« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair-obscur surgissent les monstres », écrivait le théoricien Antonio Gramsci.
Ces « monstres » continueront à se propager jusqu’à ce que l’on reconfigure radicalement nos relations entre nous et nos relations avec les écosystèmes. Mais rien ne garantit qu’une telle reconfiguration soit possible, particulièrement si les élites parviennent à s’accrocher au pouvoir à l’aide de leur appareil de surveillance et de sécurité mondial, omniprésent, et de l’importante militarisation de leurs forces de police. Si nous ne renversons pas le système néolibéral, et ce, rapidement, nous libèrerons un cauchemar hobbesien de violence étatique croissante et de contre-violence. Les masses pauvres seront condamnées à la misère et à la mort. Certains tenteront de résister violemment. Une petite élite, vivant dans une version moderne de Versailles ou de la cité interdite, aura accès à des commodités refusées à tous les autres. La haine deviendra l’idéologie dominante.
L’attrait exercé par l’État islamique, qui compte plus de 30 000 combattants étrangers, s’explique en ce qu’il exprime la rage ressentie par les dépossédés de la Terre et en ce qu’il s’est libéré des entraves de la domination occidentale. Il défie la tentative néolibérale de transformation de l’opprimé en déchet humain. Vous pouvez condamner sa vision médiévale d’un état musulman et ses campagnes de terreur contre les shiites, les yazidis, les chrétiens, les femmes et les homosexuels — ce que je fais — mais l’angoisse qui inspire toute cette sauvagerie est authentique ; vous pouvez condamner le racisme des suprématistes blancs qui se rallient à Trump — ce que je fais — mais ils ne font eux aussi qu’obéir à leur propre frustration et désespoir. L’ordre néolibéral, en transformant les gens en main d’œuvre superflue et par extension en êtres humains superflus, est responsable de cette colère. Le seul espoir restant réside en une réintégration des dépossédés dans l’économie mondiale, afin de leur donner un sentiment d’opportunité et d’espoir, de leur donner un futur. Sans cela, rien n’endiguera le fanatisme.
L’État islamique, à l’instar des chrétiens de droite aux États-Unis, vise un retour vers une pureté inatteignable, un utopisme, un paradis sur terre. Il promet d’établir une version du califat du 7ème siècle. Les sionistes du 20ème siècle, en cherchant à former l’État d’Israël, ont utilisé la même stratégie en appelant à la re-création de la nation juive mythique de la Bible. ISIS, à l’instar des combattants juifs ayant fondé Israël, cherche à construire son état (maintenant de la taille du Texas) à travers la purification ethnique, le terrorisme et l’utilisation de combattants étrangers. Sa cause utopique, tout comme la cause républicaine de la guerre civile espagnole, attire des dizaines de millions de jeunes, en majorité des jeunes musulmans rejetés par l’ordre néolibéral. L’État islamique offre une vision recomposée d’une société brisée. Il offre un lieu et un sentiment d’identité — ce que n’offre pas le néolibéralisme — à ceux qui embrassent cette vision. Il appelle à se détourner du culte mortifère du moi qui est au cœur de l’idéologie néolibérale. Il met en avant le caractère sacré du sacrifice personnel. Et il ouvre une voie à la vengeance.
Jusqu’à ce que nous démantelions l’ordre néolibéral, afin de recouvrer la tradition humaniste rejetant la perception des êtres humains et de la Terre comme marchandises à exploiter, notre forme de barbarie industrielle et économique affrontera la barbarie de ceux qui s’y opposent. Le seul choix qu’offre la « société bourgeoise », comme le savait Friedrich Engels, est « le socialisme ou la régression vers la barbarie ». Il est temps de faire un choix.
Nous ne sommes pas, aux États-Unis, moralement supérieurs à l’État islamique. Nous sommes responsables de la mort de plus d’un millions d’Irakiens et de la migration forcée de plus de 4 millions d’autres. Nous tuons en plus grand nombre. Nous tuons avec encore moins de discernement. Nos drones, nos avions de combats, notre artillerie lourde, nos bombardements navals, nos mitrailleuses, nos missiles et forces prétendument spéciales — des escadrons de la mort dirigés par l’état — ont décapité bien plus de gens, enfants inclus, que l’État islamique. Lorsque l’État islamique a brûlé vif un pilote jordanien dans une cage, cela faisait écho aux agissements quotidiens des États-Unis, lorsqu’ils incinèrent des familles dans leurs maisons, avec les frappes aériennes. Cela faisait écho à ce que font les avions de combats israéliens à Gaza. Oui, ce que l’État islamique a fait était plus brutal. Mais moralement ça n’était pas différent.
J’ai un jour demandé au co-fondateur du groupe militant Hamas, le Dr Abdel Aziz al-Rantisi, pourquoi le Hamas cautionnait les attentats suicides, qui entraînaient la mort de civils et d’enfants israéliens, alors que les palestiniens dominaient du point de vue de la morale, en tant que peuple occupé. « Nous arrêterons de tuer leurs enfants et leurs civils dès qu’ils arrêteront de tuer nos enfants et nos civils », m’a-t-il répondu. Il souligna que le nombre d’enfants israéliens qui avaient été tués s’élevait à ce moment-là à deux douzaines, tandis que les pertes palestiniennes s’élevaient à plusieurs centaines d’enfants. Depuis 2000, 133 israéliens et 2061 enfants palestiniens ont perdu la vie. L’attentat suicide est un acte de désespoir. C’est, à l’instar des bombardements incessants de Gaza par Israël, un crime de guerre. Mais lorsqu’on le considère comme la réponse à une terreur étatique incontrôlée, il est compréhensible. Le Dr Rantisi fut assassiné en Avril 2004 par Israël qui fit tirer sur sa voiture à Gaza un missile Hellfire depuis un hélicoptère Apache. Son fils Mohammed, qui était dans le véhicule avec lui, fut aussi tué dans l’attentat. La spirale de violence qui en résulte, plus d’une décennie après ces meurtres, perdure encore.
Ceux qui s’opposent à nous offrent une vision d’un monde nouveau. Nous n’offrons rien en retour. Ils offrent un contrepoids au mensonge néolibéral. Ils parlent pour ses victimes, prisonnières de bidonvilles sordides au Moyen-Orient, en Afrique, en Europe et en Amérique du Nord. Ils condamnent l’hédonisme grotesque, la société du spectacle, le rejet du sacré, la consommation débridée, la richesse personnelle en tant que fondement principal du respect et de l’autorité, la célébration aveugle de la technocratie, la réification sexuelle — y compris une culture dominée par la pornographie — et la léthargie (largement appuyée par l’abondance des médicaments) utilisée par tous les régimes agonisants, pour détourner l’attention des masses et leur confisquer le pouvoir. De nombreux djihadistes, avant de devenir de violents fondamentalistes, ont été victimes de ces forces. Il y a des centaines de millions de gens comme eux, qui ont été trahis par l’ordre néolibéral. Une véritable poudrière, et nous ne leur offrons rien.
« Quand sa rage éclate, il retrouve sa transparence perdue, il se connaît dans la mesure même où il se fait ; de loin nous tenons sa guerre comme le triomphe de la barbarie », a écrit Frantz Fanon dans Les Damnés de la Terre« mais elle procède par elle-même à l’émancipation progressive du combattant, elle liquide en lui et hors de lui, progressivement, les ténèbres coloniales. Dès qu’elle commence, elle est sans merci. Il faut rester terrifié ou devenir terrible ; cela veut dire : s’abandonner aux dissociations d’une vie truquée ou conquérir l’unité natale. Quand les paysans touchent des fusils, les vieux mythes pâlissent, les interdits sont un à un renversés : l’arme d’un combattant, c’est son humanité. Car, en le premier temps de la révolte, il faut tuer : abattre un Européen c’est faire d’une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre. »
Ceux au pouvoir apprennent-ils l’histoire ? Ou peut-être est-ce ce qu’ils veulent. Une fois que les Damnés de la Terre se changeront en État islamique, ou adopteront la contre-violence, l’ordre néolibéral pourra supprimer les dernières entraves qui le retenaient et commencer à tuer en toute impunité. Les idéologues néolibéraux, après tout, sont eux aussi des fanatiques utopistes. Et eux aussi ne savent s’exprimer qu’à travers le langage de la force. Ils sont notre version de l’État islamique.
Le monde binaire que les néolibéraux ont créé — un monde de maîtres et de serfs, un monde où les damnés de la terre sont diabolisés et soumis par une perte de liberté, par « l’austérité » et la violence, un monde où seuls les puissants et les riches ont des privilèges et des droits — nous condamnera et nous entraînera vers une dystopie effrayante. La révolte émergente, mal définie, paraissant éparse, surgit des entrailles de la terre. Nous apercevons ses éclairs et ses tremblements. Nous voyons son idéologie pétrie de rage et d’angoisse. Nous percevons son utopisme et ses cadavres. Plus l’ordre néolibéral engendre de désespoir et de détresse, que ce soit à Athènes, à Bagdad ou à Ferguson, plus les forces de répression étatique sont utilisées pour étouffer l’agitation et extraire les dernières gouttes de sang des économies exsangues, plus la violence deviendra le principal langage de la résistance.
Ceux d’entre nous qui cherchent à créer un monde un tant soit peu viable disposent de peu de temps. L’ordre néolibéral, pillant la Terre et asservissant les vulnérables, doit être anéanti. Cela n’arrivera que si nous le confrontons en opposition directe, en étant prêts à entreprendre des actes de sacrifices personnels et de révolte prolongée qui nous permettent de faire obstruction et de démanteler tous les aspects de la machinerie néolibérale. Je crois que l’on peut accomplir cela à travers la non-violence. Mais je ne peux nier l’émergence inéluctable de la contre-violence, provoquée par la myopie et l’avarice des mandarins néolibéraux. La paix et l’harmonie n’embraseront peut-être pas la Terre entière si nous y parvenons, mais si nous ne destituons pas les élites dominantes, si nous ne renversons pas l’ordre néolibéral, et si nous ne le faisons pas rapidement, nous sommes perdus.
Chris Hedges
source : https://www.les-crises.fr/un-terrible-denouement-par-chris-hedges/



Le deuxième tour des élections présidentielles 

françaises



      A l’issue d’un interminable cirque politico-médiatique, quatre candidats ont obtenu des résultats très proches, mais la loi n’en retient que deux pour la « finale ». Cette « bataille de têtes » est pour une part artificielle : entrent en ligne de comptes des éléments n’ayant rien à voir avec les enjeux sociaux, économiques et politiques. Les élections de 2017 plus encore que les précédentes sont une caricature spectaculaire de la monarchie présidentielle d’une V° République née d’un coup d’État et dont la nature démocratique est très restreinte.
     
    Alex Anfruns : Le Pen et Macron sont passés au 2nd tour avec un score serré par rapport à Fillon et Mélenchon. Quel impact cela pourrait avoir sur la capacité à gouverner du prochain Président/e?
     
     
    Robert Charvin : Quel que soit le vainqueur du second tour, l’incertitude règne pour la suite. Les élections législatives sont incertaines. La droite « classique » et la social-démocratie espèrent déjà se rétablir après leur défaite. Mais l’équipe « En Marche » qui fait du neuf avec du vieux (tous les opportunistes de droite et de gauche sont rassemblés), tout comme en Allemagne sont associés la CDU et le SPD, devrait connaître un certain succès si Macron est élu président, selon une jurisprudence traditionnelle. Il est difficile de contrarier les choix du Médef et des grandes firmes du CAC40 !
     
     Le FN de Le Pen et des fractions de la droite dite « républicaine » ont fait leur jonction : ce mouvement est encore limité car il est prématuré. Le monde des affaires après avoir « essayé » alternativement la droite et la pseudo « gauche », a choisi d’expérimenter une association des deux sous la présidence d’un commis appartenant à leur sérail.
     
    C’est en cas de nouvelle « déception » que le grand patronat et les banques opteront pour le néofascisme selon une tradition historique bien établie. Marine Le Pen et le FN n’ont servi cette année encore qu’à justifier le vote « utile », c’est-à-dire le vote s’imposant par « impératif moral » en faveur de la droite « convenable » à la mode du jour. A ce jour, le risque est que la blonde « imbécile utile » perturbe le jeu, comme les Islamistes l’ont fait après avoir été instrumentalisés par les États-Unis !
     
     Rien ne dit qu’une majorité parlementaire cohérente et stable puisse fonctionner durant tout le quinquennat.
     
     
    Face à la déception du résultat qui n’a pas permis à la FI de passer au 2nd tour, il y a ceux qui pensent aux législatives, puis d’autres qui appellent au 3ème tour social et enfin ceux qui alertent sur le danger que représente Le Pen. Quel est l’enjeu prioritaire selon vous ?
     
     
    L’essentiel pour l’avenir progressiste de la France, et pour une part de l’Europe, est le succès de J.L. Mélenchon, des Insoumis et du Parti Communiste malgré le flottement de certains de ses cadres et élus.
     
    S’est constituée une force de gauche radicale de plus de 7 millions de citoyens qui peut, si elle reste unie, non seulement bénéficier d’une assise solide dans la prochaine Assemblée Nationale, mais aussi et surtout stimuler un « troisième tour social » avec les syndicats (non « réformistes ») et un large mouvement populaire de contestation et de proposition.
     
     Pour la première fois depuis des décennies, la social démocratie n’est plus la force dominante d’une gauche rendue ainsi infirme : d’orientation droitière ou « frondeuse » (comme avec B. Hamon), la social-démocratie française (comme toutes les social-démocraties) n’a fait qu’aider à faire battre la gauche de transformation sociale. Avec 6% des voix, Hamon et son parti « socialiste » n’ont réussi qu’à empêcher J.L. Mélenchon d’être présent au second tour !
     
    Peu de doute, toutefois, sur la capacité de rebond de la social-démocratie, sous une forme ou une autre : il est toujours « dangereux » pour les intérêts dominants d’avoir face à eux une gauche authentique et radicale, redonnant des couleurs à la lutte des classes.
     
     Pour ce second tour, cette gauche radicale reconstituée ne cédera pas une nouvelle fois au « vote Macron antifasciste », comme ce fut le cas au profit de Chirac, puis de Hollande (contre l’ultra droite sarkozienne) ! Il y aura certainement de nombreux bulletins blancs et une forte abstention. Macron n’aura sans doute pas la « légitimité » frelatée d’un score massif en sa faveur et c’est important pour la suite.
     
     Les fondamentaux d’une gauche radicale sont d’abord l’anticapitalisme et ensuite l’antifascisme. Dans le contexte français actuel, le fascisme se profile à l’horizon mais le monde des affaires souhaite encore privilégier les compromis sociaux (formels) et un certain libéralisme sociétal : accorder la priorité à l’antifascisme, c’est redonner vigueur aux vaincus du premier tour (droite classique et « socialistes ») à la recherche de nouvelles « techniques » de manipulation. C’est participer à la reproduction de la « conscience mystifiée » pour qui la « modernité » est un mixage de l’argent et de l’autoritarisme !
     
     
    Vous soutenez depuis longtemps l’initiative progressiste pour une 6e République. Quelles avantages majeurs apporterait par rapport au système actuel ?
     
     
    Une 6° République, réduisant les pouvoirs en supprimant le « chef de l’État », donnant une vie réelle à la citoyenneté, permettant à l’État de décider des grandes orientations socio-économiques et internationales, sans se soumettre aux pouvoirs privés financiers, est une urgence.
     
     Le « macronisme » est un stade avancé du capitalisme : les institutions de la V° République, qui jouent sur la personnalisation de la vie politique pour rendre plus opaque la subordination à l’argent, ne sont adaptées qu’au monde des affaires et à une Europe a-sociale.
     
     La 6° République, donnant le premier rôle aux citoyens, assurant leur contrôle strict sur leurs représentants à tous les niveaux, peut créer les conditions d’avancées sociales et de progrès démocratiques. Mais l’essentiel reste la mise en mouvement la plus large des populations « insoumises »
     
     Le Front Populaire n’a réalisé de profondes réformes sociales que par les grèves massives dans les entreprises en 1936 ; en 2017, c’est le mouvement populaire immense en Corée du Sud qui a conduit à la destitution d’une Présidente autoritaire, vassale des Américains et liée aux « Chaebols », les grands groupes économiques et financiers du pays.
     
     L’Histoire continue : elle a plus d’imagination que ceux qui la vivent. Les 20% de J.L. Mélenchon ne sont qu’une étape d’une Renaissance tout à fait possible.
     
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    Antipresse n°74 [Elections présidentielles 2017 ] : une victoire à la Pyrrhus... avant la guerre civile ? / Antipress n°74 [Presidential elections 2017 ]: a Pyrrhic victory ... before the civil war?



    N° 74 | 30.4.2017

    Exergue

    Aimer, c’est aider! Si l’ANTIPRESSE vous plaît, songez à lui faire un don!

    Note aux lecteurs

    Voici quelques mois, un ami journaliste m’avait interpellé sur le nom de cette lettre: «Pourquoi prétendez-vous faire de l’antipresse, alors que vous produisez des articles argumentés, nuancés, cultivés et souvent impartiaux? Bref: vous faites de la presse à l’ancienne!» J’ai beaucoup réfléchi à cette boutade. De fait, notre mission n’est pas d’offrir un contrepoint aux partis pris de la presse. Notre mission est de reconstituer une presse qui n’existe plus, d’assurer l’intérim. L’Antipresse, c’est la presse à l’endroit.
    Le «Nouvelleaks» qui suit est en deux parties: d’abord un commentaire sur les dérives médiatiques qui ont façonné et qui accompagnent une élection en forme d’avant-guerre civile; puis une analyse de la transformation robotique des mêmes médias. Cette dernière partie est parue dans le dernier numéro de la revue Éléments. Les deux ensemble peuvent être considérées comme le manifeste de cette presse à l’endroit, de la nouvelle presse que nous voulons contribuer à créer.
    • Appel: vos dons nous aident à poursuivre et à améliorer le travail de l’Antipresse. Ils sont aussi un encouragement capital dans cette entreprise qui consomme un temps considérable. Si l’Antipresse vous est plus chère que le journal du dimanche, envisagez donc de la payer au même prix (mais sans l’avalanche de pubs!).

    Agenda

    Autour du Rayon Bleu.
    • Jeudi 4 mai, 20h30: soirée du Cercle Cosaque autour du Rayon bleu chez Barak, 29 rue Sambre-et-Meuse, Paris 10e.
    • Vendredi 5 mai, librairie Payot Sion: cocktail-vernissage et dédicace du livre. S’annoncer à antipresse@antipresse.net

    Dans ce numéro


    NOUVELLEAKS par Slobodan Despot

    LES MÉDIAS EXISTENT-ILS ENCORE?

    1. France, une victoire à la Pyrrhus

    Nul ne peut dire aujourd’hui qui sera le vainqueur de la présidentielle française, mais on peut affirmer avec certitude qui doit l’être selon les médias. En France comme dans le reste du monde occidental, le nécessaire futur président français s’affiche déjà sur toutes les couvertures. Si d’aventure les urnes devaient démentir ce pronostic, on s’emploiera à démentir les urnes. Le poulain de la banque Rothschild est en fait le seul choix possible. Si Macron®, par une improbable tournure, était battu, Marine Le Pen ne gouvernerait pas pour autant. «Ce serait l’insurrection dans la minute», prédit Michel Onfray, et il a sans doute raison. L’exemple de la domestication de Trump aux États-Unis par l’alliance cynique de l’oligarchie, des médias et de la rue nous a clairement livré la feuille de route.
    La gestuelle de la tribu
    Ce sera pourtant, dans un cas comme dans l’autre, une victoire à la Pyrrhus. D’ores et déjà, le système médiatique a étalé au grand jour sa collusion, d’une manière si ostentatoire qu’elle en devient contreproductive. Les Aphatie, les Pulvar et tous leurs collègues journalistes qui abandonnent toute réserve, toute éthique pour influencer l’électorat, à qui croient-ils rapporter des voix?
    Plus révélatrice encore est la caresse de Ruth Elkrief à Emmanuel Macron®, fortuitement saisie par la caméra. La gestuelle ne ment jamais et le dernier idiot aura compris: «Vas-y mon pote, nous faisons équipe, je suis avec toi!» On est au-delà du penchant politique, de l’«union sacrée» contre le «Mal absolu» et autres alibis de principe. On a crûment affaire à une caste qui se serre les coudes face à une irruption «barbare» qu’elle combat sans aucun frein déontologique ou moral. Ce geste familier d’une journaliste de haut rang envers un candidat en campagne avec qui elle ne devrait même pas partager un verre dénote une régression de civilisation. On est à l’ère de l’informatique et des réseaux, mais on vit en tribu et l’on se sert de massues.
    Le système médiatique n’est donc plus qu’une de ces massues. Il porte aussi la responsabilité d’une autre régression: la transformation du champ politique en un affrontement binaire, simpliste et abrupt où aucune des parties ne pourra accepter le triomphe de l’autre. En refusant d’informer sur des pans entiers de la réalité vécue par les citoyens français, en exonérant le fanatisme islamique et prenant même fait et cause pour lui au Moyen-Orient, en traitant de crétins et de racistes des gens sincèrement préoccupés de l’évolution de leur pays, il a ouvert un boulevard au populisme qu’il dénonce.
    Nous aboutissons donc à un paradoxe gros comme une guerre civile. Quelle que soit l’issue de cette élection, le pouvoir restera aux mains de l’oligarchie. Mais quelle que soit l’issue de cette élection, la victoire morale en reviendra au Front national. Pour lui faire barrage, le système aura consumé ses derniers restes de crédibilité. En forçant tout le monde à se rallier derrière l’homme de paille de la finance ultralibérale, et en fustigeant ceux qui — comme Mélenchon — hésitent, il offre à Marine Le Pen et à son parti le statut d’unique alternative — fût-elle illusoire — à la catastrophe qui vient. Car l’ère Macron® ne promet rien d’autre que la répétition plus dénudée de toutes les recettes qui ont fait d’un grand pays indolent cette terre d’iniquité qu’il est aujourd’hui.
    La disparition de la presse
    Il vaut la peine de le souligner: nous ne regardons pas ces événements avec un a priori politique. Nous les considérons du point de vue qui nous concerne: celui de la communication et de l’air du temps. La disparition d’une presse indépendante, souveraine et différenciée est l’une des causes fondamentales de cette régression. Sans nous en apercevoir — parce que nous demeurons attachés aux rites et aux signes extérieurs — nous sommes sortis de l’ère des médias. Les médias intermédiaires et médiateurs ont cessé d’exister. Leur rôle originel implique une neutralité qu’ils n’ont plus, une fonction de relais entre des offres et des demandes, entre des propositions et des réalités. Même si certains secteurs — culture, loisirs, sport — continuent de produire une information de qualité, nous avons affaire désormais, du point de vue de leur fonction stratégique, à des outils de propagande et de rééducation.
    Le constat vaut autant, à des nuances près, pour le service public que pour le privé: signe d’une fusion totalitaire entre l’État et le grand capital et de l’avènement d’une hypercaste, de cette Suprasociété que Zinoviev avait prophétisée dès la fin de l’URSS. La seule presse digne de ce nom, demain, sera celle qui vivra grâce à ses lecteurs et pour eux, et non à la botte et pour le profit de ses annonceurs ou de ses propriétaires.

    2. La factologie contre l’information

    Ainsi donc, par un paradoxe qui n’étonnera guère les rhétoriciens, les plus grands producteurs de fake news se sont transformés en juges et garants de la véracité des faits, réduisant l’information à de la factologie.
    Les faits ne sont pas l’information
    Là réside leur tromperie première: les faits n’existent qu’au travers de la narration qu’on en fait. Ils sont tributaires d’une grille de lecture, donc d’une subjectivité assumée. La factologie, elle, prétend occulter la part inévitable de subjectivité du travail de l’information. Cet escamotage, au vu de l’évolution des mêmes médias ces dernières décennies, est assez compréhensible. A force de marcher sur une planche systématiquement inclinée, ils ont perdu la sensation même du plat. De fait, une information sans parti pris et sans prédication morale est tout simplement impensable dans un grand média d’Occident. Ce parti pris et cette prédication monocorde traduisent une vision du monde monolithique et s’incarnent en un langage monolithique. Ainsi, on ne trouvera pas dans les mass media d’autre appellation pour le gouvernement légal de Syrie que «le régime de Damas». Ce n’est d’ailleurs plus une appellation, mais le tag de stigmatisation apposé à une entité qu’on combat.
    Un univers monolithique
    La pluralité d’opinions n’est plus, elle aussi, qu’une vue de l’esprit. Le cas du Journal publiant en 1924, contre ses propres convictions, les reportages de plus en plus dévastateurs d’Henri Béraud sur la réalité soviétique (qui deviendront son Ce que j’ai vu à Moscou), simplement parce que son directeur s’y était engagé, semble relever d’une utopie idyllique. De tels démentis à la ligne éditoriale ne se tolèrent plus, surtout pas en feuilleton. S’il subsiste encore dans la presse anglo-saxonne quelques rares journalistes de haut vol aux positions imprévisibles, il n’est plus aucune figure de ce genre en France ou en Allemagne. Ici, il arrive tout au plus que les journaux concèdent une tribune à des agitateurs extraprofessionnels, comme un Onfray ou un Botho Strauss.
    Le débat d’idées est en effet peu à peu devenu un service extra-rédactionnel. On lui aménage des bacs à sable du genre Figaro Vox: ces services assurent le maintien d’un certain lectorat tout en servant de soupapes à la pression de l’opinion — au même titre que les commentaires en ligne. Ils masquent la normalisation et l’appauvrissement intellectuel des contenus proprement rédactionnels.
    Cela se passe désormais… chez vous!
    La brutalité et la rapidité de ce processus sont particulièrement sensibles dans l’évolution des organes de presse d’Europe de l’Est récemment rachetés par des groupes occidentaux (essentiellement germaniques). Impersonnalisation, globalisation, financiarisation, émasculation sont les mots-clefs de ces «réformes», qui souvent n’aboutissent qu’à la mort du patient, ou à la transformation de journaux historiques en simples vecteurs de pub. Le «package» idéologique infusé de pair avec le capital occidental n’est pas négociable, dût-il choquer et aliéner les derniers restes de lectorat. Le filtre du globalisme occidental doit être appliqué à chaque objectif, à chaque écran, à la plus vieille paire de lunettes du plus chevronné des rédacteurs, celui-là même qui avait réussi à se faufiler par l’ironie et le double langage entre les dogmes grossiers du socialisme réel.
    Le monolithisme agressif des médias occidentaux est une donnée de base du dispositif stratégique incarné dans son volet militaire par l’OTAN. Au temps de la guerre ex-Yougoslavie, un Serbe ou pro-serbe avait plus de chances d’obtenir une tribune ou un démenti dans un journal croate que dans un journal d’un pays en principe non impliqué comme la France. La France où, justement, la presse faisait preuve d’un bellicisme atlantiste très en avance sur les positions réelles du gouvernement, plutôt souverainiste et réservé du temps de Mitterrand et Chirac.
    A cette époque, les populations occidentales n’avaient pas encore conscience du bain de fake news où elles barbotaient, car les enjeux des matraquages médiatiques d’alors, à première vue, ne les concernaient pas. C’est grâce à cette indifférence et à l’absence totale de contre-pouvoirs que des contrevérités avérées que les médias se refusaient à corriger se sont retrouvées telles quelles dans le matériel de preuve des juges du TPI. Ceux-ci ont même réussi à mettre en accusation un personnage fictif issu d’un roman satirique (Le Héros sur son âne), le dénommé Gruban Malić, simplement parce qu’un reporter américain avait été suffisamment idiot pour ne pas «fact-checker» la blague d’un journaliste local!
    Vers la robotisation
    Les choses ont fondamentalement changé avec la décentralisation de l’information via l’internet, le rapprochement des enjeux (crise européenne, islam, migrations), et l’irruption de la contre-information russe. La mue récente des médias occidentaux, leur raidissement idéologique et leur dégringolade éthique témoignent à la fois d’une évolution professionnelle et d’un changement de mission stratégique.
    Sur le plan professionnel, ce développement laisse entrevoir une issue burlesque qu’un Philip K. Dick n’eût pas reniée: le remplacement des rédacteurs par des algorithmes. Nous n’en sommes plus très loin avec l’émergence des outils informatiques de fact checking comme le Decodex du Monde ou le CrossCheck adopté par des dizaines de rédactions dans le but de traquer les fake news de la présidentielle française. Ces journalistes ne semblent pas avoir compris qu’en s’associant avec un enthousiasme de jobards à ces programmes d’«intelligence artificielle» fournis par Google, ils signaient leur propre arrêt de mort. Si les journalistes ne savent plus discerner le vrai du faux par leurs propres moyens, à quoi peuvent-ils bien servir, eux et leur formation?
    De fait, c’est en Californie que s’élabore désormais l’avenir du journalisme officiel, notamment français. Le News Lab est ce «ministère de la vérité» de Google qui «collabore avec journalistes et entrepreneurs pour construire l’avenir des médias». Le manifeste de sa mission primordiale — «Fiabilité et Vérification» — est repris tel quel par les médias affiliés pour justifier leur nouvelle besogne de triage (plutôt que de création) des contenus.
    Personne en France n’a prêté attention à l’explosion des ambitions de Google sous sa nouvelle entité portant le nom évocateur d’Alphabet. Personne ne s’est demandé à quoi allait réellement servir le «fonds Google» de 60 millions concédé par le géant informatique à la France en 2013 contre l’abandon de la requête en matière de droits formulée par les éditeurs français à son encontre. Or, non content de s’immuniser en versant une modeste obole aux Français, Google s’est assuré avec ce fonds d’un laboratoire grandeur nature pour expérimenter sa vision du «journalisme 2.0» avec la collaboration de médias dépassés affichant fièrement leur idiotie et leur inutilité.
    Qui croit encore aux médias?
    La dématérialisation de la presse ne marque pas une simple évolution technique, mais, comme dans le cas de Google, un changement de métier, passant notamment par des services et des applications sans grand lien avec le cœur de la profession. Le concept de journalisme est lui-même redéfini à la volée. Sous les formulations doucereuses du News Lab, on décèle le projet d’une supervision universelle de l’information par contrôle, filtrage et élimination, étroitement parente des pratiques logicielles de la NSA dénoncées par Snowden.
    Aux yeux du système, les médias d’information sont déjà du passé. Seuls leurs opposants croient encore à leur existence. Aujourd’hui déjà, les jeunes adultes ne s’«informent» plus en lisant Le Monde — fût-ce sur écran —, mais en puisant dans la vapeur nébulisée par les réseaux sociaux. Ces réseaux sont eux-mêmes régis par des algorithmes qui sélectionnent les informations qu’ils reçoivent et les orientent vers ceux qui pensent comme eux. Modifier cette orientation, y introduire une part graduelle d’inversion, discréditer les identités où l’on se reconnaît sur le net, n’est qu’une affaire de programmation. D’où l’investissement massif des pouvoirs financiers et politiques américains dans ces réseaux.
    Cette migration de l’information vers le contrôle s’accompagne de l’objectivation d’une idéologie sous forme d’algorithmes impersonnels. Une telle mécanicisation de la pensée ne s’est encore jamais vue dans l’histoire. Elle ressortit, d’une part, à la pétrification de l’empire atlantiste dans sa phase terminale: Les documents publics de l’OTAN regorgent d’instructions et de projets relatifs au contrôle de l’information. L’un de ses hauts dirigeants vient d’ailleurs d’assimiler les «fake news» (lisez: l’information libre) à une agression militaire contre l’Alliance au sens du fameux article 5 de sa charte. L’arrestation de blogueurs en territoire européen nous pend au nez.
    D’autre part, elle est concomitante d’une contestation, par les élites techno-financières, de la démocratie participative elle-même. Le prétendant le plus «branché» à la présidence française n’a-t-il pas déclaré qu’il ne voyait pas l’utilité… de l’élection? Les peuples ne votent-ils pas systématiquement mal? Ne serait-il pas prudent de leur ôter la voix – ou alors de les dissoudre dans l’anonymat des «réseaux»?
    Les journaux traditionnels, avec tous leurs défauts, sont des composantes indispensables de la démocratie. Ils incarnent la capacité d’une communauté humaine à s’organiser et à parler d’une même voix pour défendre un projet de société commun. La disparition de la pluralité de la presse, puis de la presse elle-même, signifie aussi la disparition des communautés et l’atomisation terminale de la société en particules humaines interchangeables. Les Européens soucieux de préserver leurs libertés et leurs identités ne devraient pas se réjouir de la disparition des médias, mais œuvrer à leur réactivation. Les médias représentatifs du sentiment et de l’intérêt populaires ont de beaux jours devant eux. Même imprimés sur du papier!

    CANNIBALE LECTEUR de Pascal Vandenberghe

    RÉSISTANCE PASSIVE

    Pour Herman Melville (1819–1891), l’échec était «la pierre de touche de la grandeur». L’insuccès retentissant de Moby-Dick de son vivant n’est pas étranger à cet amer constat. S’il est aujourd’hui considéré comme l’un des grands écrivains américains du XIXe siècle, et que son œuvre occupe quatre volumes de «La Pléiade», la littérature ne permit jamais vraiment à Melville d’en vivre. C’est d’ailleurs après la publication de ses principaux livres qu’il dut se résoudre, en 1866, à devenir inspecteur des douanes du port de New York pour pouvoir faire vivre sa famille, poste qu’il occupa pendant dix-neuf ans.
    Les choses avaient pourtant bien commencé: ses premiers livres (Taïpi, Omoo, Mardi et Redburn), publiés entre 1845 et 1850, connurent en effet un certain succès, aussi bien en Grande-Bretagne qu’aux États-Unis. Mais c’est paradoxalement la parution, en 1851, de son livre devenu par la suite le plus célèbre, Moby-Dick, qui marquera le début de son déclin: de son vivant, les ventes n’atteignirent pas les 4’000 exemplaires. Et son gros roman suivant, Pierre ou les ambiguïtés, publié l’année suivante, connaîtra un sort bien pire encore: éreinté par la critique, il se vendra péniblement à 1’800 exemplaires en… quarante ans. Ses manuscrits furent par la suite souvent refusés, sa carrière d’écrivain public prit fin petit à petit, bien qu’il continuât à écrire jusqu’à la fin de sa vie.
    Redécouvert dans les années 1920, en particulier par Moby-Dick, justement, ses livres seront traduits en français une vingtaine d’années plus tard: en 1939 paraît Pierre ou les ambiguïtés chez Gallimard (dans une traduction de Pierre Leyris, qui traduisit en français les plus grands écrivains anglo-saxons, parmi lesquels Shakespeare, Dickens et Yeats, entre autres), et l’année suivante Moby-Dick ou la baleine blanche, toujours chez Gallimard, dans une traduction de Joan Smith, Lucien Jacques et Jean Giono. Cette traduction à trois mérite quelques explications: Joan Smith réalisa une première traduction littérale, que Lucien Jacques rendit ensuite plus littéraire (plus fluide et lisible). Après quoi Jean Giono réécrivit en quelque sorte Moby-Dick à partir de ces travaux. Ce n’est d’ailleurs plus cette traduction qui est commercialisée, mais celle de Philippe Jarowski, qui dirigea l’édition de Melville dans «La Pléiade».
    Parmi les textes moins connus de Melville figure un petit bijou: Bartleby le scribe (disponible en «Folio»). Longue nouvelle ou court roman, cet objet littéraire non identifié est singulier. Le narrateur est un notaire installé dans le quartier de Wall Street. Il a trois employés: deux scribes, dont la tâche est d’effectuer des copies des actes et documents légaux, et un garçon de courses. Se voyant conférer la charge de conseiller à la Cour de la Chancellerie, notre narrateur se voit contraint d’engager un nouveau scribe pour faire face à l’augmentation de la charge de travail. Entrée en scène de Bartleby. Les premiers temps, tout se passe bien: Bartleby, installé dans le bureau même de notre notaire, mais séparé de celui-ci par un paravent, s’acquitte au mieux de sa tâche.
    Un jour, le notaire lui demande de collationner des documents. «I would prefer not» lui répond Bartleby. «Je préférerais ne pas». Au fil du récit, cette manière très particulière, toujours très polie, de Bartleby de refuser d’exécuter les tâches qui lui sont confiées, va progressivement inverser les rôles entre le dominant (le patron) et le dominé (l’employé). Mais je ne vous en dis pas plus, au risque sinon de déflorer toute l’intensité de ce roman hors du commun.
    Ce «Je préférerais ne pas», l’une des variantes, dans les différentes traductions, que je «préfère», si je puis dire, à celle retenue dans cette traduction («Je préférerais pas»), est une parabole de la résistance passive, et mérite à ce titre d’être méditée. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard si Nanni Moretti, dans son magnifique film Habemus Papam, dans lequel Michel Piccoli incarne le rôle d’un pape élu «à l’insu de son plein gré» et réfractaire à la charge, décida de donner le nom de Melville à son héros. Une manière de rendre hommage au créateur de Bartleby à travers un personnage qui en est son héritier.
    Malgré cinq adaptations cinématographiques, et quatre adaptations théâtrales, ce Bartleby reste, à mon sens, trop peu connu et reconnu. Il est pourtant de ces livres courts qui laissent une trace indélébile chez le lecteur.

    ANGLE MORT par Fernand Le Pic

    MACRON N’AURA PAS D’ENFANTS

    Macron serait-il en passe de devenir le nouveau Père du peuple? Sans doute pas. Non que sa femme ne soit plus en âge d’enfanter mais plutôt que le peuple se révèle être son adversaire le plus intime. Néanmoins, s’il est élu, il le devra à l’incroyable culte de la personnalité que son système de lancement et de soutien aura su mettre en place. Près de 20’000 articles de grande presse à la veille du premier tour, des centaines de reportages élogieux à la télévision, à la radio et sur des réseaux sociaux saturés du soutien constant et parfaitement scénarisé des élites médiatiques françaises. Un culte qui n’a finalement rien à envier à Staline et moins encore à Mao, dont la mystique prit corps avec la «Grande Marche». Liu Chunhua, l’un de ses peintres iconographes préférés durant la si carnassière Révolution culturelle, savait mieux que quiconque jouer de la silhouette du président Mao jeune (la quarantaine), venant à la rencontre du bon peuple «telle la lumière aveuglante du soleil levant, […] apportant l’espoir et la promesse d’un avenir radieux», disait-il. Son célèbre tableau de Mao s’approchant de Anyuan fut reproduit à 900 millions d’exemplaires! Macron fera sûrement mieux.
    Liu Wenxi, auteur du portrait officiel de Mao et de son effigie sur les billets de banques chinois, est quant à lui connu pour ses formidables images d’Épinal dépeignant le Timonier adulé, entouré de son peuple multiethnique, aimant, intime et dompté, mais toujours prêt à tuer et se faire tuer pour lui. Le rêve de tout dictateur en puissance: une masse docile envers le système et belliqueuse envers ses détracteurs. Le fascisme a toujours justifié très méthodiquement le barrage puis l’élimination de toute opposition politique par la violence progressive mais annoncée, en assimilant les opposants à des déviants moraux, puis à des ennemis intérieurs du système, voire à des agents de l’étranger. Le futur Président Maocron y est presque, lui qui amalgame sans honte les millions d’électeurs de Marine Le Pen aux Waffen SS d’Oradour sur Glane. Certes ses fresques modernes ne sont plus peintes par des artistes pompiers: photos people et reportages multicultis font très bien l’affaire. Mais il n’en demeure pas moins que la force électorale du futur Grand Coach Suprême puise à satiété dans les vielles recettes cultuelles du communisme et du fascisme. L’engagement des jeunes fait ici l’objet d’un soin très attentif. On les stimule dans le registre de l’émotion et de l’objet fétiche, tandis qu’on les revêt d’un uniforme. Peu importe que les couturiers de la vareuse à col Mao ou de la chemise noire, fussent remplacés par des usines à T-shirt jaune, ces nouvelles jeunesses communiantes («Les jeunes pour Macron») ont déjà touché leur paquetage. Peu importe qu’on ait troqué le Livre rouge pour un Smartphone, dans les deux cas, c’est de là que viennent les ordres de Marche. Et que se présente à eux leur nouveau guide et sa reine-mère, les fans lèveront haut leur talisman à selfies, dans un geste déjà filial et sacerdotal, unifiés qu’ils sont dans la grande inconscience transie qu’on se joue d’eux. Peu importe aussi que les commissaires du Parti se soient mués en gourous du Parti-pris, ce qui compte c’est qu’il est déjà moralement, et bientôt pénalement, interdit de penser et de voter autrement.
    Négation sociale du pluralisme démocratique, représentativité déifiée et exclusive de la masse par un chef providentiel et charismatique, légitimation de ce chef par l’embrigadement de la société civile en substitution du débat de fond, passé identitaire et culturel falsifié au profit d’une mystique de science-fiction, il ne reste plus que la guerre juste, même civile, afin de s’acquitter de l’endettement et rembourser les sponsors et le fascisme sera justement passé par celui qui le dénonce, à s’en «casser la voix».
    L’arrivée d’Emmanuel Macron au deuxième tour de la présidentielle française de 2017 est assurément l’annonce d’un changement politique structurel qui risque d’être irréversible, sauf rébellions sanglantes. L’allégorie de la caverne de Platon réapparaît soudain sous nos yeux. La grotte est moderne et bien éclairée vers l’intérieur, simplement réagencée en plateau du 20 heures. La faible lumière du jour ressemble à s’y méprendre à celle de nos écrans plats de toutes sortes, qui absorbent tant d’heures du sang de nos yeux. Les sons quant à eux trouvent à nider dans de toujours plus invisibles haut-parleurs, tandis que la relation humaine s’accommode des pénombres du vase clos. Les candidats au libre arbitre devront se faire violence pour affronter la simple nature des choses, la lumière trop aveuglante du dehors. Et qu’ils ne s’avisent pas d’en témoigner trop vite à leurs anciens congénères, ces derniers les tueront au nom de la post-vérité, ce nouveau synonyme d’hérésie qu’ils viennent tout juste d’inventer. La France est plus proche du Livre VII de la République de Platon qu’elle ne le pense. Mais elle l’est davantage encore d’une Saint-Barthélémy aux normes des révolutions de couleurs, parfaitement rodées depuis au moins l’an 2000. Plusieurs tours de chauffe ont comme on le sait déjà eu lieu en France: Nuit debout, les Indignés, les émeutes des banlieues, les casses «antifas», etc. L’enrôlement d’une jeunesse idéaliste suréquipée gratuitement de gadgets communicants dernier cri, tout comme les professionnels d’État déguisés en militants d’ONG, sont déjà en place. En fait, cette campagne aura même réussi à désigner au grand jour les officiers traitants de cette future révolution de Maïdan version française. Au cas où Marine Le Pen ferait un trop bon score on entend déjà les Bayrou, les Juppé et autres Bruno Lemaire annoncer la couleur justement. Et peu importe que les électeurs potentiels de Marine n’aient aucune autre ambition particulière qu’une aspiration à plus d’égalité, de pérennité et de sécurité. Tant pis s’ils ne font que regrouper cette nouvelle masse informelle et transversale, cette classe mitoyenne où s’entend la vérité de toutes les plaintes d’un peuple en voie de disparition. Les néomacroniens, exclusivement biberonnés au lait stérile de l’Union européenne, les traiteront sans pitié, comme les derniers vestiges de cette idée de nation qu’ils abhorrent.
    Le seul espoir est dans leur oubli freudien de l’histoire. Ils refuseront d’admettre que ce qu’il reste de Français se réjouira davantage «d’en finir avec l’humiliation, que d’en retirer les profits», comme l’écrivait Pierre-Louis Rœderer dans L’esprit de la révolution de 1789.

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    — Hannah Arendt.

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