mardi 18 mars 2014

NOTRE CIVILISATION EST CONDAMNÉE, SELON UNE ÉTUDE DE LA NASA / OUR CIVILIZATION IS CONDEMNED, ACCORDING TO A STUDY OF THE NASA

 


Comme les Romains ou les Mayas avant nous, notre civilisation moderne et industrielle pourrait bien être condamnée à disparaître. C’est ce qu’assure une étude du Centre de vols spatiaux Goddard de la Nasa, rapportée par The Guardian.
Ce n’est pas la première fois que l’on prédit la fin du monde. Mais cette fois-ci, ce sont des scientifiques qui avancent l’effondrement de la «civilisation industrialisée». La Radio Télévision Belge (RTBF) appuie en outre la «crédibilité» de cette étude sur le fait qu’elle a été publiée par le «très sérieux Elsevier Journal Ecological Economics».
Emmenés par le mathématicien Safa Motesharri, ces chercheurs basent leurs recherches sur un modèle appelé «HANDY», pour Human and And Natural DYnamical.
Cette «dynamique nature-humanité» leur a permis d’identifier les facteurs qui ont conduit à la chute d’anciennes civilisations: «la population, le climat, l’eau, l’agriculture, et l’énergie».
Comment ces éléments peuvent-ils conduire à l’effondrement d’une civilisation? Lorsqu’ils «convergent pour générer deux fonctions sociales cruciales», explique le Guardian, traduit par la RTBF.
«La rareté des ressources provoquée par la pression exercée sur l’écologie et la stratification économique entre riches et pauvres ont toujours joué un rôle central dans le processus d’effondrement. Du moins au cours des cinq mille dernières années»
Ainsi, une surexploitation des ressources naturelles combinée à une trop forte disparité entre riches et pauvres, ou entre «élites» et «roturiers», comme ils sont nommés dans l’étude, ont déjà conduit à l’effondrement de civilisations. Dans son essai L’Effondrement, présenté dans Le Monde, Jared Diamond expliquait par exemple comment les Mayas ont couru à leur propre fin. La déforestation et la culture intensive du maïs ont été les premiers pas vers l’écroulement de cette civilisation.
L’auteur identifie cinq facteurs qui mènent à l’effondrement d’une civilisation, facteurs qui rejoignent l’étude de la Nasa. Jared Diamond parle entre autres de «dommages irréparables à l’environnement», ou encore des «gouvernements et des élites» qui «aggravent [l’effondrement] par des comportements de caste, continuant à protéger leurs privilèges à court terme».
Selon le modèle «Handy», ce sont bien ces types de comportements qui conduiront à la fin de notre civilisation. L’accaparement des richesses par les plus riches pourra mener à la disparition des plus pauvres et à celle de la société toute entière.
Les résultats de la recherche présentent deux scénarios possibles. Première possibilité:
«Les élites consomment trop, ce qui conduit à une famine parmi les roturiers, ce qui finalement cause l’effondrement de la société»
La RTBF précise que «dans ce cas, la destruction de notre monde ne serait donc pas due à des raisons climatiques, mais à la disparition des travailleurs». Le site poursuit en résumant le second scénario:
«Le second scénario catastrophe repose sur la surconsommation des ressources qui entraînerait un déclin des populations pauvres, suivie par celui, décalé dans le temps, des populations riches»
Selon le mathématicien, cet effondrement est «difficile à éviter». Lui et ses collègues donnent toutefois des pistes pour tenter d’y échapper.
«Les deux solutions-clés sont de réduire les inégalités économiques afin d’assurer une distribution plus juste des ressources, et de réduire considérablement la consommation de ressources en s’appuyant sur des ressources renouvelables moins intensives et sur une croissance moindre de la population»

dimanche 9 mars 2014

Michel Collon : Ukraine et médiamensonges, comment ne pas se faire manipuler ? / Michel Collon: Ukraine and médiamensonges, how not be manipulated ?

 
6 mars 2014
 

Voir plus loin que le bout de notre nez ? Les médias n'y tiennent pas, on se poserait trop de questions, y compris sur les médiamensonges. Mais si on veut comprendre un conflit comme l'Ukraine, nous devons absolument le mettre en perspective, le voir sur la longue durée. Les médias nous disent que l'Europe et les Etats-Unis réagissent à des manifestations, mais en réalité, l'Ukraine est une cible depuis vingt ans. Michel Collon éclaire les stratégies dont on ne parle pas...

Source ; http://www.michelcollon.info/Ukraine-et-mediamensonges-comment.html















VOIR AUSSI : Conversation interceptée entre Catherine Ashton et le ministre estonien des Affaires étrangères : "Les nouveaux gouvernants ont sans doute organisé eux-mêmes les tirs de snipers qui ont massacré opposants et  policiers", révèle le ministre estonien qui ne savait pas qu'on l'écoutait...









  
8 mars 2014

MICHEL COLLON : Mon ami Ahmed Bensaada éclaire ici de façon magistrale les dessous de la « révolution » ukrainienne : d'abord, cette odeur fondamentale dans le conflit, celle du pétrole et du gaz, notamment chez la première favorite de l'Occident, Ioulia Timochenko, avec assassinats à la clé. Ensuite, la technique des coups d'Etat « spontanés », en réalité soigneusement préparés par la CIA et les noms de ses paravents. Enfin, la corruption absolue des partis « pro-européens » et les responsabilités importantes confiées par l'Ouest à des fascistes avérés, dont la brutalité nie toutes les libertés démocratiques et qui ont reçu tous les armements. Ahmed Bensaada démontre parfaitement ce que je soulignais dans ma récente vidéo sur l'Ukraine : on ne peut comprendre ce type de conflits qu'en analysant les objectifs économiques stratégiques poursuivis depuis vingt ans par les USA et l'UE. Rien à voir avec la démocratie, tout à voir avec la domination du monde.

 
 


1991L’Ukraine se sépare de l’URSS.
1991-1994Leonid Kravtchouk (ancien dirigeant de l’ère soviétique) est le 1er président de l’Ukraine.
1991Ioulia Timochenko crée la « Compagnie du pétrole ukrainien »
1992-1993Leonid Koutchma (pro-russe) est Premier ministre sous la présidence Kravtchouk. Il démissionnera en 1993 pour se présenter aux élections présidentielles de l’année suivante.
1994-1999Leonid Koutchma est le 2e président de l’Ukraine.
1995Ioulia Timochenko réorganise sa société pour fonder, avec l’aide de Pavlo Lazarenko, la compagnie de distribution d'hydrocarbures « Systèmes énergétiques unis d'Ukraine » (SEUU).
1995Pavlo Lazarenko est nommé vice-Premier ministre chargé de l’énergie.
1996La SEUU fait 10 milliards de dollars de chiffre d’affaires et rapporte 4 milliards de profits.
1996-1997Pavlo Lazarenko est Premier ministre sous la présidence Koutchma.
1997Pavlo Lazarenko est congédié par le président Koutchma.
1998Lazarenko est arrêté par la police suisse à la frontière franco-helvétique et accusé par les autorités de Berne de blanchiment d’argent.
1999Lazarenko est arrêté à l'aéroport JFK de New-York. Il est condamné en 2004 pour blanchiment d'argent (114 milliards de dollars), corruption et fraude.
1999-2005Leonid Koutchma est président de l’Ukraine après sa réélection.
1999-2001

Viktor Iouchtchenko est Premier ministre sous la présidence Koutchma.
Ioulia Timochenko est vice-Premier ministre chargée de l’énergie (poste qui a été déjà occupé par Lazarenko).
2001

Ioulia Timochenko est congédiée par le président Koutchma en janvier 2001. Elle est accusée de « contrebande et de falsification de documents », pour avoir frauduleusement importé du gaz russe en 1996, lorsqu’elle était présidente de SEUU.
Timochenko est arrêtée et fera 41 jours de prison. La justice se penche sur son activité dans le secteur de l’énergie durant les années 1990 et sur ses liens avec Lazarenko.
2002-2005Dauphin de Koutchma, Viktor Ianoukovytch (pro-russe) est Premier ministre sous sa présidence.
2004

L’élection présidentielle oppose le Premier ministre en poste Viktor Ianoukovytch et l'ancien Premier ministre et leader de l'opposition Viktor Iouchtchenko (pro-occident). Le 2e tour est remporté par Ianoukovytch (49,46 contre 46,61) %. Le résultat est contesté car, selon l’opposition, les élections sont entachées de fraude.
Révolution orange : Mouvement de protestation populaire pro-occidental largement soutenu par les organismes occidentaux d’ « exportation » de la démocratie, en particulier américains. Ioulia Timochenko est considérée comme l’égérie de ce mouvement. Principal résultat de cette « révolution » : annulation du second tour des présidentielles.
Un troisième tour des élections présidentielles est organisé : Iouchtchenko est élu (51,99 contre 44,19%)
2005-2010Viktor Iouchtchenko est le 3e président de l’Ukraine.
2005 (7 mois)Ioulia Timochenko est Premier ministre sous la présidence Iouchtchenko
2006-2007Viktor Ianoukovytch est Premier ministre sous la présidence Iouchtchenko.
2007-2010Ioulia Timochenko est une seconde fois Premier ministre sous la présidence Iouchtchenko.
2010
Élections présidentielles.
Résultats du premier tour : 1er - Ianoukovytch (35,32%) ;
2e - Timochenko (25,05%) et 5e -Iouchtchenko (5,45%).
Second tour : Ianoukovytch bat Timochenko (48,95% contre 45,47%).
2010-2014Viktor Ianoukovytch est le 4e président de l’Ukraine.
2011Ioulia Timochenko est condamnée à sept ans d'emprisonnement pour abus de pouvoir dans le cadre de contrats gaziers signés entre l'Ukraine et la Russie en 2009.

Le mouvement de contestation (baptisé « Euromaïdan ») qu’a récemment vécu l’Ukraine, est intéressant à plusieurs égards. Il montre comment un coup d’état civil contre un gouvernement démocratiquement élu peut être fomenté avec succès avec un appui étranger et sans intervention militaire. Il dévoile la flagrante partialité et le manque d’intégrité des médias mainstream occidentaux qui, avec une argumentation fallacieuse, appuient aveuglément l’interventionnisme occidental et, avec une vision dichotomique de la situation, qualifient les uns de bons et les autres de mauvais. Plus grave encore, il dessine les contours, jusqu’alors vaporeux, de la renaissance de la guerre froide qu’on croyait enterrée avec la chute du mur de Berlin. Finalement, il nous offre une projection probable de la situation des pays arabes « printanisés » dans la mesure où l’Ukraine a connu son « printemps » en 2004, printemps communément appelé « révolution orange ».

Mais pour comprendre la situation ukrainienne actuelle, il est primordial de passer en revue quelques dates importantes ainsi que les noms des acteurs majeurs de la politique ukrainienne de l’après ère soviétique.

Un coup d’État plébiscité par l’Occident

Ce qui vient de se passer en Ukraine ces derniers jours est un véritable coup d’État. En effet, le président Viktor Ianoukovytch a été démocratiquement élu le 7 février 2010 en battant Ioulia Timochenko au second tour des élections présidentielles (48,95 % des voix contre 45,47 %).

Évidemment, Timochenko n’avait pas immédiatement accepté le verdict des urnes [1]. Il y a sûrement eu fraude quelque part puisqu’elle était, lors des élections, Premier ministre en exercice et que Viktor Iouchtchenko était président du pays. Les deux figures emblématiques de la Révolution orange, très largement soutenus par les pays occidentaux, ceux-là même qui étaient supposés faire entrer l’Ukraine dans une ère nouvelle, celle de la démocratie et de la prospérité, ont été largement battus par un candidat pro-russe. Et quel candidat ! Ianoukovytch ! Celui qui avait été « conspué » par les activistes de la vague orange de 2004. En moins de six ans, les Ukrainiens avaient compris que cette « Révolution » colorée n’en était pas une.
Le 8 février 2010, Joao Soares, le président de l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) déclara : « L'élection a offert une démonstration impressionnante de démocratie. C'est une victoire pour tout le monde en Ukraine. Il est temps maintenant pour les dirigeants politiques du pays d'écouter le verdict du peuple et de faire en sorte que la transition de pouvoir soit pacifique et constructive » [2].

Sans trop de conviction, mais placée devant l’évidence du verdict des observateurs internationaux, Timochenko finit par retirer son recours en justice visant à invalider le résultat de l'élection [3].

Les « révoltés » de la place Maïdan reprochent à Ianoukovytch d’avoir décidé de suspendre un accord entre son pays et l’Union Européenne (UE). Et une question fondamentale se pose : en démocratie, et dans le cadre des prérogatives de sa fonction, un président en exercice a-t-il le droit de signer les accords qu’il juge bénéfiques pour son pays ? La réponse est oui, d’autant plus que de nombreux spécialistes pensent que cet accord était néfaste pour l’économie de l’Ukraine.

Ainsi, selon David Teurtrie, chercheur à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO, Paris) : « La proposition faite à l’Ukraine a été, comme je l’appellerais, une stratégie perdant-perdant. Pourquoi ? L’accord correspondait à la mise en place d’une zone de libre-échange entre l’UE et l’Ukraine. Mais cette zone de libre-échange était très défavorable pour l’Ukraine parce qu’elle ouvrait le marché ukrainien aux produits européens et elle entrouvrait le marché européen aux produits ukrainiens qui ne sont en majeure partie pas concurrentiels sur le marché occidental. Nous voyons donc que l’avantage est assez peu évident pour l’Ukraine. Pour simplifier, l’Ukraine prenait sur elle tous les désavantages de cette libéralisation du commerce avec l’UE et ne recevait aucun avantage » [4].

L’économiste russe Sergueï Glaziev est lui aussi du même avis : « Toutes les estimations, incluant celles des analystes européens, font part d’un ralentissement inévitable dans la production de biens ukrainiens dans les premières années suivant la signature de l’Accord d’association, puisqu’ils sont condamnés à une perte de compétitivité par rapport aux produits européens » [5].

Nonobstant la sensibilité pro-russe de Ianoukovytch, il est clair que la proposition russe était beaucoup plus intéressante pour l’Ukraine que celle avancée par les Européens. « L’UE ne promet pas la lune aux manifestants... juste la Grèce » titrait ironiquement le journal l’Humanité [6].

Après les émeutes sanglantes de Kiev, de nombreux pays occidentaux se sont curieusement empressés de déclarer qu’ils étaient prêts à soutenir « un nouveau gouvernement » en Ukraine [7], c’est-à-dire de reconnaître implicitement un coup d’état. Au lieu d’attiser la violence et de financer les barricades, ces pays n’auraient pas dû offrir leurs services pour calmer les esprits et attendre les prochaines élections, comme le dicte les fondements de la démocratie qu’ils essaient d’exporter en Ukraine et ailleurs dans le monde ?

Petites précisions sur la « révolution » orange

La « révolution » orange fait partie d’une série de révoltes baptisées « révolutions colorées », qui se sont déroulées dans les pays de l’Est et surtout les ex-Républiques soviétiques durant les années 2000. Celles qui ont abouti à un changement du gouvernement en place ont touché la Serbie (2000), la Géorgie (2003), l’Ukraine (2004) et le Kirghizstan (2005).

Dans un article exhaustif et très détaillé sur le rôle des États-Unis dans les révolutions colorées, G. Sussman et S. Krader de la Portland State University mentionnent dans leur résumé : « Entre 2000 et 2005, les gouvernements alliés de la Russie en Serbie, en Géorgie, en Ukraine et au Kirghizistan ont été renversés par des révoltes sans effusion de sang. Bien que les médias occidentaux en général prétendent que ces soulèvements sont spontanés, indigènes et populaires (pouvoir du peuple), les « révolutions colorées » sont en fait le résultat d’une vaste planification. Les États-Unis, en particulier, et leurs alliés ont exercé sur les États postcommunistes un impressionnant assortiment de pressions et ont utilisé des financements et des technologies au service de l’aide à la démocratie » [8].

Une dissection des techniques utilisées lors de ces « révolutions » montre qu’elles ont toutes le même modus operandi. Plusieurs mouvements ont été mis en place pour conduire ces révoltes : Otpor (« Résistance ») en Serbie, Kmara (« C’est assez ! ») en Géorgie, Pora (« C’est l’heure ») en Ukraine et KelKel (« Renaissance ») au Kirghizistan. Le premier d’entre eux, Otpor, est celui qui a causé la chute du régime serbe de Slobodan Miloševic. Après ce succès, il a aidé, conseillé et formé tous les autres mouvements par l’intermédiaire d’une officine spécialement conçue pour cette tâche, le Center for Applied Non Violent Action and Strategies (CANVAS) qui est domiciliée dans la capitale serbe. CANVAS forme des dissidents en herbe à travers le monde à l’application de la résistance individuelle non violente, idéologie théorisée par le philosophe et politologue américain Gene Sharp dont l’ouvrage « From Dictatorship to Democracy » (De la dictature à la démocratie) a été à la base de toutes les révolutions colorées.
Manifestants de la révolution orange
Aussi bien CANVAS que les différents mouvements dissidents ont bénéficié de l’aide de nombreuses organisations américaines d’ « exportation » de la démocratie comme l’United States Agency for International Development (USAID), la National Endowment for Democracy (NED), l’International Republican Institute (IRI), le National Democratic Institute for International Affairs (NDI), la Freedom House (FH), l’Albert Einstein Institution et l’Open Society Institute (OSI). Ces organismes sont financés par le budget américain ou par des capitaux privés américains. À titre d’exemple, la NED est financée par un budget voté par le Congrès et les fonds sont gérés par un conseil d’administration où sont représentés le Parti républicain, le Parti démocrate, la Chambre de commerce des États-Unis et le syndicat American Federation of Labor-Congress of Industrial Organization (AFL-CIO), alors que l’OSI fait partie de la Fondation Soros, du nom de son fondateur George Soros, le milliardaire américain, illustre spéculateur financier. Il est aussi intéressant de noter que le conseil d’administration de l’IRI est présidé par le sénateur John McCain, le candidat défait de la présidentielle américaine de 2008. L’implication de McCain dans les révolutions colorées est clairement établie dans l’excellent documentaire que la reporter française Manon Loizeau a consacré aux révolutions colorées [9]. On comprend alors aisément pourquoi le sénateur s’est récemment précipité à Kiev pour soutenir les émeutiers ukrainiens. On comprend aussi pourquoi la Russie a durci le ton concernant les ONG étrangères présentes sur son sol et la raison qui a motivé l’expulsion de l’USAID de son territoire [10].

La relation entre le mouvement ukrainien « Pora » et ces organisations américaines est explicitée par Ian Traynor dans un remarquable article publié par The Guardian en novembre 2004 [11].

« Officiellement, le gouvernement américain a dépensé, pendant une année, 41 millions de dollars pour l'organisation et le financement de l'opération qui a permis de se débarrasser de Miloševic […]. En Ukraine, le chiffre doit tourner autour de 14 millions de dollars », explique-t-il.

Ioulia Timochenko et Viktor Iouchtchenko sont considérés comme les figures de proue de la révolution orange. Soutenu par les Occidentaux, ce mouvement obtient l’annulation du second tour de l’élection présidentielle de 2004 initialement remporté par Viktor Ianoukovytch contre Viktor Iouchtchenko. Le « troisième » tour donne finalement la victoire à Iouchtchenko qui devient le 3eprésident de l’Ukraine à la grande joie des Américains et des Européens.
Fier de ses réussites « révolutionnaires » colorées, le belliqueux sénateur McCain a déclaré qu’il avait proposé au prix Nobel de la Paix les candidatures de Viktor Iouchtchenko et de son homologue géorgien pro-occidental Mikhail Saakashvili [12]. Il fit un voyage à Kiev en février 2005 [13] pour féliciter son « poulain » et peut-être aussi pour lui montrer qu’il avait quelque chose à voir avec son élection.

À peine nommé président, Iouchtchenko s’empressa de nommer Timochenko au poste de Premier ministre mais la « lune de miel » entre les compagnons de la révolution ne fit pas long feu. Bien qu’encensé par l’Occident, le couple Iouchtchenko-Timochenko s’avère boiteux et ses résultats sont très décevants.

Voici comment Justin Raimondo décrit le bilan de la magistrature Iouchtchenko (2005-2010) : « Aujourd’hui, l'éclat orange de sa révolution étant révolu depuis longtemps, son régime s'est avéré être tout aussi incompétent et truffé de copinage comme ses prédécesseurs corrompus et vénaux, si ce n'est plus. Une grande partie de " l'aide " monétaire occidentale a disparu […]. Pire encore, l'économie a été paralysée par l'imposition de contrôles des prix et corrompu par un trafic d’influence éhonté. Sous l'accord de partage de pouvoir entre M. Iouchtchenko et la volatile Ioulia Timochenko, la « princesse du gaz » et oligarque amazone, le pays s'est désintégré, non seulement économiquement mais aussi socialement […]. La baisse radicale de l'économie et les scandales en cours qui sont devenus des événements quotidiens pendant l'administration de M. Iouchtchenko ont conduit à la marginalisation complète du vénéré orange révolutionnaire : au premier tour de l'élection présidentielle [2010], il a obtenu un humiliant 5 pour cent des voix. Hors de la course, et sans avoir besoin de faire semblant plus longtemps, M. Iouchtchenko a lancé une véritable bombe dans l'arène politique en honorant Stepan Bandera, le nationaliste ukrainien et collaborateur des nazis, comme un " Héros de l'Ukraine " » [14].

Notons finalement que les organisations américaines d’ « exportation » de la démocratie ont été largement impliquées dans ce qui est communément appelé le « printemps » arabe. Les jeunes activistes arabes ont été formés à la résistance individuelle non violente par CANVAS et à la cyberdissidence par des organismes américains comme l’Alliance of Youth Movements (AYM) elle-même sponsorisée par le Département d’État ainsi que les géants américains des nouvelles technologies comme Google, Facebook ou Twitter [15].

Les « gentils » émeutiers de la place Maïdan

Malgré la grande diversité de la « faune » révolutionnaire qui a occupé la place Maïdan à Kiev, les observateurs s’accordent à reconnaître que la dissidence est composée de quatre différents groupes positionnés sur un spectre politique allant de la droite à l’extrême-droite.

Tout d’abord, il y a « Batkivshina » ou Union panukrainienne « Patrie » qui est un parti politique dont le leader est Ioulia Timochenko, secondée par Olexandre Tourtchinov, un ami de longue date, considéré comme son « fidèle écuyer » [16]. C’est ce dernier qui a été récemment nommé président intérimaire de l’Ukraine après le départ de Ianoukovytch.

Olexandre Tourtchinov et Ioulia Timochenko

Fondé en 1999, Batkivshina est un parti libéral pro-européen. Il est membre observateur du Parti populaire européen (PPE) qui rassemble les principaux partis de la droite européenne dont le CDU (Union chrétienne-démocrate d'Allemagne) de la chancelière allemande Angela Merkel. À noter que la Fondation Konrad Adenauer (Konrad Adenauer Stiftung), think tank du CDU, est aussi affilié au PPE. D’autre part, le PPE entretient des relations étroites avec l’International Republican Institute (IRI). Wilfried Martens, le président du PPE de l’époque, a soutenu John McCain lors de l’élection présidentielle américaine de 2008 [17]. Bien sûr, comme précisé précédemment, John McCain est aussi et surtout président du CA de l’IRI.

Selon un des responsables du « Mejlis of the Crimean Tatar People », mouvement associé au parti « Patrie », l’IRI est actif en Ukraine depuis plus de 10 années, c’est-à-dire qu’il n’aurait jamais quitté le territoire depuis la révolution orange [18].
Arseni Iatseniouk, personnalité pro-occidentale de premier plan de la vie politique ukrainienne, est considéré comme un « leader phare de la contestation en Ukraine » [19]. Pur produit de la révolution orange (il a occupé des postes ministériels sous la présidence Iouchtchenko), il a d’abord créé son propre parti (le Front pour le changement) avant de rejoindre les rangs de Batkivshina et de se rapprocher de Timochenko. Iatseniouk, qui vient d’être désigné premier ministre, a été plébiscité par les émeutiers de la place Maïdan. Il a pour mission de diriger un gouvernement d'union nationale avant l'élection présidentielle anticipée prévue le 25 mai 2014 [20].

Arseni Iatseniouk
Le second parti impliqué dans la violente contestation ukrainienne est l’UDAR (Alliance démocratique ukrainienne pour la réforme). Ce parti, libéral et pro-européen lui aussi, a été créé en 2010 par la fusion de deux partis dont l’un est le parti Pora, issu du mouvement de jeunes qui avait été à l’avant-garde de la révolution orange dont on a discuté auparavant. UDAR (qui veut dire « coup » en Ukrainien) est dirigé par le boxeur et ex-champion du monde des poids-lourds Vitali Klitschko. Né au Kirghizstan, Klitschko est ukrainien mais a vécu à Hambourg et Los Angeles pendant plusieurs années, de sorte que ses trois enfants sont de nationalité américaine car nés aux États-Unis [21].

Vitali Klitschko

Une rapide navigation sur le site du parti permet de se rendre compte qu’UDAR compte parmi ses uniques partenaires étrangers : l’IRI (de McCain), le NDI (présidé par Madeleine K. Albright, l’ancienne secrétaire d’État américaine) et le CDU (de Merkel). Notons ici que l’IRI et le NDI sont deux des quatre organisations satellites de la NED.

Les partenaires de l'UDAR (Photo de la page publiée sur le site officiel du parti)

Dans un rapport du German Foreign Policy intitulé « Notre homme à Kiev » datant de décembre 2013, on peut lire à propos de Klitschko et de son parti : « Selon les rapports de presse, le gouvernement allemand aimerait que le champion de boxe Vitali Klitschko brigue la présidence pour l'amener au pouvoir en Ukraine. Il souhaite améliorer la popularité de la politique de l'opposition en organisant, par exemple, des apparitions publiques conjointes avec le ministre des Affaires étrangères allemand. A cet effet, une réunion est également prévue pour Klitschko avec la chancelière Merkel lors du prochain sommet de l'UE à la mi-Décembre. La Fondation Konrad Adenauer a, en effet, non seulement soutenu massivement Klitschko et son parti UDAR, mais selon un politicien de la CDU, le parti UDAR a été fondée en 2010 sur les ordres directs de la fondation de la CDU. Les rapports sur les activités de la Fondation pour le développement du parti de Klitschko donnent une indication de la façon avec laquelle les Allemands influencent les affaires intérieures de l'Ukraine via UDAR » [22]. Ainsi, UDAR serait une création du CDU, ce qui explique la forte implication de la diplomatie allemande dans le « bourbier » ukrainien. Cette information est confirmée par de nombreux autres articles [23].

Un troisième mouvement a participé à l’insurrection ukrainienne pro-occidentale. Il s’agit de « Svoboda » (liberté en ukrainien) qui est un parti d’extrême-droite ultranationaliste dirigé par Oleh Tyahnybok. Svoboda a fait couler beaucoup d’encre à cause de ses positions xénophobe, antisémite, homophobe, antirusse et anticommuniste [24]. Ce parti, qui n’est ouvert qu’aux Ukrainiens « pure laine », glorifie des personnages historiques ukrainiens ouvertement fascistes et pro-nazis comme le tristement célèbre Stepan Bandera. Pendant la seconde guerre mondiale, ce dernier a combattu les Soviétiques tout en ayant des liens avec l’Allemagne nazie [25]. Ajoutons à cela que Svoboda est étroitement lié à une organisation paramilitaire, les « Patriotes de l'Ukraine » [26]. Considérée comme néo-nazie, elle a été très active durant les récents évènements qui ont ensanglanté les rues de Kiev.

Oleh Tyahnybok
Les trois partis cités précédemment ont formé une alliance appelée « Groupe d’action pour la résistance nationale » pour mener à bien la déstabilisation du gouvernement Ianoukovytch. En plus, on vient d’apprendre qu’une nouvelle coalition a été créée au parlement ukrainien post-Ianoukovytch. Nommée "Choix européen", elle réunit 250 députés de différents groupes parlementaires dont Batkivtchina, UDAR et Svoboda [27]
Les leaders du « Groupe d’action pour la résistance nationale » : Klitschko, Tyahnybok et Iatseniouk

Et pour compléter la mainmise du nouveau pouvoir sur les institutions ukrainienne, Oleg Mahnitsky vient d’être nommé Procureur général de l'Ukraine, poste d’importance capitale en cette période de soubresauts « révolutionnaires » et d’évidents règlements de comptes « démocratiques ». Petite précision : Mahnitsky est membre du parti Svoboda [28]. La cerise sur le gâteau ? Dans le nouveau gouvernement post-Euromaïdan largement dominé par le parti Batkivshina de Timochenko, trois portefeuilles ont été octroyés à des membres de Svoboda : Oleksandr Sych, vice-Premier ministre ; Andriy Mokhnyk, Ministre de l’environnement et Oleksandr Myrnyi, Ministre de l’agriculture [29].

Oleg Mahnitsky

Oleksandr Sych, Andriy Mokhnyk, Oleksandr Myknyi

Une autre nomination n’est pas passée inaperçue dans ce gouvernement : celle de Pavel Sheremeta qui, de 1995 à 1997, était directeur de programme à l'Open Society Institute de Budapest, la fameuse fondation de George Soros [30].

Pavlo Sheremeta
 
Le quatrième groupe factieux présent sur la place Maïdan est probablement le plus violent de tous. Connu sous l’appellation « Pravy Sektor » (Secteur de Droite), il représente la coalition d’une multitude de groupuscules de l’extrême-droite radicale et fasciste qui considère que Svoboda est « trop libéral » (sic) [31]. Créée en novembre 2013 [32], l’organisation a pour leader Dmitro Yarosh, le chef d’une organisation d’extrême-droite nommée « Trizub » (Trident) qui est réputée être le noyau dur de la brutale dissidence [33]. En plus de Trizub, on y trouve, en particulier, les « Patriotes de l'Ukraine », l’« Ukrainska Natsionalna Asambleya – Ukrainska Narodna Sambooborunu – UNA-UNSO » (Assemblée Nationale Ukrainienne – Autodéfense Nationale Ukrainienne), Bilyi Molot (Marteau Blanc) ainsi que l’aile radicale de Svoboda [34].

Dmitro Yarosh

Dans une interview au magazine TIME publiée le 4 février 2014, Yarosh a déclaré que « ses cohortes antigouvernementales à Kiev sont prêtes à la lutte armée » [35]. « Nous ne sommes pas des politiciens, nous sommes des soldats de la révolution nationale », a-t-il ajouté. Il faut dire que le meneur du Pravy Sektor a passé quelques années dans l’armée soviétique et que, pour lui, la « "révolution nationale" est impossible sans violence et qu'elle devrait conduire à un état "purement ukrainien" avec, pour capitale, Kiev » [36]. Il a aussi révélé dans son interview que sa coalition avait amassé un arsenal d’armes létales. Et de préciser : « Juste assez pour défendre l’Ukraine des occupants internes [i.e. les membres du gouvernement] ».
 
En effet, de nombreuses photos et vidéos montrent des militants du Pravy Sektor en tenues paramilitaires en train de s’entraîner publiquement sur la place Maïdan [37], impliqués dans des échauffourées d’une extrême violence avec des forces de l’ordre ou utilisant des armes à feu contre les « Berkout » (police antiémeute) [38].
 
Actions illégales des manifestants "pacifiques" à Kiev

En reportage à partir de Kiev, le journaliste britannique David Blair nous donne son point de vue sur l’organisation du Pravy Sektor : « Ce qui est clair, c'est qu'ils sont très organisés. Un approvisionnement régulier des masques à gaz, de la nourriture et des surplus de camouflage de l'armée arrivent aux bénévoles sur les barricades. D'anciens soldats offrent une formation de combat à mains nues en dehors de la tente qui sert de petite base de Pravy Sektor sur la place de l'Indépendance à Kiev. Les bénévoles ont décrit un système de commande avec plusieurs dirigeants qui commandent l'armée hétéroclite déployée à la barricade principale sur la rue Grushevskogo à Kiev. La question qui vient à l’esprit de beaucoup de gens est qu’est-ce qu’un groupe aussi puissant, en dehors du contrôle des politiciens traditionnels, ferait si la révolution réussit et le gouvernement tombe » [39].

Milices d'autodéfense montées par le groupe d'extrême-droite Pravy Sektor (Source : Le Monde)

Un manifestant arme au poing pendant un affrontement avec la police, place de l'Indépendance, à Kiev, le 22 janvier (Source:Libération)

Personne ne peut dire si la révolution a réussi ni même si cette insurrection peut être considérée comme telle. Mais ce dont on est sûr, c’est que le gouvernement est réellement tombé et que Dmitro Yarosh a été nommé adjoint au président du Conseil de sécurité et de défense nationale d’Ukraine [40], organisme consultatif d’état chargé de la sécurité nationale dépendant du président du pays. Et qui est le président de ce conseil ? Nul autre qu’Andriy Parubiy, « le commandant du Maïdan » [41], « le chef d'état-major de la révolution ukrainienne » [42] qui, le temps d’une « révolution », a rangé ses vêtements de député du parti Batkivshchyna pour enfiler celui de « généralissime » de l’« armée » des émeutiers de l’Euromaïdan. Mais, le plus intéressant est de savoir que Parubiy est un transfuge du parti Svoboda. En effet, il est, avec Oleh Tyahnybok, cofondateur en 1991 du Parti Social-Nationaliste d'Ukraine (SNPU), rebaptisée Svoboda en 2004 [43]. Comme quoi, les barricades, les émeutes, la désobéissance civile, la violence et le fascisme peuvent mener très haut en Ukraine.

 
Andriy Parubiy

Il faut reconnaître que les évènements de Kiev ont fait saliver un grand amateur de guerres « sans les aimer ». Ainsi, tel un squale attiré par le sang, Bernard-Henri Levy (BHL), le fameux « rossignol des charniers », est allé à Kiev rencontrer les émeutiers. Toute honte bue après le fiasco libyen et mentant comme un arracheur de dents, il s’y exclama : « Je n’ai pas vu de néo-nazis, je n’ai pas entendu d’antisémites » [44].
BHL à Kiev : "Je n'ai pas vu de néo-nazis, je n'ai pas entendu d'antisémites"

Pour contredire le « dandy » aux chemises blanches échancrées, voici ce qu’en dit l’Ukrainienne Natalia Vitrenko, présidente du Parti socialiste progressiste d'Ukraine : « Au début, [les meneurs] étaient les députés de l’opposition Iatseniouk, Klitschko et Tyahnybok. Ces trois personnes menaient le Maïdan. Mais, ensuite, c’est le Pravy Sektor qui a pris les choses en main. Depuis la mi-décembre, la politique du Maïdan a été dictée par Pravy Sektor qui est une alliance de différents partis et mouvements néo-nazis. Ce sont des groupes paramilitaires, des terroristes très bien entrainés » [45].

BHL posant à Kiev

Caricature de "l'événement"
 

Mais la meilleure réponse, celle qui correspond le mieux au niveau de la déclaration de BHL, est à mettre au compte de la journaliste Irina Lebedeva : « Il [BHL] est chanceux, les militants de Svoboda et du Pravy Sector, organisations prônant la pureté raciale, ont certainement reçu des instructions claires de ne pas toucher à celui-là » [46].

Timochenko : blonde ou brune ?

La figure politique ukrainienne la plus médiatisée par les organes de presse occidentaux mainstream est incontestablement Ioulia Timochenko. Traitée comme un personnage historique plus grand que nature, elle bénéficie de surnoms élogieux mais surtout pompeux : la « Marianne à la tresse », la « Princesse du gaz », la « Jeanne d'Arc ukrainienne » ou la « Dame de fer ». Mais même si d’aucuns ont remarqué une statuette de Jeanne d'Arc et les mémoires de Margaret Thatcher trôner dans son bureau [47], son parcours est loin d’être si vertueux. En fait, sa pratique politique relève plus des romans à scandales politico-financiers (voire maffieux) que de l’abnégation pour la patrie et le peuple ukrainiens. Jugez-en.
À propos de romans, commençons par Olexandre Tourtchinov qui est, paraît-il, un vrai romancier spécialisé dans le genre « science-fiction ». Oui, celui qui est actuellement président de l’Ukraine, qui a été qualifié de « fidèle écuyer » de Timochenko et qui est né, comme elle, dans la ville de Dnipropetrovsk.

Timochenko brune

En 1994, Tourtchinov crée avec Pavlo Lazarenko, un notable de Dnipropetrovsk, le parti Hromada dont Timochenko deviendra la présidente en 1997. Une année plus tard, en 1995, la « Marianne à la tresse » qui avait humblement commencé sa carrière de chef d’entreprise avec un prêt de 5000$, réorganise sa modeste « Compagnie du pétrole ukrainien » (créée en 1991) pour fonder, avec l’aide de Lazarenko, la compagnie de distribution d'hydrocarbures « Systèmes énergétiques unis d'Ukraine » (SEUU). Cette même année, Lazarenko est nommé vice-Premier ministre chargé de l’énergie. Très certainement favorisés par les leviers politiques inhérents au poste de Lazarenko, les résultats de SEUU explosent : 10 milliards de dollars de chiffre d’affaires et 4 milliards de profits pour l’année 1996 ! Et tout cela grâce à des contrats très lucratifs reliés à la vente en Ukraine de gaz naturel russe [48]. Les années de bonheur continuent avec la promotion de Lazarenko au poste de Premier ministre en mai 1996, bien qu’il échappât à un attentat à la bombe à peine 2 mois plus tard [49]. Au début de l’année 1997, la SEUU contrôlait plusieurs banques, avait des participations dans des dizaines d'entreprises de la métallurgie et la construction mécanique, était copropriétaire de la troisième plus grande compagnie aérienne de l'Ukraine et de son deuxième plus grand aéroport, celui de Dnipropetrovsk, en plus de participation dans le développement de gazoducs turcs et boliviens, ainsi que le contrôle de plusieurs journaux locaux et nationaux [50].

Lazarenko et Timochenko

Comme l’enrichissement « exponentiel » est souvent synonyme d’affaires louches, des soupçons ont commencé à peser sur Lazarenko et la SEUU. En avril 1997, le New York Times rapporta que Lazarenko possédait des parts dans cette compagnie. D’autres affaires furent dévoilées et, en juillet de la même année, le président Koutchma congédia Lazarenko. La suite est rocambolesque. En 1998, Lazarenko est arrêté par la police suisse à la frontière franco-helvétique et accusé par les autorités de Berne de blanchiment d’argent et relâché après le paiement d’une forte caution. Dans un article publié en 2000 et intitulé « Les comptes fantastiques de M. Lazarenko », Gilles Gaetner parle d’un détournement des deniers publics ukrainiens de l’ordre de 800 millions de dollars, « sans doute la plus importante affaire de blanchiment de l'après-guerre » [51]. Lazarenko fuit alors aux États-Unis où il cherche à obtenir l’asile politique, mais il y est arrêté en 1999.
Bien qu’élus sous la bannière Hromada, Timochenko et Tourtchinov quittent ce parti en 1999 après les déboires de Lazarenko pour créer, ensemble, le parti Batkivshina [52].
Poursuivi par la justice américaine, Lazarenko est condamné en 2006 à neuf ans de prison pour extorsion de fonds, blanchiment d'argent par les banques américaines et fraudes [53]. Un rapport 2004 du « Transparency International Global Corruption » classe Lazarenko parmi les 10 leaders politiques les plus corrompus du monde [54]. La justice ukrainienne poursuit toujours Lazarenko pour l’assassinat du député Evguen Scherban et de sa femme en 1996. Selon l’accusation, le groupe de Scherban était en concurrence avec la SEUU et gênait ses activités.

Evguen Scherban

Lazarenko a été libéré en novembre 2013, mais il a été placé dans un centre de détention pour migrants à cause de l’expiration de son visa [55].
L’arrestation de Lazarenko n’entame en rien l’opportunisme politique de Timochenko. Dès que Viktor Iouchtchenko accède au poste de Premier ministre en 1999, elle est nommée vice-Premier ministre chargé de l’énergie, poste occupé par Lazarenko quelques années auparavant. Néanmoins, elle est finalement touchée par le scandale Lazarenko et accusée en 2001 de « contrebande et de falsification de documents », pour avoir frauduleusement importé du gaz russe en 1996 lorsqu’elle était présidente de SEUU [56]. Timochenko est arrêtée et fera quelques semaines de prison [57]. En 2002, elle est victime d’un grave accident de la route qu’elle interprètera comme une tentative d’assassinat [58].

Timochenko blonde, mais sans tresses

C’est pendant cette période qu’elle change de look. De brune, elle devient blonde. « Ioulia troque son style de femme d'affaires sexy cheveux libres et tailleurs moulants contre celui, plus sage, de parlementaire en col Claudine, jupe au-dessous du genou. Elle adopte sa coiffure actuelle, la fameuse tresse blonde disposée en couronne autour de sa tête » [59].

Timochenko et son look actuel

En 2004, la « révolution » orange éclate et Timochenko en devient l’égérie. Iouchtchenko accède à la magistrature suprême en 2005 et, elle, Premier ministre par deux fois. Toutes les accusations sont, comme par enchantement, oubliées.

Le couple Iouchtchenko – Timochenko

Divulgué par Wikileaks, un rapport au congrès américain datant de 2005 décrit ainsi la « princesse du gaz » : « Timochenko est un leader énergique et charismatique avec un style politique parfois combatif qui a fait une campagne efficace pour M. Iouchtchenko. Cependant, elle est un personnage controversé en raison de son lien au milieu des années 1990 avec les élites oligarchiques, dont l'ancien Premier ministre Pavlo Lazarenko, qui purge actuellement une peine dans une prison américaine pour fraude, blanchiment d'argent et extorsion. Timochenko a servi en tant que chef d'une entreprise de négoce en gaz et de vice-Premier ministre dans le gouvernement notoirement corrompu de Lazarenko. On dit qu’elle est extrêmement riche […]. Elle a ensuite été l’objet d’une enquête pour corruption et blanchiment d'argent et a été brièvement emprisonnée. Toutes les accusations ont été officiellement abandonnées après l'élection de Viktor Iouchtchenko. La Russie a également déposé des accusations de corruption contre elle peu de temps avant la campagne électorale » [60].
L’accès au pouvoir du couple Iouchtchenko – Timochenko (grâce à la vague orange), permet à Tourtchinov d’occuper le poste de chef des Services secrets ukrainiens (SBU) en février 2005. Toutefois, en 2006, une enquête le vise ainsi que son adjoint. Il leur est reproché d’avoir détruit le dossier d’un dangereux parrain du crime organisé ukrainien, Semyon Mogilevich [61]. Ce maffieux est soupçonné de diriger un vaste empire criminel et est décrit par le FBI, en 1998, comme « le gangster le plus dangereux du monde » [62]. Les accusations furent étonnamment abandonnées quelques mois plus tard. Il obtint même une excellente promotion. En effet, à son deuxième mandat de Premier ministre (2007), Timochenko lui octroie le poste de vice-Premier ministre, fonction qu’il occupera jusqu’en 2010, date à laquelle elle perd les élections présidentielles contre Ianoukovytch.
 
 
Les relations conflictuelles du couple Iouchtchenko – Timochenko donna le coup de grâce aux mirages de la « révolution » orange. Timochenko est accusée d'avoir trahi l'intérêt national pour préserver ses ambitions personnelles [63].
L’arrivée de Ianoukovytch au pouvoir mit fin à l’impunité de la candidate battue par les urnes et son dossier judiciaire est ressorti du placard pour des anciennes et nouvelles « affaires ». Timochenko est poursuivie dans de nombreux dossiers : mauvaise utilisation de fonds perçus en 2009 pour la vente de quotas d'émission de CO2, abus de pouvoir lors de la signature en 2009 de contrats sur le gaz avec la Russie considérés défavorables à son pays, fraude fiscale et détournement de fonds relatifs à l’affaire Lazarenko et sa responsabilité dans la gestion de la SEUU [64]. Plus grave encore, elle est accusée de complicité de meurtre (avec Lazarenko) dans l’affaire Scherban (1996). Selon le procureur général adjoint, « la victime était en conflit avec Mme Timochenko, qui s'occupait alors de la distribution du gaz russe en Ukraine et tentait de contraindre des entreprises de la région industrielle de Donetsk (Est) à acheter cette matière première à sa société Systèmes Énergétiques Unis d'Ukraine (SEUU), grâce au soutien du Premier ministre à l'époque, Pavlo Lazarenko » ; « Evguen Chtcherban, un homme fort de la région et dont le groupe était un concurrent de la société de Mme Timochenko, s'était publiquement opposé à l'expansion de SEUU, et l'a payé de sa vie » [65]. Il ajouta à cela « qu'il y avait des témoins qu'elle et l'ancien Premier ministre Pavlo Lazarenko avaient payé pour les meurtres ». Ces allégations sont soutenues par Ruslan, le fils de M. Shcherban, qui a survécu à l'assassinat de ses parents. Dans une conférence de presse, il a déclaré avoir remis des documents au bureau du procureur général impliquant les deux anciens premiers ministres (Lazarenko et Timochenko) dans les meurtres [66].

Le bureau du procureur général d'Ukraine a publié un document
explicatif du rôle de Timochenko dans le meurtre de M. Shcherban.

Cliquez sur le lien ci-dessous pour le lire :

La complicité de Timochenko est aussi envisagée dans deux autres assassinats : l’homme d’affaires Alexander Momot (tué en 1996, quelques mois avant Shcherban) et l’ancien gouverneur de la Banque nationale d’UkraineVadym Hetman (tué en 1998) [67].

 
Alexander Momot et Vadym Hetman

Timochenko a été condamnée à sept ans de prison en octobre 2011 et placée en détention pour son implication dans l’affaire des contrats gaziers [68].

"The rise and fall of Yulia Timoshenko"

Les événements inespérés de l’Euromaïdan sont venus extirper « la princesse du gaz » de sa geôle. Et de quelle manière ! Le samedi 22 février 2014, à 12h08, Tourtchinov, le bras droit de Timochenko, est élu président du Parlement ukrainien. Trente minutes plus tard, comme s’il s’agissait de l’affaire la plus urgente à régler dans un pays en pleine insurrection, le parlement vote la libération « immédiate » de Timochenko. À titre de comparaison, ce n’est qu’à 16h19 que ce même parlement votera la destitution de Ianoukovytch [69].
Avec la nomination du militant d’extrême-droite Oleg Mahnitsky comme procureur général, ainsi que celle d’un très grand nombre de membres du parti Batkivshina à des postes-clés au sein de l’appareil de l’état, on peut aisément prédire que Timochenko n’aura plus, au moins pour un certain temps, à s’inquiéter de ses problèmes judiciaires.
Il faut reconnaître qu’à deux reprises Timochenko a été arraché des mains de la justice grâce à des émeutes populaires de grande ampleur : la « révolution » orange en 2004 et, maintenant, l’Euromaïdan.
En plus de ses talents de romancier, il paraît que le président Tourtchinov est aussi pasteur évangélique. Serait-ce à ce titre qu’il a « sauvé » son amie de toujours ?
Mais « Kiev vaut bien une messe », non ?

L’insolente ingérence occidentale

L’Euromaïdan peut être considéré comme une « révolution » colorée, revue et corrigée à la sauce « printemps » arabe, arôme syrien. En effet, bien que de nombreuses similitudes puissent être trouvées entre la « révolution » orange et l’Euromaïdan, deux différences fondamentales sont à noter. La première, déjà discutée précédemment, est relative à la violence des émeutes qui est essentiellement due à l’omniprésence de manifestants de l’extrême-droite fasciste et néo-nazie. Par comparaison, la « révolution » orange était basée sur les théories non-violentes de Gene Sharp. La seconde différence relève de l’insolente présence physique de personnalités occidentales, politiques et civiles, sur la place Maïdan, haranguant les foules et incitant à la désobéissance civile, en complète contradiction avec le principe fondamental de non-ingérence dans les affaires internes d’un pays souverain, dont les dirigeants ont été démocratiquement élus.
Commençons par John McCain, président du conseil d’administration de l’IRI qui, à Kiev, est en terrain connu. Effectivement, après (et non pendant) la « révolution » orange, il s’était déjà rendu en Ukraine (en février 2005) pour y rencontrer ses « poulains » qu’il avait largement financés.

Iouchtchenko et McCain (février 2005)

Le sénateur américain s’est aussi rendu dans les pays arabes « printanisés » : Tunisie (21 février 2011), Égypte (27 février 2011), Libye (22 avril 2011) et Syrie (27 mai 2013). Lors des deux premiers voyages, les gouvernements étaient déjà tombés. Dans les deux derniers, la bataille faisait rage (elle le fait encore en Syrie).
À Kiev, McCain s’adressa aux révoltés du Maïdan le 14 décembre 2013. « Nous sommes ici pour soutenir votre juste cause, le droit souverain de l'Ukraine à choisir son propre destin librement et en toute indépendance. Et le destin que vous souhaitez se trouve en Europe », a-t-il claironné [70].
Il y rencontra le « triumvirat du Maïdan », c’est-à-dire Iatseniouk, Klitschko et Tyahnybok. Il n’a pas été embarrassé de poser avec Tyahnybok, alors que ce dernier aurait été interdit, l'année dernière, d'entrer aux États-Unis en raison de ses discours antisémites [71]. Non, rien ne l’a gêné de traiter avec le leader de Svoboda, un parti ouvertement ultranationaliste, xénophobe et prônant des valeurs néo-nazies, tout comme rien ne l’a dérangé de soutenir de sanguinaires terroristes en Libye ou en Syrie. La fin justifie les moyens : l’important est de soustraire l’Ukraine du giron russe.

McCain rencontre Klitschko, Iatseniouk et Tyahnybok (décembre 2013)

L’ingérence américaine s’est aussi illustrée par « l’affaire Nuland » qui a montré que le vocabulaire diplomatique utilisé par certains hauts fonctionnaires américains n’avait rien à envier à celui des charretiers. « Fuck the UE ! », s’est-elle exclamée. Ce qui en dit long sur la lutte d’influence qui oppose l’oncle Sam au vieux continent.
Et comment Victoria Nuland, la sous-secrétaire d'État pour l'Europe et l'Eurasie, appelle-t-elle les leaders de l’Euromaïdan ? « Yats » et « Klitsch » [72] ? Comme « Jon » et « Ponch » dans la populaire série américaine « CHiPs » ? Utiliser un langage si familier suppose une évidente proximité et une indéniable connivence entre les membres du triumvirat et l’administration américaine, c’est le moins qu’on puisse dire.

Tyahnybok, Victoria Nulan, Klitschko, et Iatseniouk

En plus de L’IRI, la NED est présente à Kiev. Pour s’en rendre compte, il n’y a qu’à suivre Nadia Diuk qui écrit à partir de Kiev et dont les articles sont publiés dans « le Kiyv Post » et d’autres fameux journaux. Les titres de ses articles sont idylliques : « La révolution auto-organisée d’Ukraine » [73], « Les visions du futur de l’Ukraine » [74], etc. Déjà, en 2004, en pleine « révolution » orange, elle écrivait « En Ukraine, une liberté indigène » [75] pour prouver que la « révolution » était spontanée, ce qui contredit toutes les études (occidentales) qui ont été publiées subséquemment. Il faut se rendre à l’évidence que la teneur de ses articles n’a guère changé avec le temps. Et pour cause, Mme Diuk est vice-présidente à la NED, chargée des programmes pour l’Europe, l’Eurasie, l’Afrique, l’Amérique latine et les Caraïbes [76].
Les rapports annuels de la NED montrent que, juste pour 2012, les montants octroyés à une soixantaine d’organismes ukrainiens s’élevaient à près de 3,4 millions de dollars [77]. Dans ce rapport, il est indiqué que l’IRI de McCain et le NDI d’Albright ont respectivement bénéficié de 380 000 et 345 000 $ pour leurs activités en Ukraine.
Cette évidente implication américaine en Ukraine a été signalée par Sergueï Glaziev qui a déclaré que « les Américains dépensent 20 millions de dollars par semaine pour financer l'opposition et les rebelles, y compris pour les armer » [78].
Le second pays occidental largement impliqué dans l’Euromaïdan est l’Allemagne. Une dizaine de jours avant McCain, Guido Westerwelle, le chef de la diplomatie allemande, a pris un bain de foule au milieu des manifestants de la place Maïdan en compagnie de ses « protégés » « Yats » et « Klitsch » ou, plus poliment, Iatseniouk et Klitschko. Après s’être entretenus avec eux à huis clos, il déclara « Nous ne sommes pas ici pour soutenir un parti, mais nous soutenons les valeurs européennes. Et quand nous nous engageons pour ces valeurs européennes, il est naturellement agréable de savoir qu'une grande majorité des Ukrainiens partagent ces valeurs, veulent les partager et souhaitent suivre la voie qui mène à l'Europe » [79]. En parlant de majorité, Westerwelle n’a certainement pas consulté les récents sondages qui montrent que seuls 37% de la population ukrainienne est favorable à une adhésion de leur pays à l’Union Européenne [80]. D’ailleurs, les citoyens européens le sont-ils ? Pas si sûr. Par exemple, un très récent sondage montre que 65% des Français sont opposés à l'idée d'une aide financière apportée par la France et l'Union européenne à l'Ukraine et 67% sont contre une entrée de ce pays dans l'UE [81].

Klitschko, Guido Westerwelle et Iatseniouk

D’autre part, la chancelière allemande a, comme son ministre, reçu Iatseniouk et Klitschko le 17 février 2014 à Berlin. Le candidat sur lequel ont misé Merkel, le CDU et son think tank, la Fondation Konrad Adenauer, est Klitschko [82]. Néanmoins, le parti de Timochenko est aussi considéré comme un allié du PPE et du CDU ainsi que l’avait affirmé M. Martens lors d’un discours au Club de la Fondation Konrad Adenauer en 2011 : « Ioulia Timochenko est une amie de confiance et son parti est un membre important de notre famille politique ». Dans ce même discours, il avait déclaré que sa position était similaire à celle de McCain quant au soutien à Timochenko (pour sa libération lorsqu’elle était emprisonnée) [83].

Klitschko, Merkel et Iatseniouk

Il faut souligner que cette convergence de vue entre l’IRI et la Fondation Konrad Adenauer n’est ni fortuite, ni récente. En réalité, elle remonte à la création de la NED comme nous l’explique Philip Agee, l’ancien agent de la CIA qui avait quitté l’agence pour vivre à Cuba [84]. Tout d’abord, il faut comprendre que la NED a été créée pour prendre en charge certaines tâches qui relevaient originalement de la CIA, en l’occurrence la gestion des programmes secrets de financement de la société civile étrangère. Après avoir consulté un vaste éventail d'organisations nationales et étrangères, les autorités américaines furent intéressées par les fondations des principaux partis de l’Allemagne de l’Ouest qui étaient financées par le gouvernement allemand : la Friedrich Ebert Stiftung des sociaux-démocrates et la Konrad Adenauer Stiftung des démocrates-chrétiens. Nous trouvons actuellement une structure analogue dans le paysage politique américain. L’IRI et le NDI, les deux satellites de la NED, sont respectivement reliés aux partis républicain et démocrate américains et, comme ses homologues allemands, sont financés par des fonds publics. Comme la CIA collaborait avec ces « Stiftungs » allemands pour financer des mouvements à travers le monde bien avant la création de la NED par le président Reagan en 1983, les relations sont restées solides jusqu’à nos jours.
Bien que plus discret que les deux précédents, le troisième pays impliqué dans les événements ukrainiens est le Canada. Cet intérêt est probablement dû au fait que le Canada abrite la plus grande diaspora ukrainienne dans le monde après celle de la Russie. Plus de 1,2 millions de canadiens sont d’origine ukrainienne [85].
John Baird, le ministre des affaires étrangères canadien a rencontré le triumvirat ukrainien le 4 décembre 2013 à Kiev et, comme les autres, a effectué un « pèlerinage » à la place Maïdan. Le chef de la diplomatie canadienne est revenu à Kiev le 28 février 2014 pour y rencontrer les nouvelles autorités : le président Tourtchinov, le Premier ministre Iatseniouk et la « Jeanne d'Arc ukrainienne ». Questionné sur son soutien « inconditionnel » de l’Ukraine et ses conséquences sur les relations avec la Russie, il répondit : « Nous n’allons certainement pas nous excuser pour avoir soutenu le peuple ukrainien dans sa lutte pour la liberté » [86]. À noter que Paul Grod, le président du Congrès des Ukrainiens-Canadiens (UCC) a accompagné Baird dans ses deux voyages. Ses positions sont calquées sur celles de la diplomatie canadienne.

Tyahnybok, Iatseniouk, Baird, Klitschko et Grod

Les positions et les réactions de tous ces politiciens laissent cependant perplexes. Certes, les vies perdues lors de ce sanglant conflit sont à déplorer, mais qu’auraient-ils fait si des manifestants violents, appartenant à des groupes extrémistes, avaient occupé le centre-ville de leur capitale, tué des membres des forces de l'ordre, kidnappé des dizaines de policiers, occupé des locaux officiels et troublé l’ordre public pendant des mois ? Et n’ont-ils pas une part de responsabilité dans l’augmentation du nombre de victimes en venant jeter de l’huile sur le feu du Maïdan ?
En France, par exemple, le ministre de l’Intérieur Manuel Valls s’est insurgé contre une récente manifestation de « Black Bloc » qui a fait six blessés parmi les policiers, le 22 février 2014. Voici ses commentaires : « Cette violence venant de cette ultra-gauche, de ces Black Bloc, qui sont originaires de notre pays mais aussi de pays étrangers est inadmissible et elle continuera à trouver une réponse particulièrement déterminée de la part de l’État ». Après avoir rendu hommage « au préfet de la Loire Atlantique, aux forces de l’ordre, policiers et gendarmes, qui avec beaucoup de sang froid et de professionnalisme ont contenu cette manifestation », il ajouta : « Personne ne peut accepter de telles exactions » [87].
 
Et les Ukrainiens, doivent-ils les accepter ? Et comment aurait réagi la classe politique française et occidentale si ces « Black Bloc » avaient été financés, formés ou soutenus par des organismes et politiciens étrangers, Russes, Chinois ou Iraniens venus à Nantes pour les soutenir ?
 
Je vous laisse le soin d’y répondre.

En définitive, il faut se rendre à l’évidence que l’Euromaïdan, tout comme la « révolution » orange, est un mouvement largement soutenu par des officines occidentales. Cette conclusion ne doit pas éclipser la réelle corruption de toute la classe politique ukrainienne. Vouloir nous présenter, comme le font les médias occidentaux mainstream, les « bons » avec Timochenko et les « mauvais » avec Ianoukovytch est une vision biaisée de la réalité. Le gouvernement Ianoukovytch ayant été démocratiquement élu, les évènements récents sont, sans équivoque, un coup d’État.
 
Ce coup d’État a permis à des militants de l’extrême-droite ukrainienne, ultranationaliste fasciste et néo-nazie, de faire partie du nouveau gouvernement ukrainien. Cette présence, ouvertement appuyée par les gouvernements occidentaux est néfaste pour l’avenir et la stabilité du pays. La hâtive, expéditive, controversée et incompréhensible abrogation de la loi « sur les bases de la politique linguistique de l’État » est un exemple patent [88].
 
En outre, ce rapprochement « forcé » de l’Ukraine avec l’Union Européenne et son corollaire l’éloignement de ce pays de la Russie n’est pas bénéfique pour le peuple ukrainien. Selon des spécialistes occidentaux et non-occidentaux, la proposition russe était de loin plus intéressante que celle conjointe de l’Union Européenne et des États-Unis qui n’ont d’autre alternative que d’offrir la « médecine FMI » à ce Pays [89].
Contrairement aux vœux pieux de Timochenko clamés au Maïdan, il serait utopique de penser que l’Ukraine fasse partie de l’Union « dans un avenir proche » [90], au vu de la situation désastreuse de certains pays européens comme la Grèce, par exemple. La « Marianne aux tresses » n’a probablement pas entendu le ministre français des Affaires européennes, Thierry Repentin. « Dans toutes les négociations pour offrir à l'Ukraine un accord d'association, nous avons bataillé ferme pour retirer toute allusion à une adhésion à l'UE. Pas question de changer de position » a-t-il déclaré dans un article publié le 3 février dernier [91].
Si l’Ukraine ne peut prétendre à une adhésion à l’Union Européenne et que les défenseurs occidentaux de sa « révolution » ne mettent pas la main à la poche, tout semble indiquer que ce pays n’est qu’un « cheval de Troie » pour gêner la Russie qui prend trop de place et beaucoup d’aisance dans les enjeux internationaux, à l’instar de son rôle dans le conflit syrien. Une façon comme une autre d’ouvrir une nouvelle ère de guerre froide. Les troubles en Crimée et les menaces de l’exclusion de la Russie du G8 [92] n’en sont que les prémices.
 
Les Ukrainiens doivent savoir qu’ils sont condamnés à vivre en bon voisinage avec la Russie avec laquelle ils ont une frontière commune et des liens historiques, commerciaux, culturels et linguistiques.
Une chose est sûre, cependant : le réveil « postrévolutionnaire » sera douloureux pour les Ukrainiens.

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Source : ahmedbensaada.com

FIGAROVOX - Comment comprendre les centaines de commentaires pro-Poutine sur les sites d'info? Réponses avec Pierre-Henri d'Argenson, spécialiste des questions internationales à Sciences Po.
LE FIGARO - On constate, dans les commentaires du Figaro (et dans une moindre mesure, cela peut aussi se voir sur d'autres sites d'info), que beaucoup de nos internautes sont favorables, voire très favorables à Vladimir Poutine. Comment l'expliquer? Y a-t-il sur Internet une réaction à une certaine antipathie des médias «mainstream» à l'égard de Poutine? Pourquoi?
Pierre-Henri D'ARGENSON. - Une partie de cette réaction s'explique par la sympathie pro-russe que l'on retrouve surtout en France au sein des mouvements gaullistes et souverainistes. Ce courant est pétri de la tradition géopolitique française de «l'alliance de revers» entre la France et la Russie, et exprime une vision des relations internationales structurée par la puissance et l'indépendance des nations, contre le projet fédéraliste et atlantiste. Mais c'est une explication bien commode pour ceux qui veulent caricaturer le sentiment «pro-russe». En réalité, ce qui est frappant dans les réactions à la crise ukrainienne, ce n'est pas tellement le nombre de témoignages «pro-russes», mais plutôt le refus implicite de beaucoup de gens de se plier à l'injonction médiatique désignant la Russie de Poutine comme le camp du Mal. Il s'agit d'une révolte intellectuelle, qui relève d'une lame de fond de rejet de l'ordre idéologique régnant. Internet facilite cette révolte en libérant l'expression, et nous assisterons dans les années qui viennent à un soupçon de plus en plus systématique, par principe, à ce qui sera présenté comme la pensée obligatoire sur tel ou tel sujet.
Que révèle selon vous cet engouement pour Poutine à propos des qualités exigées d'un homme politique par les internautes?
Il y a évidemment une fascination pour la «virilité» du personnage, avec son mélange de sang-froid et d'audace guerrière, mais là aussi la raison profonde est ailleurs. Dans l'inconscient collectif, Vladimir Poutine évoque un peu Louis XIV: c'est un monarque absolu, autoritaire, mais capable de protéger le peuple russe contre les puissants. Les médias «mainstream» ne comprennent pas cela. Quand Vladimir Poutine fait emprisonner l'oligarque Mikhaïl Khodorkovski, il rappelle Louis XIV faisant arrêter Fouquet. C'est arbitraire, mais le peuple y trouve son compte: si le roi peut renverser les puissants, c'est qu'il peut défendre les intérêts du peuple… même si ce n'est pas toujours le cas. Or, que disent les critiques de notre système politique? Qu'il a donné le pouvoir à l'oligarchie, aux baronnies, aux multinationales, aux lobbies, qui font et défont les règlements européens sans le moindre contrôle populaire, face à une classe politique toujours prompte à parler de «démocratie» et de «droits de l'homme» mais en réalité impuissante ou consentante. L'engouement pour Poutine révèle ainsi en creux un besoin profond, ancré au sein du peuple et pas des élites, de retrouver des dirigeants qui soient leurs défenseurs, et qui pour cela aient encore en main les instruments de la maîtrise du destin de la nation, aujourd'hui dilués dans de multiples instances insaisissables.
Pourtant, un sondage récent montrait que seuls 14% des Français avaient une bonne opinion de Vladimir Poutine. Comment comprendre ce résultat, quand on lit les commentaires sur le Web? Qu'est-ce qui explique un tel décalage?
Il faut être prudent avec les sondages… Mais ce décalage n'est pas contradictoire. Dans ce même sondage, Poutine est jugé à 72 % comme «énergique» et à 56% comme «défendant bien les intérêts de son pays». C'est cela qui est valorisé dans les commentaires, pas l'homme Poutine, que les Français ne souhaiteraient pas forcément avoir pour chef d'État. Les commentaires «pro-russes» ne sont pas l'expression d'un «parti de l'étranger». Ce qui s'exprime aujourd'hui, c'est un jugement politique tel qu'on le retrouve presque toujours dans l'histoire: même si les gens n'aiment pas Poutine, ils reconnaissent en lui un grand dirigeant, qui restera dans l'histoire de la Russie. A contrario, des personnalités politiques très populaires en leur temps peuvent rapidement être regardées avec un peu de recul comme ayant été de grands incapables et de piètres hommes d'État.
Source : http://www.lefigaro.fr/vox/medias/2014/03/07/31008-20140307ARTFIG00096-pourquoi-il-y-a-tant-de-commentaires-pro-poutine-sur-le-web.php