dimanche 30 avril 2017

Antipresse n°74 [Elections présidentielles 2017 ] : une victoire à la Pyrrhus... avant la guerre civile ? / Antipress n°74 [Presidential elections 2017 ]: a Pyrrhic victory ... before the civil war?



N° 74 | 30.4.2017

Exergue

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Note aux lecteurs

Voici quelques mois, un ami journaliste m’avait interpellé sur le nom de cette lettre: «Pourquoi prétendez-vous faire de l’antipresse, alors que vous produisez des articles argumentés, nuancés, cultivés et souvent impartiaux? Bref: vous faites de la presse à l’ancienne!» J’ai beaucoup réfléchi à cette boutade. De fait, notre mission n’est pas d’offrir un contrepoint aux partis pris de la presse. Notre mission est de reconstituer une presse qui n’existe plus, d’assurer l’intérim. L’Antipresse, c’est la presse à l’endroit.
Le «Nouvelleaks» qui suit est en deux parties: d’abord un commentaire sur les dérives médiatiques qui ont façonné et qui accompagnent une élection en forme d’avant-guerre civile; puis une analyse de la transformation robotique des mêmes médias. Cette dernière partie est parue dans le dernier numéro de la revue Éléments. Les deux ensemble peuvent être considérées comme le manifeste de cette presse à l’endroit, de la nouvelle presse que nous voulons contribuer à créer.
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Agenda

Autour du Rayon Bleu.
  • Jeudi 4 mai, 20h30: soirée du Cercle Cosaque autour du Rayon bleu chez Barak, 29 rue Sambre-et-Meuse, Paris 10e.
  • Vendredi 5 mai, librairie Payot Sion: cocktail-vernissage et dédicace du livre. S’annoncer à antipresse@antipresse.net

Dans ce numéro


NOUVELLEAKS par Slobodan Despot

LES MÉDIAS EXISTENT-ILS ENCORE?

1. France, une victoire à la Pyrrhus

Nul ne peut dire aujourd’hui qui sera le vainqueur de la présidentielle française, mais on peut affirmer avec certitude qui doit l’être selon les médias. En France comme dans le reste du monde occidental, le nécessaire futur président français s’affiche déjà sur toutes les couvertures. Si d’aventure les urnes devaient démentir ce pronostic, on s’emploiera à démentir les urnes. Le poulain de la banque Rothschild est en fait le seul choix possible. Si Macron®, par une improbable tournure, était battu, Marine Le Pen ne gouvernerait pas pour autant. «Ce serait l’insurrection dans la minute», prédit Michel Onfray, et il a sans doute raison. L’exemple de la domestication de Trump aux États-Unis par l’alliance cynique de l’oligarchie, des médias et de la rue nous a clairement livré la feuille de route.
La gestuelle de la tribu
Ce sera pourtant, dans un cas comme dans l’autre, une victoire à la Pyrrhus. D’ores et déjà, le système médiatique a étalé au grand jour sa collusion, d’une manière si ostentatoire qu’elle en devient contreproductive. Les Aphatie, les Pulvar et tous leurs collègues journalistes qui abandonnent toute réserve, toute éthique pour influencer l’électorat, à qui croient-ils rapporter des voix?
Plus révélatrice encore est la caresse de Ruth Elkrief à Emmanuel Macron®, fortuitement saisie par la caméra. La gestuelle ne ment jamais et le dernier idiot aura compris: «Vas-y mon pote, nous faisons équipe, je suis avec toi!» On est au-delà du penchant politique, de l’«union sacrée» contre le «Mal absolu» et autres alibis de principe. On a crûment affaire à une caste qui se serre les coudes face à une irruption «barbare» qu’elle combat sans aucun frein déontologique ou moral. Ce geste familier d’une journaliste de haut rang envers un candidat en campagne avec qui elle ne devrait même pas partager un verre dénote une régression de civilisation. On est à l’ère de l’informatique et des réseaux, mais on vit en tribu et l’on se sert de massues.
Le système médiatique n’est donc plus qu’une de ces massues. Il porte aussi la responsabilité d’une autre régression: la transformation du champ politique en un affrontement binaire, simpliste et abrupt où aucune des parties ne pourra accepter le triomphe de l’autre. En refusant d’informer sur des pans entiers de la réalité vécue par les citoyens français, en exonérant le fanatisme islamique et prenant même fait et cause pour lui au Moyen-Orient, en traitant de crétins et de racistes des gens sincèrement préoccupés de l’évolution de leur pays, il a ouvert un boulevard au populisme qu’il dénonce.
Nous aboutissons donc à un paradoxe gros comme une guerre civile. Quelle que soit l’issue de cette élection, le pouvoir restera aux mains de l’oligarchie. Mais quelle que soit l’issue de cette élection, la victoire morale en reviendra au Front national. Pour lui faire barrage, le système aura consumé ses derniers restes de crédibilité. En forçant tout le monde à se rallier derrière l’homme de paille de la finance ultralibérale, et en fustigeant ceux qui — comme Mélenchon — hésitent, il offre à Marine Le Pen et à son parti le statut d’unique alternative — fût-elle illusoire — à la catastrophe qui vient. Car l’ère Macron® ne promet rien d’autre que la répétition plus dénudée de toutes les recettes qui ont fait d’un grand pays indolent cette terre d’iniquité qu’il est aujourd’hui.
La disparition de la presse
Il vaut la peine de le souligner: nous ne regardons pas ces événements avec un a priori politique. Nous les considérons du point de vue qui nous concerne: celui de la communication et de l’air du temps. La disparition d’une presse indépendante, souveraine et différenciée est l’une des causes fondamentales de cette régression. Sans nous en apercevoir — parce que nous demeurons attachés aux rites et aux signes extérieurs — nous sommes sortis de l’ère des médias. Les médias intermédiaires et médiateurs ont cessé d’exister. Leur rôle originel implique une neutralité qu’ils n’ont plus, une fonction de relais entre des offres et des demandes, entre des propositions et des réalités. Même si certains secteurs — culture, loisirs, sport — continuent de produire une information de qualité, nous avons affaire désormais, du point de vue de leur fonction stratégique, à des outils de propagande et de rééducation.
Le constat vaut autant, à des nuances près, pour le service public que pour le privé: signe d’une fusion totalitaire entre l’État et le grand capital et de l’avènement d’une hypercaste, de cette Suprasociété que Zinoviev avait prophétisée dès la fin de l’URSS. La seule presse digne de ce nom, demain, sera celle qui vivra grâce à ses lecteurs et pour eux, et non à la botte et pour le profit de ses annonceurs ou de ses propriétaires.

2. La factologie contre l’information

Ainsi donc, par un paradoxe qui n’étonnera guère les rhétoriciens, les plus grands producteurs de fake news se sont transformés en juges et garants de la véracité des faits, réduisant l’information à de la factologie.
Les faits ne sont pas l’information
Là réside leur tromperie première: les faits n’existent qu’au travers de la narration qu’on en fait. Ils sont tributaires d’une grille de lecture, donc d’une subjectivité assumée. La factologie, elle, prétend occulter la part inévitable de subjectivité du travail de l’information. Cet escamotage, au vu de l’évolution des mêmes médias ces dernières décennies, est assez compréhensible. A force de marcher sur une planche systématiquement inclinée, ils ont perdu la sensation même du plat. De fait, une information sans parti pris et sans prédication morale est tout simplement impensable dans un grand média d’Occident. Ce parti pris et cette prédication monocorde traduisent une vision du monde monolithique et s’incarnent en un langage monolithique. Ainsi, on ne trouvera pas dans les mass media d’autre appellation pour le gouvernement légal de Syrie que «le régime de Damas». Ce n’est d’ailleurs plus une appellation, mais le tag de stigmatisation apposé à une entité qu’on combat.
Un univers monolithique
La pluralité d’opinions n’est plus, elle aussi, qu’une vue de l’esprit. Le cas du Journal publiant en 1924, contre ses propres convictions, les reportages de plus en plus dévastateurs d’Henri Béraud sur la réalité soviétique (qui deviendront son Ce que j’ai vu à Moscou), simplement parce que son directeur s’y était engagé, semble relever d’une utopie idyllique. De tels démentis à la ligne éditoriale ne se tolèrent plus, surtout pas en feuilleton. S’il subsiste encore dans la presse anglo-saxonne quelques rares journalistes de haut vol aux positions imprévisibles, il n’est plus aucune figure de ce genre en France ou en Allemagne. Ici, il arrive tout au plus que les journaux concèdent une tribune à des agitateurs extraprofessionnels, comme un Onfray ou un Botho Strauss.
Le débat d’idées est en effet peu à peu devenu un service extra-rédactionnel. On lui aménage des bacs à sable du genre Figaro Vox: ces services assurent le maintien d’un certain lectorat tout en servant de soupapes à la pression de l’opinion — au même titre que les commentaires en ligne. Ils masquent la normalisation et l’appauvrissement intellectuel des contenus proprement rédactionnels.
Cela se passe désormais… chez vous!
La brutalité et la rapidité de ce processus sont particulièrement sensibles dans l’évolution des organes de presse d’Europe de l’Est récemment rachetés par des groupes occidentaux (essentiellement germaniques). Impersonnalisation, globalisation, financiarisation, émasculation sont les mots-clefs de ces «réformes», qui souvent n’aboutissent qu’à la mort du patient, ou à la transformation de journaux historiques en simples vecteurs de pub. Le «package» idéologique infusé de pair avec le capital occidental n’est pas négociable, dût-il choquer et aliéner les derniers restes de lectorat. Le filtre du globalisme occidental doit être appliqué à chaque objectif, à chaque écran, à la plus vieille paire de lunettes du plus chevronné des rédacteurs, celui-là même qui avait réussi à se faufiler par l’ironie et le double langage entre les dogmes grossiers du socialisme réel.
Le monolithisme agressif des médias occidentaux est une donnée de base du dispositif stratégique incarné dans son volet militaire par l’OTAN. Au temps de la guerre ex-Yougoslavie, un Serbe ou pro-serbe avait plus de chances d’obtenir une tribune ou un démenti dans un journal croate que dans un journal d’un pays en principe non impliqué comme la France. La France où, justement, la presse faisait preuve d’un bellicisme atlantiste très en avance sur les positions réelles du gouvernement, plutôt souverainiste et réservé du temps de Mitterrand et Chirac.
A cette époque, les populations occidentales n’avaient pas encore conscience du bain de fake news où elles barbotaient, car les enjeux des matraquages médiatiques d’alors, à première vue, ne les concernaient pas. C’est grâce à cette indifférence et à l’absence totale de contre-pouvoirs que des contrevérités avérées que les médias se refusaient à corriger se sont retrouvées telles quelles dans le matériel de preuve des juges du TPI. Ceux-ci ont même réussi à mettre en accusation un personnage fictif issu d’un roman satirique (Le Héros sur son âne), le dénommé Gruban Malić, simplement parce qu’un reporter américain avait été suffisamment idiot pour ne pas «fact-checker» la blague d’un journaliste local!
Vers la robotisation
Les choses ont fondamentalement changé avec la décentralisation de l’information via l’internet, le rapprochement des enjeux (crise européenne, islam, migrations), et l’irruption de la contre-information russe. La mue récente des médias occidentaux, leur raidissement idéologique et leur dégringolade éthique témoignent à la fois d’une évolution professionnelle et d’un changement de mission stratégique.
Sur le plan professionnel, ce développement laisse entrevoir une issue burlesque qu’un Philip K. Dick n’eût pas reniée: le remplacement des rédacteurs par des algorithmes. Nous n’en sommes plus très loin avec l’émergence des outils informatiques de fact checking comme le Decodex du Monde ou le CrossCheck adopté par des dizaines de rédactions dans le but de traquer les fake news de la présidentielle française. Ces journalistes ne semblent pas avoir compris qu’en s’associant avec un enthousiasme de jobards à ces programmes d’«intelligence artificielle» fournis par Google, ils signaient leur propre arrêt de mort. Si les journalistes ne savent plus discerner le vrai du faux par leurs propres moyens, à quoi peuvent-ils bien servir, eux et leur formation?
De fait, c’est en Californie que s’élabore désormais l’avenir du journalisme officiel, notamment français. Le News Lab est ce «ministère de la vérité» de Google qui «collabore avec journalistes et entrepreneurs pour construire l’avenir des médias». Le manifeste de sa mission primordiale — «Fiabilité et Vérification» — est repris tel quel par les médias affiliés pour justifier leur nouvelle besogne de triage (plutôt que de création) des contenus.
Personne en France n’a prêté attention à l’explosion des ambitions de Google sous sa nouvelle entité portant le nom évocateur d’Alphabet. Personne ne s’est demandé à quoi allait réellement servir le «fonds Google» de 60 millions concédé par le géant informatique à la France en 2013 contre l’abandon de la requête en matière de droits formulée par les éditeurs français à son encontre. Or, non content de s’immuniser en versant une modeste obole aux Français, Google s’est assuré avec ce fonds d’un laboratoire grandeur nature pour expérimenter sa vision du «journalisme 2.0» avec la collaboration de médias dépassés affichant fièrement leur idiotie et leur inutilité.
Qui croit encore aux médias?
La dématérialisation de la presse ne marque pas une simple évolution technique, mais, comme dans le cas de Google, un changement de métier, passant notamment par des services et des applications sans grand lien avec le cœur de la profession. Le concept de journalisme est lui-même redéfini à la volée. Sous les formulations doucereuses du News Lab, on décèle le projet d’une supervision universelle de l’information par contrôle, filtrage et élimination, étroitement parente des pratiques logicielles de la NSA dénoncées par Snowden.
Aux yeux du système, les médias d’information sont déjà du passé. Seuls leurs opposants croient encore à leur existence. Aujourd’hui déjà, les jeunes adultes ne s’«informent» plus en lisant Le Monde — fût-ce sur écran —, mais en puisant dans la vapeur nébulisée par les réseaux sociaux. Ces réseaux sont eux-mêmes régis par des algorithmes qui sélectionnent les informations qu’ils reçoivent et les orientent vers ceux qui pensent comme eux. Modifier cette orientation, y introduire une part graduelle d’inversion, discréditer les identités où l’on se reconnaît sur le net, n’est qu’une affaire de programmation. D’où l’investissement massif des pouvoirs financiers et politiques américains dans ces réseaux.
Cette migration de l’information vers le contrôle s’accompagne de l’objectivation d’une idéologie sous forme d’algorithmes impersonnels. Une telle mécanicisation de la pensée ne s’est encore jamais vue dans l’histoire. Elle ressortit, d’une part, à la pétrification de l’empire atlantiste dans sa phase terminale: Les documents publics de l’OTAN regorgent d’instructions et de projets relatifs au contrôle de l’information. L’un de ses hauts dirigeants vient d’ailleurs d’assimiler les «fake news» (lisez: l’information libre) à une agression militaire contre l’Alliance au sens du fameux article 5 de sa charte. L’arrestation de blogueurs en territoire européen nous pend au nez.
D’autre part, elle est concomitante d’une contestation, par les élites techno-financières, de la démocratie participative elle-même. Le prétendant le plus «branché» à la présidence française n’a-t-il pas déclaré qu’il ne voyait pas l’utilité… de l’élection? Les peuples ne votent-ils pas systématiquement mal? Ne serait-il pas prudent de leur ôter la voix – ou alors de les dissoudre dans l’anonymat des «réseaux»?
Les journaux traditionnels, avec tous leurs défauts, sont des composantes indispensables de la démocratie. Ils incarnent la capacité d’une communauté humaine à s’organiser et à parler d’une même voix pour défendre un projet de société commun. La disparition de la pluralité de la presse, puis de la presse elle-même, signifie aussi la disparition des communautés et l’atomisation terminale de la société en particules humaines interchangeables. Les Européens soucieux de préserver leurs libertés et leurs identités ne devraient pas se réjouir de la disparition des médias, mais œuvrer à leur réactivation. Les médias représentatifs du sentiment et de l’intérêt populaires ont de beaux jours devant eux. Même imprimés sur du papier!

CANNIBALE LECTEUR de Pascal Vandenberghe

RÉSISTANCE PASSIVE

Pour Herman Melville (1819–1891), l’échec était «la pierre de touche de la grandeur». L’insuccès retentissant de Moby-Dick de son vivant n’est pas étranger à cet amer constat. S’il est aujourd’hui considéré comme l’un des grands écrivains américains du XIXe siècle, et que son œuvre occupe quatre volumes de «La Pléiade», la littérature ne permit jamais vraiment à Melville d’en vivre. C’est d’ailleurs après la publication de ses principaux livres qu’il dut se résoudre, en 1866, à devenir inspecteur des douanes du port de New York pour pouvoir faire vivre sa famille, poste qu’il occupa pendant dix-neuf ans.
Les choses avaient pourtant bien commencé: ses premiers livres (Taïpi, Omoo, Mardi et Redburn), publiés entre 1845 et 1850, connurent en effet un certain succès, aussi bien en Grande-Bretagne qu’aux États-Unis. Mais c’est paradoxalement la parution, en 1851, de son livre devenu par la suite le plus célèbre, Moby-Dick, qui marquera le début de son déclin: de son vivant, les ventes n’atteignirent pas les 4’000 exemplaires. Et son gros roman suivant, Pierre ou les ambiguïtés, publié l’année suivante, connaîtra un sort bien pire encore: éreinté par la critique, il se vendra péniblement à 1’800 exemplaires en… quarante ans. Ses manuscrits furent par la suite souvent refusés, sa carrière d’écrivain public prit fin petit à petit, bien qu’il continuât à écrire jusqu’à la fin de sa vie.
Redécouvert dans les années 1920, en particulier par Moby-Dick, justement, ses livres seront traduits en français une vingtaine d’années plus tard: en 1939 paraît Pierre ou les ambiguïtés chez Gallimard (dans une traduction de Pierre Leyris, qui traduisit en français les plus grands écrivains anglo-saxons, parmi lesquels Shakespeare, Dickens et Yeats, entre autres), et l’année suivante Moby-Dick ou la baleine blanche, toujours chez Gallimard, dans une traduction de Joan Smith, Lucien Jacques et Jean Giono. Cette traduction à trois mérite quelques explications: Joan Smith réalisa une première traduction littérale, que Lucien Jacques rendit ensuite plus littéraire (plus fluide et lisible). Après quoi Jean Giono réécrivit en quelque sorte Moby-Dick à partir de ces travaux. Ce n’est d’ailleurs plus cette traduction qui est commercialisée, mais celle de Philippe Jarowski, qui dirigea l’édition de Melville dans «La Pléiade».
Parmi les textes moins connus de Melville figure un petit bijou: Bartleby le scribe (disponible en «Folio»). Longue nouvelle ou court roman, cet objet littéraire non identifié est singulier. Le narrateur est un notaire installé dans le quartier de Wall Street. Il a trois employés: deux scribes, dont la tâche est d’effectuer des copies des actes et documents légaux, et un garçon de courses. Se voyant conférer la charge de conseiller à la Cour de la Chancellerie, notre narrateur se voit contraint d’engager un nouveau scribe pour faire face à l’augmentation de la charge de travail. Entrée en scène de Bartleby. Les premiers temps, tout se passe bien: Bartleby, installé dans le bureau même de notre notaire, mais séparé de celui-ci par un paravent, s’acquitte au mieux de sa tâche.
Un jour, le notaire lui demande de collationner des documents. «I would prefer not» lui répond Bartleby. «Je préférerais ne pas». Au fil du récit, cette manière très particulière, toujours très polie, de Bartleby de refuser d’exécuter les tâches qui lui sont confiées, va progressivement inverser les rôles entre le dominant (le patron) et le dominé (l’employé). Mais je ne vous en dis pas plus, au risque sinon de déflorer toute l’intensité de ce roman hors du commun.
Ce «Je préférerais ne pas», l’une des variantes, dans les différentes traductions, que je «préfère», si je puis dire, à celle retenue dans cette traduction («Je préférerais pas»), est une parabole de la résistance passive, et mérite à ce titre d’être méditée. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard si Nanni Moretti, dans son magnifique film Habemus Papam, dans lequel Michel Piccoli incarne le rôle d’un pape élu «à l’insu de son plein gré» et réfractaire à la charge, décida de donner le nom de Melville à son héros. Une manière de rendre hommage au créateur de Bartleby à travers un personnage qui en est son héritier.
Malgré cinq adaptations cinématographiques, et quatre adaptations théâtrales, ce Bartleby reste, à mon sens, trop peu connu et reconnu. Il est pourtant de ces livres courts qui laissent une trace indélébile chez le lecteur.

ANGLE MORT par Fernand Le Pic

MACRON N’AURA PAS D’ENFANTS

Macron serait-il en passe de devenir le nouveau Père du peuple? Sans doute pas. Non que sa femme ne soit plus en âge d’enfanter mais plutôt que le peuple se révèle être son adversaire le plus intime. Néanmoins, s’il est élu, il le devra à l’incroyable culte de la personnalité que son système de lancement et de soutien aura su mettre en place. Près de 20’000 articles de grande presse à la veille du premier tour, des centaines de reportages élogieux à la télévision, à la radio et sur des réseaux sociaux saturés du soutien constant et parfaitement scénarisé des élites médiatiques françaises. Un culte qui n’a finalement rien à envier à Staline et moins encore à Mao, dont la mystique prit corps avec la «Grande Marche». Liu Chunhua, l’un de ses peintres iconographes préférés durant la si carnassière Révolution culturelle, savait mieux que quiconque jouer de la silhouette du président Mao jeune (la quarantaine), venant à la rencontre du bon peuple «telle la lumière aveuglante du soleil levant, […] apportant l’espoir et la promesse d’un avenir radieux», disait-il. Son célèbre tableau de Mao s’approchant de Anyuan fut reproduit à 900 millions d’exemplaires! Macron fera sûrement mieux.
Liu Wenxi, auteur du portrait officiel de Mao et de son effigie sur les billets de banques chinois, est quant à lui connu pour ses formidables images d’Épinal dépeignant le Timonier adulé, entouré de son peuple multiethnique, aimant, intime et dompté, mais toujours prêt à tuer et se faire tuer pour lui. Le rêve de tout dictateur en puissance: une masse docile envers le système et belliqueuse envers ses détracteurs. Le fascisme a toujours justifié très méthodiquement le barrage puis l’élimination de toute opposition politique par la violence progressive mais annoncée, en assimilant les opposants à des déviants moraux, puis à des ennemis intérieurs du système, voire à des agents de l’étranger. Le futur Président Maocron y est presque, lui qui amalgame sans honte les millions d’électeurs de Marine Le Pen aux Waffen SS d’Oradour sur Glane. Certes ses fresques modernes ne sont plus peintes par des artistes pompiers: photos people et reportages multicultis font très bien l’affaire. Mais il n’en demeure pas moins que la force électorale du futur Grand Coach Suprême puise à satiété dans les vielles recettes cultuelles du communisme et du fascisme. L’engagement des jeunes fait ici l’objet d’un soin très attentif. On les stimule dans le registre de l’émotion et de l’objet fétiche, tandis qu’on les revêt d’un uniforme. Peu importe que les couturiers de la vareuse à col Mao ou de la chemise noire, fussent remplacés par des usines à T-shirt jaune, ces nouvelles jeunesses communiantes («Les jeunes pour Macron») ont déjà touché leur paquetage. Peu importe qu’on ait troqué le Livre rouge pour un Smartphone, dans les deux cas, c’est de là que viennent les ordres de Marche. Et que se présente à eux leur nouveau guide et sa reine-mère, les fans lèveront haut leur talisman à selfies, dans un geste déjà filial et sacerdotal, unifiés qu’ils sont dans la grande inconscience transie qu’on se joue d’eux. Peu importe aussi que les commissaires du Parti se soient mués en gourous du Parti-pris, ce qui compte c’est qu’il est déjà moralement, et bientôt pénalement, interdit de penser et de voter autrement.
Négation sociale du pluralisme démocratique, représentativité déifiée et exclusive de la masse par un chef providentiel et charismatique, légitimation de ce chef par l’embrigadement de la société civile en substitution du débat de fond, passé identitaire et culturel falsifié au profit d’une mystique de science-fiction, il ne reste plus que la guerre juste, même civile, afin de s’acquitter de l’endettement et rembourser les sponsors et le fascisme sera justement passé par celui qui le dénonce, à s’en «casser la voix».
L’arrivée d’Emmanuel Macron au deuxième tour de la présidentielle française de 2017 est assurément l’annonce d’un changement politique structurel qui risque d’être irréversible, sauf rébellions sanglantes. L’allégorie de la caverne de Platon réapparaît soudain sous nos yeux. La grotte est moderne et bien éclairée vers l’intérieur, simplement réagencée en plateau du 20 heures. La faible lumière du jour ressemble à s’y méprendre à celle de nos écrans plats de toutes sortes, qui absorbent tant d’heures du sang de nos yeux. Les sons quant à eux trouvent à nider dans de toujours plus invisibles haut-parleurs, tandis que la relation humaine s’accommode des pénombres du vase clos. Les candidats au libre arbitre devront se faire violence pour affronter la simple nature des choses, la lumière trop aveuglante du dehors. Et qu’ils ne s’avisent pas d’en témoigner trop vite à leurs anciens congénères, ces derniers les tueront au nom de la post-vérité, ce nouveau synonyme d’hérésie qu’ils viennent tout juste d’inventer. La France est plus proche du Livre VII de la République de Platon qu’elle ne le pense. Mais elle l’est davantage encore d’une Saint-Barthélémy aux normes des révolutions de couleurs, parfaitement rodées depuis au moins l’an 2000. Plusieurs tours de chauffe ont comme on le sait déjà eu lieu en France: Nuit debout, les Indignés, les émeutes des banlieues, les casses «antifas», etc. L’enrôlement d’une jeunesse idéaliste suréquipée gratuitement de gadgets communicants dernier cri, tout comme les professionnels d’État déguisés en militants d’ONG, sont déjà en place. En fait, cette campagne aura même réussi à désigner au grand jour les officiers traitants de cette future révolution de Maïdan version française. Au cas où Marine Le Pen ferait un trop bon score on entend déjà les Bayrou, les Juppé et autres Bruno Lemaire annoncer la couleur justement. Et peu importe que les électeurs potentiels de Marine n’aient aucune autre ambition particulière qu’une aspiration à plus d’égalité, de pérennité et de sécurité. Tant pis s’ils ne font que regrouper cette nouvelle masse informelle et transversale, cette classe mitoyenne où s’entend la vérité de toutes les plaintes d’un peuple en voie de disparition. Les néomacroniens, exclusivement biberonnés au lait stérile de l’Union européenne, les traiteront sans pitié, comme les derniers vestiges de cette idée de nation qu’ils abhorrent.
Le seul espoir est dans leur oubli freudien de l’histoire. Ils refuseront d’admettre que ce qu’il reste de Français se réjouira davantage «d’en finir avec l’humiliation, que d’en retirer les profits», comme l’écrivait Pierre-Louis Rœderer dans L’esprit de la révolution de 1789.

Main courante

PRÉSIDENTIELLES | L’analyse de Pascal Vandenberghe

MACRON | Il n’y a pas que des plombiers en Pologne

FRANCE | 6 millions d’électeurs fantômes?

MÉDIAS | l’anticorruption, un jeu d’enfant

DÉSINFORMATION | Une vidéo de Syrie fabriquée… au Maroc

GOOGLE | Des «fake news» au délit d’opinion

QATAR | Le passeur de lard en avait plein le cul


log.antipresse.net. L’actualité sans filtre.

Pain de méninges

Pourquoi les médias nous mentent?

«Quand tout le monde vous ment tout le temps, le résultat n’est pas que vous croyez à ces mensonges, mais que personne ne croit plus à rien. Un peuple qui ne peut plus croire à rien n’est pas à même de se former une opinion. Il se trouve privé non seulement de sa capacité d’agir, mais encore de sa capacité de pensée et de jugement. Et avec un tel peuple, vous pouvez faire ce que vous voulez.»
— Hannah Arendt.

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