vendredi 28 avril 2017

Jean Bricmont à propos de Macron et d'Asselineau / Jean Bricmont about Macron and Asselineau



Election présidentielle française : l'intrus et l'ovni

Election présidentielle française : l'intrus et l'ovni© Lionel Bonaventure Source: Reuters
François Asselineau, président du parti UPR et candidat à l'élection présidentielle française de 2017

Le parti de François Asselineau, l'Union Populaire Républicaine, peut espérer un bel avenir après cette élection française, qui subit «l'intrusion» de la question européenne, juge l'essayiste Jean Bricmont.

Il y a un intrus dans l'élection présidentielle française, la question européenne, et un ovni, Francois Asselineau, président de l'Union populaire républicaine dont le programme se fonde avant tout sur la «triple sortie» de la France de l'Union européenne, de l'euro et de l'OTAN.

La question européenne fait surface parce que les Français, comme les autres peuples européens, se rendent compte petit à petit qu'ils vivent dans un autre pays que le leur, à savoir en «Europe». La grande force de la «construction européenne» est d'être restée jusque récemment relativement invisible aux yeux des citoyens des divers pays européens. Mais la crise grecque et la crise des migrants ont forcé les citoyens européens à se rendre compte qu'ils étaient gouvernés, en ce qui concerne les grandes orientations, par des entités non élues, comme la Commission européenne ou la Cour de justice de l'Union européenne. De plus, toute la politique économique des gouvernements européens est déterminée par le caractère commun de la monnaie, l'euro, et par les traités de libre échange.

Le libre échange entre pays de même niveau de développement ne pose pas les mêmes problèmes que le libre échange généralisé imposé par les traités européens

Le problème de l'euro est simple : avant son introduction les monnaies des différents pays ont évolué dans des directions assez constantes, en dehors des fluctuations boursières : par exemple, le mark allemand augmentait sa valeur par rapport aux monnaies des pays du sud, et cela non pas de quelques pourcents, mais par des facteurs 3 ou 4 au cours des décennies. L'introduction de l'euro signifiait qu'on allait arrêter ces évolutions par une décision politique, dans des économies qui restaient néanmoins soumises aux «lois du marché». Or ces évolutions étaient en partie la conséquence des lois du marché et reflétaient les différences de compétitivité ou d'efficacité des différents pays.

Comment allait-on accomplir le miracle consistant à abolir les divergences entre monnaies ? On pouvait soit construire un véritable super-état européen, avec transferts entre régions riches et pauvres, soit faire en sorte que les différences entre pays s'estompent. Mais la crise grecque a montré que la première solution était politiquement inacceptable aux yeux des Allemands et des citoyens d'autres pays du Nord. La deuxième solution suppose ce qu'on appelle les politiques d'austérité : si on veut rendre une économie plus compétitive sans en laisser fluctuer la monnaie, il faut baisser les salaires directs et indirects. Mais les deux méthodes n'ont pas les mêmes effets, parce qu'une dévaluation progressive de la monnaie est une forme de protectionnisme économique, qui peut stimuler la production intérieure, tandis que les politiques d'austérité peuvent avoir un effet déflationniste.

Les traités de libre échange, qui interdisent toute limitation aux délocalisations, non seulement en Europe mais même en dehors de l'Europe (voir l'Article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites), ainsi que la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de l'Europe posent un autre problème. Le libre échange entre pays de même niveau de développement ne pose pas les mêmes problèmes que le libre échange généralisé imposé par les traités européens, parce qu'il met en concurrence directe des travailleurs relativement bien payés ici et d'autres qui le sont très mal.

Cette situation crée une nouvelle sorte de lutte des classes entre ceux qui bénéficient à la fois d'un emploi stable et bien payé et de l'afflux de biens et de travailleurs à bas coût et ceux qui sont mis en concurrence la plus directe possible avec ces producteurs de biens et ces travailleurs. Il est plus facile de voir la mondialisation comme étant heureuse quand on est notaire, fonctionnaire ou professeur d'université que lorsqu'on est plombier, paysan, restaurateur ou femme de ménage.
Si l'Union européenne disparaissait demain, pourquoi l'Allemagne attaquerait-elle la France, puissance nucléaire ?
La gauche, qui est en fait dominée par des intellectuels, a accepté cette «mondialisation heureuse» au nom de slogans trompeurs sur la paix, l'antiracisme ou l'internationalisme. Mais il n'y a rien de raciste ou de nationaliste à vouloir une forme de protectionnisme économique ou de souveraineté nationale, à moins de considérer tous les pays indépendants du monde (en dehors de l'Europe) comme racistes.
Pour ce qui est de la paix, elle dépend avant tout d'un équilibre des forces. Si l'Union Européenne disparaissait demain, pourquoi l'Allemagne attaquerait-elle la France, puissance nucléaire, ou l'inverse ? Par ailleurs, que ce soit dans les guerres coloniales ou dans les guerres humanitaires récentes, divers pays européens ont participé à des guerres en dehors de l'Europe. L'Union Européenne, liée à l'OTAN, pousse constamment à la confrontation avec la Russie.

Le mécontentement face à l'Union européenne s'est d'abord exprimé surtout à droite, à travers le Front national, puis à gauche, d'abord avec le référendum de 2005, et aujourd’hui avec le mouvement des «insoumis». On a longtemps parlé de «changer l'Europe» et plus récemment, de «renégocier les traités». Mais, et c'est là que l'on voit que ces traités représentent une véritable perte de souveraineté nationale, ils ne peuvent être modifiés qu'avec l'accord unanime des Etats membres. La situation est radicalement différente de ce qui se passe dans des contrats privés entre deux parties ou des traités bilatéraux entre Etats souverains.

C'est là qu'intervient notre ovni, Francois Asselineau : avec une maîtrise spectaculaire des dossiers, une connaissance approfondie de l'histoire et de la géo-politique, il rappelle à tout le monde que cette renégociation des traités est simplement impossible. Imagine-t-on la Pologne par exemple accepter une modification des règles européennes qui permettrait de limiter soit les délocalisations vers ce pays, soit la possibilité pour les Polonais de venir proposer leurs services à bas coût en France ?
Cela n'a aucun sens de «sortir des traités» comme le propose Mélenchon
De plus, cela n'a aucun sens de «sortir des traités» comme le propose Mélenchon dans son plan B. On renégocie des traités (c'est son plan A, qui ne peut pas marcher) ou on dénonce des traités, ce qui revient à sortir de l'Union européenne, mais que veut dire «sortir des traités» ? Ne pas les respecter ? Mais cela revient à s'attirer des sanctions qui, si elles sont à leur tour rejetées, amènent à la sortie de l'Union Européenne.
En fin de compte, il n'y a que deux solutions : on reste dans l'Union européenne et on en accepte les règles ou on en sort en invoquant l'article 50, qui permet cette sortie, comme viennent de le faire les Britanniques. Le grand mérite d'Asselineau est d'avoir mis cette évidence sur la table.

Il est néanmoins évident qu'Asselineau ne sera pas élu. Si la campagne durait six mois, les choses seraient différentes, mais un candidat qui a été totalement ignoré des grands médias pendant les dix années d'existence de son parti et dont les idées sont encore tournées en ridicule par la plupart des journalistes ne peut pas espérer faire un score électoral spectaculaire.

De plus, des décennies d'endoctrinement sur la nécessité et le caractère irréversible de la construction européenne risquent de faire élire le plus européiste de tous les candidats, Emmanuel Macron.

Si l'UPR ne se décourage pas après le premier tour, probablement décevant, elle gardera un bel avenir devant elle

Mais cette élection aura au moins le mérite d'avoir mis la question européenne au centre des débats. Si les votes «euro-sceptiques» (en gros, ceux pour Le Pen, Dupont-Aignan, Asselineau et une partie des votes pour Mélenchon et Fillon) totalisent un bon score, les instances européennes seront dans une impasse : en effet, soit elles reculent et se mettent d'accord pour démanteler pacifiquement l'euro, ce qui serait une façon de sortir temporairement de la crise, ou elles ignorent les mesures protectionnistes que certains pays pourraient prendre (les traités sont déjà violés de différentes façons : voir à ce sujet le livre de Coralie Delaume et David Cayla, La Fin de l'Union européenne, Edition Michalon, 2017), mais alors que devient leur rêve de construction d'un état supra-national ? Soit elles vont de l'avant vers un tel état, mais elles se heurteront alors à la colère des peuples. Soit encore, ce qui est le plus probable, elles font du sur place et aucun problème ne sera réglé.

Quoi qu'il en soit, elles resteront confrontées au problème fondamental de leur construction : en l'absence d'un sentiment collectif d'appartenance à un «peuple européen», qui n'existe simplement pas, la construction européenne ne peut qu'être une construction élitiste et bureaucratique qui rencontrera de plus en plus d'opposition.

Si l'UPR ne se décourage pas après le premier tour, probablement décevant, elle gardera un bel avenir devant elle.