Depuis le 11 septembre 2001, nous savons que les organisations terroristes sont en mesure d’atteindre leurs cibles privilégiées, et donc potentiellement les centrales et autres installations nucléaires. En Belgique, la réaction à cet état de fait était plutôt laconique. Jean-Paul Samain, l’ancien directeur de l’Agence fédérale chargée de notre sécurité nucléaire (AFCN), déclarait alors qu’un avion s’écrasant sur une centrale nucléaire ferait le même effet qu’une banane écrasée sur une table. Pas d’inquiétude, donc ! Mais quinze années se sont écoulées, et une véritable menace terroriste pèse sur nos centrales nucléaires, dont deux auraient en fait déjà dû fermer car elles ont atteint la limite d’âge et donc leur vulnérabilité ne fait que s’accroître.
En Belgique, un rapport détaillé sur la vulnérabilité des centrales nucléaires a été rédigé il y a quelques années, mais il est ultraconfidentiel et il n’en existe que quelques copies numérotées conservées sous clef. En soi, il est compréhensible que l’on se montre prudent avec des informations qui pourraient donner des idées aux terroristes, mais il s’agit néanmoins aussi d’une forme de censure qui tient la population dans la plus complète ignorance des risques qu’elle court.

Des rapports inquiétants

Mais le génie du nucléaire est sorti de sa lampe. Les frères El Bakraoui, qui se sont fait sauter lors des attentats de Zaventem et de Maelbeek, sont liés à la préparation d’un attentat contre une cible nucléaire en Belgique. Et cela s’ajoute à d’autres réalités particulièrement préoccupantes, comme le sabotage toujours inexpliqué de Doel 4 en 2014.
Ces dernières années, Greenpeace a discrètement commandé plusieurs études concernant les risques de terrorisme nucléaire. Certains de ces rapports ont été uniquement remis aux autorités nucléaires, tandis que d’autres ont été mis à la disposition de quelques journalistes, dans une version adaptée (entendez par là : moins détaillée). Mais par prudence, nous n’avons jamais crié sur tous les toits que nous courions ce genre de risque.
En 2014, Greenpeace a transmis aux autorités belges un rapport sur les risques liés à la commercialisation de drones, dont le survol de sites nucléaires peut certainement représenter un sérieux danger. Nous attendons toujours leur réaction.
Une autre étude s’est penchée sur la menace représentée par les armes antichars de 3e génération, de type « Kornet », qui sont en mesure de percer n’importe quel mur d’une centrale nucléaire et de causer des ravages à l’intérieur de celle-ci.

Du matériel sophistiqué et des troupes d’élite

Nos centrales nucléaires n’ont pas été conçues, dans les années soixante et septante, pour résister à la menace terroriste à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui. Une protection complémentaire peut s’avérer utile, mais la vulnérabilité des centrales est telle que cette protection ne pourra dissuader que les groupes les moins professionnels. L’organisation terroriste Etat islamique compte des recrues provenant des hautes sphères de l’armée et des troupes d’élite de Saddam Hussein ; elle ne compte certainement pas que des jeunes exaltés. Cela fait des années que la Russie a fourni à la Syrie des missiles sophistiqués de type Kornet. Et enfin, l’Etat islamique menace les installations nucléaires belges. Voilà qui n’est guère réjouissant !
Dans le contexte actuel, Greenpeace ne va pas jeter de l’huile sur le feu et publier avec désinvolture des informations sensibles, mais ce sont bien les autorités de ce pays qui ignorent depuis des années nos rapports et nos avertissements, sous prétexte que nos scénarios relèvent de la science-fiction. Dans le contexte actuel, ce prétexte ne tient vraiment plus la route.
Nous ne plaidons pas non plus pour l’adoption précipitée de mesures hâtives. Par contre, nous demandons que la fermeture progressive des centrales nucléaires soit enfin mise en œuvre : la première étape consiste à fermer les deux réacteurs les moins sûrs, à savoir Doel 1 et Doel 2. Le gouvernement les a récemment prolongés tous les deux de dix ans, sans même que ce ne soit nécessaire pour assurer notre approvisionnement en électricité, sans rapport d’incidences sur l’environnement et sans consultation publique. L’action que nous avons intentée à l’encontre de cette prolongation est en cours, mais il vaudrait mieux que le gouvernement n’attende pas son issue et qu’il assume ses responsabilités.

Mieux informés que la population

Autre chose : le gouvernement doit enfin montrer clairement qu’il prend au sérieux cette menace très complexe, un dialogue doit pouvoir s’instaurer et le parlement doit pouvoir faire son travail. Il est inadmissible que les terroristes soient vraisemblablement mieux informés que la population.
Il est temps d’arrêter de jouer avec la date de fermeture de nos centrales nucléaires. La loi sur la sortie du nucléaire a été votée en 2003 ; elle prévoyait une fermeture progressive des centrales entre 2015 et 2025. Si cette loi avait été appliquée, les réacteurs les plus dangereux et les plus vulnérables auraient déjà été arrêtés. D’après Elia, le gestionnaire du réseau, ces vieux réacteurs peuvent être arrêtés sans compromettre notre approvisionnement en électricité. Et entre-temps, l’énergie renouvelable est devenue si bon marché que d’un point de vue économique aussi, il est parfaitement envisageable de sortir du nucléaire.
La décision de prolonger la durée de vie de nos centrales nucléaires était déjà incompréhensible du fait qu’elle bloquait la transition déjà très tardive vers l’énergie renouvelable, que les centrales nucléaires défaillantes n’assurent pas notre approvisionnement énergétique, et que de toute façon, ce n’est pas une bonne idée de maintenir en activité des centrales nucléaires vétustes dans une des régions les plus densément peuplées au monde. Maintenant s’y ajoute une menace terroriste bien réelle.
Nous ne pouvons vraiment plus tolérer que le gouvernement fasse aveuglément passer les intérêts du nucléaire et à tous ceux qui tirent encore des bénéfices du maintien de cet outil du passé avant notre sécurité à tous.