mardi 26 janvier 2016

Pourquoi les ONG sont un problème (par Stephanie McMillan) / Why NGO(NON-GOVERNMENTAL ORGANIZATION) are a problem (by Stephanie McMillan)

source : http://www.informaction.info/iframe-pourquoi-les-ong-sont-un-probleme-par-stephanie-mcmillan

Le collectif de féministes radicales INCITE! (Femmes de couleur contre la violence) a publié cet excellent livre (uniquement disponible en anglais pour l'instant, malheureusement) sur le "complexe industriel du non-lucratif", "La révolution ne sera pas subventionnée"


Stephanie McMillan (née en 1965) est une dessinatrice politique US, éditorialiste, et activiste du Sud de la Floride. Petite-fille du réalisateur de films d’animation allemand Hans Fischerkösen, elle voulait devenir dessinatrice depuis l’âge de 10 ans. Durant ses années de lycée, elle a commencé à organiser des manifestations contre le capitalisme et l’impérialisme. Elle continue.

Il y a une vingtaine d’années, lors d’une conversation avec un organisateur bangladais, nous avons abordé le sujet des ONG*. Il a craché avec dégoût : « Je déteste les ONG ». À l’époque, je n’ai pas vraiment compris pourquoi il était si véhément sur le sujet. Je savais que les ONG avaient des aspects négatifs, comme le fait qu’elles détournent une partie de l’énergie révolutionnaire des masses, mais je croyais encore à moitié leurs affirmations selon lesquelles leur travail était plus utile que nuisible. Ne fallait-il pas être une espèce de crétin dogmatique pour dénoncer les soins gratuit et les programmes de lutte contre la pauvreté ? Je ne comprenais pas encore à quel point elles sont en réalité une catastrophe.
Depuis cette conversation, les ONG ont proliféré comme des champignons dans le monde entier. D’abord déployées dans les formations sociales dominées par l’impérialisme, elles occupent aujourd’hui aussi la scène politique des pays qui sont la base du capitalisme. Elles sont devenues la nouvelle forme à la mode d’accumulation du capital, avec une portée mondiale et des milliards de revenus. Tout se prétendant « à but non-lucratif », elles servent de source de revenus importants pour ceux d’en haut, tout en gavant de larges couches de la petite bourgeoisie, leur permettant de s’étaler sur la classe ouvrière comme une couverture chauffante humide, mettant ainsi en sourdine ses revendications.
Après beaucoup d’observations et d’expériences directes et indirectes, je comprends aujourd’hui et partage la haine de cet organisateur d’autrefois envers les ONG. Quel est leur degré de nuisance ? Permettez-moi d’énumérer quelques réponses :

I. Les ONG sont une des nombreuses armes de domination impérialiste

Aux côtés des invasions militaires et des missionnaires, les ONG aident à ouvrir les pays comme on craque des noix, en préparant le terrain pour des vagues d’exploitation et d’extraction plus intenses, comme l’agrobusiness pour l’exportation, les ateliers de misère, les ressources minières et les sites touristiques.
Haïti en est l’exemple le plus extrême. Appelé par nombre d’Haïtiens eux-mêmes « la république des ONG », le pays avait déjà été infesté par 10 000 ONG avant le tremblement de terre de 2010, le nombre d’ONG par habitant le plus élevé du monde. 99% des aides d’après le tremblement de terre ont étéacheminées par des ONG et autres agences, qui ont gagné des sommes colossales, en volant la majeure partie de l’argent que les gens avaient donné de bonne foi en pensant qu’il aiderait réellement les masses affectées par la catastrophe.
[Une vidéo très importante sur le rôle des ONG dans le pillage du continent Africain]:
Cette merde n’est pas récente. Il y a des décennies, l’USAID et la Banque mondiale imposaient déjà des économies orientées vers l’exportation et les programmes d’ajustement structurel concomitants en Haïti et ailleurs. Il y a 20 ans, 80% de l’argent de l’USAID finissaient par revenir dans les poches des entreprises US et des « experts ». Au fil de la maturation de ce processus, les ONG sont devenues l’entité préférée de cette forme parasitaire d’accumulation, en capitalisant et alimentant la misère créée par « l’aide » au départ.
Dans de nombreux pays dominés, les directeurs d’ONG sont devenus un segment de la bourgeoisie bureaucratique, utilisant l’État comme leur source première d’accumulation de capital. Sur les dernières 20 années, environ, en Haïti, nombre de ceux qui avaient créé et dirigé des ONG ont fini aussi par occuper des postes politiques, de président à premier ministre ou membre du parlement, comme Aristide, Préval, et Michèle Pierre-Louis.
Maintenant que le capitalisme est dans une crise structurelle mondiale croissante, l’ajustement structurel est également imposé à ses formations sociales centrales. Comme des canetons conditionnés, les ONG suivent dans le sillage. 30 nouvelles ONG sont créées chaque jour au Royaume-Uni, et 1,5 million d’ONG infestent les USA. Elles sont devenues l’option de survie du jour pour les diplômés au chômage navigant à travers une crise économique mondiale.

II. Les ONG sabotent, détournent et remplacent l’organisation autonome de masse

“Ce à quoi vous résistez, va persister” : ce cliché est loin d’être inutile stratégiquement. Par conséquent, au lieu de combattre la gauche de front comme ils le faisaient auparavant, les capitalistes l’ont étouffée dans leurs bras bienveillants.
En abandonnant la lutte des classes, la gauche s’est déjà rendue impuissante : elle donne des coups d’épée dans l’eau et ne peut frapper l’ennemi. Cet état d’atrophie la rend vulnérable, susceptible d’accepter que la Fondation Rockefeller ou autre entité capitaliste lui propose un chèque pour« combattre pour l’émancipation et la justice sociale contre la rapacité des entreprises ». Boum : les capitalistes ont neutralisé leur pire menace. Ils l’ont achetée, rendue inoffensive, lui ont arraché ses griffes.
gauche
Ils l’ont remplacée par un phénomène social qui semble être (et qui parfois affirme directement être) une force d’opposition, mais qui n’est plus qu’un animal domestique loyal et utile. Au lieu d’attaquer le capital à la gorge, elle (quoiqu’il en soit, il ne faudrait plus l’appeler « la gauche ») lèche gaiement les bottes de ses nouveaux maitres.
Voyons à quoi ça ressemble sur le terrain.
Vous êtes en manifestation. Comment pouvez-vous ne serait-ce que savoir si tout ça est authentique? Il y a une poignée d’activistes payés portant des pancartes pré-imprimées. Ils scandent des slogans — mais comment pouvons-nous être sûrs qu’ils pensent ce qu’ils disent, alors qu’ils suivent un script prédéterminé ? Comment être certain que si leur financement était coupé, ils seraient tout de même ici, qu’ils seraient toujours concernés et impliqués ?
Les gens sincères pensent souvent qu’ils pourront être « payés pour faire le bien », mais ça ne fonctionne pas ainsi. Les capitalistes ne se sont pas emparés du monde en étant complètement cons. Ils ne vont pas nous payer pour leur nuire.
Combien de fois avez-vous observé un tel scénario? Une atrocité se produit, des gens indignés inondent les rues, et une fois réunis, quelqu’un annonce un meeting pour poursuivre et continuer la lutte. Lors de ce meeting, plusieurs organisateurs expérimentés semblent être responsables. Ils disent des choses radicales, un peu dures qui semblent relativement impressionnantes. Ils proposent de fournir une formation et un lieu de rencontres régulières. Ils semblent déjà avoir un plan, bien que personne d’autre n’ait eu le temps d’y penser. Ils semblent compétents, expliquent (à l’aide de diagrammes) comment repérer nos alliés potentiels, et sortent une liste de politiciens spécifiques à cibler lors des manifestations. Ils formulent des « demandes » simplistes pour « construire la confiance avec un gain rapide ».
Quiconque suggère une approche différente est passivement-agressivement ignoré.
Sous leur commandement, vous occupez telle institution ou tel bureau de politicien, ou organisez une manifestation ou un rassemblement. Votre protestation est bruyante et passionnée, et a l’air assez militante.
Avant même de vous en rendre compte, vous vous retrouvez à frapper à la porte d’un inconnu, une planchette à pince à la main, espérant le convaincre de voter lors de la prochaine élection.
ong2(2)Les ONG servent à saper, à détourner et à remplacer les luttes de masse. En cela, elles sont très efficaces. J’ai récemment discuté avec une radicale du New Jersey, qui m’expliquait qu’une manifestation où elle s’était rendue était en fait le projet d’un étudiant diplômé, sans aucun doute un futur directeur d’ONG. L’air assez choquée et énervée, elle me dit que depuis, elle n’a même plus envie d’aller manifester parce qu’elle ne croit plus en leur authenticité. Une victoire éclatante pour le capital.
A Miami, j’ai assisté à des manifestations de l’organisation “Fight for $15” [Combattez pour un salaire horaire minimal de 15 $, NdE] dans lesquelles la vaste majorité des participants étaient des activistes payés, des employés d’ONG, de CBOs (Organisations basées sur les communautés), et des personnels de syndicats à la recherche de membres potentiels. Les manifestations de Black Lives Matter [Les vies noires, ça compte] à Miami ont également été menées de cette façon, avec des activistes payés, qui devaient montrer qu’ils« organisaient la communauté », afin de recevoir la prochaine subvention.
Lors de ce genre de mobilisations, lorsqu’une personne auparavant inorganisée est repérée, elle se retrouve encerclée comme de la viande fraiche par une bande de hyènes, instantanément dévorée par des activistes cherchant à atteindre leur quota de recrutement. La prochaine fois que vous verrez ces nouveaux conscrits, ils porteront le t-shirt violet, rouge, orange ou vert citron de la marque d’organisation à laquelle ils ont été vendus.
Ces organisations à but non-lucratif choisissent et abandonnent leurs thèmes de campagne non pas en raison de convictions ou de stratégie sur le long-terme, mais strictement en fonction du financement qu’elles reçoivent, et se limitent aux paramètres dictés par les fondations. En profitant du travail fastidieux de bénévoles confiants espérant « faire une différence positive », nombre d’organisateurs réalisent des carrières lucratives dans la bureaucratie non-lucrative, ou utilisent cette expérience comme base de lancement pour grimper dans la politique bourgeoise de haut niveau.
L’activisme a été minutieusement capitalisé et professionnalisé. Au lieu d’organiser les masses pour qu’elles combattent pour leurs propres intérêts, ces institutions les utilisent à leur propre bénéfice. Au lieu de construire un mouvement de masse, elles font dans la gestion de l’indignation publique. Au lieu d’engendrer des militants radicaux ou révolutionnaires, elles développent des activistes-travailleurs-sociaux et des assistés passifs.
Je ne voudrais pas avoir l’air d’une vieille grincheuse, mais dans le temps — croyez-le ou pas ! — il était normal pour les organisateurs de ne pas être payé. Les révolutionnaires luttaient contre Le Système en adoptant la perspective des intérêts de la classe ouvrière internationale, en toute conscience, et avec un désir ardent d’écraser l’ennemi et de changer le monde. Nous comprenions que cela serait extrêmement difficile et que cela impliquait l’adversité et la répression, mais nous n’étions pas découragés. Un-e militant-e révolutionnaire consacre volontiers sa vie à cette grande cause.
Aujourd’hui, l’organisation sans compensation financière semble être un concept étranger à beaucoup, voire une idée saugrenue. Quand je sors pour tracter (oui, nous distribuons encore des tracts), les gens demandent souvent : « Comment puis-je dégoter un job me faisant faire ça ? ». Lorsque j’explique que je ne suis pas payée pour ça, mais que je le fais par conviction, leurs visages traduisent l’incrédulité.
Sigh.
Pas étonnant que nous soyons si faibles et éparpillés. La classe capitaliste, qui a en permanence 5 coups d’avance, a bien réussi à dévorer vivante la gauche. Tant que nous ne brisons pas la malédiction de l’ONGisme, nous restons condamnés à errer comme des squelettes dans le purgatoire du militantisme.
L’information à emporter (pour utiliser le jargon non-lucratif, en levant les yeux au ciel) est la suivante : si les capitalistes parviennent à nous garder trop occupés et fatigués pour que nous nous organisions nous-mêmes, si nous sommes condamnés à n’être que des fantassins au service de leur programme et pas du nôtre, alors nous ne gagnerons pas la révolution.

III. Les ONG supplantent l’État, en faisant ce qu’il devrait faire

Les soi-disant agences “d’aide” financées par les gouvernements capitalistes et impérialistes ont récupéré les fonctions des États dans les pays dominés, qui ont été forcés à couper les prestations sociales comme condition des crédits de la part de ces États impérialistes. Conflit d’intérêt, un peu, non ?
Au cœur de l’empire comme en sa périphérie, les ONG prennent en charge les responsabilités de l’État pour répondre aux besoins sociaux. La « déliquescence » des programmes sociaux d’État ne signifie pas que les états capitalistes s’affaiblissent (désolé, chers anarchistes et libertaires). Cela signifie simplement qu’ils peuvent allouer une part plus importante de leurs ressources à la conquête, à la répression et à l’accumulation, et moins à la prévention et gestion de la populace pour éviter les soulèvements de masse liés au mécontentement.
Nous sommes désormais conditionnés afin que nos besoins soient comblés par des cliniques bon marché, des banques alimentaires et une myriade d’autres agences de la « société civile ». Les soins médicaux, la nourriture, l’eau, le logement, les soins aux enfants et une activité ayant du sens sont les nécessités fondamentales de la vie humaine. Toute société décente devrait prodiguer tout cela, mais on nous fait nous sentir comme des mendiants humiliés tandis que nous pataugeons à travers la paperasse bureaucratique et que nous nous disputons avec des fonctionnaires. C’est foutrement n’importe quoi. Nous avons droit à des vies décentes. Nous devons nous organiser et lutter pour ça, ensemble.

IV. Les ONG soutiennent le capitalisme en gommant la lutte des classes

Le placement structurel des organisations non-lucratives dans l’économie (en tant que vecteurs d’accumulation) les empêche de défier le capitalisme. Elles offrent une échappatoire à la petite bourgeoisie en lutte (la soi-disant « classe moyenne »), une alternative à la prolétarisation, en lui donnant des boulots. Elles sont le plus grand employeur d’Haïti. Partout où elles opèrent, elles font enfler la petite bourgeoisie pour servir de tampon masquant et se substituant elles-mêmes, avec leurs aspirations, aux luttes de la classe ouvrière. Les ONG cherchent à atténuer les conséquences les plus flagrantes du capitalisme, jamais à les éliminer.
fondaLa petite bourgeoisie, sous-payée dans la circulation du capital plutôt qu’exploitée par la production (comme le sont les ouvriers), est dominée par le capital, mais n’est pas en relation antagoniste avec lui (comme le sont les ouvriers). D’où la tendance naturelle pour la petite bourgeoisie, lorsqu’elle affirme ses intérêts de classe, à lutter pour l’égalité au sein de la structure capitaliste. La classe capitaliste dépend d’elle pour la modération de la lutte de la classe ouvrière, son détournement et sa dilution dans le réformisme, pour l’enfouissement de sa lutte au sein des partis politiques établis et des syndicats collaborateurs.
Historiquement, à chaque fois que la classe ouvrière proclame sa volonté de révolution, l’oreiller moelleux de la petite bourgeoisie se porte volontaire pour suffoquer sa voix. Les capitalistes façonnent toujours la petite bourgeoisie de façon à faire d’elle un agent d’exécution de la domination capitaliste sur la classe ouvrière. Le challenge, pour le progressiste sérieux, le militant radical ou révolutionnaire qui se trouve être membre de la petite bourgeoisie est de sortir de cette imposée, de rejeter consciemment ce rôle, et d’éviter d’être utilisé (par inadvertance ou autre) pour des objectifs réactionnaires.
Les conséquences horribles du capitalisme — l’oppression, l’écocide, les guerres de conquête, l’exploitation, la pauvreté — ne peuvent pas éliminées sans élimination de leur cause. Si nous voulons vraiment faire advenir les changements auxquels nous prétendons, nous devons intégralement nous débarrasser du moindre résidu de loyauté petite-bourgeoise envers le capitalisme, et combattre sous l’égide de l’ennemi fondamental du capitalisme : la classe ouvrière.

Note aux employés d’ONG

Je ne remets pas en question votre sincérité. Beaucoup de jeunes sincères veulent faire une différence. Les emplois sont rares, et il vous faut vivre. Il est extrêmement tentant de penser que ces deux impératifs peuvent se combiner en un joli paquet, ce qui vous permettrait de servir l’humanité tout en assurant votre propre survie.
C’est une belle idée. Mais fausse. Une structure bien établie vous changera avant que vous l’ayez changée. « L’union du poulet et du cafard à lieu dans le ventre de la poule ».
Abandonner n’est pas une réponse. Nous sommes tous pris au piège dans l’économie de l’ennemi. Ils ont créé ces conditions, nous obligeant à travailler pour leur secteur industriel, leur secteur des services, ou leur secteur non-lucratif. Tout cela pour extraire de nous de la plus-value, et pour maintenir leur domination. Nous ne pouvons pas simplement décider de fuir individuellement. La seule issue est l’organisation, ensemble, dans le but d’un soulèvement révolutionnaire, et d’une rupture de la structure tout entière. Nous serons tous libres, ou personne ne le sera.
Ce que nous devons éviter, en attendant, c’est de confondre le travail pour une ONG (ou un syndicat collaborationniste) avec la véritable organisation autonome. Comprendre sa nature : votre travail dans une ONG n’est pas d’organiser les masses, mais de les désorganiser, de les pacifier, de les mener vers une impasse politique. Faites donc votre véritable travail d’organisation ailleurs.
Le capitalisme ne nous assiste pas dans sa propre destruction. Si nous parvenions à devenir efficaces dans notre construction d’un mouvement anticapitaliste de masse, ils ne nous enverraient pas de chèque. Au lieu de cela, ils feraient tout leur possible pour nous discréditer, nous neutraliser, nous emprisonner et nous tuer.
Les vrais organisateurs révolutionnaires ne sont pas payés.
*ONG: organisations non-gouvernementales, ou “sans but lucratif”, de fait habituellement financées par les gouvernements ou les fondations capitalistes.
Stephanie McMillan
Et toujours, à voir absolument, l’excellent discours d’Arundhati Roy à ce sujet:

Traduction: Nicolas Casaux
Édition & Révision: Fausto Giudice & Héléna Delaunay

samedi 23 janvier 2016

Face à la crise migratoire : la parole au citoyen / In front of the migratory crisis: the word to the citizen

Dans cette crise, et dans l'absolu, j'imagine deux positions extrêmes : oui à fermeture totale des frontières ("les méchants"); oui à l'ouverture totale des frontières ("les gentils").

Il y a de bonnes raisons de croire que la solution puisse se situer entre ces deux extrêmes; que les méchants et les gentils soient présents un peu partout, y compris là où on s'y attend le moins.

Pourquoi s'opposer à la fermeture totale des frontières :

- d'abord, par solidarité  à l'égard de tous ceux qui souffrent;

- ensuite, comme la moindre de nos dettes eu égard à nos politiques extérieures criminelles (pillage des ressources, bombardements, corruption, pouvoir cédé aux multinationales, financement des djihadistes, des changements de régimes, etc.)

Pourquoi s'opposer à l'ouverture totale des frontières :

- parce que le risque de déstabilisation de notre pays est bien réel; parce qu'il faut dialoguer avec toutes les couches de la société civile y compris avec ceux qui ont peur et qui ne sont pas nécessairement nauséabonds, même s'ils votent "à côté de la plaque". Et comment ne pas prendre peur devant l'horreur d'un attentat ?, Et comment ne pas tomber dans le désespoir en cherchant, en vain, un emploi ? Et je ne parle même pas d'un emploi digne.

Dans notre démocratie "de basse intensité" ou plutôt dans notre régime pré-totalitaire au service de la finance, la question de savoir si on est "à côté de la plaque" se pose aussi pour tous ceux qui votent ... ou tous ceux qui s'abstiennent. A chacun sa vérité. 

- parce que le risque que des terroristes puissent se glisser dans le flux migratoire est indéniable et qu'il n'y a pas besoin d'être nauséabond ou islamophobe pour le penser (comme il n'y a pas besoin d'être antisémite pour critiquer la politique d'Israël à l'égard des Palestiniens);

- parce que quelques personnes déterminées et fanatisées sont capables de commettre des attentats de masse (je pense en particulier à nos centrales nucléaires...);

- parce que je ne veux pas épouser, même involontairement, les thèses de la FEB qui voit d'un très bon oeil un afflux de main-d'oeuvre malléable et corvéable à merci, en remplacement de notre population vieillissante ; autrement dit, parce que je ne crois pas que les politiques d'ouverture des frontières, parées parfois d'un multiculturalisme de façade et décidées sans le peuple soient systématiquement guidées par la générosité et la défense des droits de l'homme (je te pille, je te bombarde, je t'accueille).

Que faire ?

Sur bas des lois existantes, je crois qu'accueillir et intégrer les réfugiés, dans la dignité, et sans déstabiliser le pays d'accueil n'est pas une mission impossible. Encore faut-il avoir le courage d'une politique claire, non soumise à des contraintes électorales. Encore faut-il que les décisions puissent se prendre au niveau de l'Etat.

Pour le reste, il s'agit bien sûr d'accueillir les réfugiés reconnus ou présumés comme tels (civils, opposants politiques), le temps que cessent les menaces pesant sur eux. Ceux qui échappent à cette reconnaissance ou à cette présomption ne devraient pas pouvoir entrer ou rester sur notre territoire; de même que tous ceux qui se rendraient coupables d'agressions physiques.

Je crois que le meilleur moyen d'impliquer le citoyen dans cette crise, c'est de lui donner la parole et un pouvoir de décision au niveau de sa commune, en particulier. Bien sûr, il est indispensable que les autres niveaux de pouvoir agissent (dégager un budget, rendre possible des référendums, promouvoir les consultations populaires, le tirage au sort, la diminution du temps de travail en vue de favoriser, notamment, la participation citoyenne, etc.).

L'avantage de la commune, c'est qu'elle offre la possibilité aux citoyens de mieux comprendre les problèmes qui se posent puisqu'ils se posent près de chez eux. En lien avec les autres entités fédérées, la prise en charge des réfugiés pourrait donc se faire en fonction des capacités financières et d'accueil, notamment de chaque commune, mais aussi en fonction de la solidarité décidée par leurs citoyens politiquement actifs... ou passifs (qui ne dit mot consent).

Par citoyens politiquement actifs, j'exclus évidemment les milices qui se constitueraient pour organiser des ratonnades de réfugiés/migrants. Parcourez la toile... ici et là, les tentations se font de plus en plus vives (éventail de points de vue sur http://trodetou.blogspot.be/2015/09/dossier-immigration-le-vieux-monde-se.html + un  excellent article de Frédéric Lordon : http://blog.mondediplo.net/2013-07-08-Ce-que-l-extreme-droite-ne-nous-prendra-pas)

Quoiqu'il en soit, pour résoudre cette crise migratoire, il s'agit avant tout de comprendre les racines de la crise, de toutes les crises, y compris celles qui plongent nos propres citoyens dans la misère. Sans quoi, nous sommes promis à une guerre éternelle.

Christophe

dimanche 17 janvier 2016

Prévenir la guerre nucléaire ! / To prevent the nuclear war !

source : http://www.horizons-et-debats.ch/index.php?id=4830

Pourquoi des alternatives à la politique belliciste des néoconservateurs américains et de l’OTAN sont une obligation pour la survie de l’humanité

par Paul Craig Roberts*

L’écroulement de l’Union soviétique en 1991 a donné naissance à une idéologie américaine dangereuse appelée néoconservatisme. L’Union soviétique servait jusque là de limite à l’action unilatérale américaine mais lorsque cet obstacle à l’action de Washington a été aboli, les néoconservateurs ont pu inscrire à leur ordre du jour l’hégémonie mondiale américaine.
L’Amérique était devenue la «superpuissance unique», l’«uni-power», qui pouvait désormais agir sans aucune contrainte n’importe où dans le monde.
Le journaliste néoconservateur du «Washington Post» Charles Krauthammer a ainsi résumé «la nouvelle réalité»:
«Nous avons un pouvoir mondial écrasant. Nous sommes les gardiens historiquement désignés du système international. Quand l’Union soviétique est tombée, quelque chose de nouveau est né, quelque chose de tout à fait nouveau – un monde unipolaire dominé par une seule superpuissance incontrôlée sans aucun rival et qui jouit d’une portée déterminante dans n’importe quel endroit du monde. C’est un développement écrasant et totalement nouveau dans l’histoire, qu’on n’a plus vu depuis la chute de l’empire romain. Et même l’empire romain n’était pas comparable à ce qu’est l’Amérique d’aujourd’hui.»
L’effarant pouvoir unipolaire que l’histoire a donné à Washington doit être protégé à tout prix. En 1992, le Sous-secrétaire Paul Wolfowitz, haut responsable du Pentagone, a mis au point la Doctrine Wolfowitz, devenue depuis la base de la politique étrangère de Washington.
La Doctrine Wolfowitz déclare que «le premier objectif» de la politique étrangère et militaire américaine doit être d’«empêcher la renaissance d’un nouveau rival, sur le territoire de l’ancienne Union soviétique ou ailleurs, qui constitue une menace (à l’action unilatérale américaine) de l’ordre autrefois instauré par l’Union soviétique. Ceci est une considération dominante qui sous-tend la nouvelle stratégie de défense régionale et exige que nous nous efforcions d’empêcher toute puissance hostile d’étendre sa domination sur une région dont les ressources, placées sous tutelle, suffiraient à générer un pouvoir étendu au monde entier. («Une puissance hostile» étant dans ce contexte un pays suffisamment fort pour avoir une politique étrangère indépendante de Washington.)
L’affirmation unilatérale du pouvoir américain commence vraiment sérieusement pendant le mandat de Clinton avec les interventions en Yougoslavie, en Serbie, au Kosovo et par la zone d’exclusion aérienne imposée à l’Irak. En 1997, les néoconservateurs ont rédigé leur «Projet pour un nouveau siècle américain». En 1998, trois ans avant le 11-Septembre, les néoconservateurs ont envoyé une lettre au président Clinton demandant un changement de régime en Irak et «le renversement de Saddam Hussein». Les néoconservateurs exposent leur programme de renversement de sept gouvernements en cinq ans.
Les événements du 11 septembre 2001 sont considérés par les gens bien informés comme «le nouveau Pearl Harbour» dont les néoconservateurs avaient besoin pour commencer leurs guerres de conquête dans le Moyen-Orient. Paul O’Neil, le premier Ministre de l’Economie et des Finances du président George W. Bush, a déclaré publiquement que l’ordre du jour du président lors de la première réunion de Bush avec son cabinet était l’invasion de l’Irak. Cette invasion a été planifiée avant le 11-Septembre. Depuis, Washington a détruit entièrement ou partiellement huit pays et affronte maintenant la Russie tant en Syrie qu’en Ukraine.
La Russie ne peut permettre l’établissement d’un Califat djihadiste dans une zone comprenant la Syrie et l’Irak, car ce serait une base d’exportation de la déstabilisation dans les Républiques musulmanes de la Fédération de Russie. Henry Kissinger lui-même a confirmé ce point, suffisamment évident pour toute personne dotée d’un cerveau. Cependant, les néoconservateurs, fanatiques ivres de pouvoir, qui ont contrôlé les régimes de Clinton, Bush et Obama, sont si absorbés dans leur propre orgueil et arrogance qu’ils sont prêts à pousser la Russie à bout, au point d’inciter leur marionnette turque à abattre un avion russe et à renverser le gouvernement démocratiquement élu en Ukraine, alors en bons termes avec la Russie, en le remplaçant par un gouvernement fantoche américain.
Dans ce contexte, nous pouvons comprendre que la situation dangereuse auquel le monde est confronté est le produit de la politique arrogante d’hégémonie mondiale des néoconservateurs américains. Les erreurs de jugement et les dangers dans les conflits syrien et ukrainien sont les conséquences de l’idéologie néoconservatrice.
Afin de perpétuer l’hégémonie américaine, les néoconservateurs ont rejeté les garanties que Washington avait données à Gorbatchev que l’OTAN ne se déplacerait pas vers l’Est d’un centimètre. Les néoconservateurs ont poussé au retrait des Etats-Unis du traité ABM, lequel spécifiait que ni les Etats-Unis ni la Russie ne développeraient ni ne déploieraient de missiles antibalistiques. Les néoconservateurs ont réécrit la doctrine de guerre américaine et transformé le rôle des armes nucléaires, les faisant passer de force de représailles à celui de force de frappe préventive de premier plan. Les néoconservateurs ont commencé à installer des bases ABM aux frontières russes, tout en prétendant que ces bases avaient pour but de protéger l’Europe des attaques de missiles nucléaires balistiques intercontinentaux iraniens inexistants.
La Russie et son président, Vladimir Poutine, ont été diabolisés par les néoconservateurs et leurs marionnettes au sein du gouvernement des Etats-Unis et des médias. Par exemple, Hillary Clinton, candidate à l’investiture présidentielle démocrate, a déclaré que Poutine était un «nouveau Hitler». Un ancien officiel de C.I.A. a appelé à l’assassinat de Poutine. Les candidats au poste présidentiel dans les deux partis rivalisent d’agressivité envers la Russie et d’insultes à l’encontre du président russe.
Cela a eu pour effet de détruire la confiance existant entre les puissances nucléaires. Le gouvernement russe a appris que Washington ne respecte pas ses propres lois et encore moins le droit international et qu’on ne peut lui faire confiance dans le respect des accords. Ce manque de confiance, joint à l’agression envers la Russie déversée par Washington ainsi que par les médias prostitués, répercuté par la stupidité des capitales européennes, a posé les fondements d’un conflit nucléaire. Comme l’OTAN (essentiellement les Etats-Unis) n’a aucune perspective de victoire sur la Russie dans une guerre conventionnelle, et encore moins de de mise en déroute de l’alliance entre la Russie et la Chine, ce conflit sera nucléaire.
Afin d’éviter la guerre, Poutine demeure non-provocateur et discret dans ses réponses aux provocations occidentales. Le comportement responsable de Poutine, cependant, est interprété à tort par les néoconservateurs comme un signe de faiblesse et de crainte. Les néoconservateurs ont incité le président Obama à mettre la pression sur la Russie pour qu’elle cède. Cependant, Poutine a précisé que la Russie ne cédera pas. Poutine a envoyé ce message à de nombreuses occasions. Par exemple, le 28 septembre 2015, au 70e anniversaire des Nations Unies, Poutine a déclaré que la Russie ne pouvait plus tolérer l’état actuel des choses dans le monde. Deux jours plus tard, Poutine a pris la tête de la guerre contre l’Etat islamique (Daesh) en Syrie.
Les gouvernements européens, particulièrement ceux d’Allemagne et du Royaume-Uni, sont complices de l’évolution vers la guerre nucléaire. Ces deux Etats vassaux de l’Amérique facilitent l’imprudente agression de Washington envers la Russie en répandant la propagande de Washington et en soutenant les sanctions de Washington ainsi que les interventions contre d’autres pays. Tant que l’Europe ne sera rien de plus qu’une extension de Washington, la perspective de l’apocalypse continuera à croître.
Nous ne pouvons à présent plus éviter la guerre nucléaire que de deux manières.
L’une serait que la Russie et la Chine rendent les armes et acceptent l’hégémonie de Washington.
L’autre alternative serait un leader indépendant en Allemagne, au Royaume-Uni ou en France montant au créneau et se retirant de l’OTAN. Ce serait le début d’un abandon général de l’OTAN, principal outil de conflit avec la Russie et donc la plus dangereuse des forces au monde pour tous les pays européens et pour le monde entier.    •
*    Paul Craig Roberts a été haut fonctionnaire au ministère des Finances du gouvernement Reagan. Il a été collaborateur du Congrès américain, co-éditeur et journaliste du Wall Street Journal, Business Week, Creators Syndicate et chercheur à l’Université de Stanford. Il est président de l’Institute for Political Economy et auteur de nombreux livres et articles dans des magazines scientifiques.
Source: www.paulcraigroberts.org/2015/12/28/why-wwiii-is-on-the-horizon-paul-craig-roberts/
(Traduction Horizons et débats)

lundi 11 janvier 2016

A propos des Dominants / About the Dominant

source : http://michelcollon.info/A-propos-des-Dominants.htmlRobert Charvin

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8 janvier 2016
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En France et en Europe, l'idéologie dominante est le confusionnisme : on n'admet pas la structuration de classe, assimilée à une obscénité intellectuelle archaïque. Bourdieu a été l'objet de toutes les agressions pour avoir tenté d'établir une « anthropologie globale » de la classe dirigeante ! Il est en effet des sujets qu'il convient de ne pas aborder !



Les dominants entendent s’octroyer à eux-mêmes le droit de s’auto-analyser... avec l’indulgence qui s’impose. A défaut, la connaissance de ce phénomène essentiel qui est le consentement inconscient que les individus accordent au monde qui s’impose sans bénéfice pour eux, risque de conduire à la critique de la domination !

L’air du temps conduit à s’apitoyer (sans faire grand chose pour autant) sur la pauvreté extrême. Une « classe moyenne » sans frontière engloberait la grande majorité de la population ; au mieux, on la subdivise en une « upper middle class » et une « lower middle class ». Elle est idéalisée : la « moyennisation » d’ensemble permettrait l’épanouissement de la démocratie, en dépit du constat que la démonstration contraire a été faite dans les années 1930-1940 avec le ralliement aux divers fascismes des classes moyennes. Malgré aussi l’appui qu’elles apportent dans les pays du Sud où elles sont apparues aux régimes autoritaires qui leur offrent quelques privilèges (dans la Tunisie de Ben Ali, dans l’Égypte de Moubarak et dans les diverses dictatures que l’Amérique du Sud a connu, au Chili, par exemple).

== Pour comprendre le fonctionnement et les contradiction de notre société, il est pourtant indispensable de savoir qui la dirige et qui en profite effectivement. L’approche de la classe dominante est prudente et discrète. Le simple fait de noter qu’elle est très restreinte et d’analyser ses composantes relève de la subversion ! Ce petit monde est constitué des milieux d’affaires, des hauts fonctionnaires et des politiciens des sommets de l’État et de quelques personnalités médiatisées de toutes disciplines. Ces dominants sont en osmose, proches d’une caste à la fois diverse et homogène. Cette petite communauté est opaque pour tout le reste de la population : on ne connaît pas ses revenus réels ; on n’imagine pas son mode de vie, on ignore les moyens qu’elle emploie pour se pérenniser. Vouloir la rendre transparente (ce qui est un désir rare, car on préfère ausculter avec moins de risque la pauvreté) est assimilé à une agression politique destructrice de l’ordre public et qualifié de populisme anti- élitiste ! Les relations public-privé, argent-pouvoir politique et médias, clés des « réussites » individuelles « doivent » échapper à la transparence et donc à tout contrôle. La corruption (de formes variées) qui y règne échappe souvent aux procédures judiciaires qui s’enlisent faute de détenir les clés probantes. Il est difficile d’en pénétrer la réalité profonde.

Ce petit « complexe politico-médiatico-affairiste » est en effet surarmé. Il a la maîtrise de l’argent, ce qui lui permet d’en acquérir toujours davantage (sauf accident) et d’acheter les hommes qui lui sont utiles ; il dirige les communications, ayant acquis les grands médias, ce qui lui permet de formater les esprits, de fabriquer les leaders, de fixer « l’ordre du jour » et le vocabulaire du débat politique et de faire pression sur leurs comparses au sein de leurs monde ; il produit le droit (sauf exception) et l’interprète à son gré, grâce à ses juristes de cour (les vrais « intellectuels de marché »), et malgré les juges qu’il ne cesse de dénoncer les qualifiant de « rouges », ce qu’ils sont pourtant si rarement !

Tout en ayant pris ses distances vis-à-vis du catholicisme, il conserve des relations solides avec les institutions religieuses. Si la foi est tiède (le laxisme dans le domaine du sexe et de tous les plaisirs est sans borne), le respect affiché vis-à-vis du Pape et de l’Église reste « utilisable », notamment en période de crise. La caste dirigeante veut conserver la capacité de se couvrir de quelques oripeaux de spiritualité.

== On s’étonne que le parcours de nombreuses personnalités soit un cheminement de gauche à droite et pratiquement jamais l’inverse ; on ne saisit pas pourquoi toute victoire progressiste soit rapidement suivie d’un échec et d’une régression générale (Front Populaire, Libération, 1981, etc.) ; on assimile difficilement le fait que toute pensée critique est ultra minoritaire, sauf en d’exceptionnelles périodes. On est surpris de la faiblesse des opposants à ce système pourtant oligarchique.

Le plus surprenant est ailleurs. Il est dans l’existence permanente, malgré tout, d’une action contestataire et d’une réflexion anti-système vivante, alors qu’il est même difficile de savoir quel est le véritable adversaire des droits et du bien-être de la grande majorité ! Cette survie, évidemment insatisfaisante, a toutefois d’autant plus de mérite que les forces de droite et celles de la « gauche » social-démocrate créent une confusion croissante, mêlant leur programme et leur pratique au point qu’ils deviennent indistincts. Ce « mixage » délibéré, résultat de leur échec respectif, vise à la fois à satisfaire le monde des affaires et de séduire le « petit peuple ». Le grand écart et la dissimulation du réel ainsi provoqués ne dérangent aucunement les « partis de gouvernement », même s’ils perdent en route de nombreux adhérents (dont souvent ils n’ont que faire). Le résultat est un brouillard profond jeté sur la vie sociale et politique, conduisant à un discrédit du politique, à un abstentionnisme massif et croissant et à l’extension d’un esprit néo-fasciste dans la population, comme en témoignent les succès du F.N. La progression du F.N dérange davantage la droite (qui tente de lui ressembler) que la social-démocratie. Obsédés d’élections, les socialistes espèrent faire du F.N le principal adversaire au détriment de la droite classique. Ils ne se privent pas cependant d’envisager la possibilité d’une coalition « droite-gauche », qui est d’ailleurs en voie de réalisation locale.

== Ce qui caractérise la pratique constante des dominants, c’est la concentration de tous leurs efforts sur la seule tactique. Qu’il s’agisse de rivalités personnelles, de concurrences claniques, de luttes de partis, les dominants n’ont pas pour arme une stratégie ou un système de valeurs, quoiqu’ils disent. Ils ont simplement la maîtrise de toutes les procédures concevables : leur seule fin, qui est de se pérenniser, se trouve dans le meilleur usage possible des manipulations de toutes natures. A tous les récits, à toutes les idéologies, aux croyances, ils opposent la tactique !

== Cette classe dirigeante parce que dominante, vivant sur une autre planète que celle du reste de la population, a une haute considération pour elle-même et un grand mépris pour ceux qui n’appartiennent pas à cette « élite » autoproclamée. Tous ses membres se sentent les « meilleurs » et se considèrent « irremplaçables » : l’autorité leur appartient naturellement. Ces « Importants », de premier choix, se sont convaincus, comme l’était hier la noblesse d’Ancien Régime, qu’ils sont seuls à pouvoir manier le gouvernail dans tous les domaines, particulièrement dans l’économie. Mais ce ne sont pas tous des héritiers. Nombreux sont des aventuriers du système, style Tapie, qui ont « réussi » à se rapprocher des grands groupes, de type Bolloré ou Bouygues. Le petit monde politique néo-conservateur ou social-démocrate regorge de ces petits « prodiges » dont les sommets de la caste dirigeante ont besoin. Les « mal-nés » qui ont pour seule conviction de profiter à fond du système et qui ont le sens du vent dominant, s’ils savent donner des gages, sont distingués au milieu de la masse des dominés de la « France d’en-bas ». La politique professionnelle est aujourd’hui l’équivalent du rôle que jouaient l’armée et l’Église pour les cadets sans terre de l’aristocratie d’autrefois ! L’origine « populaire » peut être même un atout : ils peuvent « plaire » plus facilement, même s’ils font tout pour s’éloigner du peuple dont ils sont issus ! Ils ont le choix pour leur carrière d’opter pour les différentes droites ou pour la fausse gauche (ce qui n’engage à rien), en restant prêts à se reconvertir si nécessaire pour adhérer à la mouvance la plus rentable. L’opportunisme est leur boussole : elle indique les « valeurs » à la mode qu’il faut promouvoir et surtout les intérêts qu’il ne faut pas égratigner ! Demain, des éléments « frontistes » et « patriotes », évidemment, pourront aussi servir, s’ils n’ont pas d’exigences anti-néo-libérales !

L’aristocratie italienne, malgré son mépris pour les « chemises noires », a conclu un accord avec Mussolini ! Tout comme l’industrie lourde et l’essentiel de la bourgeoisie allemande se sont liées au nazisme hitlérien (après l’élimination du courant « national et socialiste » préoccupé réellement de social). Le patronat français n’était pas à Londres, durant les années 1940-1944, mais à Vichy : il ne s’est manifesté ni contre la Gestapo ni contre la Milice. Il faisait des affaires ! Rien n’exclut demain en France et ailleurs une « recomposition » politique, fédérant tous les courants encore divergents ayant pour trait commun de n’être pas contre le système, c’est-à-dire le capitalisme financier : les castes dirigeantes ont pour tradition de s’accommoder de tous les régimes pourvu qu’ils ne remettent pas en cause leurs privilèges et leur domination. Elles savent rendre la monnaie de la pièce !

== Les castes dominantes pour diriger ont aussi besoin d’ « experts » et d’ « intellectuels » qu’il s’agisse hier d’un « grand » comme Raymond Aron ou d’un « petit » style Zemour ! Aucun système ne peut en effet se passer de ces agents de légitimation.

La lecture de ce qui se produit dans la société ne peut être laissée à la spontanéité des consciences individuelles. Il convient de les « guider » vers les analyses ne remettant rien en cause, y compris en usant de la fausse monnaie intellectuelle sur le marché des idées ! C’est ainsi qu’il faut doctement expliquer que les Français ne sont ni racistes ni xénophobes, malgré les « apparences », à la différence de tous les autres peuples de la planète. Il faut persuader, par exemple encore, que la croissance permet de réduire le chômage quasi-mécaniquement et que la lourdeur du Code du Travail est un obstacle majeur à l’embauche, ce qui exige beaucoup de talent ! Il faut entretenir un « techno-optimisme » fondé sur la croyance que les nouvelles techniques règlent tous les problèmes, y compris sociaux, ce qui rend inutiles les révolutions. Il faut légitimer l’hostilité aux Russes qui sont mauvais par nature, communistes ou pas, incapables qu’ils sont de comprendre la bienfaisance de l’OTAN ! A la différence des États-Unis, champions du monde de la démocratie et de l’ingérence humanitaire, y compris en Irak, qu’il est convenable de toujours admirer, malgré Guantanamo et les trente mille crimes annuels (souvent racistes).

Nombre de journalistes, de juristes et surtout d’économistes (surtout ceux des organismes privés) se bousculent pour offrir une crédibilité au système moyennant leur médiatisation lorsqu’ils ont un peu de talent, donc un certain impact sur l’opinion.

La classe dirigeante n’a besoin en effet que d’une pensée « utile » à court terme, c’est-à-dire ajustée à la logique économique du système mais capable aussi de faire croire qu’il peut satisfaire tout le monde.

L’intellectuel de cour n’a qu’à se couler, en l’enrichissant, dans la pensée commune venant d’en-haut sans faire plus d’écart personnel qu’il n’en faut pour se démarquer des autres et manifester un « quant à soi », ayant la vertu de faire croire au pluralisme. Sa panoplie est standard dans le vide idéologique et l’infantilisme préfabriqués par les grands médias :
Il doit toujours se placer à l’intérieur du système, évalué comme indépassable. Il doit écarter toute recherche des causes aux problèmes qui se posent et se satisfaire d’une analyse descriptive des faits, car toute cause profonde révélée est subversive. Par exemple, l’approche de la pauvreté et du sous-développement doit éviter la recherche de leurs origines.

En tant qu’ « expert », il n’a pas besoin de penser si ce n’est à ce qu’il a intérêt à penser s’il veut rester « expert ». Il n’est chargé que d’expliciter à posteriori les décisions prises « en haut », quitte à renouveler son argumentaire, compte tenu de « l’usure » des explications précédentes. C’est d’ailleurs ce savoir-faire qu’on lui enseigne essentiellement à l’ENA, dans les écoles de commerce et les facultés de droit, chargées de la reproduction de la pensée unique.

Il doit être aussi « moralisateur » : à défaut de pouvoir invoquer la légalité et le droit « trop objectifs » (sauf le droit des affaires concocté par les intéressés eux-mêmes). L’intellectuel de service doit user à fond de « l’humanitarisme-mode ». Il permet de tout justifier, y compris la guerre (« juste », évidemment) et la politique de force, selon les opportunités. Cela offre de la « dignité » aux pratiques les plus « voyous » !

Il doit convaincre que la démocratie se résume à la désignation élective des dirigeants soigneusement pré-sélectionnés par « l’élite » et que toute autre interprétation de ce système politique est d’inspiration marxiste, ce qui est jugé évidemment totalement dépassé.

Enfin et surtout, il doit pratiquer le culte de l’Entreprise, « source de toutes les richesses », agent vertueux de la concurrence « libre et non faussée », au service de l’intérêt général, en particulier des salariés.

Le discours dominant est ainsi globalement affabulateur ; il n’a qu’une visée tactique : séduire, faire diversion, faire patienter, diviser, rassembler, selon les circonstances. Il n’aide pas à comprendre. Il manipule. Il y réussit. Grâce à ses capacités à rebondir sans cesse en sachant prendre le vent.

Dans l’histoire contemporaine, la « pensée » conservatrice a été anti-républicaine avant d’être éminemment républicaine ; elle a été belliciste avant d’être pacifiste et collaborationniste (avec les nazis) puis interventionniste aujourd’hui ; elle a été férocement antisémite avant de devenir pro-israélienne et anti-arabe ; elle a été colonialiste puis promotrice du droit des peuples (contre l’URSS) mais anti-souverainiste (avec l’Europe).

Les néo-conservateurs et la social-démocratie d’aujourd’hui font mieux encore. Ils révèrent les États-Unis (surtout les « Sarkozistes » et les « Hollandais »), comme puissances tutélaires, championnes du renseignement contre leurs alliés ; ils dénoncent Daech, mais pactisent avec ses financiers (argent et pétrole obligent !) et ses inspirateurs (Arabie Saoudite, Qatar) ; ils transfigurent l’Europe des affaires en un vaste projet de paix et de prospérité (malgré ses 20 millions de chômeurs). Dans l’ordre interne, ils applaudissent Charlie et dans le même temps, licencient des humoristes et les journalistes « dangereux » de leurs médias ; ils donnent toujours raison au Médef et toujours tort à la CGT. Ils dénoncent le FN mais lui font une publicité constante. Ils sont pour la démocratie et les libertés, mais tout autant pour un « État fort », comme l’écrit Juppée, capable de les réduire ! Grâce au terrorisme imbécile, ils peuvent instrumentaliser la peur pour leur seul profit !

En dépit du simplisme chaotique de ces positions, les victoires idéologiques s’accumulent. Les dominants subissent parfois des défaites (comme celle du référendum sur le projet de « Constitution » européenne de 2005), mais elles sont rares. Pour les néo-socialo-conservateurs, perdre la guerre contre les dominés est impensable. Tout le jeu est de « s’arranger » entre soi et tous les moyens sont bons !

Le « modèle » étasunien s’impose, qui combine conformisme et diversité, esprit libéral (à New-York) et autoritarisme raciste (au Texas), laxisme et rigorisme, obscurantisme (avec les sectes) et culte de l’innovation, etc.

Les dominants, à quelques cas particuliers près, en réalité, ne font pas de politique ; ils font des affaires et ils font carrière. Il peuvent être tout à la fois, parce que tout ce qui ne relève pas de leur petit monde leur est indifférent:ils peuvent faire dans le « démocratisme » ou dans la violence et la torture (comme durant la guerre d’Algérie). Indifféremment.

Neuilly et le « tout Paris », mobilisés par la course à l’argent, par l’auto-congratulation permanente et les « renvois d’ascenseur » nécessaires, sont loin de toute réalité concrète qui fait le quotidien du plus grand nombre. Comme l’écrit Tomaso de Lampedusa, ils sont prêts à tout, la liberté ou le fascisme, afin que « tout change pour que rien ne change » d’essentiel : leur propre fortune et leur place dans la société.

Ils mêlent dans la société tous les archaïsmes mâtinés de pseudo-modernité : ils font la promotion du « risque » qu’ils ne courent pas, de la peur dont ils ont les moyens de se protéger, du refuge identitaire, dont ils se moquent par esprit cosmopolite, du repli sur la vie privée et l’individualisme, dont ils sont les seuls à pouvoir réellement jouir.

== Nul ne sait l’heure et les modalités de « l’atterrissage » de cette « France d’en-haut ». La prise de conscience de l’échec global de cette oligarchie est une perspective très vraisemblable, tant leur système est à la fois absurde, inéquitable et intellectuellement pitoyable. Mais, disposant de tous les moyens face à ceux qui n’ont pratiquement rien, les dominants peuvent encore prospérer un temps indéterminé, mais en usant de plus en plus de la force brutale. Dans l’attente active que les peuples tournent la page en se mettant au clair sur leur propre volonté, Victor Hugo revient en mémoire : « l’Histoire a pour égout des temps comme les nôtres ».

Janvier 2016
Robert Charvin
Source : Investig’Action

Le film "Demain" : une graine d'espoirs, à voir d'urgence / The movie "Tomorrow": a seed of hopes, to see emergency

DEMAIN ?

"Nous passons notre temps à faire des films où nous sommes éradiqués par des zombies, des bombes nucléaires, des épidémies, des robots, des extraterrestres, de petits gremlins… Nous adorons ça ! Mais où sont les films qui parlent du contraire ? Ceux où nous nous rassemblons et où nous résolvons les problèmes ? Nous n’en avons pas vraiment… L’être humain est tellement ingénieux, tellement créatif. Nous pourrions faire des choses extraordinaires, mais pour ça nous avons besoin de nous raconter ces histoires. Avoir une vision, raconter une histoire, c’est comme de jeter devant soi un tourbillon qui vous entraîne..." Rob Hopkins
Bande-annonce / Trailer



Ajoutée le 19 nov. 2015

Tomorrow - Cyril Dion and Mélanie Laurent
Many things have been tried to resolve the ecological and economic crises. They haven’t really worked. According to Nobel Peace Prize laureate Mohammed Yunnus, the strongest driving force in human beings is their desire and their imagination. He believes that today we must make films and tell stories that spark the desire to build another world. This is what Cyril Dion and Mélanie Laurent decided to do by lining up known solutions in all spheres side-by-side to show what our society could look like tomorrow…
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