Allez, un billet de fond aujourd’hui…

I. Contre la dette publique

À quoi revient finalement la dette publique ? A ce que l’État emprunte une partie de l’épargne des plus aisés contre rémunération – au lieu de la prendre sous forme d’impôts… Les intérêts à verser sont donc un  impôt à l’envers, qui prend de 1 à 3 % du revenu des 90 % les plus pauvres pour les transférer aux plus aisés. Que personne en s’interroge sur la stupidité d’avoir réussi à endetter à outrance la puissance qui lève l’impôt, me stupéfie…
Karl Marx : « La dette publique, en d’autres termes l’aliénation de l’État, qu’il soit despotique, constitutionnel ou républicain, marque de son empreinte l’ère capitaliste. La seule partie de la soi-disant richesse nationale qui entre réellement dans la possession collective des peuples modernes, c’est leur dette publique. […]. Le crédit public, voilà le credo du capital. » [Karl Marx, Le Capital, 1867]
Étrange raisonnement que de considérer d’ailleurs qu’il faille financer de pseudo investissements (Aéroports à quelques années du pic pétrolier ? Avions rafale ? Baisse de TVA dans la restauration ? Baisse de 3 centimes du litre d’essence ? Ronds-points ? etc.) par de la dette, en raison d’hypothétiques « retours sur investissements futurs », le retour minable des 2 000 Md€ de dette publique démontrant l’inanité de la proposition. Personne ne soutient jamais que les 13 000 Md€ de patrimoine du pays permettent de financer de nombreux investissements, qui, s’ils étaient rentables, laisseraient plutôt un excédent aux générations futures. Mais la règle est « Surtout, ne touchez pas à mon épargne, après moi, le déluge ».
Joseph Stiglitz : « Les États-Unis devraient épargner pour la génération du baby-boom, pas emprunter. » [Joseph Stiglitz, Le Triomphe de la Cupidité, 2010]
Comme souvent, la réalité est niée, avec le bon vieux « Cette fois c’est différent, nous sommes plus intelligents que nos ancêtres ». Deux siècles d’abus permanents démagogiques des élus démontrent le caractère indispensable d’une règle d’or budgétaire, interdisant la dette publique hors récession, avec obligation de la rembourser dès la fin de la récession après une indispensable intervention publique de soutien.
John Kenneth Galbraith : « Il faut comprendre qu’il existe un décalage permanent entre les idées admises […] et la réalité. Et au bout du compte, on ne s’en étonnera pas, c’est la réalité qui compte. »  [John Kenneth Galbraith, Les mensonges de l’économie, 2002]
On crie au crime contre le keynésianisme, plutôt que dénoncer le crétinisme consistant à faire de la dette quand ça va mal et de la dette quand ça va bien.
John Maynard Keynes en 1944 : « J’étais le seul non-keynésien présent à cette réunion ».
On pourrait également espérer que les « thuriféraires de la dette publique » de gauche verraient la réalité, qui a consisté à ce que les néoconservateurs fassent exploser les dettes publiques, pour ensuite s’en servir de prétexte pour démanteler l’État, les services publics et les acquis sociaux. Et, comme ils aiment l’État, ils pourraient en tirer la conclusion que, quand on aime une structure, on la préfère en saine situation financière pour en assurer la pérennité. Mais non.
Jean-Claude Guillebaud : « On se réapproprie une croyance, disons une façon de raisonner, qui fait partie elle aussi de l’héritage communiste : l’indifférence à l’égard des faits, la capacité de résister aux leçons du réel, la manière impavide avec laquelle on affirme des choses que les réalités « têtues » ne cessent de démentir. » [Jean-Claude Guillebaud, La Force de conviction, 2005]
Plus largement, nous soutenons enfin le caractère antidémocratique de la dette publique, car elle revient à ce que les représentants élus d’une génération se mettent d’accord pour endetter la génération suivante – personne ne représentant les intérêts de cette dernière, évidemment. Comme nous laissons à la suivante une énorme dette écologique, il aurait été logique de leur laisser des excédents, et non pas des dettes. Alors oui, il est indispensable de lier les mains des élus, comme on lie les mains des fous irresponsables.
George Washington en 1789 : « Aucune génération n’a le droit de contracter des dettes qui ne pourront pas être remboursées durant sa propre existence. »
Charles De Gaulle : « Il est fâcheux de légaliser un supplément de déficit. [...] Tout le monde doit s’apercevoir qu’un jour, il faut payer. [...] Le budget [1965] doit être équilibré ! [...] L’État doit veiller aux équilibres ; à plus forte raison, il ne doit pas lui-même mettre en danger l’équilibre par sa propre masse. [Interdire le déficit par la loi ?] Pourquoi pas ? Dans les anciens budgets, il n’y avait pas [de déficit]. Un budget de stabilité, […] il faut que ça devienne la règle. [...] Ce qui fait que, pour les jeunes, c’est-à-dire pour l’avenir, c’est énorme, c’est révolutionnaire ! » [Charles De Gaulle, cité par Alain Peyrefitte, C'était De Gaulle]

II. Contre le TSCG

L’argument sera relativement simple pour expliquer qu’il faille refuser violemment le TSCG.
Si l’idée de base semble bonne, conformément à l’argumentaire précédent, la finalité ne l’est nullement. S’il faut refuser ce traité, c’est pour une raison bien simple : il est plus que probable qu’il soit tout à fait impossible de le respecter, même avec la meilleure « volonté austéritaire » du monde. Ce n’est qu’une tentative désespérée visant à protéger l’épargne des 10 % les plus aisés, pourtant inévitablement condamnée pour des raisons purement comptables.
Comme c’est logiquement prévisible, et comme on le voit en Grèce, en Angleterre en Espagne, en Italie, au Portugal, etc., l’austérité ne marche tout simplement pas. C’est trop tard, les dettes sont trop grosses, les économies trop faibles. Il fallait le faire dans les années 1990. Là, plus d’austérité, ce sera plus de troubles sociaux, plus de récession, et donc plus de déficit, et donc plus de défiance des prêteurs, donc des taux d’intérêts plus élevés, donc plus de charge d’intérêts, donc plus de déficit au final. Game over.
Joseph Stiglitz : « Certains pensent que l’austérité est le prix à payer, un mal passager mais nécessaire. Mais non – l’austérité mène au désastre. Elle ne fait que retarder la solution des problèmes. Les économies seront plus faibles, les rentrées fiscales aussi, et le chômage sera plus élevé. […] C’est intenable. […] En fait, par les tensions qu’elle génère, l’austérité est une menace pour les démocraties. » [Joseph Stiglitz, Marianne, janvier 2011]
Certains soutiendront que cela ne sera pas grave, qu’on ne respectera pas plus le TSCG que les critères de Maastricht. Voire. On peut aussi juger criminel de donner la parole de la France au peuple allemand, sachant qu’on ne la tiendra pas. Peut-être, en effet, que cela ne sera pas grave, comme en 2002. Peut-être que cela le sera. C’est finalement comme à la roulette russe : en moyenne, on gagne 5 fois sur 6… L’Histoire devrait pourtant nous conduire à faire très attention, et à ne pas jouer avec la confiance entre les peuples.
Ceci étant, et très cyniquement, accepter le TSCG pour ne pas l’appliquer pourrait aussi se révéler être une façon d’accélérer l’inévitable moment de vérité, cruel, où la vérité se fera jour : fin de l’euro et restructuration des dettes publiques.

III. Pour une autre Europe

Plus généralement, “l’Europe” s’est bâtie sur un véritable esprit de solidarité, hérité de la fin de la guerre – ce fut le temps de la PAC et des politiques d’intervention. Mais depuis les années 1980, le virus néolibéral s’est emparé de l’Europe, et a conduit à un logique rejet de plus en fort des populations – moins aveugles que ses représentants. C’est la réalité. On peut rêver très fort dans sa tête à autre chose, mais nous en sommes là. On nous chante la proximité (mais toujours repoussée…) d’une Europe plus démocratique, plus solidaire – mais ce « lendemain fédéral qui chante » n’arrive jamais – et n’arrivera nullement dans un proche avenir. Il nous faut observer la réalité : il n’y a aucune volonté, aucun acte réel de solidarité approfondie en Europe. Aucune coopération, l’Europe de l’Organisation de Bruxelles, c’est la guerre, économique, permanente. Dumping fiscal, délocalisations, dumping fiscal, lois Hartz, etc.
Il n’y a qu’à voir la façon dont nous traitons la Grèce depuis 2 ans pour se faire une idée de l’idéal européen – nous en sommes à lui demander de travailler 6 jours sur 7 alors que c’est déjà le pays qui travaille le plus en Europe. Les Grecs ne sont pas des rats de laboratoires, des figurants pour la prochaine superproduction libérale « Retour vers les XIXe siècle ». Les aveugles eurobéats objecteront avec raison que la bien-nommée Troïka n’a pas (encore) demandé aux enfants de travailler, mais enfin, la vraie solidarité aurait quand-même consisté à abandonner d’urgence les 200 Md€ de créance que nous avons sur elle – et qu’elle ne remboursera de toute façon jamais. Pour situer, cela couterait quand même la bagatelle d’environ 15 000 € aux 10 % des ménages français les plus aisés (les 3 millions gagnant plus de 60 k€ par an). « Il n’y a qu’à le prendre » chanteront les économistes – la démocratie risque cependant d’y voir quelques difficultés pratiques. Il y a le rêve européen, et il y a la réalité.
Peter Ustinov : « Malheureusement, une surabondance de rêves se paye par une augmentation proportionnelle de cauchemars. »
Bien sûr qu’il nous faut améliorer de nombreuses choses pour bâtir une Europe qui correspondra aux attentes des peuples – démocratie, social, éducation, justice, etc. Mais il faut pour cela détruire le corset néolibéral, et on voit bien que ce n’est pas pour demain. Au moins, ne le serrons pas plus et protégeons nos populations, ce qui quand même l’objectif numéro un. À défaut, les populations se jetteront dans les bras des populistes – personne n’aimant être sacrifié…
Niant toutes les leçons économiques du XXe siècle, nous avons réussi l’exploit d’accumuler les âneries les plus incroyables depuis 30 ans, à commencer par l’euro, projet suicidaire voué à l’échec en l’absence de la solidarité et de la coopération décrite précédemment. Certains se disent pour plus de démocratie, mais on porte une utopie fédérale alors qu’un sondage montrait cette semaine que 80% des allemands n’en veulent pas. Qui les respecte ? Qui cherche une stratégie intelligente de long terme pour avancer ? « Tout tout de suite, écrasons-les » semblent être la seule stratégie – bravo…. Mais là aussi, qu’importe aux pseudo-élites la réalité, quand on est porteur du grand « idéal communistefédéraliste » ?
Il ne faut enfin pas trop rêver : nous ne bâtirons jamais “Les États-Unis d’Europe”, ou en tout cas, pas à horizon de vie humaine : trop de différences, trop d’écarts, trop d’individualisme. “L’Europe sociale” est un mythe – que pourrait-elle être sinon l’alignement sur le moins-disant à chaque fois ? Nous n’avons même pas réussi à fixer une durée maximale du travail en Europe, c’est dire…
Mais loin de l’utopie, il y a beaucoup de choses à construire en Europe, dans un cadre plus confédéral. Poursuivre l’exemple Erasmus en ayant une vraie politique éducative commune, en groupant tous les moyens affectés à la Recherche, en avançant bien plus sur une harmonisation en matière de justice et de police, de santé publique, d’environnement, etc etc. Mais de grâce, cessons de vouloir imposer une solidarité financière inacceptable, cessons de fouler aux pieds les gouvernements nationaux et les attentes populaires, ou pour le coup, “l’Europe”, cette Europe-là, l’Organisation de Bruxelles, ce sera encore plus de montée des extrêmes, du totalitarisme, avec en ligne de mire, le pêché de notre continent : la guerre, et plus seulement économique…
Nouriel Roubini : « Seul le temps dira si parier la maison {= l’Europe} pour sauver le garage {= l’euro} a été le bon choix. » [Nouriel Roubini, Project Syndicate, 15 aout 2012]

Épilogue

En paraphrasant Camus, on pourrait ainsi dire que la tâche de notre génération n’est nullement de construire une Europe fédérale. Notre tâche est peut-être plus grande encore.Elle consiste à empêcher que l’Europe ne se défasse.
John Kenneth Galbraith « Personne ne pourra imaginer qu’après des années d’une politique économique aberrante, il existe un moyen parfaitement indolore de s’en sortir. Que l’on n’exige pas de ceux qui ont mis en garde contre l’aberration passée qu’ils fournissent une solution sans faille aux conséquences néfastes du cours qui a été choisi. Et ceux qui ont encouragé l’aberration ne le feront pas davantage. L’abus économique, comme l’abus d’alcool, a son lendemain, inévitable. » [John Kenneth Galbraith, préface de 1988 à La crise économique de 1929]