vendredi 19 avril 2019

Comment l’intelligence collective peut changer votre monde, dès maintenant. Par Nafeez Ahmed. Une boîte à outils open source pour la transformation de soi et de la société

Par Nafeez Ahmed





Source : Insurge Intelligence, Nafeez Ahmed, 11-01-2019

Source : Mysticsartdesign
Donc vous voulez changer le monde. Alors, prenez un verre, asseyez-vous et attachez votre ceinture pour plonger profondément dans la dynamique de la transformation du système. Le système que vous combattez est en vous. Nous ne pouvons pas le vaincre dans le monde tant que nous ne nous serons pas recâblés nous-mêmes à partir de zéro. Ce n’est pas facile. C’est la chose la plus difficile que nous ayons jamais faite, parce qu’elle touche toutes les dimensions de notre vie et les recoins les plus profonds de notre être. Parce que nous sommes des produits du système, jusqu’à ce que nous choisissions de ne pas l’être. Mais ce choix, cette pilule rouge, est beaucoup plus difficile à avaler qu’on pourrait le croire. Il faut devenir plus que ce que nous pensons être et donner aux autres les moyens de faire de même. La trajectoire de ce document n’est pas un voyage facile, d’autant plus que je suis toujours en chemin. C’est dense, exigeant et rigoureux. Pensez-y comme à une collection de notes de campagne essayant de condenser certains des outils les plus importants que j’ai trouvés. Les concepts, les idées et le récit qui se développent ci-dessous jettent les fondements d’un cadre de connaissances, d’une façon d’être et d’une pratique qui s’inspire de tout ce que j’ai appris et développé comme journaliste, universitaire, théoricien des systèmes, entrepreneur social, stratège en organisation, responsable des communications, activiste du changement, époux, père, frère, fils, ami, ennemi et être humain qui avec quelques succès fait maintes erreurs et échoue de nombreuses fois, mais essaie de tirer des enseignements de mes erreurs et échecs. Il ne s’agit encore que d’un travail préliminaire qui, bien entendu, s’inspire largement des travaux pionniers des autres et les intègre. Il y a aussi des lacunes, et il va donc sans dire que toutes les fautes, erreurs ou omissions sont les miennes et les miennes uniquement. J’espère que cela pourra vous aider dans votre propre voyage en tant que compagnon de route sur ce vaisseau, la Terre, même si ce n’est que d’une manière minime.
Nous sommes confrontés à une convergence de crises qui s’intensifient et sont toutes liées entre elles. Jour après jour, alors que ces crises s’accélèrent, notre capacité à y répondre de manière efficace semble s’amenuiser. Non seulement nos institutions sont largement incapables de comprendre comment ces crises s’imbriquent en tant que symptômes d’une crise systémique globale plus profonde, mais elles sont de plus en plus dépassées par leurs impacts.
Nous nous trouvons au seuil d’une crise civilisationnelle – une crise de l’évolution – comme nous n’en avons jamais connue auparavant, une crise qui menace potentiellement la survie même de l’espèce humaine. Même sans cela, les pressions grandissantes sous forme de destruction de l’environnement, la prédominance de la guerre, les risques d’annihilation nucléaire, les inégalités croissantes, la xénophobie croissante, l’autoritarisme croissant, les dangers des chaînes logistiques, les marchés volatiles, les épidémies de maladies mentales, la violence armée, la violence contre les femmes représentent tous à la fois des failles dans notre modèle actuel et les possibilités de le dépasser.
Ces crises s’aggravent et s’approfondissent à toutes les échelles – mondiale, régionale, nationale, locale. Elles ont un impact sur nous de multiples façons, sur nos gouvernements, nos organisations inter-gouvernementales, nos nations, nos sociétés, nos communautés, nos cultures, nos affaires, nos entreprises, nos organismes sociaux et sans but lucratif, notre personne, notre corps, notre mental, notre cœur, notre esprit.
Nous sommes donc confrontés à un tournant de notre évolution : soit nous succombons aux catastrophes convergentes du déclin des civilisations, soit nous saisissons l’opportunité de les transcender en adaptant de nouvelles capacités et de nouveaux comportements, qui nous permettent de devenir plus que ce que nous étions.
Pour réagir efficacement, nous avons besoin d’une approche totalement différente. Ce document propose une approche systémique dérivée de mon propre travail et de mes propres expériences pour formuler une manière d’aborder ces crises à travers le prisme de l’« intelligence collective ». Il présente une nouvelle façon de voir les choses et un ensemble de processus et de pratiques qui peuvent être adoptés par toute personne ou tout groupe, que ce soit un individu, une famille, une entreprise ou une organisation. Il s’agit d’une boîte à outils concrète, écrite comme une ressource de base et une feuille de route pour tous ceux qui veulent vraiment travailler pour un monde meilleur. Si vous n’êtes pas dans cet état d’esprit, ce document n’est pas pour vous.
Bon nombre des thèmes abordés ici pourraient être expliqués et développés plus en détail – et c’est exactement ce que je ferai à l’avenir. Nombre d’entre eux peuvent être mis en œuvre de différentes manières – par des approches innovantes des plates-formes numériques, par le journalisme, par l’esprit d’entreprise, par la charité et la philanthropie, par la stratégie organisationnelle, par la lucidité, le développement personnel et au-delà. Mais le résultat est qu’ils tournent autour de la pratique humaine – à la base, c’est quelque chose que vous devez faire dans votre propre vie.
Je commence par définir un vaste modèle systémique sur la façon dont nous pouvons donner un nouveau sens au monde qui nous entoure d’une manière qui saisit la complexité de ce qui se passe. J’aborderai ensuite la façon dont ce paradigme systémique fournit des renseignements utiles sur la nature de l’intelligence et de la sagesse, et comment ces connaissances peuvent être distillées dans une nouvelle façon de cultiver l’intelligence et de traduire cette intelligence en actions transformatrices concrètes.
1 – Ce que nous sommes
Nous sommes des systèmes. Pour être plus précis, nous sommes des systèmes adaptatifs complexes.
Un système existe chaque fois que plusieurs éléments interagissent avec les autres de quelque manière que ce soit.
Un système complexe existe lorsque les relations entre ces éléments conduisent le système pris comme un tout à afficher des schémas de comportement qui sont qualitativement au-delà et qui ne peuvent être réduits aux propriétés de ses composantes.
Un système évolutif complexe existe lorsque le système dans son ensemble est capable de se restructurer, de changer – s’adapter – en changeant le comportement de ses composantes, afin de survivre.
Un organisme biologique est un système évolutif complexe. Des millions d’années d’évolution ont eu lieu parce que des systèmes vivants complexes ont pu s’adapter à leur environnement. L’une des façons d’y parvenir est de traiter l’information provenant de leur environnement et de la traduire par des mutations génétiques. Les organismes qui l’ont fait avec succès avaient les meilleures chances de s’adapter à leur environnement et de survivre. La survie et l’évolution de l’espèce humaine – de la civilisation humaine – est, bien entendu, plus qu’un simple cas de production d’un ensemble approprié de mutations génétiques. C’est parce que nous faisons des choix sur la façon dont nous organisons nos sociétés.
Lorsqu’un système évolutif complexe est particulièrement mis à l’épreuve par ses conditions environnementales, il entre dans une phase de crise. La crise remet en question les structures existantes, les relations existantes et les modèles de comportement dans un système.
Si la crise s’intensifie, elle peut atteindre un seuil qui peut miner l’intégrité de l’ensemble du système. En fin de compte, soit le système s’adapte en se restructurant, ce qui conduit à un « changement de phase » vers un nouveau système, un nouvel équilibre stable, soit il régresse.
L’une des choses importantes que nous faisons en tant qu’organismes vivants est d’extraire l’énergie de notre environnement, qui est ensuite traitée pour alimenter notre activité. Nous nous distinguons nettement de la plupart des autres organismes biologiques grâce à notre intelligence, nous sommes capables d’interagir avec notre environnement d’une manière tout à fait unique. Cela implique de manipuler des choses dans notre environnement pour développer de nouveaux outils qui permettent d’extraire et d’exploiter plus efficacement l’énergie pour développer diverses structures et activités qui répondent à nos besoins et désirs.
Une caractéristique importante de la civilisation humaine est que sa croissance a été rendue possible par cette capacité d’extraire des quantités croissantes d’énergie excédentaire – énergie qui n’est pas nécessaire pour extraire l’énergie elle-même, mais qui peut donc être utilisée pour d’autres usages.
Nous sommes des organismes biologiques qui, simultanément, coexistent avec des expériences psychologiques, sociales et spirituelles – c’est-à-dire, portant des vies mentales, des pensées et des souvenirs dans un contexte social où nous prenons des décisions et portons des jugements basés sur notre interprétation des « valeurs » de « bien » et de « mal », de « bon » et de « mauvais ».
Nous sommes aussi intégralement interconnectés les uns avec les autres et avec d’autres espèces à travers un réseau complexe de vie qui comprend, dans son intégralité, le système terrestre – ou, s’inspirant du chimiste James Lovelock, Gaia, un étonnant système naturel d’autorégulation qui est finement réglé pour le maintien de la vie telle qu’on la connaît.
En allant plus loin, nous savons aussi qu’au niveau des particules fondamentales, nous et l’univers tout entier sommes (méta ?) physiquement interconnectés dans l’espace-temps par une intrication quantique d’une manière que nous ne comprenons pas encore totalement ; et que l’acte d’observation et de mesure joue un rôle fondamental dans la manifestation de ce qui est réel. Bref, il y a déjà eu un changement de paradigme dans notre compréhension scientifique du monde, mais relativement peu en sont conscients, et encore moins en ont exploré les ramifications.
La biologie évolutive et les cycles de vie de multiples civilisations humaines à travers l’histoire nous enseignent qu’au cœur de la capacité de survie se trouve une capacité fondamentale : la capacité d’évoluer sur la base d’une appréhension précise de l’environnement.
Bien que nous ayons de nombreux désaccords sur la composante comportementale des valeurs morales, nous sommes généralement incapables d’agir sans y faire référence d’une manière ou d’une autre. Nous avons tendance à prendre des décisions basées sur ce que nous considérons comme étant « juste » ou « bon ».
Il est maintenant clair, cependant, que les catégories comportementales morales dominantes associées au paradigme dominant de l’organisation sociale sont dysfonctionnelles. Elles reflètent en fait des modèles de comportement qui contribuent directement non seulement à la déstabilisation et à la destruction de la civilisation, ainsi qu’à l’extinction de multiples espèces, mais potentiellement à l’anéantissement même de l’espèce humaine.
Si nous prenons une valeur morale ou éthique pour représentative d’un mode ou d’un modèle de comportement particulier, nous pouvons conclure de notre situation civilisationnelle actuelle que le système de valeurs prédominant fondé sur l’auto-maximisation par accumulation matérielle sans fin est fondamentalement défectueux, en décalage avec la réalité et objectivement contre-productif. Inversement, les valeurs que l’on pourrait associer à des comportements de plus grande collaboration et de plus grande coopération qui semblent reconnaître les êtres vivants comme interconnectés, comme l’amour, la générosité et la compassion (impliquant des modèles comportementaux dans lesquels la maximisation de soi et le souci du tout sont considérés comme complémentaires plutôt que conflictuels), auraient une fonction évolutionnaire objective pour l’espèce humaine.
Cela nous donne une idée de la façon dont de meilleurs modèles de comportement sembleraient s’aligner sur les valeurs éthiques. Plus précisément, cependant, la clé de l’adaptation évolutive par le biais de nouveaux modèles comportementaux plus éthiques est l’accès à l’information sur notre environnement avec des ramifications directes pour notre comportement.
Les adaptations évolutives se produisent sur la base de nouveaux comportements et capacités qui émergent de nouvelles mutations génétiques. Les mutations génétiques sont porteuses de nouvelles informations extrêmement complexes. Mais elles ne peuvent produire les informations les plus utiles pour les adaptations que si elles reflètent les défis qui émergent dans l’environnement naturel et s’y adaptent.
Un organisme qui ne parvient pas à convertir de façon cohérente des informations complexes sur son environnement en adaptations physiques appropriées ne peut pas évoluer en fonction des circonstances et sera donc incapable de survivre à mesure que la pression augmente.
Le premier enseignement que nous pouvons en tirer est qu’une évolution réussie ne peut se produire sans le traitement d’informations précises à partir et sur la relation d’une personne avec son environnement naturel.
Cela a des implications particulièrement profondes lorsqu’on l’applique aux êtres humains.
L’espèce humaine est la seule sur la planète capable d’adopter consciemment des modes et des modèles de comportement entièrement différents basés sur notre compréhension de nous-mêmes et du monde naturel. Cette capacité consciente, que nous pourrions considérer comme une caractéristique essentielle de l’intelligence humaine, a permis aux êtres humains de développer un large éventail d’outils qui extraient et emploient l’énergie excédentaire pour exercer rapidement une domination croissante sur le monde naturel au fil des siècles, pour aboutir au système civilisationnel qui existe aujourd’hui.
Ce qui conduit à son tour à la conclusion suivante : l’objectif de l’adaptation comportementale exige que nous demeurions ouverts à de nouvelles informations pertinentes – des informations utiles à notre évolution, qui peuvent nous accompagner dans nos processus d’adaptations et nous aider à éviter les catastrophes qui compromettent notre évolution.
Tout comme chaque être humain est un système adaptatif complexe à une échelle microscopique, les différents collectifs de l’espèce humaine, qu’il s’agisse de groupes, d’institutions ou d’organisations, sont des systèmes adaptatifs complexes plus vastes, qui fonctionnent tous comme des sous-systèmes du système adaptatif macro complexe qui est la civilisation humaine mondiale dans son ensemble.
Il existe donc une interconnexion indélébile entre chaque être humain et le système mondial plus large dont il est une partie. Les macrostructures du système civilisationnel mondial émergent des modèles de comportement qui se produisent aux échelles sous-systémique (régionale et nationale) et micro (individuelle). À leur tour, ces macrostructures contraignent et configurent ces modèles.
Dans un sens très réel, ce qui se passe dans le monde « là-bas » n’est donc pas entièrement séparé et distinct de ce qui se passe « ici » chez l’individu. Dans une certaine mesure, ce qui se passe « dehors », aussi éloigné ou odieux que cela puisse paraître, est susceptible de refléter les processus que les individus vivent en eux-mêmes et dans leur propre vie, et vice versa. Les incohérences au niveau mondial sont susceptibles de trouver leurs pendants aux niveaux régional, national et individuel.
Quand nous voyons une incohérence dans le monde, il se peut bien qu’elle reflète ou réfracte d’une certaine manière nos propres incohérences – peu importe à quel point nous pouvons apparemment ne pas les aimer ou y être opposés.
2 – Intelligence et prise de décision
Pour survivre et prospérer, les êtres humains doivent être capables de s’adapter aux changements environnementaux. Dans la civilisation mondiale complexe d’aujourd’hui ; s’adapter aux changements environnementaux implique l’adaptation d’un large éventail de processus sociaux, économiques, politiques et culturels, qui s’inscrivent tous dans un contexte plus profond de systèmes énergétiques et environnementaux.
Cela exige en outre que nous développions des capacités analytiques et empathiques pour traiter l’information de manière à pouvoir distinguer l’information inexacte, inutile, dysfonctionnelle et inadaptée de l’information exacte, utile, fonctionnelle et adaptée.
Bref, il est impossible de prendre des décisions judicieuses et saines sans être en mesure de traiter l’information qui se rapporte à ces décisions.
La leçon clé est qu’une information complète, exacte et holistique est essentielle pour tout individu, organisation ou société afin de s’adapter à son environnement changeant, de survivre et de s’épanouir. La fonction de l’intelligence ici est claire : la sagesse – s’engager dans son environnement dans toute sa complexité stupéfiante ; permettre la prise de décision qui sous-tend les adaptations comportementales à cet environnement.
2.1 Le modèle cognitivo-comportemental dominant : les boucles fermées
Dans le contexte de la civilisation industrielle moderne du XXIe siècle, le volume de données produites et partagées a considérablement augmenté, mais peu de ces données se traduisent par des connaissances pertinentes, utiles et exploitables au sujet du monde.
L’incapacité à traiter cette avalanche d’informations complexes pour en tirer des perspectives sur le monde avec des implications claires pour l’action est potentiellement fatale, car cela signifie que la capacité d’adaptation aux conditions du monde réel est extrêmement réduite.
Au XXe siècle, les flux d’information étaient beaucoup plus centralisés, largement dominés par les médias et les conglomérats d’édition. Les flux d’information étaient principalement pyramidaux [du sommet vers la base, NdT] et hiérarchiques. Alors que les normes de qualité étaient souvent plus rigoureuses, bien définies et appliquées de manière cohérente, l’information était souvent biaisée par le fait qu’elle était créée de manière indélébile par les structures dominantes du pouvoir.
Dans le modèle du XXIe siècle qui a émergé à l’ère du Big Data et des plates-formes sociales, les règles du jeu de l’information se sont transformées. Bien qu’il existe encore des supports centralisés pour la production de l’information, leur portée s’affaiblit. Simultanément, de nouveaux mécanismes décentralisés de production et de diffusion de l’information sont devenus omniprésents. Bien que décentralisées dans leur portée, ces plates-formes sont également soumises à des cercles de pouvoir concentriques fortement liés.
Submergés par les biais cognitifs, les humains ont tendance à s’orienter vers des flux d’information qui confirment leurs croyances et leurs pratiques existantes. Par conséquent, les flux d’information sont devenus de plus en plus polarisés à mesure que des communautés se forment, créant différentes bulles d’opinions idéologiques qui se renforcent mutuellement, et il n’existe aucun mécanisme pour intégrer les connaissances entre ces différents sous-ensembles idéologiques.
Cela a créé des bulles d’idéologie polarisée, sapant toute capacité d’intelligence collective. Nous aimons souvent penser que nous sommes au-delà de ces limites, mais c’est une illusion. Éviter les contraintes des biais idéologiques est une pratique qui exige une vigilance constante et une approche stratégique de l’information.
Il est de plus en plus largement admis que le modèle d’information dominant entretient ces boucles fermées d’informations qui sont souvent mutuellement exclusives. Cela entrave en fait la capacité de recevoir de nouvelles informations.
D’importants volumes d’informations finissent par être traités au sein de boucles fermées préexistantes, renforçant ainsi les mêmes préjugés et idées préconçues de longue date. En l’absence de nouvelles informations, la capacité de comprendre la complexité réelle du système mondial dans son ensemble s’évapore en grande partie.
La plupart des médias ne comprennent pas vraiment le monde parce qu’ils le voient à travers un ensemble spécifique de lentilles, de préjugés ou de perspectives. En tant que telles, les informations qu’ils produisent sont soit fragmentées, déroutantes et accablantes, soit elles sont passées au crible sous l’angle d’un cadre idéologique qui préfigure constamment la perspective dans la même série de croyances et de valeurs.
Il y a, par conséquent, une capacité réduite à saisir comment des événements ou des incidents particuliers peuvent avoir des répercussions indélébiles sur d’autres questions ; comment ils émergent de forces et de tendances plus profondes ; et comment ils sont susceptibles d’avoir une incidence en termes de nouvelles forces et tendances.
En fin de compte, plutôt que de donner aux personnes, aux organisations, aux entreprises ou aux gouvernements les moyens d’agir de manière productive dans le monde, le modèle d’information dominant tend à les submerger de deux états cognitifs seulement : la désorientation complète ou le biais idéologique.
Souvent, l’état cognitif passe d’un mode à l’autre, se renforçant de lui-même. La désorientation s’accompagne d’une dépendance à l’égard d’anciens liens idéologiques confortables, liés à des réactions comportementales familières. En cas d’échec, la désorientation s’installe de nouveau, jusqu’à ce que les attaches puissent être remontées à la surface ou reconstruites en n’en changeant que l’emballage.
Les consommateurs n’ont souvent pas d’autre choix que de réagir à court terme aux stimuli de l’information encadrés par une idéologie ou une opinion étroite. Les décideurs politiques, les chefs d’entreprise, les citoyens et les militants du changement sont donc toujours en retard, toujours en train de réagir, toujours en train de lutter pour rattraper leur retard, toujours derrière la courbe.
En lisant ceci, vous pourriez être tenté de vous concentrer sur la façon dont ces dynamiques négatives se manifestent dans les organisations, les agences consultatives, les partis politiques, les gouvernements, les organisations à but non lucratif et les entreprises qui vous semblent problématiques. Mais même si c’est important, c’est également facile. Tout d’abord, et c’est le plus impactant, il faut discerner la manière dont ces dynamiques se déroulent dans les organisations, les réseaux et les groupes que vous soutenez ou auxquels vous êtes affilié.
Si vous le faites correctement, vous commencerez à voir comment non seulement ceux que vous soutenez, mais aussi vous-même, s’engagent dans des pratiques et des modèles de comportement qui renforcent les boucles d’information fermées.
En retour, vous serez en mesure de constater que ce sont ces boucles d’information fermées qui sont responsables de comportement négatifs et autodestructeurs qui ne changent pas et qu’il est impossible de changer.
Ces boucles d’information fermées et ces modèles comportementaux fixes font partie de la même matrice de dysfonctionnement – que ce soit dans votre esprit, votre famille, votre communauté, votre entreprise ou votre société.
3 – Le modèle évolutif : des nœuds ouverts d’engagement
Ceux d’entre nous qui s’engagent à donner le meilleur d’eux-mêmes, à l’espèce humaine et à toutes les espèces de la terre qui survivent et prospèrent ensemble, doivent explorer différentes approches.
Ces approches, pour réussir, devront comporter les caractéristiques suivantes.
3.1 Faire la distinction entre ce qui est connu et ce qui ne l’est pas
Nous avons besoin dès le départ d’un système rigoureux qui fait sens, conçu pour distinguer les faits du mensonge. Cela exige de fonder tous nos efforts de création de sens de manière tout à fait consciente dans un système logique axiomatique, en toute conscience. Il n’est pas nécessaire que ce soit un processus explicite et visible, bien que cela puisse être utile, mais il faut qu’il soit systématique.
Un système logique axiomatique implique l’application d’une méthode logico-déductive pour tester nos propres hypothèses et croyances par rapport à nos expériences du monde. Pour ce faire, il faut établir clairement quels sont nos points de données entrants, tant à l’interne qu’à l’externe, afin de déterminer la base factuelle et les hypothèses qui sous-tendent nos croyances. Derrière chaque argument ou position que nous défendons, il y a les hypothèses que nous faisons. En les faisant remonter à la surface, nous exigeons de nous-mêmes de faire de notre mieux pour valider ces hypothèses dans des données réelles, afin que ces hypothèses soient soit irréfutablement vraies dans un sens logique soit validées empiriquement ; et si nous ne pouvons pas les valider, alors nous sommes en mesure de le reconnaître et de réagir en conséquence. Idéalement, nous voulons en arriver à un point où nos hypothèses de base sur le monde sont irréfutablement vraies d’un point de vue logique ou validées empiriquement.
Dans le passé, nous avons trouvé utile d’appeler ces points de données « axiomes » (s’inspirant des travaux des premiers mathématiciens grecs) ; d’appeler les nouvelles informations qui émergent de l’analyse de ces axiomes « connaissances » ; puis d’utiliser ces connaissances pour définir les possibilités « d’actions ».
En bref, cette structure tripartite cherche à identifier ce que nous savons vraiment, à le séparer de ce que nous ne savons pas ou réalisons comme étant faux ; à tirer parti de ces connaissances dans l’ensemble du « système des systèmes » pour développer de nouvelles perspectives dans le système ; et à tirer parti de ces nouvelles perspectives – nouvelles connaissances – pour développer un nouveau cadre pour accompagner des décisions éclairées en vue d’actions visant à une adaptation au monde.
Dans le même ordre d’idées, nous voulons nous assurer de développer de nouvelles informations sur le monde sur la base d’une analyse systémique et holistique de ces axiomes. Cela exige une approche qui cherche à éviter les erreurs cognitives courantes, telles que les généralisations, les fausses inférences, les analogies injustifiées et autres erreurs souvent associées aux biais cognitifs. Dans la mesure du possible, nous voudrons nous assurer que nos nouvelles idées sur le monde sont formulées de manière à ce qu’elles correspondent le plus possible aux points des données axiomatiques que nous recueillons.
Une théorie ou une inférence est-elle réellement étayée par des données empiriques ?
Les données étayent-elles spécifiquement et entièrement l’inférence ou seulement partiellement ?
Y a-t-il des spéculations et des hypothèses supplémentaires dans le cheminement de l’inférence, des hypothèses qui ne sont pas entièrement fondées sur les données disponibles ?
L’inférence est-elle vraiment cohérente ou contient-elle des contradictions et des tensions?
Est-elle cohérente avec d’autres domaines du savoir ?
Lorsque nos croyances ne peuvent plus être directement dérivées de nos axiomes, alors elles ont cessé d’être des idées et sont devenues de l’idéologie. Dans ce cas, nous devons nous demander d’où viennent exactement ces idées et pourquoi nous insistons pour y croire.
3.2 Un écosystème de connaissances partagées
Une autre chose dont nous avons besoin dès le départ, c’est d’un nouveau cadre d’analyse de la réalité – quelle qu’elle soit de notre point de vue – à travers un cadre systémique complexe explicitement conçu pour s’engager dans la réalité du monde en tant que « système de systèmes ».
Un système logique axiomatique sera de peu d’utilité s’il est appliqué dans un contexte d’information fermé – dans ce cas, il ne serait même pas ouvert à de nouvelles informations, de véritables données nouvelles en dehors du périmètre de sa propre boucle de connaissances, et même si ces données arrivaient, elles seraient simplement auto-sélectionnées comme étant pertinentes. Un nœud ouvert d’information exige, de par sa nature même, une lentille multidisciplinaire qui peut diriger l’information à l’extérieur de la zone de confort de sa propre « expertise » ou de son approche disciplinaire.
Ainsi notre premier objectif est de développer nos capacités cognitives pour commencer à percevoir le monde comme un système complexe de systèmes ouverts et interconnectés. Ce cadre met en évidence les interconnexions systémiques inhérentes entre et à travers de multiples domaines sociaux, économiques, politiques, psychologiques, culturels, énergétiques, écologiques, technologiques, industriels et autres, ainsi qu’entre les principaux problèmes et défis et les parties prenantes.
Cela exige un effort de mise à niveau pour renforcer nos capacités cognitives dans nos propres contextes. D’abord et avant tout, cela signifie que nous devons nous former en tant qu’individus. D’autre part, il s’agit d’examiner comment cela peut être réalisé dans le contexte organisationnel des institutions dans lesquelles nous travaillons et intervenons.
L’élaboration d’une objectif multidisciplinaire pour voir le monde comme un « système de systèmes » aura inévitablement des limites au niveau individuel et exigera donc un engagement constant avec une expertise intersectorielle des disciplines. Elle exige également des cadres holistiques capables d’assurer un engagement intersectoriel efficace, en s’appuyant sur une compréhension empirique validée des systèmes du monde réel.
L’objectif suivant est de faire exactement le contraire de ce que nous faisons dans des boucles fermées d’information. Les boucles fermées d’information sont renforcées par les comportements actifs des individus qui choisissent eux-mêmes l’information en fonction de leurs partis-pris pré-établis. Cela tend à renforcer les récits polarisés. Cela renforce également les boucles d’information internes fermées qui maintiennent des croyances et des valeurs préférées et familières, bloque la capacité d’accepter et de traiter de nouvelles idées sur le monde et enferme l’individu dans un cycle de schémas comportementaux dysfonctionnels auxquels il ne peut échapper.
L’approche inverse consisterait à exploiter et à intégrer des points de vue multiples et dissonants pour explorer des flux d’information disparates et souvent déroutants sur des questions particulières, en tant que mécanisme central. Au lieu d’éviter, de contester, de dénigrer et d’excommunier des points de vue contraires, cette approche exige de retenir ces points de vue pour tirer parti de leurs enseignements respectifs.
Cette approche repose sur un axiome fondamental : que notre point de vue, peu importe à quel point nous pensons qu’il est « juste », est en fin de compte faillible, limité et dérivé d’un ensemble limité de données. Peu importe tout ce que nous faisons pour corriger cette situation, notre perspective sera toujours limitée. Cela signifie qu’à tout moment, notre perspective sera toujours exactement la même : une vision du monde, et non une image vraie, complète et exacte. Pour corriger cette situation, il faut une approche stratégique continue de l’information qui s’appuie sur un modèle de fonctionnement intégrant de multiples approches contradictoires.
Par conséquent, nous devons intégrer un processus – que ce soit en tant qu’individus ou en tant qu’organisations – pour faire face aux dissonances entre des points de vue opposés. De vraies idées ne peuvent être développées qu’en appliquant un système logique axiomatique pour discerner les faits de l’imposture d’une manière qui doit être cohérente sous tous ses angles.
Dans le modèle d’aujourd’hui, il est devenu une tendance dominante pour les gens qui se situent à l’intérieur de boucles fermées d’information particulières, que ce soit « à gauche », « à droite », « au centre » ou quoi que ce soit d’autre, de ne crier qu’au mensonge contre d’autres boucles fermées d’information qui s’opposent à la leur propre. Dans ce cas, il est même souvent considéré comme déloyal d’invoquer le mensonge ou le manque d’intégrité parmi les producteurs d’information auxquels on est attaché. C’est le symptôme d’un profond déclin civilisationnel de notre capacité collective en matière d’intégrité de l’information.
Cette approche garantit que les échecs et les failles de son propre cadre idéologique seront systématiquement ignorés et sous-estimés. Il s’agit avant tout d’une stratégie d’effondrement cognitif interne dont le résultat inévitable sera une dislocation croissante du système complexe des systèmes qu’est le monde réel. Elle représentera simultanément un déclin moral de la plus haute importance, dans lequel l’obsession des torts de « l’Autre » devient un substitut commode à l’obligation de rendre compte de ses propres pratiques cognitives et partis-pris en examinant l’intégrité de sa propre boucle fermée d’information.
Une autre approche, et la seule qui peut maintenir la possibilité d’une évolution adaptative tout en évitant l’effondrement cognitif et moral, est un nœud ouvert de contrat informationnel qui cultive spécifiquement une ouverture authentique à d’autres boucles d’information qui donnent un sens, y compris celles avec lesquelles elle est fondamentalement en désaccord. Cette ouverture n’est pas inconditionnelle. Elle ne peut conserver l’authenticité épistémologique qu’en exerçant un système de logique axiomatique qui permet d’accéder à des connaissances valables provenant d’autres boucles d’information tout en rejetant leurs défauts, leurs échecs et leurs incohérences. De même, cette ouverture doit être capable de tirer parti des connaissances externes pour éliminer les défauts, les échecs et les incohérences dans son propre cadre.
Ainsi, au lieu de boucles d’information fermées, polarisées et s’excluant mutuellement qui servent des préjugés préexistants qui se renforcent mutuellement, nous cultivons des nœuds ouverts et croisés d’engagement humble, critique et réfléchi dans lesquels l’information nouvelle peut provenir de perspectives multiples et être destinée à tous les points de vue.
3.3 Trouver sa force dans l’ici et maintenant
Cela permet un engagement profond et riche en contexte dans de multiples disciplines, sur de multiples questions en reliant des points. Cet effort cherche à naviguer, à l’aide d’une approche axiomatique, dans tout le paysage des données et de l’expérience disponibles pour développer tout un ensemble de connaissances systémiques qui peuvent être comprises dans leur contexte systémique plus large, plutôt que simplement comme des questions ou incidents disparates ou désordonnés.
Le corpus de connaissances qui en résulte est donc constitué de multiples points de vue, avec différents regards générés par différents nœuds ouverts d’information et d’élaboration de sens. L’ensemble de ces connaissances à travers de multiples nœuds et perspectives peut ensuite être exploité pour soutenir le développement de l’intelligence collective de systèmes entiers, renforçant la capacité à prendre des décisions saines et à agir avec cohérence dans le monde qui favorise des comportements d’adaptation et d’évolution.
L’impératif est d’identifier des points focaux où des actions pertinentes peuvent être entreprises – pour travailler sur les domaines où nous conservons le pouvoir, plutôt que de nous plaindre des domaines où nous manquons de pouvoir. En tirant parti des connaissances pour créer le changement ici et maintenant, dans nos propres corps, esprits, contextes et communautés, nous trouvons notre véritable pouvoir.
4 – Les dynamiques éthique et spirituelle de l’intelligence collective
L’examen de ces approches divergentes en cognition comportementale que sont les boucles fermées et les boucles ouvertes met au jour une série d’observations importantes. Nous pouvons résumer celles-ci à quelques observations éthiques clés, en prenant en compte le fait que les valeurs éthiques sont les signifiants de schémas comportementaux favorables ou défavorables, et que ces derniers seraient le reflet de notre orientation spirituelle.
4.1 De l’intérieur vers l’extérieur
Dans un premier temps il faut nous rappeler que les incohérences à grande échelle émergent en définitive des incohérences à petite échelle. Ainsi, quand nous voyons les malheurs qui touchent le monde et nous scandalisent – des formes de profondes incohérences qui provoquent une grande souffrance chez d’autres êtres vivants – ces incohérences ne sont pas simplement des horreurs détachées de nous.
La faille cognitive majeure consiste à voir ces incohérences comme ne faisant absolument pas partie de nous. Bien que, dans une certaine mesure, cela soit le cas, elles représentent aussi des tendances et des traits profondément ancrés de nos propres comportements. Et bien qu’il soit important d’affronter ces incohérences et de tenter de les modifier, faire cela sans simultanément prendre soin de régler nos incohérences personnelles, qui sont probablement présentes dans nos vies dans des contextes interpersonnels et sociaux très différents, ne produirait à la fin du compte aucun changement réel.
4.2 La force dans l’humilité
La seconde observation concerne la nécessité de l’humilité. En reconnaissant que l’ être humain est profondément faillible avec des limitations intellectuelles fondamentales, nous acceptons et embrassons le fait selon lequel nous disposons toujours d’un point de vue particulier de la réalité, peu importe qu’il soit juste en lui-même elle ne constitue jamais « la vérité ». Il nous faut alors résister à la tentation de l’orgueil de vouloir défendre nos propres convictions. Orgueil et certitude renforcent les circuits fermés d’informations en partant du principe que nous sommes familiarisés avec « l’entière vérité » et n’avons plus besoin de rechercher ou de découvrir des sources d’informations qui nous seraient peu familières.
En adoptant une humilité implacable, nous devenons plus ouvert à l’égard de l’inconnu et recherchons ce qui pourrait peut-être nous mettre mal à l’aise.
Ainsi plutôt que de nous isoler dans un cocon d’idées qui nous sont confortables et familières, nous cherchons constamment à nous mettre au défi, à vérifier nos hypothèses et nos points de repères.
Et au lieu de chercher à vérifier ou réfuter les opinions des autres, notre priorité est d’apprendre de leurs opinions et de nous débarrasser des oripeaux de nos préjugés.
Si nous n’adoptons pas cette humilité implacable, alors nous ne sommes pas vraiment intéressés par ce qui est réel. Nous nous attachons au lieu de cela à « avoir raison ». Ceci s’apparente en fait à une sorte d’égoïsme anxieux, qui nous garantit, finalement, d’être déconnecté du réel.
4.3 La vraie bataille
Une troisième observation est le fait que les circuits d’information fermés qui se développent à travers le monde, telles des métastases, reflète de près la neurophysiologie interne de l’individu. Ces circuits fermés sont en fait des prolongements collectifs de nos propres schémas de pensées, de communications et de comportements de groupe. Et en tant que tel, nous les retrouvons profondément ancrés dans les processus cognitifs internes qui nous paraissent souvent évidents et que nous remettons rarement en question (peu importe que nous soyons capables ou pas d’examiner les incohérences des puissantes structures présentes dans le monde).
Le parallèle le plus immédiat est cette voix intérieure à laquelle nous nous identifions, le « je », ce flot intérieur sans fin de nos pensées. Oui, cette voix intérieure que nous appelons « moi » et qui ne s’arrête jamais de parler, de commenter, de sentir, de juger, de réagir et ainsi de suite.
Efforcez-vous de vous placer dans un état de pleine conscience l’espace d’un instant, regardez et écoutez votre voix intérieure pendant un moment et vous remarquerez que le flot infini de la pensée ne s’arrête jamais, tel une machine incessante ou un « lapin Duracell » fou sous stéroïdes. Il ne s’arrête ni ne se tait. Quand vous essayez de l’arrêter, de le pousser à se concentrer, de le diriger, il serpente autour des obstacles et trouve un moyen de refaire surface et de reprendre sa dynamique interne.
Bienvenue dans votre boucle fermée d’information intérieure.
Ce flot de la pensée et de l’émotion, auquel nous avons l’habitude de nous identifier, ce n’est pas « vous » – c’est bien sûr une partie de vous, mais le fait que vous ayez conscience de ce flot d’une manière qui vous permet dans une certaine mesure de vous en distancier et d’en avoir une certaine maîtrise démontre que vous, votre conscience, votre capacité de discernement, constituent bien plus que la somme de vos pensées et de vos ressentis.
Quoi qu’il en soit, cette boucle fermée intérieure est le résultat neurophysiologique d’une combinaison de facteurs : votre héritage génétique, le vécu de votre mère lorsque vous étiez dans son utérus, les stimuli de votre cadre social et de votre cadre de vie depuis la naissance, l’éducation reçue durant votre enfance, les relations avec vos parents, vos frères et sœurs, votre famille en général, puis plus tard avec vos professeurs et vos amis, et les expériences variées de la vie au cours de toutes ces phases.
Dans une grande mesure, la manière avec laquelle nous nous comportons ou nous réagissons dans nos rapports aux autres, en tant qu’adulte, est le produit de schémas comportementaux appris, qui se sont développés ainsi. Ces schémas sont des habitudes ancrées. Ils trouvent à leur tour leurs racines dans des structures de la pensée et de l’émotion, qui se sont construites sur nos premières réactions aux stimuli de notre cadre social et de notre cadre de vie. Et ainsi, la manière dont nous établissons des rapports avec nos parents et notre fratrie contribue à créer des cadres inconscients de croyances et d’émotion sur ce que nous sommes et sur le monde, cadres qui définissent notre comportement pour des années à venir, si ce n’est pas jusqu’à la fin de notre vie.
L’anxiété et les inquiétudes vécus dès le plus jeune âge, détermineront nos comportements au travail, dans nos relations ou dans des situations sociales pendant des années – ce que quelqu’un peut dire aujourd’hui passe par le filtre d’un enfant qui aura vécu une forme de traumatisme ou de négativité. Même si la situation d’aujourd’hui est complètement différente, nous finissons par extraire du passé ce traumatisme ou cette négativité.
En bref, nous passons une grande partie de notre vie dans des boucles fermées d’informations, d’émotions et d’actions, qui sont dysfonctionnelles, et desquelles nous ne pouvons nous échapper. C’est souvent parce que nous avons rarement conscience de ce que nos réactions ne sont pas nécessairement rationnelles, mais sont déclenchées par d’anciennes boucles fermées de pensées et de comportements.
(L’une des caractéristiques des boucles fermées d’information extérieures que nous avons vu précédemment, est la tendance que nous avons à voir très facilement les failles dans les boucles d’information autres que la notre, tout en refusant d’exposer notre propre boucle à un tel examen. Une chose que nous faisons systématiquement.)
Cet ensemble d’activité mentale, que j’appelle parfois « trains de pensées », a tendance à fonctionner selon une volonté tenace qui lui est propre. Ces trains de pensées sont propulsés en suivant leur propre logique, ils se projettent en avant sans jamais s’arrêter. Lorsque nous nous identifions à ces trains de pensées , nous n’avons plus le contrôle. De fait, nous devenons les esclaves de notre propre système neurophysiologique, les marionnettes de notre propre histoire, des automates dont les actions révèlent les mêmes schémas et boucles comportementaux se répétant perpétuellement. En fait, nous sommes tels des zombies prisonniers d’une séquence connue d’actions et de réactions.
4.4 Comment sortir des boucles fermées d’informations
L’ensemble des trains de pensées a été largement étudié par les traditions spirituelles et religieuses ainsi que par les théories de la psychologie et de la psychanalyse. Il est parfois décrit comme une structure complexe – Freud l’envisageait comme une entité tripartite composée du ça (les pulsions inconscientes), du surmoi (la conscience morale) et du moi, lequel fait office de médiateur entre les deux premiers, et auquel nous nous identifions.
Ces concepts sont, dans une certaine mesure, légitimes, cependant, une approche plus judicieuse serait de reconnaître que cet ensemble de trains de pensées se trouve à la croisée des chemins entre le moi, cette conscience que nous définissons comme le « je », et la voix intérieure qui se manifeste sous la forme de l’enchaînement continu du fil de la pensée couplé aux émotions. Nous sommes conscients des « trains de pensées », auxquels généralement nous nous identifions, et nous considérons qu’ils sont une représentation du « je », sans comprendre, en général, leurs causes profondes.
A cet égard, l’idée géniale de Freud résidait dans le fait que nous contribuons peu à l’élaboration des « trains de pensées » – ceux-ci se développent continuellement, répondant aux stimuli extérieurs sur la base d’une programmation codée en dur, résultat d’années d’exposition aux stimuli environnementaux, sociaux et génétiques.
Ce n’est que lorsque nous commençons à porter une partie de cette programmation à l’attention de notre conscience et que nous nous permettons d’examiner comment nos « trains de pensées » sont inconsciemment entraînés, que nous sommes en mesure de nous libérer de nos anciennes boucles fermées d’informations et de comportements, et de choisir vraiment de nouvelles manières d’agir, qui ne seraient pas déterminées par le carcan des comportements acquis, des peurs, des cycles de pensées négatives et des dysfonctionnements cognitifs fixés en nous à travers nos expériences passées.
Pour Freud, la conscience morale du surmoi chez l’individu était simplement composée de notions apprises à travers sa socialisation. Selon lui, le moi finit par servir de point d’inflexion et de champ de bataille entre les pulsions inconscientes (le ça) qui propulsent un faisceau intriqué de trains de pensées (le moi) et les impératifs moraux de la société (réfracté par le surmoi).
4.5 La conscience et la connaissance intuitive du réel
Freud n’avait cependant pas totalement raison. Bien que les interprétations des catégories et les préceptes moraux soient certainement le résultat de la socialisation de l’humain, les catégories en elles-mêmes, la notion de bien et de mal, la justice, la compassion, la générosité etc, sont universellement reconnues par tous les êtres humains tout au long de l’histoire de l’humanité, dans toutes les cultures, toutes les religions et chez les athées.
Nous nous trouvons en face de preuves empiriques irréfutables, qui confirment que la conscience morale – et les valeurs de coopération, d’amour, de gentillesse, etc, qu’elle recouvre – reflète des modèles de comportements collaboratifs et synchronisés, qui à leur tour impliquent l’existence d’un paradigme d’unité et de responsabilité humaine à l’égard de la planète, en contradiction avec le paradigme dominant.
Ce dernier est constitué de modèles comportementaux, de structures associées de type politique, économique et culturel et d’un système de valeur et d’hypothèses idéologiques coextensifs, qui participe de l’auto-maximalisation individuelle à travers l’accumulation matérialiste sans fin et la gratification. Si la trajectoire ultime d’un statut quo du paradigme dominant se trouve dans l’effondrement et l’extinction de la civilisation, le paradigme d’une unité et responsabilité humaine, quant à lui, représente la seule manière d’éviter une telle fin.
Ceci indique que les actions d’ordre éthique ont bel et bien une fonction évolutionniste objective coextensive à la survie de l’espèce humaine. Les valeurs éthiques ne sont donc pas uniquement des produits de la socialisation de l’humain.
Elles sont le reflet d’une structure ontologique plus profonde qui englobe les rapports entre les êtres humains et la nature.
Ce que Freud appelait le surmoi n’est en fait que le moi profond de l’esprit de l’humain, qui est lui-même intrinsèquement et intuitivement conscient de sa relation directe avec la terre, le vivant, la vie elle-même et le cosmos, connaissance partiellement induite par la fonction latente de l’état de conscience aussi appelé conscience, la faculté d’appréhender les valeurs éthiques.
Lorsque nous nous autorisons à voir nos trains de pensées pour ce qu’ils sont vraiment, nous découvrons leurs éléments moteurs. Le fait de voir cette « programmation » de nos comportements appris, de nos pensées, de nos émotions, de nos réactions et contre-réactions, est une condition préalable pour pouvoir nous en défaire.
Nous permettons alors à notre moi de comprendre ce moi plus profond, dont la conscience latente est en phase avec la terre, la vie et le cosmos, et de s’engager dans une action vraiment libre de tout carcan à travers une auto-réalisation éthique en phase avec la terre, la vie et le cosmos.
Bien sûr, ceci ne se résume pas à une simple introspection mais demande une ouverture sur l’extérieur – en se détachant des vieilles croyances et habitudes dysfonctionnelles, l’humain est désormais ouvert à un dialogue régénérateur avec ce qui est réel ; et dialoguer avec ce qui est réel demande une attention vigoureuse et renouvelée pour le réel, qui comprend la reconnaissance des connections physiques et métaphysiques profondes de l’individu avec la terre, la vie et la cosmos.
A l’inverse, l’incapacité de voir ces trains de pensées pour ce qu’ils sont, ne conduit qu’à une crise interne et un effondrement.
Les trains de pensées sont souvent incapables de réagir de manière sensée avec le monde réel car ils ne réagissent pas au monde tel qu’il est mais aux constructions, aux perceptions et aux émotions limitées qu’ils ont du monde, ancrées dans les expériences passées. Ils provoquent des schémas comportementaux qui ne permettent pas de se connecter avec ce qui est réel, et sont donc destructeurs et inefficaces.
Cela peut conduire à toute sorte de défaillances : des problèmes psychologiques, des dépressions, des problèmes de santé mentale, ainsi que des ruptures dans nos relations, que ce soit au sein du foyer ou au travail, dans une relation amoureuse, entre parents ou dans une fratrie.

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5 – Il n’y a pas d’affranchissement social sans affranchissement de soi.
Vous ne pouvez pas libérer le monde quand votre esprit, vos pensées et votre corps sont entravés dans les mailles de vos propres illusions. Ce qui se produit à l’échelle du microcosme de l’individu se prolonge à l’échelle du macrocosme de la société.
Lorsque nous regardons l’appareil dominant des communications de masse aujourd’hui au sein de l’espèce humaine, nous pouvons voir très clairement comment il fonctionne et essentiellement comme une extension de nos dysfonctionnements internes au niveau du moi.
Les boucles fermées de partage d’informations autoréférentielles sur les médias sociaux sont le prolongement du tourbillon fermé et insulaire de pensées qui composent le moi et se renforcent les unes les autres.
Tout comme en interne, les boucles d’information fermées ont tendance à impliquer des cycles répétés de dysfonctionnement, impliquant souvent des crises et des effondrements, en externe, elles ont des corrélats similaires. Dans les sociétés et les communautés, dans les organisations et les institutions, les boucles fermées ont tendance à impliquer des hypothèses idéologiques qui se renforcent mutuellement. Il en résulte des comportements fixes dans les organisations et les groupes, et des dynamiques dysfonctionnelles qui tendent à exclure les idées et les comportements qui remettent en question ou sapent la légitimité de ces modèles fixes et les cadres de pensée limités sur lesquels ils reposent.
Les boucles fermées offrent peu de possibilités d’apprentissage organisationnel réel, car tout ce qui se trouve en dehors de ce que l’on suppose déjà « connu » est largement exclu. L’organisation est ainsi condamnée à l’échec lorsqu’elle est confrontée à de nouveaux défis dans le monde réel, car elle est alors incapable de s’adapter – il n’y a pas de capacité d’adaptation au changement lorsque l’organisation manque de l’ouverture cognitive fondamentale requise pour comprendre la nature de ce changement et sa dynamique.
Les boucles fermées ont donc un caractère cancérigène. Elles tendent à conduire à la fossilisation institutionnelle et à la stagnation. Lorsque le changement survient, il peut conduire à une crise institutionnelle et à un effondrement, et peut aussi déclencher le recours à des modèles mentaux et comportementaux familiers mais limités et imparfaits, qui peuvent bien être intégralement liés aux causes de la crise, mais qui sont néanmoins poursuivis. Le résultat pourrait en être de remettre à plus tard – si les vraies questions d’adaptation profonde ne sont pas abordées, cela garantit une résurgence de la crise.
Une approche en nœud ouvert, en revanche, implique une conscience de soi organisationnelle – une introspection critique capable de voir les structures, les intérêts, les processus et les hypothèses qui déterminent les comportements organisationnels du statu quo, de les voir tels qu’ils sont.
Le fait de voir cette « programmation » structurelle du comportement organisationnel, des pensées, des émotions, des réactions, des préjugés inconscients, des traumatismes inconscients et des contre-réactions est la condition préalable pour que les agents clés de l’organisation se libèrent de cette programmation structurelle, et permettent ainsi à l’organisation en tant qu’accumulation de ces agents de se libérer pour choisir une voie véritablement nouvelle et régénérative.
Il ne suffit pas de voir les choses de cette façon. Il est également essentiel de s’engager avec l’environnement au sens large, de le voir et de le comprendre vraiment, au-delà du paradigme dépassé de l’ancienne idéologie organisationnelle, mais maintenant pour ce qu’il est. Cela exige une approche axiomatique qui s’adapte intentionnellement à ce qui est réel – la terre, la vie et le cosmos – en s’engageant dans de multiples perspectives, disciplines, optiques, paradigmes, afin de voir ce qui est réel comme un système entier, un système de systèmes.
Sur cette base, une nouvelle capacité de régénération émerge: cette capacité implique une capacité renouvelée à comprendre ce qui est réel et qui s’améliore continuellement sur la base d’une autocritique rigoureuse et bienveillante et d’un engagement externe essentiel ; une compréhension qui renforce le développement de nouvelles valeurs et comportements adaptatifs conçus pour mieux correspondre à ce qui est réel.
Cela permet à l’organisation de prendre conscience de son potentiel à manifester un caractère plus profond en tant qu’expression de l’intelligence collective, dont la conscience latente est alignée sur la terre, la vie et le cosmos, et d’entreprendre ainsi une action véritablement libre par une auto-réalisation éthique qui est en accord avec la terre, la vie et le cosmos.
5.1 Un nouveau paradigme
Les réponses adaptatives exigent de prendre de nouveaux engagements radicaux en pensée et en action, et d’y donner suite. C’est le socle fondateur de l’intégrité humaine.
Dans le vieux paradigme de la boucle fermée, nous avons peut-être toutes sortes d’engagements et d’intentions conscients, mais ceux-ci sont souvent déjoués en raison de l’élan effréné des modèles de pensée et des cycles comportementaux appris. Celles-ci peuvent surgir de façon inattendue et diriger notre comportement réel d’une manière dont nous ne sommes pas toujours pleinement conscients, même lorsque nous prenons des décisions conscientes qui vont à son encontre. Si nous ne prenons pas conscience de ces facteurs internes, nous ne pouvons pas être libres de voir à quel point ils nous affectent, et nous ne pouvons pas nous en affranchir par la suite.
Lorsque nous les soumettons à la lumière de la connaissance, nous devenons libres de nous élever au-dessus d’eux. Mais s’élever vraiment au-dessus d’eux n’est possible qu’en créant de nouvelles voies de pensée adaptatives et de nouveaux modèles comportementaux qui s’alignent sur le réel. Pour ce faire, il faut prendre de nouveaux engagements à l’égard de ce qui est réel. En respectant ces engagements, nous créons de nouvelles voies conceptuelles qui reflètent la réalité et de nouveaux modèles de comportement ou habitudes qui s’adaptent à la réalité.
La condition préalable à cela est de prendre conscience de la boucle fermée des trains de pensée qui dirigent le comportement. Il s’agit de voir et de se défaire de ses illusions en reconnaissant les responsabilités que nous avons réellement (souvent inconsciemment) prises à travers nos comportements et leurs conséquences dans notre vie et celle des autres.
Nous pouvons constater que les idéaux pour lesquels nous aimons croire que nous sommes engagés font partie d’un masque que nous présentons aux autres et même à nous-mêmes, un bouclier pour les insécurités internes développées à partir d’une foule de traumatismes passés. Nos engagements comportementaux réels pourraient bien être simplement d’avoir « raison » ; ou d’être forts ; d’être « intelligents » ou « cool » ; d’être « appréciés » et « acceptés » ; d’être « sûrs » ; ou à l’exact opposé de ceux-ci, selon la façon dont notre passé a tissé notre composition neurophysiologique.
Quand nous réalisons que ces attaches subliminales liées à nos boucles fermées de pensée et d’action causent en fait notre destruction et celle des autres de différentes manières ; nous sommes capables de nous en libérer.
Il est essentiel de les voir telles qu’elles sont et, dans ce processus, de les laisser partir. Sur cette base, nous pouvons être prêts à prendre librement des engagements véritablement nouveaux et porteurs d’adaptation.
Pour les organisations, le processus est à peu près le même – la stratégie et la vision organisationnelles doivent être recalibrées et redéfinies sur la base d’un ensemble renouvelé d’objectifs, d’engagements et de valeurs qui définissent une nouvelle mission. Cette mission doit à son tour s’appuyer sur une évaluation globale des systèmes qui va au-delà de l’analyse abstraite traditionnelle SWOT [SWOT : Strength, Weakness, Opportunity, Threat (force, faiblesse, opportunité, menace), NdT] pour aboutir à une approche qui sollicite des données pluridisciplinaires débouchant sur une telle analyse systématique et holistique.
Le fondement de l’intégrité montre à quel point les réponses adaptatives exigent une transcendance et une transformation de l’égoïsme.
L’ego n’est pas aboli, mais transformé en un véhicule pour faire naître un moi supérieur et meilleur, plus en harmonie avec ce qui le dépasse, et dans lequel il est intégré.
Nous passons du réductionnisme au holisme, de l’auto-absorption à l’interconnexion mutuelle, de l’affliction de la séparation et de l’aliénation à l’abondance de la synchronicité et de la coopération, de la guerre de l’information fragmentée discordante et conflictuelle à la communication inclusive, synergique et co-créative. Nous passons d’une dynamique dégénérative d’effondrement chaotique à des flux complexes de revitalisation régénérative.
Les voies d’action ouvertes par ce processus devront traduire une transformation de l’orientation des valeurs en changements structurels profonds.
La pratique d’extraire et d’accumuler de l’énergie pour concentrer la richesse matérielle et le pouvoir entre les mains de quelques-uns ne peut que nous détruire tous avant la fin du siècle.
Ces changements métaboliques devront donc nous réorienter d’une relation d’exploiteur et de prédateur envers notre environnement et entre nous, vers une relation basée sur la parité ; d’une sur-accumulation et centralisation de la richesse et du pouvoir, vers un ensemble de formes propres, mutualistes, régénératrices et distributives de consommation des ressources, de la production, de la propriété et du travail qui nous font passer dans un système énergétique humain et terrestre durable et enrichissant pour tout ce qui le constitue.
Fondamentalement, un changement constructif du système consiste à transformer notre relation métabolique collective profonde avec la terre, la façon dont nous extrayons et mobilisons l’énergie dans tous les domaines de notre vie à travers nos structures économiques, sociales, politiques, et culturelles. Si nous ne parlons pas cette langue, nous ne faisons que bricoler.
6 – Les stratégies pour changer de système
Lorsque les systèmes connaissent une crise due à l’incapacité de s’adapter aux changements environnementaux, la crise est existentielle. Soit le système évolue grâce à une adaptation qui exige une appréhension précise de l’environnement qui mobilise les adaptations comportementales, soit il régresse et s’effondre finalement.
Cette période indéterminée implique un passage progressif à ce qui pourrait devenir un nouveau système, mais qui évoluera ou régressera. Dans ce cas, l’évolution consiste en un renouvellement individuel, organisationnel ou civilisationnel ; l’alternative est une forme de régression individuelle, organisationnelle ou civilisationnelle qui se traduit par un premier pas vers un long déclin.
Nous sommes actuellement au milieu d’un changement de phase mondial qui signale que l’ordre, le paradigme et le système de valeurs dominants sont dépassés et insoutenables. L’effondrement du système mondial a entraîné un renforcement et une accélération de l’indétermination dans les structures et sous-systèmes politiques, économiques, culturels et idéologiques. Nous en faisons l’expérience dans la confusion croissante entre tous ces systèmes, en particulier dans la dislocation « post-vérité » de nos systèmes d’information dominants.
Une réponse adaptative exige le plus grand nombre possible de composantes du système mondial pour embrasser notre mission évolutive en tant qu’individus, familles, organisations, communautés, sociétés, nations, institutions internationales, et en tant que civilisation et espèce.
Cela nécessite une approche sur plusieurs fronts impliquant la coordination d’acteurs à différentes échelles – à la fois une pression externe de « résistance » par le bas combinée à une action d’engagement de haut niveau, calibrée avec l’objectif spécifique d’amener les agents clés à prendre conscience de l’ensemble du système. Cela suppose également de cibler des structures spécifiques et de modifier l’orientation cognitive des personnes dont les pensées et les comportements sont les fondements microcosmiques de ces structures.
Lorsqu’une organisation ou une structure particulière atteint un point de basculement en termes de changement cognitif des personnes qui la composent, ce n’est qu’à ce moment-là que la structure organisationnelle au sens large devient vulnérable au changement authentique.
D’autres perspectives se dégagent ici.
Tout d’abord, la nature étroitement liée des structures sociales, la nature interconnectée des systèmes, implique que le pouvoir de l’action individuelle est beaucoup plus important qu’on ne le pense.
Bien sûr, d’une part, il est important d’adopter une approche pragmatique qui accepte les limites de son propre pouvoir. Une seule personne ne peut pas changer tout le système à elle seule. Cependant, une seule personne peut agir d’une manière qui contribue au changement du système et le catalyse, que ce soit à court terme ou, très probablement, à long terme.
La nature interconnectée des systèmes signifie que les conséquences des décisions d’une personne dans un contexte social auront un effet d’entraînement en cascade avec la possibilité inhérente d’influencer tout un système.
L’importance de cet impact dépendra d’un certain nombre de facteurs :
Dans quelle mesure l’action fait-elle partie d’un nouveau paradigme d’un point de vue systémique ?
Dans quelle mesure fait-elle appel à d’autres composantes du système, les mobilise-t-elle et les pousse-t-elle vers des modalités qui brisent les paradigmes et créent de nouveaux paradigmes – et pas seulement des actions fragmentaires, mais une transformation globale en intention consciente, en vision et en modèle comportemental ?
Dans quelle mesure ces nouveaux modèles de pensée et de comportement émergents contribuent-ils à l’émergence de nouvelles structures – de nouveaux modèles collectifs de pensée et de comportement orientés vers la vie, la terre et le cosmos ?
Après avoir exécuté les processus décrits jusqu’à présent, la tâche consiste à choisir – sur la base d’une évaluation systémique et holistique de soi-même, de son contexte socio-organisationnel et de l’ensemble des systèmes (politique, culturel, économique, etc.) – la voie de l’action adaptative et transformatrice.
L’orientation de l’action que l’on choisira sera différente pour différentes personnes et dépendra entièrement de qui l’on est et du contexte complet des relations environnementales, sociales, politiques, culturelles, économiques, familiales et autres dans lequel on s’inscrit.
Sur la base de cette évaluation, des voies et des possibilités d’action variables deviendront claires. La voie choisie doit être conçue de manière à mobiliser le meilleur de voscompétences, expériences, ressources et réseaux disponibles pour transformer (dans la mesure du possible) votre moi et ensuite tirer parti de ce mouvement interne dans votre contexte spécifique pour explorer la perspective de créer (autant que possible) des tendances et comportements qui peuvent jeter les bases de l’émergence de nouvelles structures et systèmes paradigmatiques dans votre contexte particulier.
La discussion qui précède illustre cependant une certaine logique à ce processus. Le travail préparatoire exige une voie d’action dans la poursuite de la transformation de la création de sens et de l’exploitation de l’information dans votre contexte social en guise de première étape. Cela exige naturellement de dépasser les généralisations abstraites et de se concentrer concrètement sur votre situation existante et réelle dans un contexte territorialisé.
L’étape suivante consiste à en tirer parti pour créer un dialogue génératif à travers de multiples perspectives dans votre contexte social, organisationnel ou institutionnel afin de générer un véritable éveil de la conscience de systèmes entiers pertinents pour ce contexte territorialisé.
L’étape finale consiste à prendre conscience de la structure actuelle du système et de ses défaillances dans ce contexte spécifique, en vue de mettre au jour les points de pression et les possibilités d’action transformatrice par l’analyse de scénarios :
A quoi ressemblerait un nouveau système, une nouvelle structure, une nouvelle façon de vivre et de travailler, une nouvelle façon de vivre et d’être en relation avec la vie, la terre et le cosmos dans cette localité, pour cette famille ou cette communauté ?
Comment prendre des mesures concrètes pour y parvenir, pour construire ce nouveau paradigme par la construction et l’adoption de nouvelles formes d’intention, de réflexion et de comportement ?
Que se passerait-il si nous n’adoptions pas ces mesures ?
L’un des enseignements qui en ressort est qu’il n’est pas possible de changer le système en se désengageant de ce système. Bien que l’application de pressions sur le système puisse parfois fonctionner, cela peut aussi être contre-productif et produire des résultats involontaires dans lesquels les agents puissants qui bénéficient du système réagissent simplement en essayant d’écraser et de neutraliser la puissance de ces efforts de « résistance ». Souvent, en déclenchant de telles réactions militarisées, les approches traditionnelles de « résistance » aboutissent à elles seules à un cycle d’autodestruction dans lequel elles ne peuvent gagner, étant donné que la « résistance » ne peut jamais égaler la puissance écrasante des réactions militarisées qu’elles provoquent toujours.
Cela ne signifie pas que la « résistance » traditionnelle n’est pas sans valeur, mais elle montre qu’en tant que seule stratégie de changement, elle est susceptible d’échouer.
Le changement de système exige une gamme complète d’approches stratégiques à plusieurs niveaux. L’application d’une pression de « résistance » peut être un levier utile et approprié à certains moments. De façon plus générale, des stratégies d’engagement critique sont également nécessaires. Il s’agit d’entrer dans les structures et les systèmes que l’on souhaite changer et d’y appliquer les nouveaux modèles d’intention et d’action ; de trouver des occasions d’appliquer notre processus en plusieurs étapes de création de sens, de collecte d’information, de communication et de dialogue, d’éveil (afin de reconnaître le besoin de transformation) et enfin de s’engager sur la voie d’un changement de paradigme pour faire évoluer ce système vers une nouvelle configuration adaptative.
Les efforts de changement de système doivent être entrepris par les personnes et les organisations en reconnaissant explicitement que nous vivons actuellement un changement global de phase, où existe une opportunité sans précédent de s’engager dans l’acte de semer des graines microcosmiques pour le changement macrocosmique.
L’objectif de ces efforts devrait être de poursuivre les activités qui permettent d’atteindre des niveaux d’impact menant au seuil de basculement afin de pousser des sections clés du système vers un nouvel état stable.
Pour cela, il est nécessaire d’établir de nouveaux niveaux de coordination au sein du système entre de multiples groupes, organisations, institutions, classes – pour planter les germes d’un nouveau réseau transversal entre sociétés et communautés à travers lequel de nouveaux canaux de communication, de partage et d’apprentissage peuvent être développés pour transmettre une conscience cognitive revitalisée basée sur des systèmes complets qui font sens. Sur cette base, les structures adaptatives émergentes, les institutions, les pratiques et les modèles comportementaux peuvent être partagés, explorés et proto-typés dans de multiples contextes territoriaux.
Chaque individu, groupe et organisation qui s’engage pour un monde meilleur doit intégrer dans sa constitution interne un processus qui intègre cette pratique adaptative et évolutive. Si ce n’est pas une priorité à un certain niveau, c’est que vous êtes engagé dans un autre projet (inconsciemment ou non) et vous devez vous efforcer de découvrir lequel et pour quelle raison.
Inutile de dire que les systèmes et les structures qui insistent pour résister à de tels efforts de changement finiront par s’effondrer pendant le changement de phase.
Une autre idée fondamentale qui se dégage ici est qu’il est tout à fait inutile de s’engager dans un effort pour changer le monde, le système ou tout autre contexte social extérieur à vous, sans avoir commencé par vous-même.
C’est un processus continu, une discipline constante. Parce que le microcosme et le macrocosme sont en fin de compte des reflets l’un de l’autre. Le monde extérieur est une construction et une projection des mondes intérieurs.
Plus concrètement, si vous n’avez même pas commencé à comprendre comment votre moi, vos pensées, vos schémas comportementaux et votre neurophysiologie sont reliés par l’ensemble du système, afin de devenir vraiment libre de manifester un moi vraiment choisi, vous ne serez jamais équipé pour vous engager dans un effort significatif pour modifier le système.
Au lieu de cela, votre lutte pour changer les externalités deviendra un champ de projection pour vos dysfonctionnements internes et au lieu de contribuer au changement du système, vous apporterez involontairement des tendances égoïstes régressives dans le renforcement de la dynamique systémique dominante et enracinée au nom de la « résistance ». Après avoir inconsciemment intériorisé les valeurs et les dynamiques régressives externes du système que vous n’appréciez pas, vous finirez par promouvoir ces mêmes dynamiques dans votre « activisme ».
Les efforts pour appeler au pouvoir n’ont aucun sens si vous n’avez pas renversé le tyran en vous. Cela nécessite une autoformation intensive et continue, ainsi qu’un engagement externe continu dans votre contexte socio-organisationnel.
Abandonnez les boucles fermées pour devenir un nœud ouvert. Embrassez votre interconnexion ontologique avec toute forme de vie, la terre et le cosmos et découvrez votre moi comme leur expression consciente ; et dans cette découverte, assumez votre responsabilité existentielle envers la vie, la terre et le cosmos, devenant ainsi celui que vous êtes vraiment. Considérez-vous comme responsable. Grandissez et manifestez-vous dans votre propre vie et votre propre contexte. Acceptez votre responsabilité dans les relations brisées autour de vous, reconnaissez les manques de loyauté dans vos engagements, faites amende honorable et trouvez de nouveaux engagements authentiques. Et apportez cette intégrité, cette humilité et cette clairvoyance émergentes dans un effort renouvelé pour construire des visions et des pratiques qui changent de paradigme dans le cadre dans lequel vous pouvez réellement agir. Et vous planterez une graine dont le seul destin sera de s’épanouir inexorablement.
Le défi le plus immédiat qui nous attend est peut-être de faire face à l’effondrement inévitable de l’ancien paradigme, à l’intérieur comme à l’extérieur, et d’accepter ce que cela signifie. Au premier abord, cela peut sembler être quelque chose qui génère un profond chagrin. Et en effet, la disparition de l’ancien apportera inévitablement d’immenses dévastations et souffrances – les dangers de cette reconnaissance sont qu’elle conduit à l’une ou l’autre de deux réactions émotionnelles extrêmes, le déni optimiste ou le pessimisme fataliste. Ni utiles, ni justifiées par les données disponibles, elles renforcent toutes deux l’apathie. Elles sont dépourvues de vie. L’acceptation de la disparition de l’ancien paradigme, lorsqu’elle est correctement ancrée dans la vie elle-même, est la condition préalable à l’entrée dans une nouvelle vie, une nouvelle façon de travailler, de jouer et d’être en harmonie avec la vie, la terre et le cosmos ; c’est la condition préalable pour trouver le pouvoir de commencer à co-créer de nouveaux paradigmes.
Dr Nafeez Ahmed est le rédacteur fondateur d’INSURGE Intelligence. Nafeez est journaliste d’investigation depuis 17 ans, précédemment au journal The Guardian, où il a rendu compte de la géopolitique des crises sociales, économiques et environnementales. Nafeez parle du ‘changement global du système’ pour VICE Motherboard. Il a des articles dans The Independent on Sunday, The Independent, The Scotsman, Sydney Morning Herald, The Age, Foreign Policy, The Atlantic, Quartz, New York Observer, The New Statesman, Prospect, Le Monde diplomatique, etc. Il a remporté à deux reprises le Project Censored Award pour ses reportages d’investigation, a figuré à deux reprises dans la liste des 1000 londoniens les plus influents du Evening Standard et a remporté le prix Naples, le prix littéraire le plus prestigieux d’Italie créé par le Président de la République. Nafeez est également un universitaire interdisciplinaire largement publié et cité qui applique l’analyse de systèmes complexes à la violence écologique et politique. Il est chercheur à l’Institut Schumacher.
Source : Insurge Intelligence, Nafeez Ahmed, 11-01-2019
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

A propos de l'intelligence collective, un document très intéressant à télécharger ici : http://axecoaching.com/pdf/livre_blanc_icvc.pdf

A propos d'intrication quantique... un article relayé dans ce blog en 2018

Face à l’effondrement, fondons des alliances terrestres [Et intéressons nous à la physique quantique ?] / In the face of the collapse, let us base ground alliances [ And let us interest in the quantum physics?]

19 juillet 2018 / Corinne Morel Darleux 

source :  https://reporterre.net/Face-a-l-effondrement-fondons-des-alliances-terrestres

La dépendance de nos sociétés au pétrole et aux technologies fait redouter la « Grande Panne », qui nous plongerait dans un monde inconnu. Notre chroniqueuse partage ses réflexions sur la collapsologie et sur les possibilités de vivre après l’effondrement, notamment grâce à l’alliance terrestre des humains et des non-humains.
Corinne Morel Darleux est secrétaire nationale à l’écosocialisme du Parti de gauche et conseillère régionale Auvergne - Rhône-Alpes.
Corinne Morel Darleux

Depuis quelques mois, mon cheminement intellectuel sur l’écosocialisme est de plus en plus irrigué de collapsologie, une approche de la fin du monde, que l’on peut considérer comme le pendant laïc et rationnel de l’eschatologie. Sur la base de faits scientifiques, la collapsologie prédit l’effondrement du climat, des ressources naturelles disponibles, de la biodiversité, de l’organisation même de la société, et ouvre des horizons et des défis politiques passionnants. La parution remarquée du livre de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer, lui a donné un élan inattendu. L’écho grandissant de cette hypothèse, ma rencontre avec des auteurs de la collection Anthropocène, du Seuil, dirigée par Christophe Bonneuil, et la création du collectif Les Terrestres qui s’en est suivie, tout cela m’a permis de renouer des liens entre un univers politique qui se soucie d’écologie, et un milieu universitaire engagé et résistant, loin du plomb académique que j’avais fréquenté lors de la rédaction de ma thèse. Ces deux mondes sont souvent très étanches, voire hermétiques, je ne me reconnais totalement ni dans l’un ni dans l’autre ; le croisement des deux en revanche a un potentiel fertile qui me ravit. J’y ai découvert, en profane affamée, des théories et sources d’inspiration qui m’ébranlent et me nourrissent comme je ne l’avais pas été depuis longtemps. Ajoutez à cela le grand plongeon dans la bibliothèque de science-fiction parentale qui a trouvé refuge dans mon salon, additionné d’une vaste programmation de films d’anticipation, une série de nouvelles chroniques sur les fictions post-apocalyptiques, et me voilà prise dans le filet infini des dystopies, uchronies et autres possibles.
Parmi ces découvertes, la notion d’alliances terrestres explore la manière dont humains et non-humains peuvent s’allier dans des mécanismes d’entraide et d’interdépendance, loin de la vision d’un environnement qui nous serait extérieur et qu’il faudrait protéger, plus loin encore de la vision prométhéenne d’une nature vue comme un adversaire à dominer. C’est le cas par exemple de l’amarante sauvage : une plante résistante, redoutablement fertile, comestible et riche en protéines, qui a en outre la judicieuse mauvaise manière de résister aux herbicides comme le Roundup. Une « ingouvernable ». Des paysans en lutte contre le soja transgénique et ses ravages, en Argentine et au Paraguay, s’en sont servis sous la forme de « bombes de graines » pour saboter des champs d’OGM« En 2016, trois mois d’occupation (type ZAD) du site de construction à Malvinas ont eu raison de ce qui devait être le plus grand centre de production de semences transgéniques au monde (48.000 hectares tout de même !) et contraint Monsanto à battre en retraite », et c’est ainsi qu’est née la notion de « résistance interspécifique ».

Autant de schismes dans la pensée qui dessinent des horizons différents 

De même, on ne peut pas simplement parler de services écosystémiques que nous rendrait la nature, mais d’un ensemble systémique, dans lequel nous devons à notre tour venir en aide à la biodiversité pour nous sauver nous-mêmes. Un tout, système inclusif et complexe, fait d’interactions, dans lequel l’humain est un acteur parmi d’autres qui agissent tout autant et composent le monde vivant. Certains avancent d’ailleurs qu’il serait plus juste de sortir l’ensemble du vivant de la notion de nature : « Pour qu’homme et biodiversité se solidarisent, il faudrait les penser ensemble, et donc forcément séparés de la nature. Le vivant est culture. Il n’est pas nature. » Autant de schismes dans la pensée qui dessinent des horizons différents, d’autres manières d’envisager notre univers et le rôle que nous y tenons.
Cette approche différente de la « nature » a également été alimentée par le travail détonnant et décalé d’Alessandro Pignocchi, qui place ses mésanges punk sur les traces de Philippe Descola et de l’animisme des Jivaros Achuar, défini par l’anthropologue comme « la propension à détecter chez les non-humains — animés ou non animés, c’est-à-dire les oiseaux comme les arbres — une présence, une “âme” si vous voulez, qui permet dans certaines circonstances de communiquer avec eux ». Dans l’animisme, les êtres vivants, humains et non humains, ont une intérioritécommune, que l’on peut appeler âme ou esprit. Ce sont leurs caractéristiques physiques — bouche ou bec, griffes ou ongles, marche debout ou à quatre pattes, organes — et non spirituelles, qui modifient leur mode d’expression, leurs besoins, leur rapport au monde. Dans la théorie occidentale, c’est l’inverse : s’il y a une continuité biologique entre l’être humain et l’animal, en revanche la supériorité morale et intellectuelle de l’humain est indiscutable. Disons, par extension malicieuse et en clin d’œil aux amis marxistes, que l’animisme serait une sorte de matérialisme historique revisité par les Jivaros. Alessandro Pignocchi, non moins taquin, imagine dans ses dessins nos responsables politiques convertis à l’animisme. Et cela… révolutionne la pratique. Plus ancré dans le réel et le présent, on peut également trouver trace de ces révolutions silencieuses à l’œuvre dans le slogan vu sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes, qui proclame : « Nous ne défendons pas la nature, nous sommes la nature qui se défend. »
Aquarelles d’Alessandro Pignocchi.
À ce stade, je me dois de préciser que je ne suis pas devenue antispéciste ni animiste pas plus que mystique. Mais cette rupture qui en finit avec l’étrangeté de la nature me semble aussi inspirante que le jour où j’ai découvert le catastrophisme éclairé de Jean-Pierre Dupuy, ou les seuils de contre-productivité d’Ivan Illich. Ce moment lumineux où l’on comprend, par sa propre expérience, des mots écrits à une autre époque, par des inconnus. Il m’est difficile d’apprendre dans les livres, j’ai besoin de vécu. Mais quand je m’astreins à laisser en paix cet énorme mille-pattes dans ma salle de bains, en me raisonnant sur le fait qu’après tout ma maison est au milieu de son jardin, et qu’il a tout autant le droit que moi d’en profiter, je fais déjà un grand pas en avant, un grand pas de côté. En toute franchise, il y a quelques années, j’aurais appelé mon mari pour l’écraser, ce qui est doublement peu glorieux.

Nous avons besoin pour cela d’un nouvel ordre imaginaire

Je ne souscris donc pas systématiquement à tout ce que je lis et entends, mais cela alimente mes réflexions, ce qui est déjà un vrai bienfait dans un monde où les débats intellectuel et politique sont à ce point appauvris. La qualification de non humains, tout comme la notion de capitalocène et le débat avec les partisans du terme d’anthropocène, tout ceci est discutable, au sens noble du terme. Mais comme souvent en politique, le débat vaut la conclusion et l’essentiel n’est pas toujours de parvenir. Cheminer est une fin en soi, tant dans les fils de ces discussions émergent des apports essentiels à la pensée écosocialiste, au nouveau paradigme qui doit se construire sur notre rapport au monde. Nous en discutions lors d’une de ces belles soirées d’été et d’amitié avec Didier Thévenieau, professeur de philosophie : au-delà des approches purement biologiques, nous avons besoin d’aborder ce monde changeant qui est le nôtre par une approche philosophique et culturelle, sans se contenter de chercher à en fragmenter et décrire chaque caractéristique par le seul prisme des analogies scientifiques. Ce qui doit nous préoccuper n’est pas tant de savoir comment mesurer l’intelligence de tel ou tel animal, ou ses proximités génétiques avec l’être humain, pour en déterminer la valeur sur l’échelle des espèces, mais de faire la démonstration que lombrics et amarantes font partie de la biosphère nécessaire à la vie humaine. Nous avons besoin pour cela d’un nouvel ordre imaginaire, selon la formule défendue par un autre ami philosophe, Benoit Schneckenburger : dans mon imaginaire personnel, l’idée d’alliances terrestres va ainsi se nicher sans prétention dans la brise qui remet une mèche de cheveux indocile en place, dans l’action conjuguée de la pluie et du soleil qui fait rougir les tomates et transforme en jungle mon jardin, ou encore dans l’orage torrentiel qui anéantit le meeting de François Fillon.
Politiquement, beaucoup s’inquiètent du découragement que risque d’induire la collapsologie : en signant la fin du monde, n’encourage-t-elle pas le relâchement d’efforts devenus vains, la fuite en avant, tant qu’il y en a et fichu pour fichu, vers les plaisirs polluants ? Le catastrophisme éclairé a apporté des débuts de réponse à cette question. Mais de fait, le scénario d’un effondrement imminent modifie le rapport public à ce qu’on appelle la transition. Selon que celle-ci a pour objectif d’éviter la catastrophe en faisant bifurquer la société avant qu’il ne soit trop tard — ce qui était jusqu’ici la principale option — ou qu’elle vise non pas à éviter la catastrophe mais à préparer le rebond post-effondrement, les logiques sont bousculées. Les mesures à mettre en place ne sont plus forcément les mêmes, selon qu’on vise des politiques d’atténuation ou d’adaptation. Je n’y vois pas nécessairement de contradiction, et reste pour ma part partisane d’amortir au mieux les dégâts de l’ère productiviste : changer de modes de production, relocaliser l’activité, mieux répartir les richesses, atténuer nos émissions de gaz à effet de serre… Mais désormais, il nous faut aussi réfléchir simultanément au volet adaptation et l’enclencher rapidement : quel type de société serons-nous en mesure de construire, si demain la société telle que nous la connaissons s’effondre ? En combien de temps ?

Renouvelons le pari de Pascal 

Là réside tout l’enjeu du Plan Seldon, dans le cycle de science-fiction Fondation, d’Isaac Asimov (1951) : son concepteur, Hari Seldon, est persuadé de l’effondrement imminent de l’Empire. Cette certitude établie, plutôt que de perdre temps et énergie à essayer de l’éviter, le scientifique va consacrer sa vie à imaginer les mécanismes qui permettront de réduire la période de transition post-effondrement — caractérisée par le chaos, ou a minima l’instabilité — pour la rapporter de 30.000 à 1.000 ans. Il dispose pour ses simulations d’une science que nous ne possédons pas, la « psychohistoire », qui permet, par des calculs mathématiques, de prévoir les grandes trajectoires des masses humaines.
Nous n’avons pas de Hari Seldon, et nous ne sommes pas un empire galactique. Nous n’avons pas les instruments permettant de prévoir les décisions historiques sur un millénaire. Nous ne sommes même pas sûrs que l’effondrement soit imminent. Soit. Mais s’il l’est… Comment ferons-nous à court et moyen terme face à l’arrêt brutal de l’ensemble des serveurs Internet, des systèmes de refroidissements des centrales, dans un pays paralysé par l’absence de carburant, où les services d’urgence ne peuvent plus se déplacer, dans lequel plus rien n’est livré ? Les stocks de réserve en carburant correspondent à onze jours de consommation moyenne en France. Un supermarché classique dispose d’environ trois jours de stock alimentaire. Quel qu’en soit le facteur déclenchant — et il y a aujourd’hui plusieurs hypothèses de plus en plus probables, ne serait-ce que par l’extrême dépendance de notre société au pétrole et aux technologies —, comment faire pour vivre et non simplement survivre à la « Grande Panne », en partant de l’axiome qu’il n’y aura pas de possibilité de retour en arrière ? Si l’on examine l’hypothèse de l’effondrement, et non plus celui d’une crise à surmonter avant de revenir à un état antérieur, il y a tout un chantier à explorer, et d’urgence.
Personne n’a de baguette magique, si l’effondrement arrive il y aura des morts et des blessés. Mais on peut, on doit, commencer à préparer le monde d’après. Renouvelons le pari de Pascal. Si l’ultime stade de la catastrophe n’arrive pas, nos efforts n’auront pas été vains : nous aurons renoué avec notre caractère naturel en réintégrant l’humain dans le monde vivant ; nous aurons contribué à une organisation sociale plus digne, plus juste et plus épanouissante.
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BONUS

CHANGER DE REGARD

Il faut changer de regard ? 
et si on s'aidait de la physique quantique pour créer des ponts...


et tant qu'on y est ma conférence préférée

de même que cette interview plus récente 



Et pour mieux comprendre celle-ci, une vraie poésie, voir d'abord les deux précédentes...






Rejoignez-vous sur FACEBOOK pour faire la révolution intérieure ! https://www.facebook.com/Un-Grand-Sec... Pour télécharger librement notre livre témoignages : http://www.ungrandsecret.fr Luc Bodin nous invite à suivre cet adage "Soyez le changement que vous voulez dans le monde !". La souffrance est un message de notre âme pour nous indiquer que nos actions ne sont pas en rapport avec nos aspirations profondes. Cette souffrance peut parfois s'imprimer dans notre corps et provoquer des maladies, qui renferment ce message. Reprendre notre route en trouvant notre mission de vie est alors le véritable sens de la guérison ! ***LUC BODIN*** Docteur en médecine, diplômé en cancérologie clinique, spécialiste en médecine naturelle. Auteur, conférencier, conseiller & formateur. «Donner un maximum d’informations pour que chacun devienne autonome dans la gestion de sa santé et de sa vie », constitue la route que le Dr Bodin a décidé de suivre à travers ses articles, ses livres, ses conférences, ses ateliers et ses stages. Le site internet de Luc Bodin : https://drlucbodin.bebooda.fr/ La page Facebook de Luc Bodin : https://www.facebook.com/docteur.luc.... ***UN GRAND SECRET*** Pour s'abonner à notre newsletter : http://eepurl.com/dfzt2n La page Facebook de Un Grand Secret: http://www.facebook.com/Un-Grand-Secr... Pour télécharger gratuitement notre livre témoignages OU nous faire un don en conscience : http://www.ungrandsecret.fr Pour nous contacter : productions.etre@gmail.com ***MUSIQUE*** - Michèle Landais "Chant du chakra du 3ième Oeil" - Production Mental Waves https://zen-waves.com/michele-landais... - Wake Up Songs "Healing Happens All Around"

Un bouquin intéressant :

Michelle-J Noel - Etre l'auteur de sa vie - Choisir sa vie.



Pour Michelle-J. Noel, enseignante en PNL et passionnée par les études des facultés du cerveau, la réussite et l'abondance sont à la portée de tous. Toute personne peut changer sa vie ou le cours de son existence, tout peut basculer Si ce que vous vivez ne vous convient pas, elle vous propose, dans ce livre, de comprendre par quel principe vous pouvez rêver, décider et choisir votre nouvelle vie. Nous possédons l'ordinateur le plus performant du monde, notre cerveau inconscient.
Nous l'utilisons sans le savoir et il nous arrive même de faire des catastrophes. En comprendre le mécanisme vous permettra de rencontrer les bonnes personnes et voir les portes s'ouvrir devant vous. La chance n'existe pas. En revanche, la pensée existe et votre cerveau fait le reste. Bien sûr, quelques règles sont à respecter pour une réussite à long terme, car nous vivons dans un univers dont nous faisons partie intégrante.
Si nous comprenons et mettons en place les stratégies du cerveau inconscient en respectant les lois universelles, la réussite est à la portée de tous, même des plus démunis. Nous pouvons tous changer et améliorer notre vie, et ainsi, réaliser un vrai chef-d'œuvre Pour cela nous utiliserons la Programmation-Neuro-Linguistique (PNL), un peu d'analyse transactionnelle et certaines lois universelles. Science et religion marchent ici ensemble.

    • Etude de l'état présent
    • Etre l'auteur de sa vie
    • Les méta programmes
    • Se fixer des objectifs - savoir comment les atteindre
    • Les niveaux logiques de la pensée ou comment résoudre un problème
    • Les lois de l'abondance
    • Les synchronicités
    • La Boîte à Outils

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